La dure vie d’un enseignant-chercheur…

Petit retour sur la période pré-vacances. Mercredi, jeudi et vendredi derniers, j’ai passé mon temps à interroger à l’oral des étudiants de Licence 3ème année, sur le cours "Stratégies de localisation". L’étudiant prépare 10 minutes, puis je l’interroge 10 minutes.

La première fois où j’ai fait passer des étudiants à l’oral, je leur faisais tirer au hasard un sujet. Assez régulièrement, des étudiants me disaient : "Oh, mince, le sujet porte juste sur le chapitre que je n’ai pas révisé!" (j’édulcore le vocabulaire…). Si bien que, depuis, je leur fais tirer deux sujets, à charge pour eux de traiter le sujet qu’ils préfèrent.

Sans surprise, j’ai eu un étudiant qui n’a tiré qu’un sujet malgré la consigne rappelée à chacun en entrant dans la salle. J’ai eu également un étudiant qui a traité les deux sujets tirés. Un autre encore est entré dans la salle, m’a demandé s’il pouvait tirer les sujets, sortir de la salle et re-rentrer à l’heure de son passage…

J’avais préparé une cinquantaine de sujets. Certains, très rares, entrent, prennent rapidement deux papiers et vont s’installer. Peut-être 4 ou 5 sur la centaine interrogés. La plupart des étudiants passent un temps infiniment long à regarder les petits bouts de papier, hésitent entre ceux situés à gauche et ceux situés à droite ; se demandent s’il faut prendre un sujet situé au dessus du tas et un autre au-dessous, un sujet écrit sur un petit bout de papier et un autre sur un gros bout de papier, etc… Superstitieux, les étudiants…

Parmi les sujets proposés, un mérite quelques développements :

Quels peuvent être les effets d’une politique de réduction des impôts sur les délocalisations?

Premier constat : un seul étudiant m’a demandé s’il fallait traiter le sujet du point de vue de la France ou bien d’un autre point de vue (européen par exemple). Ce qui démontre une tendance évidente à adopter un point de vue franco-français dans le traitement des sujets.

Deuxième constat : a minima, les étudiants évoquent les avantages d’une telle politique, en raison du coût du travail trop élevé, des charges fiscales et sociales qui pèsent sur les entreprises, etc. Au mieux, ils m’ont expliqué les limites d’une telle approche, les choix de localisation ne dépendant que partiellement des différentiels de fiscalité.

De ce fait, je leur ai posé systématiquement la question suivante :

Dans certains cas une politique de réduction des impôts ne peut-elle pas peser négativement sur la compétitivité des entreprises?

Et là, je peux vous dire qu’à chaque fois, ca a été un grand moment de solitude pour les étudiants… Un peu comme ces personnages de Tex Avery qui prennent conscience qu’ils sont au dessus du vide et qu’ils vont faire une chute de quelques centaines de mètres, sans rien à quoi se raccrocher…

Bon, en les aidant un peu (à quoi servent les impôts? quels types de dépenses l’Etat effectue-t-il? N’y-a-t-il pas des dépenses utiles aux entreprises? etc.), ils ont réussi à me dire qu’effectivement, si la réduction des impôts se traduisait par une réduction des dépenses publiques (d’éducation et de recherche par exemple), les entreprises pouvaient en pâtir. Bref, il convient d’aller un cran plus loin dans la réflexion pour évaluer la pertinence des politiques de réduction ou d’accroissement des impôts.

D’un autre côté, je ne leur en veux pas vraiment. Ils ont dû trop écouter notre ministre de l’économie:

– dire qu’on va augmenter les impôts, ça revient à dire qu’on va baisser le pouvoir d’achat de tous les français!
– dire qu’on va augmenter les impôts des français, ça revient aussi à dire qu’on veut casser la consommation et la croissance. Alors autant dire qu’on veut des chômeurs en plus!

On ne peut qu’admirer la profondeur d’analyse. Breton se Lambertise en quelque sorte. D’un autre côté, il a des circonstances atténuantes : il n’est pas économiste, ni étudiant en économie. Juste Ministre de l’Economie.

Informations diverses

* Libération présente son guide pratique de la NetCampagne, comprenant une partie sur les blogs ("C’est le morceau de choix de la Net campagne" dixit Libé)[1]. Je suis rangé dans la catégorie "Spécialiste", avec pour descriptif : "Quand un économiste dissèque les prestations des politiques".  (J’ai mon scalpel en main, je suis sur un cas assez intéressant…)

* J’assure une conférence ce soir à Niort, à l’invitation de l’IRIAF (Institut des Risques Industriels, Assurantiels et Financiers) sur le thème des délocalisations (Centre Du Guesclin, Place Chanzy, 18h00) – entrée libre et gratuite (enfin, je crois…)

Notes

[1] Merci à AJC pour l’info. Pas de point supplémentaire pour ça, cependant :o)

Relocalisation d’entreprise

Exemple plutôt intéressant de relocalisation d’entreprise[1] : Samas France, fabricant de mobilier de bureau, avait décidé de délocaliser une partie de sa production en Chine. Elle vient de décider de relocaliser en France (Noyon) et, pour cela, d’investir 400 000€ dans une chaîne de fabrication de caissons.

Comment expliquer ce revirement? En fait, si l’on en croît les informations de l’article et les déclarations du responsable, l’entreprise avait mal anticipé les coûts de la coordination à distance, plus précisément les coûts de transport (non négligeable : les produits fabriqués sont encombrants) et les délais de transport "peu compatibles avec la réalisation rapide de prototypes de meubles personnalisés, que demandent de plus en plus souvent les grands groupes et la livraison rapide du modèle choisi."

On retrouve l’idée développée dans plusieurs billets précédents (en commençant par par exemple) selon laquelle le choix de localisation doit se faire en raisonnant sur les coûts complets : quels sont les coûts de production en France? en Chine? quels sont les coûts de la coordination à distance? Quels sont les coûts de la coordination sur place? Comment faire évoluer favorablement ces différentes composantes? Ce que l’entreprise a semble-t-il oublié de faire, signe d’une rationalité plutôt limitée des agents économiques.

Ceci montre également que si l’adaptation des entreprises françaises à l’approfondissement de la mondialisation passe pour une part importante par l’innovation, cette dernière ne doit pas être réduite à l’innovation technologique : la capacité à reconfigurer l’organisation d’ensemble –autrement dit la capacité d’innovation organisationnelle— est au moins aussi importante. Je ne suis pas sûr que tous les acteurs concernés (à commencer par les entreprises elles-mêmes) en ont véritablement conscience…

Notes

[1] source : Les Echos, 18 décembre 2006, p.20, article payant – Merci aux étudiants du Master ATDEL pour l’info.

Ma mondialisation



J’ai reçu un message il y a quelques temps m’informant de la sortie d’un film sur la vallée de l’Arve, haut lieu de la mécanique de précision en Haute-Savoie, figure exemplaire de ce que certains qualifient de districts industriels.

Le film est particulièrement intéressant. Il permet de comprendre l’histoire de ce territoire, l’évolution des relations donneurs d’ordre / sous-traitants, le caractère structurant des relations financières, l’évolution du rapport salarial dans différents pays, la rationalité des acteurs, notamment des chefs d’entreprises de ces PME, la façon dont sont pensées et mises en oeuvre les délocalisations, etc.

"Conseiller spécial", Frédéric Lordon, auteur notamment de ce livre et de celui-ci. D’où une tendance à faire du poids croissant des fonds de pension l’alpha et l’omega de l’évolution de ce bassin industriel. Il est clair que le rachat de certaines des entreprises analysées a été totalement déterminant dans leur évolution. Je ne suis pas sûr que toute l’histoire de ce bassin se réduise à cela (je ne suis pas sûr du contraire non plus, il conviendrait d’approfondir l’analyse et de s’interroger sur le rôle d’autres déterminants). Ceci n’enlève absolument rien à la qualité de ce documentaire, à consommer sans modération.

Aubade

Les Echos publient aujourd’hui un article (payant) intitulé "Qui a peur du "syndrome Aubade" " rédigé par Pierre de Gasquet. Il renvoie à mon blog en reprenant un petit bout de mes propos "Calida est un groupe à contrôle familial, largement à l’abri de la dictature des marchés financiers".

Si des lecteurs des Echos viennent se perdre ici, quelques liens vers les billets consacrés au sujet :
* ici, sur le site de Sciences Humaines, billet général sur la question des licenciements boursiers, pour relativiser leur importance
* dans un premier billet sur ce blog, j’illustre le propos pour montrer que la fermeture d’Aubade ne correspond pas à un licenciement boursier
* dans un deuxième billet, je décrypte la stratégie industrielle de Calida

Dans son article, Pierre de Gasquet fini sur un renvoi au livre de Suzanne Berger (Made in Monde), en disant qu’elle a "démontré, exemples à l’appui, que la délocalisation n’est pas la seule issue possible et qu’une main d’oeuvre peu coûteuse n’est pas le seul critère de succès". Tout à fait d’accord, j’en ai parlé ici (billet sur les coûts cachés) et (billet réorganisation vs. délocalisation). Et bien sûr, beaucoup plus longuement, dans les nouvelles géographies du capitalisme.

Bref, il faut faire des analyses au cas par cas pour se prononcer sur la rationalité des décisions prises et sur l’opportunité de délocaliser. Adopter une régle d’analyse du genre "toute délocalisation est mauvaise" est stupide. La proposition inverse également. En passant, n’oublions pas que ces délocalisations permettent le développement de pays qui en ont bien besoin. Simplement, il serait bon d’anticiper sur les mutations et d’accompagner certains mouvements, pour que l’effort d’adaptation ne repose pas que sur les salariés les moins qualifiés. Ce sera plus efficace que d’interdire les délocalisations…

Examen de rattrapage raté pour Nicolas et Ségolène…

Examen de rattrapage pour Nicolas (0/20 à la première épreuve) et Ségolène (après harmonisation, sa note a été ramenée également à 0/20…).

Sujet : "comment évolue le pouvoir d’achat des français? Pourquoi? Quelles implications en termes de politique économique?"

Ils m’ont rendu chacun leur copie (en fait, exactement la même. Ils étaient pourtant chacun à un bout de la salle, ils n’ont pas pu copié l’un sur l’autre, mais bon, c’était la même réponse, à quelques variations de vocabulaire près… j’me demande s’ils n’ont pas communiqué par téléphone portable…).

En gros, leur réponse est en trois temps :

1. Le pouvoir d’achat des français a diminué contrairement à ce que disent les statistiques, car les indices de prix sont faux (dixit texto Nicolas sur France 2, S’égolène dit à peu près la même chose, il faudrait des indices de prix démocratiques…). L’inflation est plus forte que ce que nous en dit l’Insee,
2. Si l’inflation est forte, c’est à cause de l’Europe et plus précisément de Jean-Claude Trichet et de sa politique de l’Euro fort. Les deux méchants de l’histoire sont donc l’Insee et, surtout, la BCE.
3. Préconisations avancées :  Nicolas m’a écrit qu’il est "urgent que soit créé un véritable gouvernement économique de la zone euro et que soient rediscutés le statut et les objectifs de la BCE". Ségolène  affirme que "ce n’est plus à M. Trichet de décider de l’avenir de nos économies, c’est aux dirigeants démocratiquement élus".

Résultat des courses : 10/20 pour les deux. Ils rétrogradent dans l’année inférieure, ce qui ne s’était jamais vu de mémoire d’universitaire.

Eléments de correction :
1. C’est pas gentil de critiquer l’Insee et de dire que les indices de prix sont faux. Ces indices sont bien sûr critiquables, comme tout indicateur statistique, mais il n’existe pas d’indice juste et d’indice faux, juste des indices plus ou moins pertinents en fonction des besoins. A la limite, si l’on veut un indice qui satisfasse les 60 millions de français, la seule solution est de calculer… 60 millions d’indices. Va falloir recruter à l’Insee, ca va plomber le budget… Bon je ne développe pas, ça a déjà été dit, je
renvoie ici ou .

2. Pour répondre à la question, il fallait commencer par définir le pouvoir d’achat.  Comme son nom l’indique, le pouvoir d’achat, c’est ce que vous permet d’acheter votre revenu. Ce qui dépend du revenu que vous touchez et des prix des biens ou services que vous souhaitez acheter. En clair, le pouvoir d’achat, qu’on appelle aussi le revenu réel (R*), est le rapport entre le revenu nominal des individus (ce que l’on voit par exemple sur sa feuille de paye, notons ça R) et l’indice des prix (noté P) :

R* = R/P

Sur cette base, l’évolution du pouvoir d’achat dépend de l’évolution des revenus nominaux (R), d’une part, et de l’évolution de l’indice des prix (P), donc de l’inflation, d’autre part. Si l’évolution de R est plus rapide que celle de P, le pouvoir d’achat augmente. Si elle est inférieure, le pouvoir d’achat diminue.

3. Dès lors, dire que la politique de l’Euro fort est à la base de l’augmentation des prix est complètement contradictoire : la politique de l’euro fort a précisément comme objectif de limiter l’inflation ; si mes deux apprentis-économistes considèrent cette inflation comme trop forte, leur mot d’ordre aurait dû être de soutenir vigoureusement Jean-Claude Trichet.

4. En fait, si on analyse précisément l’évolution du pouvoir d’achat des français, le problème est moins au dénominateur (problème d’inflation) qu’au numérateur (évolution trop faible des revenus ; pas pour tout le monde certes, il faudrait développer). Ceci déplace la question : pourquoi l’évolution des revenus en France est-elle si faible?

5. Etant donné que l’évolution des revenus dépend en première instance de la croissance économique, autrement dit de la capacité du pays à faire croître plus rapidement les richesses créées que les ressources mobilisées pour les créer, la stagnation du pouvoir d’achat s’explique avant tout par la faible croissance française.

6.  A la limite, on peut s’en prendre à la politique de Trichet à ce niveau là. En disant par exemple que l’élévation des taux d’intérêt dissuade partiellement l’engagement dans des projets productifs, donc la croissance économique. Ou encore que la montée de l’Euro pèse sur la compétitivité-prix des entreprises européennes. Pas totalement faux, cela peut être mis en débat, mais c’est assez limité (ou plutôt, ce n’est pas le problème premier, loin s’en faut) : les autres pays de l’Union sont soumis aux mêmes conditions, certains s’en tirent mieux.

7. Surtout : quitte à accuser l’Europe, autant dénoncer son faible investissement dans l’innovation, en dépit de l’engagement pris en 1999 à Lisbonne de faire de l’Union la première économie mondiale de la connaissance. Avec comme objectif intermédiaire pour 2010 de consacrer 3% du PIB communautaire à la  R&D. Objectif qui ne sera pas atteint.

8. Pourquoi l’Europe n’investit pas plus dans l’innovation? Car les pays ne veulent pas voir le budget européen augmenter, qu’1/3 de ce budget est dédié à l’agriculture, et que la France ne veut surtout pas bouger sur la question de la politique agricole commune. Sachant que les subventions aux agriculteurs sont tout ce qu’il y a de rationnel, puisqu’elles dépendent des surfaces cultivées, si bien qu’un des premiers bénéficiaires des aides est la reine d’Angleterre (elle possède beaucoup de terres).

Bon, je ne développe pas plus les enchaînements. Je voudrais juste que nos deux candidats arrêtent d’apporter de mauvaises réponses à de mauvais problèmes…

La métaphore de la course à pied

A plusieurs reprises, j’ai pu entendre dans les médias certains commentateurs se désespérer du faible taux de croissance de la France, autour de 2-2,5%, comparativement à la croissance mondiale (4 à 5%), où à la croissance de certains pays comme la Chine (8 à 9%). Dans leur esprit, et, je crois, dans l’esprit de nombre de personnes, tout se passe comme si tous les pays de la planète participaient à une course à pied, le taux de croissance mesurant la vitesse de chacun. Et à ce petit jeu,  la France ne pédale pas très vite, comparativement à la moyenne de l’ensemble des pays (taux de croissance mondial)…

Cette métaphore de la course à pied a du sens, mais jusqu’à un certain point seulement : en effet, dans la "course économique", il existe une relation étroite entre la position du coureur dans la course et sa vitesse, relation plutôt contre-intuitive, puisque plus on est en retard sur le peloton de tête et… plus on court vite (ca va faire réver les coureurs du dimanche!). Dit autrement, les coureurs en retard on un avantage indéniable sur ceux qui sont en avance.

Quel avantage? Pour le comprendre, on peut s’en remettre aux théories du rattrapage, développées notamment par Abramovitz (on pourrait également s’en remettre au modèle de Solow, mais Abramovitz intègre l’argumentation de Solow qui se concentre sur le rôle de la décroissance des rendements du capital, et la dépasse en intégrant l’existence de différences de niveau technologique) : si l’on admet que l’apprentissage et l’imitation sont moins coûteux et plus rapides que la découverte et l’expérimentation initiale des technologies, alors les gains potentiels de productivité réalisés par un pays en retard seront d’autant plus importants que l’écart entre le niveau de productivité du pays et le niveau de productivité du ou des leaders (supposés se trouver à la frontière technologique) est important. Le pays en retard pourra en effet remplacer des équipements obsolètes par des machines "derniers cris", adopter les pratiques manageriales considérées comme plus efficaces, mettre en place les infrastructures (formation, transport, télécommunication,…) les plus avancés, etc… Ces gains importants de productivité conduisent à une croissance rapide du produit global et, donc, de la taille du marché ; ce qui permet d’accélerer encore la croissance, en vertu de l’existence d’économies d’échelle.

Ceci explique pour une bonne part la croissance actuelle de pays comme la Chine ou les Pays d’Europe Centrale et Orientale, le rattrapage étant alimenté notamment par les investissements directs étrangers de firmes occidentales. Se désespérer des comparaisons de taux de croissance entre la France et le taux de la croissance mondiale n’a donc pas de sens, et ce d’autant moins que des pays comme la Chine ou l’Inde se développent et pèsent de plus en plus dans le PIB mondial. C’est la comparaison des taux de croissance de pays de niveau de développement comparable qui importe.

Petit exemple numérique pour bien comprendre les incidences du processus : supposons qu’en 2000 le PIB mondial est de 110 (100 pour les pays développés, 10 pour les pays en développement). Supposons que le taux de croissance des pays développés est de 3% par an, celui des pays en développement, qui bénéficient de l’effet rattrapage, étant de 10% par an. Le taux de croissance mondial est alors, en 2000, de 3,64% = (10/110)*10% + (100/110)*3%. En supposant la constance des taux de croissance dans les PVD d’une côté (10%) et dans les pays développés, de l’autre (3%), on observe que le taux de croissance de l’économie mondiale va constamment augmenter, passant de 3,64% en 2000 à 4,90% en 2020. Leur poids croissant dans l’économie fait augmenter mécaniquement le taux de croissance mondial.


La France, qui accuse un écart de -0,64% à la date initiale (3%-3,64%), verra cet écart passer à -1,90% en 2020 (3%-4,90%), là encore sous l’effet bêtement mécanique du poids croissant des PVD. Ceci n’a rien de choquant : les performances supérieures des pays comme la Chine, l’Inde ou les PECO sont plutôt une bonne nouvelle, car elles signifient que ces pays se développent, que le niveau de vie de leurs populations s’améliore (plus ou moins vite et de manière plus ou moins égalitaire selon les pays) ; bref,  tendent à converger vers le niveau de vie des pays développés.

L’hypothèse selon laquelle leur taux de croissance est constant est bien sûr critiquable : au fur et à mesure de leur développement, ces pays bénéficient de moins en moins de l’effet rattrapage. Ils se rapprochent de la frontière technologique, leur croissance dépendant alors de plus en plus de leur capacité à repousser cette frontière, autrement dit de leur capacité à innover, plutôt qu’à imiter les produits, procédés et modes organisationnels des pays développés. Croire également que tous les pays en développement bénéficient mécaniquement du rattrapage est erroné. Abramovitz, qui en a bien conscience, avance ainsi la proposition suivante : les pays qui pourront bénéficier du rattrapage sont les pays technologiquement en retard mais socialement avancés. Ce faisant, il pointe du doigt l’importance des institutions, bien avant que ne se développent les réflexions en termes de convergence conditionnelle (je reviendrai à ces analyses dans un prochain billet).

Tout ceci ne signifie pas que tout va bien côté France. Il convient en effet de s’interroger sur la faible croissance de l’économie française comparativement aux taux de croissance d’autres économies européennes ; ou à la faible croissance européenne, comparativement à celle de l’économie américaine. Bref, au différentiel de croissance entre des pays de niveau de développement comparable. Econoclaste a commencé à en parler en se focalisant sur la question du temps de travail, avec une comparaison Europe/Etats-Unis. J’essaie d’y revenir aussi, avec des analyses différentes, plutôt complémentaires.

Le grand oral de Ségolène R.

Les étudiants ont parfois des dissertions à rendre. Il m’arrive également de leur faire passer un examen oral. Je viens d’ailleurs d’auditionner Ségolène R. Elle a tiré le sujet suivant :

* Que pensez vous des problèmes économiques de la France?

je pense qu’il faut écouter ce qu’en pensent les citoyens experts, bref, les gens. Je pense que les gens ont raison. Je suis pour une Europe des gens. Je pense donc ce qu’ils pensent.

* Que diriez-vous si les gens pensent que vous avez tort de dire qu’ils ont raison (on reconnaît au passage l’esprit tordu de l’universitaire, qui ne fait rien que de dire du mal des politiques) ?

Je dirais que je vais gagner les élections.

* Pourquoi ?

Voici ma démonstration [j’interviens : "Laurent F., au fond de la salle, arrêtez avec vos jeux de mots débiles, sinon ce sera la même punition que pour Thierry B. Préparez donc votre oral, c’est vous qui passez ensuite. Reprenez Ségolène…"] :

 Merci, vous avez raison…

Postulat de base : je pense que les gens ont raison.

 Première hypothèse : les gens pensent que j’ai raison quand je dis que les gens ont raison. Dès lors, je suis d’accord avec eux. Comme j’ai raison, ils vont voter pour moi, je serai élue, ce sera la preuve que j’avais raison.

 Deuxième hypothèse : les gens pensent que j’ai tort quand je dis que les gens ont raison. Dès lors, je suis d’accord avec eux : ils ont raison de dire que j’ai tort. Comme je dis qu’ils ont raison et que j’ai tort, ça veut dire qu’ils ont tort. Ils ont donc tort de dire que j’ai tort,ce qui signifie que j’ai raison. Comme j’ai raison, ils vont voter pour moi, je serai élue, ce sera la preuve que j’avais raison.

 Conclusion : je vais être élue, que j’ai tort ou raison.

* Bien, bien… Et sinon, le chômage en France, par exemple, vous en dites quoi?

Comme les gens. Je suis contre.

 * Ok, vous pouvez sortir…

Je lui ai mis 20/20 (ça, c’est juste pour ne pas faire mentir Cayenne, commentaire n°28 du précédent billet).

La dissertation d’économie de Nicolas S.

Le petit Nicolas S. a tiré comme sujet « comment relancer la croissance économique de la France ? ».

 Voilà sa réponse…

 Si la croissance économique de la France est faible, c’est parce que les gens ne travaillent pas assez. Pour gagner plus, il faut travailler plus. Si on travaille moins, on gagne moins. C’est logique.

 Mais attention, si les gens ne travaillent pas assez, ce n’est pas parce qu’ils sont fainéants ! Oh, bien sûr, comme dit mon copain François F., il y en a des gens fainéants qui font rien que rester dormir le matin dans leur lit en attendant que l’Etat leur donne des allocations et en rigolant de voir les autres partir travailler. Ceux là, il faut les fâcher. Mais ils ne sont pas tous comme ça les gens. Il y en a qui sont gentils et qui voudraient travailler plus pour gagner plus. Mais ils ne peuvent pas. C’est à cause des 35 heures, à cause de ce qu’ont fait les méchantes personnes qui étaient au gouvernement avant. Il faut donc laisser les gentils salariés qui travaillent dur travailler encore plus dur, comme ça les gentils chefs d’entreprises leur donneront plus d’argent parce qu’ils sont gentils.

 Comme les (gentils) gens qui travaillent dur vont travailler encore plus dur, il vont gagner plus d’argent. Comme ils vont gagner plus d’argent, ils vont dépenser plus d’argent. Comme ils vont dépenser plus d’argent, les (gentilles) entreprises vont créer plus d’emploi. Et comme ça, il y aura de la croissance en France.

 En conclusion, Nicolas S. a expliqué que pour que tout ça fonctionne longtemps, il fallait faire attention à ce qu’à l’école, on fasse en sorte que les élèves deviennent plus tard de gentils salariés. Alors, il ne fallait pas que les garçons portent des casquettes en classe, ni que les filles mettent des jeans taille basse (ni l’inverse d’ailleurs), et aussi que personne n’ait de portable. Il ne faut pas non plus que les élèves disent « tu » au maître, mais qu’ils se lèvent quand le maître arrive. Il faut aussi qu’ils lisent Les Fleurs du Mal et qu’ils ne brûlent pas les voitures ni les bus. Oh, bien sûr, tout le monde ne pense pas pareil, et c’est bien normal. Nicolas, lui, il trouve les gens gentils gentils, et les gens méchants, il les trouve méchants. Il comprend que d’autres trouvent les gens gentils méchants et les gens méchants gentils. Après, c’est à chacun de voir, et d’être d’accord avec qui il veut…

 Bon, je vais avoir l’air rabat-joie, mais je lui ai mis 0/20 à notre Nicolas S. Avec les commentaires suivants :

Sur la première partie d’abord, je lui ai dit de s’en remettre à son cours d’histoire des faits économiques, qui montre que depuis le début du 20ème siècle, l’élévation du niveau de vie s’est accompagnée d’une diminution du temps de travail. Certes, cela ne signifie pas qu’il faille attendre automatiquement d’une baisse du temps de travail une élévation du niveau de vie, mais croire que les deux sont incompatibles est tout sauf pertinent. J’ai ajouté dans le même sens que les travaux empiriques et théoriques sur la croissance (ceci au moins depuis le modèle de Solow de 1956) démontrent clairement que l’élévation du niveau de vie se nourrit pour l’essentiel de l’effort d’investissement et du progrès technique…

 Sur la deuxième partie, je l’ai renvoyé à ses cours sur la théorie des coûts de transaction, qui montre qu’il existe deux modes essentiels de coordination : le marché, régulé par les prix, et la hiérarchie, régulée par l’autorité. Je l’ai renvoyé aussi à ses cours présentant les différences entre économie de marché et économie capitaliste. Pour qu’il comprenne que lorsqu’un salarié signe un contrat de travail, il passe en quelque sorte une convention de subordination. Et que c’est rarement lui qui décide des tâches qui lui sont confiées ni du nombre d’heures qu’il fera…

 Sur la troisième partie, j’ai commencé par trois points d’exclamation, surpris que j’étais de voir poindre un discours keynésien sous la plume de Nicolas S. J’ai ajouté que c’était très gentils de croire que l’accroissement du pouvoir d’achat des salariés se traduirait par une croissance économique plus forte, mais encore fallait-il que les entreprises françaises veuillent et soient en mesure de répondre par un accroissement de l’offre au supplément de demande. Et donc qu’il aurait fallu consacrer au minimum une partie de son développement à l’analyse des conditions côté offre…

 Quant à la conclusion… sans commentaire…

P.S. : j’ai depuis corrigé les dissertations de Jean-François C. et Patrick D., qui ont visiblement copié sur leur petit camarade à de multiples reprises (quand on pense que l’an dernier encore Jean-François n’était pas du tout copain avec Nicolas, et que maintenant ils sont inséparables dans la cours de récréation, ces deux-là…). Naturellement, ils ont obtenu la même note que Nicolas S. On me reprochera sûrement ma sévérité, on me dira que la répression ne mène à rien et que ce n’est pas en leur mettant des 0/20 qu’ils vont changer de comportement, mais moi, Monsieur (Madame), j’ai des principes, et le laxisme, je sais trop bien où ça mène : portable, casquette, jean taille basse, voiture brulée, tutoiement, …