Covid 19, épisode 13 : l’effet du confinement sur la mobilité de la population

L’Insee et Orange viennent de finaliser un travail très intéressant sur l’impact du confinement sur la mobilité de la population, qui permet d’actualiser ce que je disais dans un billet précédent. Vous trouverez les principaux résultats de leur travail ici et le détail de la méthode et des résultats . Voici ce que j’en ai retenu.

Sur la méthode, d’abord : grâce à des données de téléphonie mobile, les auteurs ont calculé le nombre de nuitées passées dans les départements français 3 jours avant le confinement et 3 jours après le début confinement. Sur la base de l’adresse de résidence principale des personnes, de la localisation des personnes avant le confinement, et de leur localisation après le confinement, on peut calculer différentes écarts entre la situation après et la situation avant le confinement.

On peut commencer par calculer l’écart total de nuitées après/avant : 31 des 96 départements présentent un écart total négatif, c’est-à-dire que moins de gens y ont dormi après le confinement qu’avant. On y trouve deux types de départements : i) les départements hébergeant les stations de ski, qui ont fermé après le confinement (Savoie, Haute-Savoie, Hautes-Alpes, Hautes-Pyrénées, …), ii) les départements des grandes villes françaises (départements d’Ile-de-France, Rhône, Haute-Garonne, Gironde, Hérault, …).

Attention cependant à ne pas aller trop vite en besogne dans l’interprétation pour la catégorie des grandes villes, car plusieurs processus sont à l’œuvre. Les données collectées permettent notamment de distinguer dans les nuitées celles passées par les personnes ayant leur résidence principale dans le département, celles de ceux dont la résidence principale est localisé dans d’autres départements, et celle enfin de résidents étrangers.

Il s’avère alors que dans l’ensemble des 96 départements de France métropolitaine, seuls 2 voient baisser le nombre de nuitées passées dans le département par des résidents du même département entre avant et après le début du confinement : Paris d’une part (baisse de 209 000 nuitées) et les Hauts-de-Seine d’autre part (baisse de 20 000 nuitées). Dans tous les autres départements, l’évolution est positive, signe que de très nombreuses personnes qui résidaient avant le confinement dans d’autres départements (pour des raisons que j’évoquerai après) ont réintégré leurs pénates. C’est notamment vrai dans les grandes villes que j’évoquais plus haut, mais comme ils ont vu partir de chez eux encore plus de personnes dont la résidence principale est dans d’autres départements, l’écart total des nuitées est négatif. A noter également pour tous les départements concernés la baisse des nuitées des résidents étrangers.

Pourquoi dans les grandes villes accueillait-on de nombreuses personnes dont la résidence principale était située dans d’autres départements ? Parmi eux, on peut penser qu’il y a des touristes qui séjournaient dans les grandes villes, des personnes en emploi qui y résidaient pour leur travail, ou encore des étudiants dont la résidence principale déclarée à leur opérateur téléphonique est celle de leurs parents. J’en oublie peut-être, n’hésitez pas à compléter.

Quant à l’effet résidence secondaire, il joue à l’évidence, et de manière très forte, pour Paris (11% des parisiens résidaient hors de leur département après le début du confinement) et, dans une moindre mesure, pour les Hauts-de-Seine. Sans doute trouve-t-on aussi des parisiens sans résidence secondaire qui sont allé rejoindre le domicile de leurs parents, d’autres membres de leur famille ou bien d’amis. Pour les autres grandes villes, ces processus peuvent jouer, mais ils ne dominent pas le retour des habitants de ces villes après le début du confinement.

Pour preuve de cet effet, les cartes ci-dessus proposées par les auteurs montrent que la présence des parisiens dans les départements de province suit plutôt bien l’emplacement de leurs résidences secondaires.

Géographie des taux de chômage : entre inertie et mobilités

Je participe lundi après-midi à une table ronde intitulée “Quelles politiques pour favoriser l’activité et l’emploi partout en France ?” dans le cadre du colloque annuel du Conseil d’Orientation pour l’Emploi “Emploi et Territoires”. L’occasion d’échanger côté chercheurs avec Etienne Wasmer et Jacques Levy. Je me rends ensuite sur Lyon, dans le cadre des Journées de l’économie, pour participer à une table ronde intitulée “Métropoles : l’impact sur les territoires”, où j’échangerai notamment avec Eric Charmes.

Beaucoup de choses à dire dans les deux cas. Cela m’a donné envie également de creuser un peu sur la question de la géographie des taux de chômage de manière plus sérieuse que dans mon précédent billet, car on regarde assez peu le problème du chômage à des échelles fines, on se focalise un peu trop sur les analyses macroéconomiques me semble-t-il. Pour cela, j’ai collecté les taux de chômage annuels par zone d’emploi de France métropolitaine (304 zones d’emploi) sur la période 2003-2014. Voici quelques résultats.

On peut d’abord représenter la distribution d’ensemble des taux de chômage en 2003 et en 2014 ; on s’aperçoit d’une part qu’elle se déplace vers la droite, signe de l’accroissement généralisé du chômage entre les deux dates, et d’autre part que la distribution est plus aplatie, signe d’une dispersion plus grande des taux de chômage.

choOn peut ensuite calculer les quartiles ou les déciles de taux de chômage, ce qui permet de vérifier cette évolution d’ensemble et de mesurer plus précisément la forte variation des taux de chômage selon les territoires.

déciles 2003 2014
minimum 4 4.8
d1 5.5 7.3
d2 6.3 8
d3 6.7 8.6
d4 7.1 9.1
d5 7.6 9.75
d6 8.1 10.2
d7 8.6 10.9
d8 9.2 11.8
d9 10.5 13.1
maximum 14.7 17.9

10% des zones d’emploi ont un taux de chômage inférieur à 5,5% en 2003 et à 7,3% en 2014 ; 10% des zones ont un taux de chômage supérieur à 10,5% en 2003 et à 13,1% en 2014. Le rapport d9/d1 baisse un peu, mais il reste élevé, passant de 1,9 à  1,8. En gros, le chômage varie du simple au double selon les territoires.

Au-delà de ces quelques chiffres, je voulais surtout voir si la situation relative des zones avait évolué sur la période : les zones les moins performantes en 2003 sont-elles toujours les moins performantes en 2014 ? Quid pour les zones les plus performantes ?

Pour cela, une façon de faire consiste à ranger les zones d’emploi par quartiles ou déciles en 2003, refaire l’exercice en 2014 et voir si certaines zones passent d’une classe à l’autre entre les deux périodes. Voici ce que cela donne en retenant les quartiles :

q1 q2 q3 q4
q1 63 17 3
q2 14 42 22 1
q3 1 12 39 16
q4 3 15 56

Guide de lecture : 63 zones d’emploi appartenant au premier quartile de taux de chômage en 2003 appartiennent toujours au premier quartile en 2014, 17 sont passées au deuxième quartile, 3 au troisième quartile.

On peut calculer un “indicateur d’inertie”, correspondant à la part des zones restant dans la même classe entre les deux dates : il est de 66%, signe que la géographie des taux de chômage bouge lentement.

Elle bouge malgré tout : 19% des zones voient leur situation relative se dégrader, 15% s’améliorer. Mais attention, on peut avoir des effets de seuil, une zone juste en dessous d’un quartile en 2003 passant juste au-dessus en 2014. Pour éviter ce genre de biais, on peut regarder les zones qui se sont déplacés de plus d’une classe entre les deux dates : elles sont 4 dans chaque sens quand on se focalise sur les quartiles.

Gien, Carhaix-Plougher et Vesoul passe de la classe 1 à la classe 3 ; Digne-les-Bains de la classe 2 à la classe 4. Forte dégradation relative pour ces territoires. A contrario, Ajaccio passe de la classe 3 à la classe 1 ; Autun, Cherbourg-Octeville et Aix-en-Provence de la classe 4 à la classe 2. Forte amélioration pour ces territoires.

J’ai reproduit le même exercice en m’appuyant cette fois sur une typologie plus fine, celle des déciles. 227 zones (75%) restent dans le même décile ou passent dans un décile juste voisin ; 32 zones (10%) voient leur situation relative s’améliorer assez nettement (déplacement de plus de deux classes vers des classes à taux de chômage plus faibles) ; 45 zones (15%) voient leur situation se dégrader assez nettement (déplacement de plus de deux classes vers des classes à taux de chômage plus forts). Voici la carte représentant ces zones (je n’ai pas représenté la zone d’emploi de Paris pour que la carte soit plus lisible, cette zone est une de celles qui voient leur situation s’améliorer nettement, puisqu’elle passe de la classe 8 à la classe 4) :

carte_choLa taille des cercles est proportionnelle au nombre d’emploi en 2012. Les zones en rouge sont celles qui voient leur situation s’améliorer nettement, celles en bleues voient leur situation se dégrader nettement. Attention à ne pas faire de mauvaises interprétations : on ne sait pas dans quel classe initiale étaient ces zones, ce que permet de repérer la carte, ce sont les zones qui ont bougé le plus dans la distribution.

Si on veut repérer les zones qui sont dans la meilleure situation, on peut retenir plutôt celles qui appartiennent à la première classe de taux de chômage en 2014 (taux inférieur à 7,3%). Elles sont au nombre de 33. Parmi elles, 24 étaient déjà dans la première classe en 2003, 8 sont passées de la classe 2 à la classe 1 et une zone est passée de la classe 3 à la classe 1 (Limoux). Voici le tableau puis la carte associée :

code ZE nom ZE taux 2003 taux 2014
1109 Houdan 4.8 4.8
1112 Rambouillet 4.9 5.7
1113 Plaisir 5.6 6.3
1116 Saclay 5.5 6.4
2506 Avranches 5.1 6.8
2510 Saint-Lô 5.3 7.2
4201 Haguenau 5.9 7.2
4202 Molsheim-Obernai 4.6 6.7
4206 Wissembourg 5.5 6.1
4303 Morteau 5.4 6.8
4304 Pontarlier 5.5 6.9
4306 Lons-le-Saunier 5.3 6.5
5201 Ancenis 5.1 6
5206 Cholet 5.6 7.3
5208 Segré 4.4 7.2
5209 Laval 5 6.9
5210 Mayenne 4.6 6.7
5217 Les Herbiers 4 5.7
5304 Loudéac 4.3 6.9
5314 Vitré 4.2 5.4
5412 Bressuire 5.9 7
7213 Oloron-Sainte-Marie 6.3 7.3
7304 Rodez 4.4 6.3
7401 Tulle 4.4 6.4
7402 Ussel 6.5 7.3
8202 Bourg-en-Bresse 4.7 7.2
8213 Villefranche-sur-Saône 5.8 6.9
8218 Annecy 6.1 6.5
8221 Mont Blanc 5 6.2
8304 Aurillac 5.5 6.9
8305 Mauriac 5.7 5.5
8306 Saint-Flour 5.3 6.2
9113 Lozère 4.7 6

La carte :

carte2On observe des effets de proximité géographique plutôt intéressants. Là encore, prudence dans l’interprétation : certaines zones peuvent connaître de très faibles taux de chômage, parce que ces territoires “se vident”, les personnes recherchant un emploi prospectant hors zone. Ce n’est pas le cas de toutes les zones représentées, mais sans doute de certaines d’entre elles.

Pour aller plus loin, il faudrait en fait étudier le lien entre croissance de l’emploi et taux de chômage, toutes les combinaisons étant possibles (forte croissance de l’emploi et faible chômage, forte croissance de l’emploi et fort chômage, etc). Disons que ce sera pour un prochain billet.