Le ministère a publié en juillet dernier différentes statistiques sur la réussite dans les Universités françaises. Avec des chiffres qui font peur : 27% des étudiants obtiennent leur licence en 3 ans, proportion qui monte à 39% pour les licences obtenues en 3 ou 4 ans. Le Monde vient de relayer l’information. L’objectif de ce billet est d’y voir un peu plus clair en évoquant différents points décisifs.
Premier point essentiel, ce taux de réussite varie très fortement selon la filière de bac des étudiants : plus du tiers des bacs généraux obtiennent leur licence en 3 ans et ils sont près de 50% à obtenir leur licence en 3 ou 4 ans, contre 15% pour les bacs technologiques et 5% pour les bacs professionnels. Raisonner sur un taux global n’a donc pas de sens, autant désagréger et s’interroger sur les moyens d’améliorer les choses pour chacun de ces sous-ensembles.
Deuxième point, il faut toujours faire attention quand on manipule ce genre de données, on a souvent du mal à appréhender les effets multiplicatifs. Je m’explique : supposons que le taux de réussite d’une licence soit de 70% en L1, 70% en L2 et 70% en L3, scores assez élevés. Devinette : quelle est la proportion d’étudiants qui obtiendront leur licence en 3 ans précisément ? Réponse : un tout petit plus d’un tiers… (0,7*0,7*0,7 = 34,3% très précisément). C’est ce que l’on observe pour les bacs généraux. Dans les faits, le taux n’est pas le même pour les trois années : pour Sciences Eco Poitiers, l’an dernier, ils sont respectivement de 50% en L1, 80% en L2 et 95% en L3, soit une probabilité d’obtenir sa licence en 3 ans de 38% et en 3 ou 4 ans de 66,5%. La problématique de l’échec à l’Université est massivement une problématique L1, qui concerne prioritairement les bacheliers technologiques et professionnels.
Troisième point, il faut également toujours s’interroger sur les données de base : en l’occurrence, le Ministère peut suivre la trajectoire des étudiants inscrits dans les Universités, mais ils perdent leur trace s’ils vont, après une L1, en BTS, en classe préparatoire ou en école. Ces étudiants qu’on ne peut plus suivre seront comptés comme ayant échoué dans leurs études, alors qu’en fait ils se sont réorientés et ont peut-être très bien réussi. Quelle est l’ampleur de ce phénomène ? Toutes universités, la proportion d’étudiants inscrits en L1 une année et non inscrits dans un établissement supérieur public l’année suivante est de 30,6%. On pourrait donc calculer un autre taux de réussite en retranchant ces étudiants du dénominateur, le taux d’obtention de la licence en 3 ans passerait en gros de 27% à 38% et le taux d’obtention en 3 ou 4 ans de 39% à 56%.
Une question importante reste cependant celui du devenir de ces non réinscrits. Le service statistique de l’Université de Poitiers (le SEEP) a enquêté les étudiants inscrits en 2012-2013, qui ne se sont pas réinscrits l’année suivante. Les résultats sont visibles ici. On y apprend que 27% des L1 ne se sont pas réinscrits l’année suivante, mais que ceci n’est pas synonyme d’arrêt des études. 71% sont en formation, massivement hors université : 34% en BTS, 23% en école, 6% en classe prépa, 10% en “autres formations”, soit un total de 73%. Autre chiffre intéressant : 61% des non réinscrits se disent satisfaits de leur année de formation, certains se sont inscrits dans une stratégie d’attente d’être pris dans la formation de leurs choix, d’autres avaient fait le voeu prioritaire d’aller à l’Université et se sont rendus compte que ce système ne leur convenait pas (je vous laisse découvrir les nombreux verbatims, très instructifs).
Dernier point, on observe des différences fortes de taux de réussite : une réussite en 3 ou 4 ans, en moyenne de 39%, varie en France métropolitaine entre 13% à Paris 8 et 53% à Angers. Une partie de l’explication tient aux caractéristiques différentes des entrants : imaginons qu’une Université accueille plus de bacheliers technologiques que la moyenne, son taux de réussite attendu (“taux simulé” dans le document du Ministère) sera logiquement plus faible. A Paris 8, ce taux attendu est de 29,8 et à Angers, il est de 42,5. La différence entre taux observé et taux simulé permet de calculer ensuite la valeur ajoutée de chaque établissement : elle est de 10,5 à Angers et de -8,6 à Paris 8. L’écart sur les taux de réussite entre ces deux Universités est donc pour partie lié à la différence de caractéristiques des entrants, mais pour partie seulement, Angers “performe” plus qu’attendu, Paris 8 moins qu’attendu. Poitiers est plutôt bien placé également, avec un taux de réussite de 46,9 et une valeur ajoutée de 6 (7ème université selon ce critère).
Attention cependant à ne pas aller trop vite en besogne : le Ministère ne dispose pas de toutes les informations sur les étudiants, le taux attendu est donc calculé sur la base des caractéristiques observables. A titre d’illustration, on n’a pas l’information sur la part des mentions au bac, si une Université en accueille plus que la moyenne, le calcul du taux simulé ne prendra pas en compte cela, on l’attribuera avec erreur à la “valeur ajoutée” de l’établissement.
Il n’en reste pas moins que la production de ces statistiques est particulièrement intéressante, à condition de ne pas se contenter de regarder le classement des Universités, mais de les analyser en détail, plus pour mieux se connaître que pour se mesurer aux autres. Les services statistiques des Universités produisent également tout un ensemble d’études particulièrement utiles, celui de Poitiers en tout cas (voir ici), mais j’imagine que ce n’est pas le seul. Mon sentiment : elles sont sous-utilisées dans les Universités, leur mobilisation permettrait d’améliorer le diagnostic sur ce qui va, sur ce qui ne va pas, et donc de prendre ensuite de meilleures décisions en termes d’évolution des formations et d’accompagnement des étudiants.