Qui sont tes amis Facebook?

Voici les résultats de la petite enquête lancée il y a quelques temps, afin de dire des choses sur les réseaux socionumériques, en l’occurrence sur Facebook. Les trois questions clés de l’enquête étaient les suivantes, elles ont permis de définir trois variables :

  1. Combien avez-vous d’amis Facebook? variable X
  2. Parmi vos amis Facebook, combien résident dans la même ville que vous? variable Y
  3. Parmi vos amis Facebook, combien de personnes n’aviez-vous jamais rencontré physiquement avant d’être amis sur Facebook? variable Z
S’agissant de la deuxième question, j’aurai préféré demander aux enquêtés le nombre de personnes résidant dans la même région plutôt que la même ville, mais c’est plus compliqué à obtenir sur Facebook.

A partir des valeurs de ces variables, j’ai défini deux indicateurs :

  1. le degré de proximité relationnelle, égal à (X-Z)/X. En clair, il s’agit de la proportion d’amis Facebook que vous aviez rencontré physiquement avec d’être amis sur Facebook.
  2. le degré de proximité géographique, égal à Y/X.
217 personnes ont répondu (un peu plus, mais il y avait quelques réponses incomplètes que j’ai supprimé). L’échantillon n’a rien de représentatif, ce n’était pas l’objectif. Voici les caractéristiques de base des personnes interrogées, pour les variables quantitatives, d’abord :
variable modalité %
genre homme 59%
femme 41%
Ville Poitiers 34%
Paris 12%
Autres 55%
niveau d’étude <bac +3 28%
bac+4 ou 5 49%
>bac+5 24%
utilisation Facebook tous les jours 80%
moins souvent 20%
Puis pour les variables qualitatives :
variable moyenne
age moyen 31,9
nombre d’années résidence 10,1
nombre d’amis Facebook 199,7
nb années sur Facebook 4,1

Le degré de proximité relationnelle

Premier résultat essentiel : le degré de proximité relationnelle des personnes enquêtés est particulièrement élevé. Moyenne de 93%, médiane de 99%, premier quartile de 97%, premier décile de 80%. Résultat conforme à mes attentes : Facebook ne permet pas, pour l’essentiel, de se faire de nouveaux amis, il permet d’entretenir des relations avec des amis que l’on s’est fait hors ligne. Résultat conforme à cette étude américaine.
J’ai estimé un petit modèle économétrique, avec pour variable expliquée le degré de proximité relationnelle et pour variables explicatives les différentes variables disponibles. Voici les résultats (les étoiles indiquent que les variables explicatives sont statistiquement significatives) :
variable expliquée : degré de proximité relationnelle
Coefficient
age -0,49 ***
homme -2,64
<bac+3 modalité de référence
bac +4 ou 5 2,25
>bac+5 -0,49
autre ville modalité de référence
poitiers -1,89
paris -2,41
nb années résidence 0,07
nb amis -0,04 ***
nb années FB 1,75 **
FB intensif -7,71 ***
constante 116,86 ***
n 217
R2 0,26
 Les variables qui ressortent sont l’âge (influence négative sur le degré de proximité relationnelle) et des variables qui caractérisent le mode d’utilisation de Facebook. Le nombre d’amis et l’intensité d’utilisation de Facebook conduisent notamment à une proximité relationnelle plus faible.

Le degré de proximité géographique

En moyenne, la proportion d’amis Facebook qui vivent dans la même ville que les personnes enquêtées est de 19%. Voici la distribution du degré de proximité géographique :
Les résultats sont sensiblement différents selon la ville des enquêtés : la proportion monte à 27% pour les poitevins et à 29% pour les parisiens. Elle est en revanche de 12% pour les résidents des autres villes.
Ces “scores” sont-ils élevés? Plutôt oui, je dirais : si le monde était plat, la proportion d’amis Facebook des habitants d’une ville donnée devrait être égale au poids de cette ville dans la population mondiale, ou dans la population française si on raisonne simplement sur la France. Poitiers ne pèse pas 27% de la population française, Paris ne pèse pas non plus 29% de la population. En raisonnant à l’échelle des régions, les proportions seraient sans doute significativement plus élevées. Dans tous les cas, la géographie reste marquée et les liens locaux sont plutôt importants.
Résultat assez peu surprenant : on entretient sur Facebook des relations développées hors ligne, relations qui se nouent pour une part importante dans la proximité géographique. Résultat conforme là encore avec celui de l’étude américaine citée plus haut, qui montre que 90% des amis facebook des personnes interrogés (des étudiants de premier cycle universitaire) résidaient dans le même Etat US qu’eux.
Comme plus haut, j’ai testé un petit modèle économétrique, dont voici les résultats :
variable expliquée : degré de proximité géographique
Coefficient
age -0,05
homme 2,43
<bac+3 modalité de référence
bac +4 ou 5 -6,08 **
>bac+5 -6,42 *
autre ville modalité de référence
poitiers 13,29 ***
paris 18,36 ***
nb années résidence 0,52 ***
nb amis 0,00
nb années FB -0,67
FB intensif 3,59
constante 12,77 *
n 217
R2 0,29
Ce sont cette fois des variables qui caractérisent les personnes qui influent sur le degré de proximité géographique. Sans surprise, le niveau d’études influe négativement sur ce degré : les personnes ayant un niveau d’études supérieur à bac+3 sont plus mobiles géographiquement. Le nombre d’années de résidence influe logiquement positivement sur le degré de proximité géographique.

Conclusion

A ceux qui pensaient que les réseaux socionumériques étaient susceptibles de bouleverser le monde social, cette petite enquête, sur le cas d’un réseau spécifique (Facebook), montre plutôt le contraire. L’intérêt de Facebook est ailleurs : il permet d’entretenir à moindre coût des relations préexistantes. Un prolongement possible consisterait à s’interroger sur la nature de ces relations (liens forts vs. liens faibles, cf. Granovetter), pour voir le rôle éventuel d’un tel réseau dans l’activitation des liens faibles, dont le rôle stratégique est mis en évidence depuis longtemps par la sociologie économique.

La géographie de Facebook ? La suite d’une longue histoire…

Toujours en train de préparer ma conférence de lundi prochain, où il sera notamment question de la géographie des réseaux sociaux, j’ai découvert une animation pas inintéressante : pour un pays donné, on peut voir dans quels autres pays, prioritairement, sont localisés les “amis” Facebook.

Sans surprise, on découvre que le monde n’est pas plat, que la géographie de Facebook est même très marquée, elle s’explique notamment par des effets de proximité géographique, des effets de proximité linguistique, qu’elle s’explique plus généralement par l’histoire longue des pays. Pour la France, ça donne cette configuration :

Je vous laisser découvrir les résultats pour le pays de votre choix : c’est ici.

Qu’apprend-on avec les réseaux socio(numériques)?

“Qu’apprend-on avec les réseaux socio(numériques)?” est le thème du Campus européen d’été de la Cité des Savoirs, organisé par l’Université de Poitiers et ses partenaires, du 17 au 21 septembre 2012. Toutes les informations sont disponibles ici.

C’est dans le cadre de ce Campus que j’ai été invité à assurer la conférence d’ouverture, le 17 septembre, de 11h à 12h30 (intervention d’une heure suivie d’une demi-heure de questions/réponses), à la MSHS de Poitiers. Titre de mon intervention : “Réseaux sociaux et réseaux socionumériques : quelques éléments de réflexion”. Voilà en gros de quoi je devrais parler :

L’objectif de la conférence est de s’interroger sur la distinction entre les réseaux sociaux tels que définis par la nouvelle sociologie économique, à la suite notamment des travaux de Mark Granovetter, et les réseaux socionumériques.

La nouvelle sociologie économique a en effet mis en évidence l’importance des relations sociales (liens familiaux, amicaux, anciens collègues, …) pour la coordination entre acteurs, qu’il s’agisse de trouver un emploi, initier un partenariat entre entreprises, développer des collaborations science-industrie, choisir les membres du conseil d’administration d’un groupe, etc. Dans tous les cas, les relations sociales seraient un mode essentiel de coordination car vecteur de confiance.

Sur la base de ces analyses, certains considèrent ensuite que les réseaux socionumériques sont un outil puissant de développement des relations sociales. En nous appuyant sur différents exemples, nous montrerons les limites d’un tel raisonnement : Facebook n’est pas un outil de développement de relations sociales, il est un moyen d’entretenir et d’activer des relations sociales préexistantes (liens forts et liens faibles). Viadeo et LinkedIn ne permettent pas plus le développement de liens sociaux, ils s’apparentent plutôt à des annuaires personnalisés. Twitter, de son côté, peut être vu comme un moyen de construire son propre système d’information. Leur vocation est donc moins de développer des liens sociaux que de réduire des coûts de transaction.

Nous nous interrogerons ensuite sur la géographie des réseaux socionumériques, en nous focalisant sur l’exemple de Facebook. Nous montrerons que l’émergence des réseaux socionumériques ne correspond pas à la « mort de la géographie » et à l’avènement d’un « flat world », mais plutôt à des structures de type « small world », au sein desquels se combinent et s’entretiennent différentes formes de proximité.

Nous finirons par quelques réflexions sur la qualité des informations et des connaissances accessibles via les réseaux socionumériques, plus généralement via internet, suite au débat récurrent entre médias traditionnels et nouveaux médias (cf. les déclarations récentes de Frédéric Begbeider, Laurent Joffrin ou Aurélie Filippetti). Nous en montrerons la complémentarité et insisterons sur les enjeux d’éducation à l’utilisation des réseaux socionumériques, plus que de censure.

Pour les deux premières parties, je m’appuierai notamment sur les travaux que je mène avec Michel Grossetti, ainsi, bien sûr, que sur ma petite enquête Facebook. Troisième partie plus exploratoire.

S’agissant de l’enquête, j’ai finalement 217 réponses exploitables. J’ai commencé à regarder, résultats pas inintéressants… Si vous êtes joueur, vous pouvez poster en commentaire vos pronostics :

Q1 : quelle est, en moyenne, le pourcentage d’amis des personnes interrogées qui résident dans la même ville qu’eux?

Q2 : quelle est, en moyenne, le pourcentage d’amis des personnes interrogées avec qui ils n’ont jamais interagis physiquement avant d’être amis avec eux?

La géographie de Facebook : c’est pour un sondage!!!

J’ai été sollicité récemment pour assurer une conférence sur les réseaux socio-numériques (Facebook, twitter, …) qui aura lieu sur Poitiers le 17 septembre prochain. Un des points de que je souhaite aborder est celui de la géographie des réseaux socio-numériques.

Dans cette perspective, j’ai eu l’idée d’organiser un petit sondage auprès de vous, fidèles lecteurs, en tout cas le sous-ensemble d’entre vous qui disposez d’une page Facebook. Vous verrez, répondre à ce sondage ne vous prendra que quelques minutes (il n’y a que 10 questions).

Trois de ces questions vous demanderont un petit effort, mais je compte sur vous, lecteurs adorés, pour accepter de vous livrer au jeu. Vous pourrez ainsi vous vanter, ensuite, d’avoir participé au déplacement de la frontière des connaissances ce qui, vous en conviendrez j’en suis sûr, ne vous arrive pas tous les jours (à moi non plus, je précise)… Voici ces trois questions, autant préparer les réponses avant de compléter le questionnaire en ligne :

  1. Combien avez-vous d’amis Facebook? (niveau facile)
  2. Parmi vos amis Facebook, combien résident dans la même ville que vous? (niveau moyen, cf. infra)
  3. Parmi vos amis Facebook, combien de personnes n’aviez-vous jamais rencontré physiquement avant d’être amis sur Facebook? (niveau difficile, cf. infra)
Pour la question 2, le niveau de difficulté est moyen : pour trouver ce nombre, il vous faut faire une recherche, dans l’ensemble de vos amis, en faisant une recherche par “lieu de résidence”, tapez alors la ville où vous résidez actuellement. Facebook affichera ensuite vos amis qui résident dans la même ville que vous. Hélas, il n’affiche par le nombre d’amis concernés, il vous faut donc les compter “manuellement”, d’où la difficulté…
Pour la question 3, le niveau de difficulté est plus important : il vous faut passer en revue tous vos amis et compter le nombre de personnes que vous n’aviez jamais rencontré physiquement avec d’être amis sur Facebook, c’est un peu plus long, donc… Comme certains pourraient être rebutés par cette question, la réponse n’est pas obligatoire. Mais ça me ferait drôlement plaisir si vous y répondiez, lecteurs vénérés… (petite précision : si votre ami est une institution, association, etc…, demandez-vous si vous aviez rencontré physiquement l’un des membres de cette institution/association avant d’être ami sur Facebook. Si oui, ne la comptez pas, sinon, comptez-là).
Comment participer au sondage? Rien de plus simple : il vous suffit de cliquer sur le lien ci-dessous :
Je publierai bien sûr sur mon blog les résultats et l’interprétation de cette petite enquête, ainsi qu’une synthèse plus générale des thèmes que j’aborderai. N’hésitez pas à diffuser cette enquête dans vos propres réseaux si vous le souhaitez!
Merci encore, lecteurs adulés, et n’hésitez pas à poster un commentaire si quelque chose n’est pas clair…
NB : Je viens de me rendre compte qu’une question est mal libellée (je ne peux plus modifier) ! Je demande à un moment “depuis combien de temps vivez-vous dans cette ville?” Il faut répondre le nombre d’années.