Saupoudrage

S’il y a un terme que j’aimerais voir supprimer du vocabulaire politique, c’est sans conteste celui-là : « saupoudrage ».

Je l’ai entendu mille fois, notamment quand il s’agit d’innovation et de recherche : il ne faut pas « saupoudrer », il faut concentrer l’effort sur les meilleurs. « Saupoudrer », c’est gaspiller.

Eviter le saupoudrage semble frappé du coin du bon sens. Imaginez que vous ayez 1000€. Vous avez le choix entre investir dans un projet A qui rapporte 0% par an et un projet B qui rapporte 10% par an. Saupoudrer, c’est répartir l’investissement entre A et B. Stupide. Concentrer, c’est mettre tous vos sous sur B. Intelligent.

Sauf que.

En matière de recherche et d’innovation, activités qui se caractérisent fondamentalement par une incertitude radicale sur les bénéfices attendus, anticiper la rentabilité d’un investissement sur le projet A ou sur le projet B, comment dire… ce n’est pas facile… Supposons que le projet A rapportera quelque chose entre 0% et 10% et que je projet B rapportera quelque chose comme entre 0% et 10%… Vous faites quoi ?

Pour ce que je peux en voir, la solution des politiques en France oscille entre deux options.

Première option : le politique décide des domaines dans lesquels il faut investir. Si le projet A relève du domaine X et le projet B du domaine Y, que le politique pense que le domaine X est le domaine d’avenir, il soutiendra le projet A. S’il pense que l’avenir est le domaine Y, il soutiendra B.

Le problème est que les chercheurs ne sont pas fous. Prenons l’exemple fictif d’une région que nous nommerons Patagonie Chérie, dont la présidente pense que l’avenir est au domaine de la Décroissance Bleue. Tout projet de recherche, de colloque, de chercheur invité, …, relevant de ce domaine est un bon projet. Tout projet qui s’en écarte est un mauvais projet. Le chercheur un peu malin (et le chercheur est malin) habillera systématiquement son projet pour qu’il rentre dans les cases de la Décroissance Bleue.

Deuxième option, quand par exemple les projets A et B appartiennent au même domaine (ou que les porteurs des projets A et B, pas fous, ont ciblé les domaines soutenus par les politiques, que tous relèvent de la Décroissance Bleue, donc) : les politiques regardent la performance passée des porteurs de projet. Si le porteur du projet A a été plus « performant » dans le passé, autant le financer ; si le porteur du projet B a été plus performant, on le soutient. L’investissement public ne correspond alors plus à un pari sur le futur, mais à une récompense du passé (je passe les cas où le politique se moque des projets A et B, qu’il connait bien le porteur de A, pas trop le porteur de B, que donc il finance le projet A, ce genre de trucs. Effets relations sociales, quoi, mais dans la vraie vie, ça n’existe pas).

Est-ce une bonne solution ? Pas sûr : c’est une bonne solution si l’on pense que les rendements de l’investissement sont constants ou croissants (que les meilleurs d’hier seront les meilleurs de demain, donc), mais s’ils sont décroissants, c’est une très mauvaise solution. Or, il semble qu’en matière de recherche, les rendements sont plutôt décroissants. Qu’au-delà de ce point, quand on ne sait pas de quoi demain sera fait, autant laisser ouvertes les options, miser sur la diversité, quoi.

D’où ma détestation du terme de « saupoudrage », que chacun fait rimer avec celui de « gaspillage ». « Arrosage » serait mieux : quand on ne sait pas où pousseront les « pépites » de demain, comme on dit, autant « arroser » à différents endroits, voir ce qu’il adviendra. Stratégie plus futée, je me dis. Quitte à évaluer un peu plus, à demander aux porteurs de projets de définir eux-mêmes des objectifs intermédiaires, d’évaluer s’ils sont atteints ou pas, de continuer à soutenir ou pas, en fonction.

Pas très français comme démarche. Le politique ne veut que financer ce qui marchera. Dès lors, soit il se construit sa propre théorie, pour discriminer en amont (devenant par exemple le chantre de la « Décroissance Bleue », ou des choses approchantes), soit il concentre sur le passé (ou bien sur son réseau social).

L’alternative ? Un jeu essai/erreur, laisser leur chance à plus de gens, « arroser », donc. Analyser ce que les porteurs de projets s’assignent, comme objectifs. Les évaluer chemin faisant, ensuite. Rediriger les financements, en fonction.

Préserver la diversité, toujours. Demain serait bien triste si on savait déjà ce qu’il sera.

Inversion de la courbe du chômage : un nouveau petit point

L’Insee vient de mettre en ligne les taux de chômage trimestriels par zones d’emploi (304 zones en France métropolitaine) pour le 4ème trimestre 2015. L’occasion de refaire un point à l’échelle infra-nationale sur la question de l’inversion de la courbe du chômage.

A l’échelle du pays, c’est clair, le chômage stagne : la moyenne simple des taux de chômage par zone d’emploi était à 9,9% fin 2012, 9,8% fin 2013, 10,2% fin 2014 et 10,1% fin 2015. Mais rien ne dit que des choses ne bougent pas à des échelles plus fines.

La dernière fois que je m’étais livré à l’exercice, on observait peu de changement, moins d’une dizaine de zones avaient vu leur taux de chômage baissé. Cette fois, leur nombre est plus important : 75 des 304 zones d’emploi ont un taux de chômage au dernier trimestre de 2015 inférieur à leur taux de chômage au dernier trimestre de 2012. Dans certains cas, la variation est faible, dans d’autres cas, elle est relativement forte.

Pour le montrer, on peut commencer par cartographier l’écart entre les deux taux de chômage (taux 2012 – taux 2015). Une valeur positive signifie que le taux de chômage a baissé, d’autant plus que la valeur est élevée.

inversion

Les zones en bleu sont celles qui ont connu une hausse du chômage ; celles en jaune et en orange ont connu une baisse du taux : entre 0,1 et 0,6 points de pourcentage pour les zones en jaune, entre 0,6 et 1,2 points de pourcentage pour celles en orange.

Vous pouvez découvrir le détail des 75 zones d’emploi ici : le nom de la zone, sa région d’appartenance, le taux de chômage aux deux dates et la variation du taux. Elles sont classées de la plus forte variation à la plus faible. Les 15 zones en orange sont les suivantes :

zone d’emploi région  2012  2015 écart
Douai Nord-Pas-de-Calais-Picardie 14.8 13.6 1.2
Calais Nord-Pas-de-Calais-Picardie 16.8 15.7 1.1
Vesoul Bourgogne-Franche-Comté 10.0 9.1 0.9
Vallée de l’Arve Auvergne-Rhône-Alpes 10.5 9.6 0.9
Lens-Hénin Nord-Pas-de-Calais-Picardie 17.0 16.1 0.9
Ussel Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes 7.8 7.1 0.7
Verdun Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine 11.6 10.9 0.7
Saint-Flour Auvergne-Rhône-Alpes 6.6 5.9 0.7
Limoux Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées 13.6 12.9 0.7
Sens Bourgogne-Franche-Comté 11.3 10.7 0.6
Saint-Malo Bretagne 9.8 9.2 0.6
Château-Thierry Nord-Pas-de-Calais-Picardie 12.2 11.6 0.6
Vendôme Centre-Val-de-Loire 8.7 8.1 0.6
Bar-le-Duc Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine 9.0 8.4 0.6

On peut symétriquement regarder les zones qui ont connu la dégradation la plus forte de leur situation. En voici la liste :

zone d’emploi région 2012 2015 écart
Porto-Vecchio Corse 10.5 12.8 -2.3
Bastia Corse 10.0 11.6 -1.6
Autun Bourgogne-Franche-Comté 9.3 10.8 -1.5
Sartène-Propriano Corse 11.2 12.7 -1.5
Morteau Bourgogne-Franche-Comté 6.5 7.9 -1.4
Troyes Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine 11.2 12.4 -1.2
Ganges Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées 12.6 13.8 -1.2
Menton Vallée de la Roya Provence-Alpes-Côte d’Azur 8.8 10 -1.2
Montereau-Fault-Yonne Ile-de-France 11.0 12.1 -1.1
Guingamp Bretagne 9.5 10.6 -1.1
Carhaix-Plouguer Bretagne 9.4 10.4 -1.0
Montauban Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées 10.9 11.9 -1.0
Céret Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées 15.0 16 -1.0
Orly Ile-de-France 9.9 10.8 -0.9
Romorantin-Lanthenay Centre-Val-de-Loire 9.5 10.4 -0.9
Aubenas Auvergne-Rhône-Alpes 13.0 13.9 -0.9
Nice Provence-Alpes-Côte d’Azur 9.7 10.6 -0.9
Cavaillon-Apt Provence-Alpes-Côte d’Azur 12.4 13.3 -0.9

Comme dit dans un autre billet, attention cependant à l’interprétation des taux de chômage : certaines zones ont un faible chômage qui se conjugue à de faibles créations d’emploi, d’autres un fort chômage mais une dynamique forte de création d’emploi, etc. Il est aussi possible que sur certains territoires, le “renoncement” à chercher un emploi soit plus fort, ce serait à regarder. Cela semble quand même bouger un peu, en positif, notamment dans quelques zones de la nouvelle région “Hauts de France”, particulièrement exposées au problème du chômage.