Les IDE en Europe

La surmédiatisation des délocalisations vers la Chine, l’Inde, les Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO), etc… conduit une majorité de la population (du moins c’est mon sentiment) à penser que l’essentiel des investissements productifs vont des pays développés vers des pays en développement. Pour la France, on en déduit (beaucoup trop rapidement) qu’un processus de désindustrialisation est à l’oeuvre.

Dans Les nouvelles géographies du capitalisme, j’explique, statistiques à l’appui, que tel n’est pas le cas : l’investissement direct étranger de la France, par exemple, se dirige pour environ 80% dans des pays de niveau de développement comparables (54% dans les pays de l’UE à 15, 25% aux Etats-Unis). Parallèlement, la France est une des principales terre d’accueil des IDE (2ème à 4ème rang des pays développés, selon les années).

Une étude complémentaire parue dans le numéro de décembre 2005 de la Revue d’Economie Appliquée permet de compléter le diagnostic. Elle concerne l’UE à 25, et analyse le poids des différents pays dans les IDE sortants, d’une part, et dans les IDE entrants, d’autre part.

parts du marché européen de l’IDE entrant et sortant
Stock IDE entrant
Stock IDE sortant
1993 1999 2003 1993 1999 2003
UE 15 97,3% 95,5% 94,8% 99,8% 99,8% 99,7%
PECO10 2,7% 4,5% 5,2% 0,2% 0,2% 0,3%
Total 100% 100% 100% 100% 100% 100%


Constat évident : l’essentiel des mouvements de capitaux observés en Europe se fait entre pays développés. Ce qui ne veut pas dire que rien ne bouge : le poids des PECO10  a quasiment doublé de 1993 à 2003, et l’on peut penser que la tendance va se poursuivre. Mais de là à affirmer que les pays développés se désindustrialisent…

Source : Andreff M., Andreff W.,  2005, "La concurrence pour l’investissement direct étranger entre les nouveaux et les anciens membres de l’Union Européenne élargie", Economie Appliquée, 58(4), p. 71-106.

Actualités poitevines

Deux actualités à venir :

* mardi 2 mai autour de midi (12h10 à 12h30 environ, si j’ai bien compris), je suis interviewé sur France Bleu Poitou à l’occasion de la parution des Nouvelles Géographies du Capitalisme,

* mardi 16 mai à 20h30, à l’Espace Mendès France, toujours à l’occasion de la sortie des NGC, j’anime une conférence intitulée (roulements de tambours) "Faut-il avoir peur des délocalisations?" avec débat à suivre.

Pour ceux qui sont dans les parages, n’hésitez pas à écouter la première, et à assister à la seconde. Pour ceux qui sont plus loin, il faudra patienter… (des actualités suisses sont à venir!)

idée reçue #3 : la désindustrialisation de la France

Après la première selon laquelle un jeune sur quatre est au chômage, après celle selon laquelle le système éducatif ne répond pas aux besoins des entreprises, troisième idée souvent lue : la France est en cours de désindustrialisation

Une fois encore, les chiffres semblent imparables : de 1980 à 2004, l’industrie a perdu un tiers de ses effectifs, pendant que sa part dans la valeur ajoutée est passée de 28% à 19%. Et les explications sont toutes trouvées : coût du travail trop élevé qui fait fuir les entreprises en Asie ou dans les PECO, marché du travail trop rigide qui fait fuir les jeunes qualifiés vers Londres ou les Etats-Unis, fiscalité et lourdeurs administratives telles que plus personne ne souhaite investir en France, etc…

Sauf que….

* le recul de la valeur ajoutée industrielle en valeur est supérieur à celui observé en volume. Ce qui veut dire que ce sont plus les prix que le volume de production de l’industrie qui ont baissé. Pourquoi? Car l’industrie réalise des gains de productivité plus importants que les services… Et si le recul de l’industrie a été plus fort en France que dans d’autres pays, c’est, pour une part, en raison de gains de productivité plus forts : l’industrie y a été plus efficace qu’ailleurs !!!
* surtout, l’industrie s’organise de manière totalement différente : beaucoup d’entreprises externalisent des activités qu’elles réalisaient auparavant en interne, et des activités qui relèvent des services : elles se rencentrent sur leur coeur de métier.D’où la croissance très forte du poids des activités "Services aux entreprises". Dans le même sens, l’industrie fait largement appel à l’intérim, ce qui vient gonfler le poids des services, alors que ce sont des emplois qui alimentent les besoins de l’industrie.
En ajoutant les emplois de l’industrie et ceux du secteur "Services aux entreprises" (source Insee, Les Services en France, p.23), on voit bien la stabilité de l’ensemble :

Le poids de l’industrie
  1990 2000 2004
Industrie 19,8% 16,3% 15,1%
Services aux entreprises 11,7% 15,4% 16,4%
Total 31,5% 31,7% 31,5%

En tenant compte en plus de l’intérim, l’emploi dépendant de l’industrie représenterait entre 40 et 45% de l’emploi total. Bref, on n’assiste pas à une désindustrialisation de la France, mais à une transformation de l’industrie.

Transformation que l’ouvrage dirigé par Colletis et Lung  ("La France industrielle en question", la Documentation Française, 2006) permet de bien cerner, en adoptant une entrée sectorielle (textile-habillement, industrie automobile, industrie aéronautique et spatiale, industrie pharmaceutique, TIC, grande distribution) d’une part, et en s’interrogeant sur l’impact de la globalisation, de la financiarisation et du changement technologique sur chacun de ces secteurs, d’autre part. Lecture conseillée !

L’Appeau



Si Bill était du Nil…


Bon, c’est un peu tordu, mais c’est pour dire que je plie bagage un petit bout de la semaine, avec, pour mes fidèles lecteurs, deux enigmes : i) c’est quoi ce titre et cette phrase bizarre? ii) c’est pris d’où cette photo?
Comme pour le premier jeu concours, un pot de rillette à gagner (toujours non remis au lauréat, mais ca ne saurait tarder…)

Le poids de la dette…

Dans son édition datée du mardi 18 avril 2006, Les Echos titraient en gros et en gras : "Nouveau piège pour Matignon : le coût croissant de la dette".

Et chacun de déplorer le niveau astronomique de l’endettement public. Et certains de déclarer qu’il faut gérer le budget en bon père de famille, donc ne pas trop s’endetter (je ne donne pas de noms, mais il y aurait de quoi faire un jeu concours là-dessus…).

Sauf que…

* cet accroissement du coût de la dette s’explique par la montée des taux directeurs de la Banque Centrale Européenne, pilotée par Jean-Claude Trichet. Et Mr Trichet, bien imprégné des analyses monétaristes, soucieux de désinflation compétitive, a peur que la hausse du prix du pétrole ne se traduise par un retour de l’inflation (c’est vrai que l’on atteint des niveaux records…). D’où l’augmentation du principal taux directeur à 2,5% il y a un peu plus d’un mois. D’où la nouvelle hausse programmée en juin semble-t-il. On pourrait peut-être s’interroger un jour sur la politique de la BCE et sur les missions qui lui sont confiées (rappelons que la BCE a pour seul objectif la stabilité des prix, pendant que la Fed (son équivalent US) a un double objectif de stabilité des prix et de croissance économique)…
* La métaphore du bon père de famille semble frappée du coin du bon sens et généralisable à l’Etat : on ne peut pas s’endetter indéfiniment, il faut bien rembourser un jour… Sauf qu’il existe une différence de taille entre un Etat et un père de famille : le dernier vieilli, le premier non (je parle de l’Etat en tant qu’institution, pas de nos dirigeants :-))…  De ce fait là,  l’Etat peut  se permettre de conserver un  taux d’endettement constant…
* Surtout : on fait comme si être endetté était mauvais en soi, mais tout dépend, en fait, de ce que l’on finance en s’endettant. Or, plus que le niveau de la dette en France, c’est l’utilisation de l’argent public qu’on nous annonce qui fait un peu peur : d’un côté, 350 millions d’euros pour les restaurateurs, contre qui je n’ai absolument rien, si ce n’est que je ne les considèrent pas comme les leviers essentiels de la croissance économique future. De l’autre côté, un sous-investissement dans la recherche et dans l’enseignement supérieur (cf. ce billet pour ce qui est de l’investissement dans le supérieur, ou encore les éléments sur le site de Débat 2007). Car c’est bien sûr, l’enseignement supérieur est si riche que notre ministre affirme « Je pense que les universités peuvent vraiment supporter ce coût-là [les dégâts lors des manifs anti-CPE] et nous, continuer notre programme de formation des jeunes » (citation glânée ici).

Petite citation convergente : "l’essentiel n’est pas de réduire la dette publique à court terme mais plutôt de restructurer les dépenses publiques aux fins d’augmenter le potentiel de croissance : baisser les dépenses inefficaces en accroissant la productivité des services, réduire celles dont l’objectif premier est de satisfaire des lobbies à des fins électorales [les restaurateurs?], mais également augmenter l’investissement public dans certains domaines où la France a accumulé un retard préoccupant depuis le début des années 90 : l’éducation supérieure[Allô, Gilles?], la recherche, les infrastructures, notamment urbaines." C’est de Aghion et Fitoussi, article paru dans le Figaro du 26 janvier 2006.  Je vous invite à lire l’article en entier, il permet d’avoir une vue moins caricaturale du problème de la dette (voir aussi celui-ci, plus ancien (article 2004 paru dans Le Monde), de Fitoussi tout seul)…
 

Ici Londres #3

Ben Mince alors! J’apprends ce matin qu’une entreprise française (Peugeot) implantée au Royaume-Uni (à Ryton, près de Coventry) va fermer son usine d’ici 2007 ! Et pourquoi donc? Car "une Peugeot 206 coûtait 400 euros plus cher à produire à Ryton qu’à Poissy ou à Mulhouse" (dixit un porte parole du groupe).

Bon, moi je dis stop : tout le monde sait que l’avenir économique passe par un coût du travail plus faible (la Chine a de l’avenir) ou par un marché du travail plus flexible (le Royaume-Uni a de l’avenir), non?

Et bien non, justement : ce que les entreprises souhaitent minimiser, c’est l’ensemble de leurs coûts. Bien sûr, le coût du travail en est une composante. Mais il convient également d’intégrer le différentiel de productivité, qui nous renseigne sur l’efficacité de l’heure travaillée. Et aussi –et dans l’exemple de Peugeot, ca compte– l’ensemble des coûts de coordination (d’autres diraient des coûts de transaction) : entre l’entreprise et ses fournisseurs, d’une part, entre l’entreprise et ses clients, d’autre part. Or, Peugeot indique que le sur-coût britannique s’explique principalement par "des coûts logistiques plus élevés : non seulement la majorité des fournisseurs n’est pas implantée en Grande Bretagne et nous envoie des pièces, mais nous exportons 70% de la production vers le reste de l’Europe" (Cf. Le Figaro ou Libé). Bref, le site britannique est globalement moins compétitif que les sites français…

Ce qui fait dire à un syndicaliste anglais : "Tout cela s’inscrit dans le cadre d’un déclin de l’emploi industriel, plus rapide en Grande Bretagne que dans n’importe quel autre pays d’Europe de l’Ouest".

Tu vas voir, un de ces jours, un Hurluberlu d’Outre-Manche va nous dire que l’économie française a de l’avenir…

Ici Londres #2

Le Royaume-Uni fait rêver nombre de nos politiques. Extraits :
Alain Lambert : "La France et la Grande Bretagne sont deux pays qui ont une population comparable : environ 60 millions d’habitants. Une grande différence cependant : le taux d’emploi est de 72 % en GB contre 63% seulement en France. Le taux de chômage est double en France (9,8% contre 5%), double également pour la longue durée (42 % contre 21%), et presque double pour les jeunes (22% contre 12%). Il y a donc en Grande Bretagne 4 millions d’emplois de plus qu’en France (28,8 millions contre 24,7). Imaginons 4 millions d’emplois de plus en France ! le chômage serait résorbé ! Il ne s’agit de porter un jugement de valeur, simplement de savoir comment cela se passe autour de nous." (source ici)
L’Express du 6 avril 2006 : "Les statistiques sont cruelles: 4,7% de chômeurs parmi la population active en Grande-Bretagne, 9,6% en France. Et, en prime, outre-Manche, plus de seniors et de jeunes au travail, une croissance plus dynamique, une richesse par habitant supérieure. La France devrait-elle s’inspirer de l’exemple britannique?" (source ici)
Ségolène Royal si "tout n’est pas positif (…), le Premier ministre britannique a une vision mobilisatrice de son pays". Et "je ne vois pas au nom de quelle langue de bois je devrais m’interdire de regarder certaines choses qui marchent outre-Manche, en Espagne ou dans le nord de l’Europe" (source ici)
Etc…
Je crois cependant que la palme revient à François Fillon :  "Cette renaissance britannique n’est pas le fruit du hasard. Elle n’a rien à voir avec les cycles économiques. Elle doit tout à la volonté de Margaret Thatcher qui a su dynamiter les verrous qui barraient la route de l’avenir et à Tony Blair qui a eu l’intelligence de ne pas changer de route, au moins sur le plan économique, au moment où les résultats consacraient une politique que des ignorants ou des imbéciles, continuent, en France à qualifier d’inhumaine et d’antisociale quand elle a permis de tendre vers le plein emploi." (source ici)
Je trouve que François Fillon prend une pente un peu gauchisante quand il loue les mérites de Tony Blair, qui, de mon point de vue, a fait beaucoup moins pour son pays que Margaret Tatcher. Preuve en image (source : article très sérieux d’Eco & Stat) :


Premier enseignement : contrairement à ce qu’affirme Monsieur Fillon, Tony Blair fait beaucoup moins bien que Margaret Tatcher.
Deuxième enseignement : certains se demandent si les politiques ont encore des marges de manoeuvre et peuvent encore peser sur l’évolution du système économique (cf. l’article de Ceteris Paribus qui compare les performances des gouvernements Jospin et Raffarin). Margaret Tatcher a démontré que oui : il suffit pour cela de faire des vraies réformes, d’adopter une stratégie de rupture, et, en quelques mois, tout devient possible…

L’UMP prend le large : UMP : 6 – PS : 2

Dans le match UMP-PS sur “un jeune sur quatre est au chômage“, l’issue de la rencontre ne fait plus guère de doute : Vulgos m’informe ainsi que Valérie Pécresse, dans l’émission Mots Croisés de France 2, a affirmé que “25% des jeunes sont au chômage” ; Bridgetoun a relevé également l’erreur chez Jean-Louis Debré ce matin sur France Inter.

UMP 6 – PS 2, on dirait la coupe du monde de foot de 1954…

Vu l’enterrement du CPE, on peut penser que la fin du match est pour bientôt. Reste à savoir quelle idée reçue va supplanter la première. Je pense que l’idée #2 a de bonnes chances de s’imposer, mais il doit y avoir d’autres candidats… j’attends vos pronostics!