Poitiers 2020 : saison 1, épisode 3 (l’aéroport)

Je participe à un nouveau groupe de réflexion, Nouvelles d’Aliénor (page Facebook ici), dont l’objectif est de mettre sur la table des sujets d’intérêt pour Poitiers et les territoires alentours (à noter que la Nouvelle République s’en est fait l’écho ce matin). La première note que nous avons décidé de diffuser se penche sur la question de l’aéroport de Poitiers, vous pouvez la lire ici, j’en résume l’essentiel et complète un peu dans ce billet.

Comme la plupart des petites structures aéroportuaires, l’aéroport de Poitiers est déficitaire. Il ne survit donc que grâce aux subventions publiques ou parapubliques. Jusqu’à présent, les plus gros contributeurs sont la CCI (Chambre de Commerce et d’Industrie) de la Vienne, le département, et Grand Poitiers, qui apportent chacun environ 700 000€ par an, soit plus de 2 millions d’euros à eux trois. Chaque année. Difficultés financières obligent, la CCI se retire. La question non tranchée est donc la suivante : le département de la Vienne et Grand Poitiers doivent-ils continuer à subventionner cet aéroport, en augmentant leurs contributions pour faire face au retrait de la CCI ? Pour l’instant, ni le département, ni Grand Poitiers n’ont voulu se prononcer.

Pour se prononcer sur l’intérêt de continuer à subventionner cette infrastructure, il convient de faire un peu d’évaluation : combien cela coûte ? Pour quel service ? A-t-on des solutions alternatives pour assurer ce service ? Si l’on arrête, que pourrait-on faire de l’argent public ainsi économisé ? L’utilité de ce redéploiement serait-elle plus importante ?

Les réponses même partielles que l’on peut apporter sont sans équivoque : i) l’aéroport coûte cher, environ 2 millions d’euros par an, comme indiqué plus haut, ii) le service est rendu pour partie à des retraités britanniques qui ont une résidence dans le sud Vienne ou alentours, pour partie à des dirigeants d’entreprises, des universitaires, bref des CSP+, qui voient là un moyen intéressant de faire des réunions à la journée sur Lyon ou de profiter de ce hub, pour une autre partie enfin à des touristes aux revenus suffisants pour se rendre en Corse l’été, 400€ le trajet aller-retour par personne environ, iii) les alternatives sont nombreuses, car Poitiers est loin d’être un territoire enclavé : Paris et Bordeaux sont à 1 à 2h de train, le réseau autoroutier est bien développé pour accéder à ces deux villes ainsi qu’à Tours et Nantes, l’ensemble de ces villes disposant d’aéroports, etc.

Subventionner localement un équipement qui coûte cher, qui bénéficie peu à la population locale, pour lequel on dispose d’alternatives moins onéreuses au prix de menus inconvénients (j’ai utilisé personnellement la ligne Poitiers-Lyon, très confortable, mais y aller en TGV m’oblige simplement à passer une nuit d’hôtel sur Lyon, ce qui n’est pas insurmontable), cela ne semble pas très pertinent. On pourrait ajouter, au-delà de l’argument économique, la question environnementale (est-ce pertinent de subventionner le transport aérien à de tels niveaux ?) et la question sociale (j’ai cru voir que les conditions de travail chez Ryanair… comment dire…).

On peut aller plus loin : le point clé sur lequel on insiste dans la note, c’est que pour juger de la pertinence d’un investissement, il ne faut pas seulement s’interroger sur “combien ça coûte ?”, mais aussi sur ce que l’on pourrait faire de l’argent ainsi économisé. Comme déjà dit à d’autres occasions, il n’y a pas de repas gratuit : quand Grand Poitiers et le département de la Vienne mettent chacun, chaque année, 700 000€ dans l’aéroport, c’est de l’argent qu’ils ne mettent pas ailleurs. Il s’agit donc de mesurer ce que l’on appelle en économie un coût d’opportunité.

A ce titre, il me semble que, si l’on reste sur la question de la mobilité, il pourrait être intéressant que Grand Poitiers redéploie ces 700 000€ sur la question de la mobilité interne à son territoire d’intervention (amélioration des réseaux de bus, par exemple, cf. l’épisode 1 de la saison, mais aussi les enjeux autour des flux  au sein de la Communauté Urbaine entre Poitiers, le Futuroscope, Buxerolles, Saint-Benoît, les quartiers de Poitiers, …) et que le département de la Vienne les redéploie pour améliorer les mobilités entre Poitiers et Châtellerault, deux territoires très interdépendants. Histoire d’apporter des éléments de réponse aux contestations en cours, qui ne sont pas sans lien avec ces problèmes de mobilité.

Il existe sans doute d’autres pistes de redéploiement. Le plus rationnel, me semble-t-il, serait d’acter la non-pertinence du subventionnement de l’aéroport, à charge pour les candidats aux élections de se positionner sur ce qu’ils aimeraient faire de l’argent ainsi économisé.

L’attractivité de Poitou-Charentes : origine et trajectoire des étudiants

L’an dernier, j’avais été sollicité par Mutécos pour participer à des ateliers régionaux sur l’accompagnement et l’anticipation des mutations économiques. J’avais été à la fois intéressé et agacé : intéressé parce qu’il s’agissait de faire se rencontrer et de faire échanger des “producteurs de connaissance” (présentation d’analyses d’universitaires et d’études Insee), des responsables politiques et des acteurs socio-économiques ; agacé parce que le champ balayé était si large que les discussions avaient une légère tendance à se transformer en discussion de café du commerce…

Lors du séminaire final, j’avais donc indiqué, en concertation avec le Directeur Régional de l’Insee, la nécessité à la fois d’organiser de tels échanges et de réduire la focale. Proposition entendue en Région, qui se traduit par l’organisation d’une journée de travail sur une question assez précise, en gros : d’où viennent et que deviennent les étudiants de Poitou-Charentes ?

Il s’agira d’interroger des propos souvent entendus du type « les étudiants quittent le Poitou-Charentes », « il y a un faible taux d’accès des bacheliers aux formations du supérieur », « il y a un déficit de cadres dans les entreprises régionales », …, en présentant les résultats de différentes études et recherches et en provoquant des échanges entre chercheurs, institutionnels et représentants du monde socio-économique.

La matinée sera consacrée à la question de la poursuite d’études dans le supérieur. La Région Poitou-Charentes se caractérise en effet par un taux de poursuite particulièrement faible. Béatrice Milard plantera le décor en présentant les résultats d’une recherche sur les processus de production des disparités dans l’enseignement supérieur. L’Insee et le Rectorat présenteront des résultats originaux sur la Région. S’ensuivra une table ronde avec des acteurs qui œuvrent pour augmenter ce taux de poursuite.

L’après-midi sera consacrée à la question de l’insertion des étudiants. Sophie Orange ouvrira le bal en présentant les résultats de ses recherches sur les étudiants passés par des BTS. Comme pour la matinée, des résultats originaux seront ensuite présentés, résultats produits par les Universités de Poitiers et la Rochelle et l’Insee.

Pour ma part, je présenterai les résultats d’une étude basée sur les données des enquêtes Génération du Cereq et d’autres issues du service statistique de l’Université de Poitiers, qui montre que, oui, les mobilités sortantes de Poitou-Charentes sont plus fortes que dans d’autres régions, mais les mobilités entrantes aussi, que globalement la mobilité est faible, et que, quand elle a lieu, c’est surtout vers les régions limitrophes (rôle de la proximité géographique) ou qu’elle s’inscrit dans des stratégies de retour (des étudiants originaires de la région A viennent en Poitou-Charentes pour finir leurs études et cherchent à retourner dans leur région d’origine pour y travailler – résultat non spécifique à Poitou-Charentes). La présentation des données des Universités Picto-Charentaises sur l’insertion des étudiants permettra également de déconstruire le mythe selon lequel faire des études ne sert à rien, que l’Université ne prépare pas à l’obtention d’un emploi ou seulement à de mauvais emplois, etc.

Échanges ensuite entre représentants des entreprises, des Universités et des Institutions. Il y a de mon point de vue de vraies problématiques à traiter, liées à la sur-représentation de PME en Région, au poids des espaces ruraux, à l’absence de grande métropole, qui expliquent une bonne part des constats que l’on peut faire.

Cette journée aura lieu à la Faculté de Sciences Economiques de Poitiers, le 20 juin prochain, avec le soutien de la Direccte et grâce à l’organisation particulièrement efficace de l’ARFTLV . L’entrée est libre et gratuite.

Vous n’y perdrez rien. Au pire, quelques idées reçues. Pour vous inscrire, c’est ici.

La (faible?) mobilité géographique des enseignants-chercheurs

Il y a quelques années, Olivier Godechot et Alexandra Louvet avaient montré, via l’exploitation d’une base de données originale (la base Docthèse), la tendance du monde universitaire français au localisme (tendance des universités à recruter leurs propres docteurs). D’où leur préconisation : une interdiction du localisme. J’avais réagi, dans un texte co-écrit avec Michel Grossetti et Anne Lavigne, en expliquant que le localisme n’était pas la cause mais la conséquence d’un déficience des processus de recrutement. Plutôt que d’interdire le localisme, donnons aux universités les moyens de mettre en oeuvre des procédures plus efficaces (recruter pour une quarantaine d’années une personne vue en entretien une vingtaine de minutes ne me semble pas optimal).

Quelques temps après, j’avais sollicité Olivier Godechot pour savoir si nous pouvions disposer de la base de données sur laquelle ils avaient travaillé, afin de l’analyser autrement (je remercie sincèrement Olivier Godechot de l’avoir mise à notre disposition). Mon idée : en raisonnant à l’échelle des universités, Godechot et Louvet passaient à côté de certains phénomènes. Notamment : leur étude montre que le localisme des universités parisiennes est moins important que le localisme des universités de province, mais n’est-ce pas lié à des phénomènes de circulation entre universités parisiennes?

Nous avons donc commencé à travailler sur la base (je travaille sur ce chantier avec Bastien Bernela et Marie Ferru), en distinguant notamment entre le “localisme” universitaire et le “localisme” régional. Distinction éclairante s’agissant des universités parisiennes :

Niveau établissement

 

Niveau régional

Alsace

59,0%

63,1%

Aquitaine

53,9%

60,5%

Auvergne

56,5%

56,5%

Bourgogne

64,8%

64,8%

Bretagne

56,2%

62,3%

Centre

44,2%

47,1%

Champagne-Ardenne

44,4%

44,4%

Franche-Comté

48,7%

48,7%

Ile-de-France

29,4%

61,1%

Languedoc-Roussillon

54,1%

60,5%

Limousin

65,5%

65,5%

Lorraine

44,3%

61,8%

Midi-Pyrénées

58,8%

69,3%

Nord-Pas-De-Calais

64,1%

72,3%

Basse-Normandie

50,9%

50,9%

Haute-Normandie

68,9%

73,3%

Pays-de-la-Loire

65,6%

66,2%

Picardie

66,7%

68,9%

Poitou-Charentes

65,3%

65,3%

Provence-Alpes-Côte-d’Azur

54,6%

67,1%

Rhône-Alpes

51,8%

72,2%

France

43,4%

 

63,5%

En moyenne France entière, 43,4% des docteurs d’une université dirigent leur première thèse dans la même université (c’est de cette façon que l’on mesure le localisme, ce qui n’est pas exempt de critique, cf. le texte disponible via le lien plus bas). A l’échelle des régions, ce taux monte à 63,5%.

Quid des universités parisiennes? Taux très faible à l’échelle des universités (29,4%), mais dans la moyenne à l’échelle de la région Ile-de-France (61,1%). Les docteurs franciliens bougent, mais pour rester sur Paris.

De manière générale, ce taux de 63,5% m’apparaît plutôt élevé, plus élevé, je pense, que ce que la plupart des acteurs du monde universitaire ont en tête. Si l’on ajoute à la région de soutenance de la thèse les régions limitrophes, ce taux passe à près de 70%. Les enseignants-chercheurs semblent donc peu mobiles. Je dis bien semble, car nous n’avons pas de point de comparaison : peut-être sont-ils plus mobiles que la moyenne des personnes de même niveau de qualification, peut-être moins. Nous travaillons actuellement sur ce point, résultats à suivre.

Nous avons ensuite testé de premiers modèles économétriques, notamment un modèle gravitaire, pour voir dans quelle mesure la mobilité interrégionales des enseignants-chercheurs pouvait s’expliquer par des facteurs structurels comme la distance entre les régions ou encore la taille des régions. Résultat : la distance géographique entre les capitales régionales joue négativement sur les mobilités, la taille scientifique (mesurée par le nombre de chercheurs) joue positivement. Eléments qui ont peu à voir avec la nature du processus de recrutement mais plus à voir avec des facteurs classiques de mobilité, que l’on retrouve dans de nombreuses études.

Ces premières analyses ont donné lieu à la rédaction d’un article disponible ici et présenté la semaine dernière en colloque sur Montréal. Il s’agit d’une première version, pas mal de compléments en cours, mais toutes vos remarques et commentaires sont les bienvenus!