Loi El Khomri : Battle entre économistes

Joli débat entre économistes, par tribunes pour le Monde interposées (hélas en édition abonnés seulement). Première tribune datée du 4 mars, signée par Aghion, Algan, Benassy-Quéré, etc, favorables à la réforme, même si les auteurs estiment qu’elle doit être complétée. Deuxième tribune datée du 8 mars, signée par Askenazy, Bacache, Behaghel, etc, défavorables à la réforme, même si les auteurs notent quelques points positifs.

Qui a raison ? Pour trancher, certains seront tentés de “compter les galons”, car on sent bien que chaque groupe a cherché à rassembler de prestigieuses signatures, mais comment départager entre Aghion, Tirole, Blanchard, …, d’un côté et Piketty, Cohen, Askenazy, …, de l’autre ? Il y a plus intelligent que ce genre de comptabilité… D’autres encore vont peut-être tenter de repérer le positionnement politique des uns ou des autres, se dire que ceux les plus proches de leurs propres convictions ont certainement raison… Pas beaucoup plus intelligent…

La troisième façon de faire, la plus pertinente selon moi, celle que j’ai proposé à un groupe d’étudiants qui souhaitent échanger sur le sujet la semaine prochaine dans le cadre d’un cours, consiste à recenser les arguments des uns et des autres, identifier les points de convergence et de divergence et, surtout, de s’interroger sur les éléments de preuve avancés par les deux “camps”.

A ce jeu, l’une des tribunes m’apparaît plus convaincante. Mais je ne vous dirai pas laquelle : livrez-vous à l’exercice, rien n’est plus formateur.

Recherche : la France est-elle victime d’une fuite des cerveaux?

C’est le titre d’un article du Monde, pour lequel j’ai été contacté par David Larousserie et Hervé Morin. J’ai brassé avec Bastien Bernela les données issues des enquêtes générations du Cereq (2001, 2004, 2007). Conclusion : la réponse est non. Conclusion conforme aux études mobilisant d’autres sources de données et d’autres indicateurs, par exemple celles menées par Frédéric Docquier.

Je vous laisse lire l’article, vous pouvez commenter ici ou là-bas.

Quand le journal Le Monde fait du (très) mauvais journalisme

Je viens de tomber sur cet article du Monde, consécutif à un appel à témoignage sur le thème “Bac+5, vous occupez un emploi inférieur à votre niveau de diplôme”. Une cinquantaine de personnes ont répondu. L’article est titré “Quand on est caissière avec un bac+5, on apprend l’humilité!”

Je trouve la démarche affligeante. Elle laisse penser que les études ne servent à rien, puisqu’on finit caissière ou vendeur de sushis. C’est ce que disent explicitement certaines personnes ayant témoignées. Ainsi que des commentateurs de l’article.

Un bon journaliste aurait pris soin, en début d’article, de donner quelques chiffres sur les taux de chômage, les niveaux de salaires et le type d’emploi occupé par les bacs+5, relativement aux personnes ayant arrêté plus tôt leurs études. C’est difficile à trouver, allez-vous peut-être me dire?

Pas du tout : le Cereq interroge régulièrement un échantillon représentatif des sortants du système éducatif, trois ans après l’obtention de leur dernier diplôme. La dernière génération enquêtée est la génération 2007, enquêtée en 2010 (la génération 2010 est actuellement enquêtée, résultats en 2014). Beaucoup de résultats sont disponibles ici, ça m’a pris 30 secondes pour trouver le tableau que je voulais :

cereq

9% de chômage chez les bac+5 contre 18% en moyenne pour l’ensemble des sortants. 79% en CDI contre 60% en moyenne. 94% sont cadres ou profession intermédiaire contre 52% en moyenne. Salaire médian net mensuel de 2000€, contre 1380€ en moyenne. Je vous laisse découvrir les chiffres pour tous les niveaux de diplôme.

C’était si compliqué de le dire? Rien n’empêche ensuite d’interroger des personnes atypiques, mais ce rappel introductif aurait tout changé. Sans ce rappel, cet article, c’est du grand n’importe quoi.

L’insolente pertinence d’un article du Monde…

Via Ceteris Paribus, je découvre, dans un article du Monde, un morceau d’anthologie journalistique. Titre de l’article : “selon une étude, le pouvoir d’achat des allemands est intact depuis vingt ans”. Début de l’article :

Comme si l’insolente santé du marché de l’emploi, de l’industrie et des comptes publics allemands ne suffisait déjà pas, une étude enfonce le clou mardi 24 juillet en soulignant que l’introduction de l’euro n’a pas entamé le pouvoir d’achat outre-Rhin. Aujourd’hui comme il y a vingt ans, une bière vaut trois minutes de travail en Allemagne.

 Je signale au journaliste du Monde qui s’est fendu de ce passage qu’un objectif économique essentiel n’est pas que le pouvoir d’achat “soit intact”, autrement dit qu’il stagne, mais plutôt qu’il augmente! Faire de cette stagnation un signe supplémentaire de “l’insolente santé” de l’économie allemande est… impressionnant…

Petit complément : je suis allé regarder rapidement sur le site d’Eurostat, pour chercher de l’info sur le pouvoir d’achat dans quelques pays, pouvoir d’achat traditionnellement mesuré par le PIB réel par habitant. Le pouvoir d’achat d’un indice 100 en 1995 en Allemagne est passé à un indice de 124 en 2011, soit une hausse de 24% sur la période. Pendant ce temps, la France a connu une croissance de 18% et l’UE à 15 de 23%. Le graphique ci-dessous permet de se faire une meilleure idée de ces évolutions :

Conclusion : i) le pouvoir d’achat allemand ne stagne pas sur la période, mais il augmente, et c’est heureux pour les allemands, ii) cette évolution allemande n’a rien d’insolente, elle est en deçà de la moyenne de l’UE à 15 sauf en toute fin de période.

Dis, l’ESSEC, c’est quoi un taux de chômage?

Dans la rubrique Economie du Monde, je découvre cet article, intitulé “« Jeunes diplômés : le grand défi du premier emploi », au Sénat le 12 mars”. C’est annoncé sur Le Monde, ça se passe au Sénat, c’est organisé par “Le Café de l’avenir et l’Executive MBA ESSEC & Mannheim”, nous dit-on.

Que du beau monde.

L’article commence par cette phrase :

Un rappel, d’abord, en guise de préambule : 23% des jeunes de moins de 24 ans sont aujourd’hui au chômage en France.

Je ne sais pas qui est le coupable : Le Monde? l’ESSEC? Le Sénat? L’article semble signé par l’ESSEC Business School. Donc je vais considérer que c’est l’ESSEC Business School qui est l’auteur de l’article. Ça claque, je trouve, l’ESSEC Business School (je sais, je me répète. La pédagogie, comme l’humour, se nourrit de répétition).

Dommage qu’ils ne savent pas ce que c’est qu’un taux de chômage, à l’ESSEC. Enfin, c’est surtout dommage pour ceux qui vont payer quelques milliers d’euros chaque année pour être diplômé de cette école (ce Mastère est à 16000€ par exemple).

Je dis ça, parce qu’un taux de chômage de 23% (c’est le taux de chômage des jeunes en France), ça ne veut pas dire que 23% des jeunes sont au chômage. Ça veut dire que 23% des jeunes actifs sont au chômage. Comme beaucoup de jeunes sont en étude (donc non comptés comme actifs), la part des jeunes au chômage est autour de 8%, non pas de 23%.

Sinon, à l’Université, l’année coûte beaucoup moins de 16000€. Je dirais au maximum de l’ordre de 300€. Ce que vous ne payez pas est payé par l’Etat. Et vous savez quoi? A l’Université, on sait ce que c’est, un taux de chômage…