Le cas Alstom : la question du sens de la causalité

Alstom a annoncé il y a quelques jours devoir fermer son site de Belfort dédié à la fabrication de locomotives et de motrices. Pourquoi? Plus de commande. Le gouvernement s’agite pour sauver le site, l’objectif étant de trouver de nouvelles commandes, auprès de la SNCF, de la RATP et/ou pour la fabrication de trains régionaux. Si cela aboutit, tout le monde se réjouira de l’enchaînement : 1) Alstom va mal en raison de l’absence de commande, 2) le gouvernement s’agite, 4) Alstom décroche de nouvelles commandes, 3) le site de Belfort est sauvé.

Étant donné qu’Alstom est en concurrence sur certains de ces marchés avec d’autres entreprises (le canadien Bombardier et l’espagnol CAF), je me demande naïvement si on ne peut pas inverser le sens de la causalité : 1) Alstom veut décrocher ces commandes, 2) Alstom annonce devoir fermer le site, 3) le gouvernement s’agite, 4) Alstom décroche les nouvelles commandes, 5) le site de Belfort est sauvé.

Au moment où le Made in France revient dans les débats, quelle importance, me direz-vous, tant pis pour les canadiens et les espagnols, tant mieux pour les français. Sauf que Bombardier dispose de la plus grande usine ferroviaire de France à Crespin, dans le Nord, et que CAF a son usine à Bagnères-de-Bigorre, dans les Haute-Pyrénées. Ce n’est donc pas le Canada où l’Espagne, qui vont perdre, mais certains territoires français contre d’autres. Mais le symbole Alstom à Belfort est trop fort pour que le gouvernement ne vole pas au secours de ce site.

Donc bravo au PDG d’Alstom. Ce n’est qu’une hypothèse, bien sûr.

Made in France, again

Mathieu Magnaudeix, de Médiapart, m’a interviewé mercredi dernier sur le Made in France. Alexandre Delaigue et Jean-Luc Gaffard ont également été interrogés. L’objectif?
Synthétiser les analyses (largement convergentes) des économistes sur cette nouvelle mode du Made in France avant de recevoir François Bayrou, ce soir, entre 20h30 et 22h00.

L’article se trouve ici (€). Le débat sera diffusé là.

Made in France vs. Made in Monde

Je découvre dans cet article (via EcoInter View) le petit tableau ci-dessous, traduit et complété par mes soins.

Balance commerciale des Etats-Unis pour l’iPhone, en 2009 (millions de dollars)

Chine Japon Corée du Sud Allemagne Reste du Monde Monde
Mesure traditionnelle -1901.2 0 0 0 0 -1901.2
en % 100% 0% 0% 0% 0% 100%
Mesure en valeur ajoutée -73.5 -684.8 -259.4 -340.7 -542.8 -1901.2
en % 4% 36% 14% 18% 29% 100%

 

Il s’agit d’un tableau résumant la balance commerciale des Etats-Unis, en 2009, pour un seul produit, l’iPhone. La mesure traditionnelle du commerce montre que les Etats-Unis payent 1901.2 millions de dollars à la Chine, qui assemble ce produit. Une mesure révisée, en valeur ajoutée, modifie totalement notre perception : la Chine, pour assembler l’iPhone, importe beaucoup du Japon, de l’Allemagne, de la Corée du Sud et d’autres pays encore. Si l’on déduit des exportations chinoises d’iPhone les importations chinoises nécessaires, les Etats-Unis ne payent plus que 73.5 millions de dollars à la Chine, soit 4%, contre 36% au Japon ou 18% à l’Allemagne.

J’avais déjà parlé de l’importance de l’analyse du commerce international en valeur ajoutée ici et . Je voulais en remettre une couche, vu le débat politique actuel sur le fabriqué en France :

Sarkozy/Jego proposent de labelliser “Origine France Garantie” les produits dont plus de 50% de la valeur ajoutée est française. Bayrou a fait du “Fabriqué en France” un point essentiel de sa campagne. Sur la base de ce critère, on observe que l’iPhone est un produit Made in Nulle Part. Ou plutôt Made in Monde,

* Le Japon et l’Allemagne ne peuvent pas revendiquer que l’iPhone est un pays respectivement Made in Japan ou Made in Germany. Mais ils sont très bien positionnés dans la chaîne de valeur ajoutée de ce produit Monde,

* On peut donc opposer deux stratégies en matière de politique industrielle : i) la stratégie Sarkozy/Jego/Bayrou, qui vise à soutenir la production de biens Made in France vendus en France, ii) la stratégie Japonaise ou Allemande, qui vise à être bien placé dans les processus de production de produits Made in Monde vendus… partout dans le Monde.

Personnellement, je ne sais pas, mais alors absolument pas, quelle est la meilleure stratégie…