La Vienne dans la tempête : complément #1

Petit complément pour développer la réponse à la question « sur quels secteurs d’avenir la Vienne peut-elle miser ? », car les propos repris dans la NR ne me paraissent pas satisfaisants.

Le point essentiel est le suivant : quand les politiques s’interrogent sur le ou les secteurs à soutenir, ils adoptent souvent des comportements mimétiques. Tous regardent du côté des secteurs porteurs en terme de demande, et rêvent de développer localement un pôle spécialisé dans ce ou ces secteurs. Ceci pose deux problèmes : on assiste d’abord à un accroissement de la concurrence territoriale, puisque chaque territoire veut son pôle en biotechnologies, multimédia, nouveaux matériaux, etc. On sait ensuite que toutes les régions ne partent pas d’un pied d’égalité : en matière de biotechnologie, par exemple, Poitou-Charentes dispose de moins de ressources (au sens large) que des régions comme Rhône-Alpes ou l’Alsace (doux euphémisme…). Est-ce à dire qu’il ne faut rien faire en la matière ? Non, mais qu’il faut se poser la question de la spécialisation plus précise dans le domaine, en s’interrogeant également sur la façon de se raccrocher aux pôles les plus compétitifs déjà existants (on sort dès lors des logiques de pôles, au profit de logiques de réseaux).

Il existe de plus une autre façon d’identifier les secteurs clés : en partant de l’existant, c’est-à-dire en repérant les secteurs surreprésentés localement, et en considérant que cette surreprésentation est un marqueur de la présence de ressources locales spécifiques. Des outils statistiques existent depuis longtemps pour se livrer à un tel exercice. Les données statistiques également, qu’il s’agisse des données Insee, Sessi, Banque de France, …. C’est à un tel travail que nous nous sommes livrés en nous focalisant sur l’industrie de Poitou-Charentes à partir de données Sessi (voir un billet précédent et le document disponible ici). Une première étape dans le travail de diagnostic territorial que tous les acteurs semblent appeler de leurs vœux consisterait donc à actualiser cette analyse statistique en l’élargissant à l’ensemble des secteurs d’activité.

 Ce travail d’identification des secteurs clés n’est bien sûr qu’une première étape : il convient ensuite de mener des analyses plus qualitatives afin de décrypter les dynamiques sectorielles globales, de repérer le positionnement des entreprises picto-charentaises dans leur secteur d’appartenance, puis de définir des pistes d’action publique afin d’accompagner, voire d’orienter, les évolutions en cours. Là encore, l’économie a développé depuis longtemps des outils d’analyse performants, mais les collectivités ne semblent pas véritablement les mobiliser. Sans doute peut-on imaginer des partenariats efficaces entre collectivités et laboratoires de recherche de l’Université afin d’avancer dans cette direction.

La pizza, le pneu et le soutien-gorge…

Quel point commun ? Le département de la Vienne.

* les pizzas, c’est pour le groupe Marie, qui a annoncé hier la suppression de 171 emplois à Mirebeau et à Airvault.
* le pneu, c’est pour le groupe Michelin, dont la direction a été assignée en justice par les syndicats pour obtenir l’annulation d’une restructuration qui a conduit, il y a un an environ, au transfert de l’activité  localisée à Poitiers sur le site de Tours.
* le soutien-gorge, c’est pour l’entreprise Aubade, détenue par le groupe suisse Calida : 180 licenciements et fermeture du site de la Trimouille, délocalisation en Tunisie.

Inutile de vous dire que les réactions des politiques fusent. Je me concentre sur Aubade, quelques extraits :

* Ségolène Royal, présidente du Conseil Régional, propos repris ce matin dans La Nouvelle République du Centre Ouest (10/10/2006, p. 3) : "nous sommes dans un pays de droit, une entreprise qui fait des bénéfices ne peut licencier massivement."
* Alain Fouché, président du Conseil Général : "il faut bloquer cette décision prise trop rapidement et de façon trop autoritaire. Il faut qu’il y ait un moratoire de ces licenciements"
* Jean-François Macaire, premier secrétaire PS de la Vienne, vice-président du Conseil Régional : "le groupe Aubade Calida dont le capital est à 60% d’actions et 40% familial s’inscrit dans la logique de marges et répond certainement à des concentrations d’entreprises toujours plus denses qui créent des situations de quasi-monopole, engendrant des guerres féroces entre ceux qui restent pour se partager la part du marché à quelques uns (…) Nous manquons toutefois d’explications sur la logique de délocalisation d’Aubade vers les pays à faible coût salarial. Qui sera destinataire de ces marges résultant de l’économie de main d’œuvre ? Le consommateur ? Verrons nous demain, dans nos magasins, le prix de vente de cette lingerie de luxe baisser de façon significative ? Nous restons évidemment sans réponse… » (NR, 7 et 8 octobre 2006, p. 3)

Bref, comme le dit le journaliste de la NR, les élus, tous bords confondus, "sont révoltés contre ces licenciements injustifiés car la marque Aubade fait des bénéfices" (NR, 10/10/2006, p.3).

Bon, l’envie m’en démange, mais je ne commente pas plus avant : en effet, hasard de calendrier, une table ronde est organisée à l’Espace Pierre Mendès-France de Poitiers, jeudi 12 octobre, de 18h30 à 20h, à l’occasion de la sortie du numéro spécial de la Revue Economie et Société auquel différents chercheurs de la faculté de sciences économiques de Poitiers ont contribué. Numéro spécial et table ronde intitulés … Globalisation et gouvernances territoriales.

Avec comme participants, outre votre humble serviteur,  Jacques Léonard, directeur du laboratoire de la fac, Jean-François Macaire (cité ci-dessus), Alain Fouché (cité ci-dessus – add : il a décliné et sera remplacé par Jean-Yves Chamard, député UMP de la Vienne), Claude Rouleau (ancien président du Conseil Economique et Social Régional, l’actuel (Pierre Guénand) étant pris par ailleurs). Le tout animé par Marc Dejean, directeur départemental de la NR.

Nul doute qu’il y sera question des affaires Marie et Aubade (il en a déjà été longuement question lors de l’interview que Jacques Léonard et moi-même avons accordée à Marc Dejean, interview à paraître dans la NR demain matin 11 octobre). L’entrée est libre et gratuite (la table ronde s’inscrit dans le cadre de "la fête de la science"), les lecteurs poitevins de mon blog sont cordialement invités. Pour les autres, promis-juré, je reviens avec un billet compte-rendu de la table ronde très vite, puis, dans la foulée, avec un billet sur le cas Aubade.

TGV et développement économique

22 septembre 2006, on fête les 25 ans de la mise en service de la première ligne TGV reliant Paris et Lyon. Tout le monde se félicite de cette innovation, qui a considérablement réduit les distances entre les différents points de l’hexagone. Sur France Inter, le journaliste a indiqué, reprenant les propos d’un politique (je crois, j’ai «raté » le nom de la personne), que le TGV avait été « le meilleur outil de décentralisation »

 

En gros, l’idée est la suivante : la mise en place du TGV réduit considérablement les distances entre les différents points du territoire, donc les temps et coûts de transport, si bien que des territoires « isolés » peuvent maintenant entrer dans l’arène concurrentielle et assurer mieux que par le passé leur développement économique ; ils ne seraient plus victimes de leur éloignement. Cette idée simple est en fait particulièrement fausse, et ce pour plusieurs raisons.

 

Première raison, le déploiement du TGV ne s’est pas fait au hasard : il a d’abord conduit à réduire les distances entre les agglomérations les plus développées (à commencer par Paris-Lyon, bien sûr), ce qui renforce leur attractivité. Son déploiement se caractérise également par la place stratégique de Paris, nœud incontournable du réseau ferroviaire français : pour prendre mon petit exemple, mes déplacements Poitiers-Lyon, Poitiers-Marseille ou Poitiers-Grenoble me font systématiquement passer par la capitale. Au total, 80% des liaisons TGV passent par Paris.

 

Deuxième raison, le déploiement du TGV a conduit à une réduction importante des gares desservies (même si le nombre de gares TGV augmente). Si les grandes agglomérations continuent à être bien irriguées, des agglomérations de taille moyenne ont été mises à l’écart. D’autres territoires ne font qu’être traversés. Ceci se traduit par des effets tunnels, favorables une fois encore aux territoires déjà les plus développés.

 

Troisième raison : dans tout un ensemble de cas, c’est moins la distance ou le temps absolus de transport, mais la distance ou le temps relatifs. Prenons l’exemple de trois villes : Paris, Poitiers et Loudun (petite ville située en gros à une heure de Poitiers par la route). Avant TGV, la distance-temps Poitiers-Paris est disons de 3 heures. La distance Poitiers-Loudun est de 1 heure. Dans le parcours Loudun-Paris, le temps de transport Loudun-Poitiers pèse donc 25% du temps total. Après mise en place du TGV, la distance-temps Paris-Poitiers passe à 1h30. Le segment Loudun-Poitiers pèse donc maintenant 40% du temps total. Le temps de ce trajet résiduel pèse tant qu’il peut conduire à une révision des choix de localisation des acteurs, au profit de Poitiers, et au détriment de Loudun.

 

Cette structuration spécifique de l’espace français se retrouve dans la carte suivante, qui présente l’éloignement des villes par le réseau ferroviaire en durée, après mise en service du TGV méditerrannée.


 

Certes, la carte de France s’est rétrécie, mais certaines agglomérations ont bénéficié plus que d’autres de ce rétrécissement.

 

Quatrième raison, la plus importante : de manière générale, la réduction des coûts/temps de transport ne réduit pas, mais au contraire renforce la tendance à l’agglomération. Pour le comprendre, on peut s’appuyer sur des analyses déjà anciennes de l’économie spatiale, reprises et dévéloppées plus récemment par l’économie géographique, notamment son chef de file, Paul Krugman. L’idée est simple mais puissante : les choix de localisation des activités dépendent de la comparaison des forces de dispersion (forces centrifuges), d’une part, et des forces d’agglomération (forces centripètes), d’autre part. Quand les forces de dispersion diminuent et que, dans le même temps, les forces d’agglomération augmentent, on assiste logique à un accroissement de la polarisation de l’activité économique. Or, les coûts de transport sont des forces de dispersion, si bien que leur réduction renforce la polarisation.

 

Petit exemple pour le comprendre : considérons une entreprise localisée en Ile de France, et une entreprise concurrente localisée en Poitou-Charentes. La première fabrique 100 unités du bien, la seconde 10 unités (le marché local desservie par la première est plus grand). Dès lors que l’activité productive est à rendements croissants, le coût unitaire de production de la première entreprise sera plus faible que celui de la deuxième. Disons 1€ pour la première entreprise, contre 1,2€ pour la deuxième. Supposons maintenant que le coût unitaire de transport entre Paris et Poitiers soit de 0,3€. Dans cette configuration, l’entreprise parisienne ne pourra pas vendre en Poitou-Charentes, puisque le coût total unitaire (coût de production + coût de transport) sera de 1,3€, contre 1,2€ pour l’entreprise pictave. Cette dernière est protégée par la distance, elle se trouve en situation de monopole spatial.

 

Supposons maintenant que les infrastructures et les moyens de transport se développent. Ceci conduit à une réduction du coût unitaire de transport entre Paris et Poitiers qui passe, disons, de 0,3 à 0,1€. Dès lors, l’entreprise parisienne devient compétitive, puisque son coût total unitaire passe à 1,1€ contre 1,2€ pour l’entreprise de Poitiers (ajoutons qu’au fur et à mesure qu’elle remporte des parts de marché, l’entreprise parisienne renforcera son avantage en vertu des rendements croissants). On est finalement conduit, suite à la réduction des coûts de transport, à la concentration de la totalité de l’activité en région Ile de France.

 

Tout ceci ne signifie pas qu’il faille condamner la mise en œuvre de ce type d’infrastructures. Elle a permis à certaines grandes agglomérations d’accélérer leur développement (Lyon) ou de redynamiser le territoire après des crises importantes (Lille). Il s’agit parfois d’une condition nécessaire du développement, jamais d’une condition suffisante. De plus, la réduction des coûts de transport, en permettant de bénéficier encore plus des rendements croissants, conduit à produire plus de richesses avec autant de ressources (ou autant avec moins de ressource : si l’on reprend les chiffres de l’exemple, en raisonnant à production constante de 110, on s’aperçoit que le coût total de production passe de 113 à 112 – en passant, ceci devrait faire réfléchir les partisans de la décroissance qui considèrent que produire localement, vu que ça permet de supprimer des coûts de transport, c’est toujours mieux…). Dit autrement, la richesse par habitant dans l’ensemble du pays augmente. Mais croire que la mise en place de ce type d’infrastructures permet à elle seule de faire du développement économique local est particulièrement faux.

 

A partir de ce petit exemple, on est peu éloigné, au final, de réflexions plus générales sur le caractère ambivalent de la mondialisation (cf. récemment les propos de Stiglitz) : la réduction des coûts de franchissement de la distance à l’échelle mondiale (coût de transport, barrières tarifaires et non tarifaires, …) permet de créer plus de richesses (effet favorable de la mondialisation sur la croissance), mais renforce dans le même temps les inégalités (spatiales et sociales). D’où la question des moyens de dynamiser les territoires en retrait, et celle de la redistribution (à l’échelle nationale, européenne et mondiale) des richesses créées.

 

PS : ce billet a été rédigé dans le TGV…

 

L’attractivité de la France

Ernst & Young a développé depuis 1997 une base de données sur les projets d’investissements directs étrangers (IDE) en Europe. Une synthèse des résultats 1997-2005 est téléchargeable gratuitement.

Quelques commentaires sur les principaux  résultats :

1. Un nombre de projets important, qui tend à augmenter sur les deux dernières années, preuve d’une certaine attractivité de l’Europe dans son ensemble :


2. Les projets sont développés pour l’essentiel par des firmes de pays développés. De 1997 à 2005, on observe un accroissement du poids des projets intra-européens, et un recul des projets nord-américains :




3. En 2005, le Royaume-Uni (559 projets) et la France (538 projets) sont aux deux premiers rangs du classement, largement devant les autres pays (le troisième est l’Allemagne avec 181 projets). De 1997 à 2005, le nombre de projets diminue au Royaume-Uni et augmente en France. Ceci s’explique en partie par le recul des IDE américains en Europe  et l’accroissement des projets intra-européens:



La place de la France ne manque pas de surprendre Ernst&Young :

The continually strong performance of France is interesting. If there is a perception that the decline in the market share of the UK in securing projects has been caused by the emergence of lower cost economies, then how does that explain the success of France, a relatively high cost economy, in securing increasing levels of investment projects.
Une partie de l’explication tient sans doute au fait de leur mauvaise analyse des différentiels de coûts, comme en atteste l’étude commentée dans un précédent billet.

Sont présentés ensuite des résultats plutôt intéressants par secteur d’activité.

Certains diront qu’il s’agit de projets déclarés par les entreprises, et qu’il peut y avoir loin du projet à la réalisation. Certes. Mais les statistiques sur les IDE passés montrent que la France a été jusqu’à présent très attractives. Difficile de parler de désindustrialisation. L’analyse des intentions d’investissement montre que la situation n’est pas en train de s’inverser. En dépit de l’impossibilité des réformes. En dépit de la faible compétitivité coût de la France. En dépit des dépenses publiques qui ne servent à rien. En dépit des grèves à répétition. En dépit de l’inadéquation entre système éducatif et système productif. etc, etc, etc…

Avant de proposer des réformes, autant identifier les bons problèmes, il paraît que ca peut servir…

De l’utilité du modèle HOS…

L’un des modèles importants de l’économie internationale est le modèle HOS (Heckscher – Ohlin – Samuelson). Il explique la spécialisation des pays par les dotations en facteurs de production. Il stipule plus précisément qu’un pays a intérêt à se spécialiser dans la fabrication du bien qui utilise intensivement le facteur (relativement) abondant du pays (pour quelques développement, cf.  ici). Le capital est relativement abondant aux Etats-Unis, le travail relativement abondant au Mexique, logique que le premier pays se spécialise dans la fabrication des biens qui utilisent intensivement le capital, le Mexique se spécialisant dans la fabrication des biens qui utilisent intensivement le travail ; les deux pays s’échangeant ensuite les biens fabriqués (Logique mais démenti par Léontieff (d’où le paradoxe eponyme), qui montra que les Etats-Unis étaient spécialisés dans la fabrication de biens utilisant intensivement du travail. Paradoxe que l’on peut lever, si on distingue travail qualifié et travail non qualifié).
Bon, ce modèle souffre de plusieurs limites, je ne m’étends pas ; il explique notamment très mal le fait que les échanges internationaux concernent pour l’essentiel des pays aux dotations similaires. Si bien qu’en faire la grille de lecture de référence pour comprendre l’évolution actuelle des relations économiques internationales n’est pas très pertinent. Mais, et c’est là où je voulais en venir, il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain : il explique plutôt bien, par exemple, la division du travail à l’échelle internationale qui a été opérée pour livrer aux consommateurs du café Starbucks (source ici) :


Le Brésil est premier producteur mondial de sucre ; Canada, Etats-Unis, Finlande et Suède sont les principaux producteurs et exportateurs de papier ; le café provient d’Amérique Centrale et d’Afrique de l’Est, etc… On se divise donc le travail entre tout ce "petit monde", et on va livrer ça aux consommateurs de la planète.

A ce sujet, on notera que la géographie de la demande est plutôt marquée, comme quoi on est encore loin d’une uniformisation des habitudes de consommation (Personnellement, je n’ai jamais bu de ce doux breuvage, j’attends le "retour d’expérience" des lecteurs de ce blog!).

[à noter d’autres infographies plutôt intéressantes sur le même site]

Fracture sociale

L’image du mois (merci Daniel)

Exemple extrême de ségrégation spatiale… Un peu partout, des exemples de ce genre, en plus ou moins marqués, sont observés. Immédiatement, on pense au syndrôme Nimby (Not In My BackYard), et l’on se dit que les individus doivent être vraiment intolérants pour que de telles situations émergent.

Et bien non, les comportements d’individus tolérants peuvent conduire à ce type de résultat. Petit jeu pour vous en convaincre.
Prenez un échiquier (64 cases) sur lequel vous disposerez alternativement des ronds et des croix (ou des pions noirs et des pions blancs, ou ce que vous voulez) comme suit :

L’échiquier – La Ville
O X O X O X
O X O X O X O X
X O X O X O X O
O X O X O X O X
X O X O X O X O
O X O X O X O X
X O X O X O X O
X O X O X O

Ces pions sont tolérants, car ils acceptent d’avoir des voisins différents d’eux, mais seulement partiellement tolérants, car ils ne seront heureux que si un tiers au moins de leurs voisins est de même nature qu’eux. En fonction du nombre de voisins d’un pion, le nombre de voisins nécessaire pour que ce pion soit heureux est donc le suivant :

Nombre de voisins Nombre de voisins identiques pour être heureux
1 ou 2 1
3, 4 ou 5 2
6, 7 ou 8 3

Sous ces conditions, on peut vérifier que la configuration initiale ci-dessus est stable : tous les pions sont heureux.

Supposons maintenant que certaines personnes (les pions) veulent déménager du quartier (l’échiquier). D’autres veulent s’y installer. Pour simuler ce mouvement, enlevez 20 pions au hasard et ajoutez sur 5 des 20 cases libérées des pions ronds ou croix (choisis également aléatoirement).Certains pions sont dès lors mécontents : ils migrent vers une case où ils redeviennent contents. Ce faisant, ils affectent la situation d’autres individus, qui, à leur tour, vont migrer. Le processus se poursuit jusqu’à l’équilibre.

Si vous jouez à ce jeu, vous aboutirez immanquablement a de la ségrégation spatiale, avec constitution de groupes homogènes de ronds et de croix. On est dans une logique interactionnsite, dans laquelle les interactions microéconomiques produisent des régularités macroéconomiques qui peuvent être contradictoires avec les préférences des individus : je le rappelle, les individus du jeu n’ont pas comme règle de comportement la recherche de la ségrégation, celle-ci est un produit de leurs comportements plutôt tolérants.

Ce petit jeu a été proposé il y a une trentaine d’année par Thomas Schelling, dans son ouvrage Micromotives et Macrobehaviors, joliment traduit en Français sous le titre La tyrannie des petites décisions. Si, en plus, vous rajoutez des politiques d’éducation, de logement ou sur le marché du travail qui procèdent par zonage, comme c’est souvent le cas, vous ne ferez que renforcer la ségrégation spatiale (C’est en tout cas le point de vue que je défends dans les nouvelles géographies, p. 208 et suivantes). Les solutions ne sont pas simples, mais une politique de mixité, à la fois au niveau du logement et de l’éducation, semblent incontournables, politique qu’aucun élu local ne souhaitera initier. A charge donc pour le gouvernement de les y "inciter"…

Les IDE en Europe

La surmédiatisation des délocalisations vers la Chine, l’Inde, les Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO), etc… conduit une majorité de la population (du moins c’est mon sentiment) à penser que l’essentiel des investissements productifs vont des pays développés vers des pays en développement. Pour la France, on en déduit (beaucoup trop rapidement) qu’un processus de désindustrialisation est à l’oeuvre.

Dans Les nouvelles géographies du capitalisme, j’explique, statistiques à l’appui, que tel n’est pas le cas : l’investissement direct étranger de la France, par exemple, se dirige pour environ 80% dans des pays de niveau de développement comparables (54% dans les pays de l’UE à 15, 25% aux Etats-Unis). Parallèlement, la France est une des principales terre d’accueil des IDE (2ème à 4ème rang des pays développés, selon les années).

Une étude complémentaire parue dans le numéro de décembre 2005 de la Revue d’Economie Appliquée permet de compléter le diagnostic. Elle concerne l’UE à 25, et analyse le poids des différents pays dans les IDE sortants, d’une part, et dans les IDE entrants, d’autre part.

parts du marché européen de l’IDE entrant et sortant
Stock IDE entrant
Stock IDE sortant
1993 1999 2003 1993 1999 2003
UE 15 97,3% 95,5% 94,8% 99,8% 99,8% 99,7%
PECO10 2,7% 4,5% 5,2% 0,2% 0,2% 0,3%
Total 100% 100% 100% 100% 100% 100%


Constat évident : l’essentiel des mouvements de capitaux observés en Europe se fait entre pays développés. Ce qui ne veut pas dire que rien ne bouge : le poids des PECO10  a quasiment doublé de 1993 à 2003, et l’on peut penser que la tendance va se poursuivre. Mais de là à affirmer que les pays développés se désindustrialisent…

Source : Andreff M., Andreff W.,  2005, "La concurrence pour l’investissement direct étranger entre les nouveaux et les anciens membres de l’Union Européenne élargie", Economie Appliquée, 58(4), p. 71-106.