Ca sent le gaz – suite

A partir des données Eurostat, voici un graphique reprenant l’évolution du prix du gaz naturel
facturé aux consommateurs (hors taxe), en euro par Gigajoule, pour un échantillon de pays. En trait rouge, la France.



 
Sur les 13 pays de l’échantillon, la France est au 8ème rang en 2007 (de 2000 à 2007, le rang de la France a été successivement : 8, 8, 5, 4, 6, 6, 7, 8).
On notera la tendance haussière du prix du gaz pour l’ensemble des pays, ce qui ne doit pas être étranger au fait que le marché du gaz est un marché mondial,
dépendant de l’évolution du prix du pétrole : l’offre mondiale est plutôt rigide, la demande mondiale évolue fortement, sous l’effet notamment du développement de pays comme la Chine et l’Inde,
les prix mondiaux augmentent donc fortement. Pour infos, en 2005, la France a importé 1 909 328 TJ de gaz, exporté 42 642 TJ, pour une consommation nationale de 1 906 503 TJ (chiffres
trouvés ici). En complément, voir ce document de l’observatoire de l’énergie sur les prix en France, avec des comparaisons internationales.

Tout ça pour dire que l’hypothèse H2 de mon billet précédent, défendue par Arrêt sur image sur la base d’un billet de plume
de presse
, me semble pour le moins peu crédible (ce qui n’enlève rien à la critique que l’on peut faire de l’annonce par les médias des “seulement 4% de hausse et non pas 6,1% comme demandé
par GDF”, notamment si mon hypothèse H4 est validée).

 

Ca sent le gaz

GDF demande 6,1% d’augmentation du prix du gaz, le
gouvernement en accorde 4%. Interprétations possibles.

H1 : GDF a bien fait ses calculs : pour que l’entreprise couvre ses dépenses et procède aux investissements nécessaires au maintien de sa position concurrentielle, une
hausse de prix de 6% s’impose. En n’accordant que 4%, le gouvernement préserve le pouvoir d’achat à court terme des consommateurs de gaz, mais nuit à moyen terme à la santé de l’entreprise. GDF
est mal barrée (voir pour quelques éléments cet article du Monde).

H2 : Le gouvernement a bien fait ses calculs, les responsables de GDF, en demandant 6% de hausse alors que 4% suffisent, sont donc opportunistes, ils ne pensent qu’à
récupérer encore plus de bénéfices, à assurer leurs primes, et blablabla, et blablabla. Une entreprise gérée par des
dirigeants opportunistes, ça craint. GDF est donc mal barrée.

H3 : GDF a bien fait ses calculs, elle sait que 4% suffisent. Mais GDF sait qu’en demandant 4%, elle obtiendra moins de 4%. En demandant 6%, elle espère récupérer les
4% nécessaires. Ce qu’elle obtient effectivement, GDF est gérée par des petits malins, tout va bien.

H4 : GDF et le gouvernement ont interagi avant annonce de la demande de hausse par GDF et annonce de la décision du gouvernement.
GDF veut 4% d’augmentation, le gouvernement veut montrer son attachement à la défense du pouvoir d’achat des consommateurs. Le gouvernement demande donc à GDF de demander 6% de hausse, qu’il
puisse annoncer 4% en retour, histoire de démontrer cet attachement. GDF et le gouvernement sont gérés par des petits malins, tout va bien.

Personnellement, j’hésite entre H1 et H4, avec une préférence pour H1. N’hésitez pas à cocher l’hypothèse de votre choix, à argumenter pour faire pencher en faveur d’une hypothèse, voire à
ajouter d’autres hyptohèses d’interprétation.

En tout cas, qu’est-ce qu’on rigole avec le contrôle des prix!

économie du ticket de métro



Mardi 23 janvier 2007. Au programme de la journée, une conférence à l’ENS-LSH Lyon (en passant, merci encore à Alexis pour l’invitation et l’accueil!). Départ de Poitiers, arrivée gare de Montparnasse. Direction gare de Lyon en métro. Mince, plus de ticket. Solution : acheter un ticket au guichet. Prix à l’unité : 1,40€. Problème : la file d’attente aux guichets comme aux machines n’en finit pas…
 

Solution alternative : des vendeurs à la sauvette me proposent un ticket au tarif de 1,40€. J’achète ou pas ? Ils me proposent le ticket au même prix après tout. A bien regarder les gens autour de moi, beaucoup refusent. Peut-être ont-ils le temps d’attendre? Pourtant, ils ont l’air bien pressés, à voir comme ils trépignent en faisant la queue. S’ils refusent, c’est peut-être qu’ils pensent qu’on veut les arnaquer. Les billets doivent être faux. Où périmés. D’autant plus que, délit de faciès oblige, ils n’ont pas l’air français quinzième génération, ces vendeurs…

Ils auraient dû faire fac d’éco, ces voyageurs en transit, parce que, économiquement, ça se tient, ce petit commerce : si je n’ai besoin que d’un ticket, le fait de le leur acheter ou de l’acheter au guichet ne change rien pour moi. Si, de plus, je dois attendre pour accéder au guichet, je gagne à le leur acheter : le prix du ticket est le même, mais j’économise en temps d’attente, temps auquel je peux attribuer une valeur monétaire, correspondant au gain réalisé. De leur côté, les vendeurs à la sauvette achètent des carnets de tickets tarifs réduits (10,90€ le carnet de 10) et les revendent à l’unité plein tarif. Ils empochent donc un gain par ticket vendu de 0,31€ (=1,40 – 10,90/10), gain tout à fait légitime, puisqu’ils permettent aux voyageurs de ne pas perdre de temps. En fait, ces vendeurs ne font rien d’autre que me permettre d’économiser sur les coûts d’utilisation du marché du ticket de métro, coûts que les économistes qualifient de coûts de transaction.Dès lors, pourquoi autant de personnes refusent-elles de leur acheter des tickets ? Parce qu’on ne les connaît pas, ces vendeurs à la sauvette, me direz-vous. Certes, mais c’est un peu court comme argument : vous ne connaissez pas non plus la personne au guichet qui vous vend un ticket… En fait, il y a une différence de taille : dans le dernier cas, ce n’est pas à une personne que vous vous adressez, mais à une institution (la RATP), institution en laquelle vous avez confiance. Plus que dans les vendeurs à la sauvette, en tout cas. L’acheter à ses derniers vous fait courir un risque (objectif ou non), auquel on peut attribuer également une valeur monétaire. Si on ne leur achète pas de ticket, c’est que l’on considère que le coût lié à ce risque est supérieur au gain de temps.

Si, maintenant, vous achetez, malgré tout, un ticket de métro à un vendeur à la sauvette (chose que je fais de temps en temps), et que vous êtes satisfait de la transaction (ça a toujours été le cas), vous avez de fortes chances de récidiver la fois d’après. Même si ce n’est pas le même vendeur à la sauvette. Car votre première expérience vous aura appris à faire confiance non pas au vendeur précis qui vous a vendu le ticket, mais au groupe formé par l’ensemble des vendeurs, groupe que l’on peut assimiler à une nouvelle institution, de nature plus informelle cette fois. Les interactions passées vous ont appris à leur faire confiance, le risque disparaît.

Dans tous les cas, on le voit, le marché du ticket de métro (c’est vrai des autres marchés) est tout sauf naturel. Il suppose, pour fonctionner, des règles du jeu clairement établies et acceptées par les participants. C’est un construit institutionnel (Douglas North définit précisément les institutions comme les règles du jeu dont les organisations sont les acteurs, ou encore comme “des contraintes d’origine humaine qui structurent les interactions entre les acteurs” (dans sa lecture pour le Nobel)). Et si l’on n’a pas confiance dans les institutions, ou si les institutions sont déficientes, le marché peut disparaître (pas toujours, j’y reviendrai à l’occasion)…

Bon, il y a une autre solution : acheter un carnet de ticket tarif réduit en gare de Poitiers. En général, il y a moins de monde…

Conseil de lecture

Vous pouvez commencer par cette interview
de  José  Luis Duran
, patron de Carrefour, dans le JDD  du 25 novembre dernier.  Avec ces  petits extraits :

“C’est en nous donnant la possibilité de négocier avec les industriels que l’on peut agir sur les prix, comme nous le faisons pour nos produits à marques propres,
moins chères que les marques nationales.”

Plus loin :

“Je constate que nos marges nettes sont en moyenne de 3 % contre 10 % pour les industriels. Un rééquilibrage est nécessaire. A titre d’exemple, nos marges sont quasi
nulles sur les ventes de carburant.”


Ensuite, je vous conseille cet article de l’Expansion, intitulé
“Carrefour au centre d’une entente sur le prix des jouets de Noël”.

 

C’est une opération “promotionnelle” entre 2001 et 2004, intitulée “Carrefour rembourse 10 fois la différence”, qui a déclenché l’enquête sur les jouets, à la
demande du ministère de l’Economie. Cette opération incitait en fait les consommateurs à faire “gratuitement la police pour le compte” de Carrefour, souligne le Conseil, en leur faisant
miroiter un gain au cas où il trouverait moins cher chez un concurrent. Circonstance agravante, l’opération publicitaire “avait pour objectif de présenter l’enseigne comme ayant une politique
de prix agressive, alors qu’il s’agissait au contraire de faire contribuer les clients à “à l’alignement des prix des jouets sur le prix plus élevé de Carrefour”.

Concrètement, en effet, le n°1 français de la distribution cherchait à limiter au maximum les remboursements. Il a donc instauré « un système de remontée des
informations relatives aux demandes de remboursement et a systématiquement pris contact avec les fournisseurs concernés pour qu’ils règlent les problèmes de prix moins chers constatés chez ses
concurrents », explique le Conseil.

C’est quoi, déjà, le slogan de Carrefour? En tout cas, joli exemple pour un TD d’économie de l’entreprise…

La Chine, deuxième puissance économique mondiale – suite

Réponse à la question du billet précédent. On note Y le PIB mondial, H la population
mondiale, et Yi,Hi le PIB et la population du pays i.

Supposons un même PIB par habitant pour tous les pays. On a alors  :
Yi/Hi = Y/H pour tout i
Ce qu’on peut réarranger comme suit :
Yi/Y=Hi/H

Yi/Y est le poids du pays i dans le PIB mondial, on voit qu’il est égal à Hi/H, soit le poids du pays dans la population mondiale.

Que nous apprend le rapport de la Banque Mondiale à ce sujet?
Concentrons nous sur la Chine, les Etats-Unis et la France. On dispose des données suivantes pour l’année 2005 :

Pays PIB PPA (milliards de USD)
Population (millions)
Chine 5333,2 1303,7
Etats-Unis 12376,1 297,0
France 1862,2 62,8
Monde 54980,4 6128,1


On en déduit le poids des pays dans l’ensemble pour les deux variables :

Pays PIB PPA Population
Chine 10% 21%
Etats-Unis 23% 5%
France 3% 1%
Monde 100% 100%

Si tous les pays avaient le même niveau de développement, la France concentrerait 1% du PIB mondial et non pas 3%, les Etats-Unis 5% au lieu de 23%.

A partir des données, on peut aussi calculer les PIB par habitant. On observe par exemple que le PIB par habitant de la France est égal à 71,2% du PIB par habitant américain. La valeur
correspondante pour la Chine : 9,8%.

Pourquoi, mais pourquoi donc n’avons-nous pas de meilleurs journalistes ni de meilleurs politiques?



[Une fois n’est pas coutume, un billet rédigé à deux : j’ai reçu il y a quelques jours un mail de Jean-François Couvrat, journaliste économique, au sujet d’un passage de l’émission France Europe Express de dimanche dernier (14/01/07, on peut voir l’émission ici, le passage concerné est à peu près au milieu, 53ème minute). Je lui ai proposé de rédiger un petit quelque chose autour de ça. Voici son billet, je complète un peu dans la foulée]

Quiconque s’intéresse un peu aux aspects économiques du monde qui l’entoure, sait que l’Allemagne souffre depuis plus de dix ans d’une pénible langueur. Depuis 1994, la croissance allemande n’a dépassé la croissance française qu’une seule fois, en 2006, et les prévisions pour 2007 suggèrent qu’il s’est agi d’une exception. En fait, depuis 1995, la production allemande a pris un retard d’environ 10 points de PIB sur celle de la France, soit grosso modo la production du Bade-Wurtemberg.

Mais que valent ces chiffres, fournis par Eurostat, face au n’importe quoi qui crève l’écran de la télévision ? Le dimanche 14 janvier, au cours de l’émission France Europe Express, sur France 3, une journaliste de France Info, Ilana Moryousseg, apparue en incrustation, a posé aux invités la question suivante (question d’un auditeur, un certain Francesco) :

« Pourquoi l’Allemagne, malgré le poids de l’ancienne Allemagne de l’Est, malgré l’Euro fort, réussit à avoir une croissance beaucoup plus élevée que la notre ? »

Tout est dans le « pourquoi », qui garantit la véracité de ce qui suit. Et nombre de téléspectateurs sont probablement allés se coucher dans la certitude d’une croissance française à la traîne, caractéristique d’un pays en déclin.

Deux invités ont d’ailleurs achevé de les en convaincre, Arnaud Montebourg (PS) et Michel Barnier (UMP), n’hésitant pas à répondre à une question saugrenue comme si elle était pertinente. Le premier a regretté que la performance allemande soit le résultat d’une « restriction sociale ». Le second, louant les réformes hardies qui favorisent évidemment la croissance allemande, a fini par s’écrier : « Pourquoi l’Allemagne réussit ? Parce qu’elle n’a pas les 35 heures ! ».

Barnier devait d’ailleurs s’illustrer quelques instants plus tard à propos de fiscalité. Montebourg  s’était étonné que l’UMP, tout en défendant la valeur travail, souhaite alléger l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Barnier répondit, riant lui-même en la formulant d’une ironie qui se voulait mordante : « Les milliers de Français qui payent l’impôt sur les sociétés seront heureux d’apprendre qu’il ne s’agit pas d’un impôt sur le travail !».

Aucun des journalistes présents n’a rectifié.

Si vous croisez Barnier, affranchissez-le. Avec ménagement.

Jean-François Couvrat


Les statistiques évoquées par Jean-François Couvrat sont facilement accessibles sur Eurostat. Regardons d’abord les taux de croissance du PIB réel de 1995  à 2007 pour la France et l’Allemagne (pour 2006 et 2007, ce sont des prévisions) :



Pour mesurer l’effet de ces écarts, on peut considérer que chaque pays part avec un PIB base 100 en 1995. En appliquant ensuite les taux de croissance observés, on obtient en 2007 un indice 135 pour la France et 123 pour l’Allemagne, bref, un écart de plus de 10 points…

On peut compléter (et nuancer légèrement) en regardant non pas le taux de croissance du PIB réel mais celui du PIB réel par habitant. Nouveau graphique :

La France a connu un taux de croissance du PIB par habitant plus élevé que l’Allemagne 10 fois sur 13. En procédant au même exercice que tout à l’heure, les indices obtenus sont plus proches : 124 pour la France et 119 pour l’Allemagne. L’écart de résultat entre les deux séries s’explique en première approximation par les évolutions démographiques (en gros, le taux de croissance du PIB par habitant est égal à la différence entre le taux de croissance du PIB et le taux de croissance démographique). Il n’en reste pas moins que, depuis une dizaine d’années, l’écart penche, quasi-systématiquement, en faveur de la France…

Comme dit plus haut, apparemment, qu’un auditeur de France Info pose une question en s’appuyant sur un constat faux, ca ne gène personne : aucun journaliste présent sur le plateau n’a rectifié. Quant aux politiques, ils ont su échaffauder rapidement de belles (?) théories pour expliquer … une contre-vérité…

La Chine, deuxième puissance économique mondiale

C’est le titre d’un article du Monde, suite à l’étude de la Banque Mondiale publiée le 17 décembre. La Chine est derrière les Etats-Unis, et devant le Japon,
l’Allemagne, l’Inde, le Royaume-Uni et la France. Ce classement n’est pas anecdotique, car il influe sur la représentation des pays au FMI et à la Banque Mondiale. Il n’a cependant rien de
fondamental, car
d’un point de vue économique, l’indicateur pertinent n’est pas le PIB, mais le PIB par habitant, qui nous renseigne (oui, je sais,
imparfaitement) sur le niveau de vie des populations.

Petite question à ce sujet : imaginons que, d’un coup de baguette magique,  le PIB par habitant de l’ensemble des pays de la planète atteigne instantanément la
même valeur (disons la valeur maximale observée aujourd’hui, ce qui ne serait pas une trop mauvaise chose, non?). Quel serait alors le poids de la France dans le PIB mondial
(vous n’oublierez pas de rappeler son poids actuel bien sûr, qu’on puisse comparer) ?

 

Les Français (et les européens) sont-ils nuls en science?

On pourrait le croire après avoir vu la vidéo "qu’est-ce qui gravite autour de la terre". Mais on peut se rassurer un petit peu avec cette étude de l’Union Européenne, dont j’ai extrait le tableau suivant :

Sur le premier item "le soleil tourne autour de la terre", 29% de mauvaises réponses. Certes, 29%, ce n’est pas rien, mais on est quand même assez loin des 56% du jeu de la vidéo. Soit le public TF1 a de moins bonnes connaissances que la moyenne européenne, soit les français dans leur ensemble sont plus mauvais que la moyenne européenne, soit le terme "gravite" employé dans le jeu en a piégé plus d’un.

Sur la deuxième hypothèse (les français plus mauvais que les autres européens), c’est plutôt faux, les français ont une moyenne bonne réponse supérieure à la moyenne (69% contre 66%) :


S’agissant de l’hypothèse de mauvaise compréhension du terme "gravite", difficile d’avoir une preuve, bien que… Dans la même étude, on interroge les citoyens : "pour chacun des sujets suivants, dites-nous à quel point, selon vous, il est scientifique (sur une échelle de 1 à 5)." Pour la moitié de l’échantillon, on inclut comme item "astrologie". Pour l’autre moitié de l’échantillon, on remplace "astrologie" par "horoscope". Résultat des courses : 41% considère que l’astrologie est un sujet très scientifique (score 4 ou 5) … mais seulement 13% si le terme est "horoscope"! Bref, il y a un vrai problème de compréhension du vocabulaire utilisé dans les questions.

Pour finir, je vous signale que l’économie est considérée comme étant un sujet moins scientifique que l’astrologie (40% contre 41%)…