J’ai présenté hier, à Angoulême, quelques éléments sur l’économie de la nouvelle région issue de la fusion d’Aquitaine, du Limousin et de Poitou-Charentes (région dite “ALPC” pour l’instant). Le diaporama présenté est visible ici.
Les messages clés que je voulais faire passer étaient les suivants :
- l’idée selon laquelle la création de richesse et d’emploi passe uniquement en France par quelques métropoles est empiriquement faux. Pour ALPC, donc, tout ne se joue pas à Bordeaux. Pour preuve les deux premières cartes du diaporama, qui montrent des dynamiques d’emploi favorables, sur période longue et sur une période plus récente, sur Bordeaux mais aussi sur d’autres territoires hors métropole,
- plutôt que de chercher le modèle de développement à répliquer partout, il convient d’étudier précisément les contextes territoriaux, à des échelles assez fines (zones d’emploi, aires urbaines, …), d’identifier les problématiques à traiter et de brancher les bonnes politiques. Faire du sur-mesure plutôt que du prêt-à-porter.
Dans cette perspective, pour commencer à caractériser les contextes territoriaux, une stratégie empirique consiste à repérer ce que j’appelle les “secteurs clés” de la région : des secteurs plus présents sur ce territoire qu’ailleurs en France, l’hypothèse étant que si ces secteurs sont plus présents, c’est sans doute que des avantages comparatifs ont pu se créer au fur et à mesure du temps.
J’ai mobilisé pour cela des données récentes (données Acoss sur l’emploi privé pour l’année 2014, voir ici pour une présentation des données), avec un découpage géographique fin (découpage en zones d’emploi, il y en a 304 France entière dont 33 en ALPC, voir ici pour une présentation des zones d’emploi) et un découpage sectoriel fin (732 secteurs différents, voir ici pour la présentation de cette nomenclature). Si on travaille d’emblée à l’échelle des zones d’emploi, le secteur le plus spécifique (je n’ai retenu que les secteurs employant plus de 1000 personnes et dont le poids est au moins le double du poids moyen observé en France) est celui de la “production de boissons alcooliques distillées”, présent sur la zone d’emploi de Cognac, qui regroupe 2 294 salariés Acoss : le poids de ce secteur sur Cognac est 271 fois le poids observé en moyenne France entière. Suit Bressuire et la “Transformation et conservation de viande de volaille”. Les 48 secteurs répondant à ces critères sont repris dans les deux derniers tableaux de ma présentation.
Une autre stratégie possible consiste à travailler dans un premier temps au niveau d’ALPC dans son ensemble : je retiens les secteurs qui emploient au moins 1000 personnes et dont le poids en ALPC est au moins le double de celui observé France entière. Ils sont au nombre de 31, vous pouvez les découvrir ici. Les 5 secteurs les plus spécifiques sont les suivants :
secteur | effectifs | spécificité |
Fabrication de piles et d’accumulateurs électriques | 1 654 | 14.9 |
Production de boissons alcooliques distillées | 3 277 | 7.2 |
Fabrication de placage et de panneaux de bois | 1 891 | 6.6 |
Construction de bateaux de plaisance | 1 918 | 6.6 |
Fabrication d’articles céramiques à usage domestique ou ornemental | 1 079 | 5.8 |
La spécificité est le rapport entre le poids du secteur en ALPC et le poids France entière. Le premier secteur est ainsi 15 fois plus présent en ALPC que France entière. On peut également repérer parmi les 31 secteurs ceux qui pèsent le plus en emploi. Les 5 premiers selon ce critère sont les suivants :
secteur | effectifs | spécificité |
Construction aéronautique et spatiale | 15 698 | 2.8 |
Activités de centres d’appels | 7 454 | 2.2 |
Commerce de gros de boissons | 5 589 | 2.3 |
Fabrication de charpentes et d’autres menuiseries | 3 647 | 2.3 |
Production de boissons alcooliques distillées | 3 277 | 7.2 |
Il est possible ensuite de repérer la géographie plus précise de ces secteurs clés, à l’échelle des zones d’emploi voire des communes. Pour les deux secteurs à plus gros effectifs, ça donne ceci.
On retrouve les zones d’emploi de Bordeaux, Pau, Bayonne, Rochefort, Oloron Sainte-Marie, …
Pour les centres d’appels :
Les zones qui dominent sont Poitiers (la zone du Futuroscope en fait), Bordeaux, La Rochelle, Pau, Tulle.
Ce type de repérage statistique ne suffit pas : il faut ensuite procéder à des analyses plus qualitatives : i) analyses de secteur pour comprendre les déterminants de la dynamique de l’activité, le positionnement des entreprises, les problématiques elles font face, …, ii) analyses des territoires où sont implantées ces entreprises, pour comprendre le pourquoi de leur présence ici, le rapport qu’elles entretiennent au territoire, les liens qu’elle ont avec d’autres entreprises, localement ou ailleurs, etc. Nous nous étions livré à ce type d’exercice (sur le premier point tout au moins) pour l’activité des centres d’appels il y a quelques années, secteur qui emploie de nombreuses personnes mais que les politiques ne veulent pas regarder (pas assez “tendance”), alors qu’à l’évidence il y a des choses à regarder et à faire… Vous pouvez lire l’article ici.
Alain Rousset a indiqué à plusieurs reprises vouloir mettre en place une sorte de “Datar régionale”, avec un volet “intelligence économique” destiné à produire ce type d’analyses et un volet plus opérationnel (quelles politiques enclenche-t-on ensuite ?). Il est clair que cela fait gravement défaut…
Mon sentiment est qu’il convient de ne pas développer une nouvelle structure, mais plutôt de fédérer les ressources et les compétences présentes en Région, à commencer par celles des chercheurs en économie, géographie, sociologie, …, mais aussi celles dont disposent l’Insee, les Agences d’Urbanismes (cruellement absentes en Poitou-Charentes et en Limousin), etc.
Avec un objectif essentiel : ne pas chercher comme l’a fait trop longtemps l’ex-Datar à “vendre” aux territoires un modèle générique de développement (SPL, Pôles de Compétitivité, Métropoles, …), mais plutôt, comme expliqué plus haut, de produire des analyses quantitatives et qualitatives permettant de repérer les problématiques spécifiques à traiter et de brancher ensuite, si nécessaire, les bonnes politiques publiques.