Quand les délocalisations créent de l’emploi en France…



Dans l’esprit de beaucoup de personnes, la France se vide de toute activité au profit des pays en développement comme la Chine, l’Inde, les Pays de l’Est, etc… Cette idée est doublement fausse : premièrement,  la France attire de nombreux projets industriels, elle présente un degré non négligeable d’attractivité. Deuxièmement, si l’on regarde où se dirigent les investissements français à l’étranger, on s’aperçoit qu’ils ne vont pas prioritairement en Chine ou dans les PECO, mais dans d’autres pays développés.

J’ai fourni dans Les nouvelles géographies du capitalisme quelques chiffres relatifs à ce dernier point. J’ai complété un peu sur le blog avec des données 2003 sur l’Europe.  J’actualise ici  grâce aux documents disponibles de la Banque de France :


Le premier pays "non développé" attirant des IDE français est la Pologne. Elle pèse 1% de l’ensemble des IDE français. Suit le Brésil, avec 1% également. La Chine est assez loin derrière, avec moins de 0,5% de l’ensemble. Les 10 premiers pays de destinations, tous des pays industrialisés, pèsent plus de 80% de l’ensemble.

D’autres tableaux/calculs montrent que 60,5% des IDE français vont dans l’UE à 15 fin 2004, 28,4% dans les autres pays industrialisés et seulement 2,2% dans les PECO10 (8,5% dans le reste du monde). Difficile de croire après ça à un déménagement massif de l’activité économique localisée en France vers les pays en développement.

Est-ce nécessairement une bonne chose? Pas si sûr :
* une bonne part des IDE à l’étranger ne vise pas à rationnaliser le processus productif, mais à accéder à une nouvelle demande. Le faible engagement des entreprises françaises en Chine par exemple peut être considéré comme pénalisant, s’il empêche de prendre position sur un marché aux perspectives prometteuses,
* et ce surtout si on garde en tête le résultat qui commence à émerger de certaines études récentes (accès limité pour certaines études) : les entreprises qui s’engagent à l’étranger crééent plus d’emplois dans leur pays d’origine que les entreprises ne s’engageant pas à l’étranger.

Petit extrait de l’article (abonnement NBER nécessaire) de Navaretti, Castellani et Didier, 2006, "How does investing in cheap labour countries affect performance at home? France and Italy", NBER Working Paper n°5765, juillet (ma traduction) :

Le transfert d’emplois d’industries de basse technologie vers les pays à bas coût est souvent vue par le grand public et par les politiques comme un signe de la désindustrialisation des économies européennes. Cependant, plusieurs études récentes ont montré que les effets sur l’économie domestique sont rarement négatifs et souvent positifs. Notre papier se focalise sur les investissements vers les pays à bas coût de main d’œuvre réalisés par un échantillon de firmes françaises et italiennes s’étant engagées à l’étranger sur la période d’étude. (…) Nous ne trouvons pas de preuve d’effet négatif. En Italie, l’investissement dans ces pays améliore l’efficacité des activités domestiques, avec également un effet positif de long terme  sur la production et l’emploi [3 ans après l’investissement, l’emploi dans le pays domestique est 8,1% plus élevé que pour les entreprises ne s’étant pas engagées à l’international]. Pour la France, nous trouvons un effet positif sur la taille du marché domestique [En termes de production et d’emploi. Cependant, contrairement à l’Italie, les auteurs ne trouvent pas d’effet significatif sur la valeur ajoutée et la productivité] (…).



Bien sûr, et c’est un point essentiel, si le solde est positif, les emplois détruits et les emplois créés ne sont pas les mêmes. Ce que politiques doivent prôner, ce n’est donc pas l’interdiction des délocalisations, mais l’anticipation et la gestion des mutations ainsi que l’accompagnement des personnes les plus exposées (personnes peu qualifiées en milieu rural notamment).

Boucherie économique



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vient de m’envoyer un mail, me recommandant d’acheter un ouvrage intitulé Economiquement incorrect d’Eric Le Boucher, rédacteur en chef au Monde pour ceux qui l’ignoreraient. Bon, j’avais dit du mal de lui dans un billet il y a quelques temps, mais je suis pas bégueule, je regarde donc sur le site le descriptif de l’ouvrage :

D’Asie en Amérique, le monde accélère. L’Europe s’arrête. Et la France recule. Affirmant mener une orgueilleuse " résistance " à la mondialisation et au libéralisme, le pouvoir politique a cédé aux corporatismes. L’immobilisme ruine le pays et met un jeune sur quatre au chômage. Pourquoi la France va-t-elle si mal quand d’autres pays s’en sortent ?
Ok, thèse décliniste, mais ce n’est pas ça qui me choque. Non, c’est plutôt cette phrase :
L’immobilisme ruine le pays et met un jeune sur quatre au chômage

Que peut-on espérer d’un type qui écrit un bouquin sur l’économie sans savoir ce que c’est qu’un taux de chômage (voir ici, , où )? C’est pas la France qui décline, c’est Le Boucher (bien que pour décliner, faut avoir été un peu plus haut sur la pente. En fait, il roule), Grasset (l’éditeur), et Le Monde (l’employeur)…

(D’un autre côté, vous me direz, Eric Le Boucher est honnête, tout est déjà annoncé dans le titre : économiquement incorrect…)