Disparités territoriales

Numéro très
alléchant
d’Economie et Statistique n°415-416, mars 2009, sur les disparités spatiales. Avec notamment un article de Duguet,
Goujard et L’Horty sur les inégalités territoriales d’accès à l’emploi, dont voici le résumé :

Les inégalités territoriales d’accès à l’emploi sont analysées à un niveau géographique très fin, celui de la commune, sur tout le territoire métropolitain, pour deux populations : les
chômeurs inscrits à l’ANPE et les allocataires du RMI. Les données utilisées sont issues de deux sources administratives exhaustives portant sur ces populations. Globalement, les inégalités
d’accès à l’emploi selon la commune de résidence sont très marquées. Cependant, des groupes de communes contigües présentent des chances d’accès à l’emploi, uniformément faibles ou élevées, sur
de larges parties du territoire français. Les écarts d’une localité à l’autre demeurent élevés lorsque l’on neutralise les différences de composition sociodémographique de la population entre
communes, ce qui confirme l’existence d’un effet spécifique du territoire. Les déterminants théoriques de l’économie spatiale sont introduits dans l’analyse pour expliquer cet effet territorial.
La localisation des activités et les problèmes de distance physique à l’emploi ont effectivement un impact fort, mais les inégalités territoriales d’accès à l’emploi peuvent également s’expliquer
par des effets de ségrégation résidentielle et de réseaux sociaux.

Un autre article de Blanc et Hild sur les liens entre taux de sortie du chômage et taux de chômage, résumé :

Cette étude vise à éclairer le fonctionnement des marchés locaux du travail en analysant les disparités infra-régionales de deux indicateurs de l’état du marché du travail : le taux de sortie
du chômage vers l’emploi et le taux de chômage. L’analyse est menée au niveau des zones d’emploi. La cartographie des taux de sortie du chômage ne recouvre pas exactement celle des taux de
chômage. Une modélisation de ces deux taux est réalisée. Elle met notamment en évidence que l’intensité de l’effet de certaines variables diffère selon l’indicateur de l’état du marché du travail
considéré. Dans la majorité des cas les zones où le taux de retour à l’emploi est élevé (resp. faible) enregistrent également un taux de chômage faible (resp. élevé). Mais il existe aussi
d’autres configurations dont on essaye d’expliquer le caractère à première vue surprenant.

Cet autre encore, de Behaghel, sur la dynamique spatiale des écarts de revenu :

La stabilité globale des écarts de revenu (après transferts et avant impôt) observée en France, entre 1984 et 2002, masque des évolutions significatives au sein du territoire. Tout d’abord,
hors Île-de-France, l’écart se résorbe systématiquement entre pôles urbains, d’une part, et entre espaces périurbain et rural, d’autre part. Ensuite, au sein de ces trois différents espaces, les
inégalités semblent prendre des trajectoires différentes : elles croissent davantage dans les pôles urbains que dans les communes des espaces périurbain et rural. Le rattrapage effectué par les
espaces périurbain et rural s’explique statistiquement par la convergence des trois types d’espaces en termes de composition socioprofessionnelle et par le fait que les statuts d’emploi évoluent
plus favorablement pour les ménages périurbains et ruraux que pour les ménages des pôles urbains. Il est plus difficile de rendre compte statistiquement des évolutions contrastées de la
dispersion des revenus au sein de chaque espace : ces évolutions sont plus ténues, plus erratiques et la part attribuée aux différentes composantes dépend de l’ordre dans laquelle la
décomposition est menée. Un résultat ressort néanmoins avec robustesse : la tendance plus inégalitaire au sein des pôles urbains tient en partie à la composition de plus en plus contrastée de la
population en termes de catégories socioprofessionnelles et d’accès à l’emploi.

Ca réforme dur!

En 2005, la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) est devenue la Diact
(Délégation interministérielle à l’aménagement et la compétitivité des territoires). Un décret présenté en conseil des ministres le mercredi 9 décembre 2009 décide de modifier de nouveau le nom :
il s’agira désormais de la Datar
Mais attention, ce n’est pas la même chose, la Datar, ca signifie maintenant  “Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale” (on devrait donc
dire la Diatar, mais ca donne un peu la diarrhée nausée).

On est donc passé de “l’action régionale” à la “compétivité des territoires”, puis à “l’attractivité des territoires” (Quelle audace! Je vous laisse interpréter le glissement sémantique).

(bon, c’est pas tout ça, mais va falloir modifier tous les logos, papiers à lettre, sites web… ca va bosser dur à la Datar!).

source : ici, merci
à Maud pour l’info.

Interview France Culture

Le magazine de la rédaction de France Culture, diffusé ajourd’hui à 18h10, est consacré à la
situation de l’industrie sur Châtellerault. Olivier Danrey est venu m’interroger, ainsi que Marie Ferru, qui a notamment comme terrain de thèse le bassin industriel châtelleraudais. Certains de
nos propos devraient être repris dans l’émission.

J’avais mis en ligne il y a quelques temps une petite note statistique sur l’industrie du châtelleraudais. Vous pouvez également consulter ce document de travail de Marie Ferru, intitulé “”La trajectoire cognitive des territoires : le cas du bassin industriel de Châtellerault”. Une version révisée est à paraître
dans la Revue d’Economie Régionale et Urbaine en 2009.

L’étude approximative de l’UFC Que Choisir sur le défaut de concurrence locale

“Hypermarchés : le défaut de concurrence peut provoquer jusqu’à 20% de perte de pouvoir d’achat”. C’est le titre d’un article des Echos, qui reprend le commentaire le plus spectaculaire des conclusions d’une étude
de l’UFC Que Choisir, dont le résumé se trouve ici,
les données détaillées , et d’autres documents
encore

En gros,la méthodologie est la suivante : Que Choisir a travaillé sur 634 zones de chalandise, classées en non concurrentielles (1 seul
hypermarché sur la zone), moyennement concurrentielles (2 hypers) et concurrentielles (plus de 2 hypers). Sont ensuite calculés des indices de cherté, chaque indice étant égal à “l’écart entre
les prix moyens de l’enseigne en question et les prix moyen du groupe auquel l’enseigne appartient”. Un indice pour les marques nationales, un indice pour les marques distributeurs et un
indice synthétique, qualifié d’indice de cherté du panier. En se concentrant sur ce dernier, et en croisant indice de cherté et degré de concurrence, la conclusion de l’étude est la
suivante :

En moyenne nationale, un hypermarché situé dans une zone non concurrentielle sera 1,30% plus cher qu’un hypermarché du même groupe
situé dans une zone concurrentielle. Le relevé ayant été effectué lors d’une période de prix bas, septembre 2007, il s’agit d’un écart de prix sous estimé. Par ailleurs, cette moyenne cache
des écarts de prix locaux beaucoup plus importants pouvant aller jusqu’à 20%.

Par exemple, à Marseille, le consommateur paiera au Carrefour du 15ème arrondissement, en position dominante, 5,5% de plus qu’au
Carrefour du 8ème arrondissement. Cela représente pour un ménage moyen un surcoût annuel de l’ordre de 230 euros. Dans le département de la Gironde, un ménage qui fait ses courses au Leclerc
de Talence, qui est dans une zone non concurrentielle, paiera 9,3% plus cher qu’au Leclerc de Port-Ste-Foy-et-Ponchapt, en concurrence avec un Géant Casino. Déménager, permettrait au ménage
de Talence de faire une économie annuelle d’environ 392 euros en moyenne !

Par conséquent, il apparait évident que les distributeurs, notamment Carrefour et Auchan, adaptent leur politique de prix à
l’environnement concurrentiel local. Cette stratégie peut s’avérer très payante dans la mesure où notre étude montre que seules 26,9% des 634 zones de chalandise de notre étude peuvent être
considérées comme potentiellement concurrentielles.

Ce manque flagrant de concurrence sur les zones de chalandise doit être imputé à la réglementation relative aux implantations
commerciales, dite « loi Royer/Raffarin », mise en place pour protéger le petit commerce.

Quelques remarques, dont certaines s’appuient sur des calculs complémentaires (réalisés en partenariat avec mes statisticiens préférés,
Françoise et Christian, que je remercie en passant!).

Première remarque : je suis surpris (façon de parler…) par la façon dont l’UFC commente ses résultats, et par la façon dont les médias
relaient ces commentaires (voir le titre des Echos) : la conclusion essentielle de l’étude, me semble-t-il, est que les écarts de prix entre zones non concurrentielles et zones
concurrentielles, certes existent, mais sont finalement assez peu importants, de l’ordre de 1,30% en moyenne. Bien sûr, si on se concentre sur les cas extrêmes, et on trouvera toujours, dans
toute étude, des cas extrêmes, on peut arriver à dire le contraire, mais ça me semble moyennement honnête intellectuellement… D’autant moins honnête que l’écart de 20% mentionné n’est pas un
écart observé sur une même zone, ni même dans un même département, mais l’écart entre l’indice de cherté le plus fort, et l’indice de cherté le plus faible observé France entière. Ayant calculé
les plus grands écarts observés par département, on obtient un chiffre de 13% au plus, pour les départements 22 et 52, sachant qu’en moyenne l’écart au sein d’un département est de 4% (écart type
de 3%).

Deuxième remarque : même si l’on considère que ce type de démarche est recevable, et si on se focalise sur l’écart extrême de 20%, dire que
cet écart est synonyme de perte de 20% de pouvoir d’achat est fortement critiquable, car on fait abstraction du poids du budget alimentaire dans l’ensemble de la consommation des ménages. Sachant
que ce poids tourne autour de 17%, une variation de 1,3% impacte grosso modo leur pouvoir d’achat de 0,2% ; et si on retient le cas des 20%, on arrive à un impact de 3,4%, non pas de 20%.

Troisième remarque : les auteurs de l’étude ne testent pas le caractère significatif ou non des résultats obtenus. Mais je les rassure toute
de suite, sur la base de leurs chiffres, il s’avère que les écarts obtenus sont effectivement significatifs, notamment lorsqu’on compare les zones non concurrentielles et les zones moyennement
concurrentielles (l’écart de prix étant en moyenne de 0,97%). La conclusion la plus rigoureuse serait donc : “défaut de concurrence locale : un impact faible mais significatif sur le pouvoir
d’achat des ménages”. Moins vendeur, c’est vrai…

Quatrième remarque : au-delà des différences dans  les résultats moyens, on observe des différences dans la dispersion des résultats.
Notamment : l’écart-type des résultats pour les zones non concurrentielles est de l’ordre de 2,5%, contre 1,5% pour les deux autres types de zones. Bref, il semblerait qu’en l’absence de
concurrence locale, les pratiques en termes de prix soient plus hétérogènes. Un bémol cependant : cette valeur élevée de l’écart-type résulte pour une bonne part des valeurs observées pour une
dizaine des 209 zones non concurrentielles, comme on peut le voir sur ce graphique, qui reprend la valeur de l’indice (base 100) des 209 zones rangées par ordre croissant :




Si on étudie plus précisément ce groupe de zones non concurrentielles, on observe que 93 des 209 zones, soit 44%, ont un indice de cherté pour
le panier inférieur à la moyenne de l’ensemble des zones. Certes, ça en fait une majorité avec un indice supérieur à la moyenne (56%), mais un bon nombre d’enseignes, pourtant protégées de la
concurrence, ne semblent pas vraiment en profiter. L’étude de l’UFC leur permettra peut-être de s’en rendre compte, ils pourront alors se dépêcher d’augmenter leurs prix… Plus sérieusement, sur
la base de ce constat, on peut se dire que d’autres éléments jouent dans le niveau des prix.

Cinquième remarque : les résultats obtenus pour l’indice de cherté MDD et l’indice de cherté Marques nationales diffèrent, qu’il s’agisse des
moyennes ou des écarts types, même si le classement des zones reste le même (résultats moyens supérieurs et dispersion plus grande pour les zones les moins concurrentielles). De plus, on observe
que les indices de cherté MDD et Marques nationales sont plutôt mal corrélés (R² de 0,22). Un peu puzzling comme résultat : si l’absence de concurrence permet de monter les prix,
pourquoi le faire pour les marques nationales et pas pour les MDD (ou inversement)?

Ce qui m’amène à la sixième et dernière remarque, sans doute la plus importante : en étudiant la relation indice de cherté = f(nombre de
concurrents), l’UFC fait comme si aucune autre variable ne jouait sur le niveau des prix pratiqués dans les zones. Or, il existe d’autres déterminants. Petit exemple parmi d’autres : les
zones du territoire diffèrent par le prix du foncier commercial, ce qui conduit, pour les établissements s’implantant dans les zones, à des différences de coûts fixes. Toute chose égale par
ailleurs, une enseigne s’implantant dans une zone où le foncier commercial est relativement plus coûteux pratiquera des prix relativement plus importants qu’une même enseigne s’implantant dans
une zone où le foncier est moins cher. De manière plus générale, tous les éléments locaux qui conduisent à des écarts de coûts fixes peuvent expliquer une partie des écarts de prix pratiqués. On
peut sans doute même pousser un cran plus loin le raisonnement : sur certains territoires, le niveau des coûts fixes peut constituer une barrière à l’entrée. On verra dès lors moins
d’hypermarchés sur la zone, pratiquant des prix plus élevés qu’ailleurs, mais ce n’est pas le faible nombre de concurrents qui explique le niveau des prix, mais le niveau des coûts
fixes.

Le rôle des coûts fixes ressort en tout cas clairement d’une étude plus rigoureuse réalisée sur le cas anglais, dont une synthèse est
visible ici. Elle montre que l’impact de la régulation des implantations sur les prix proposés aux consommateurs
existe, qu’il est statistiquement significatif, mais qu’il est faible, une bonne partie des différences s’expliquant plutôt par des écarts de coûts fixes. J’ai vaguement l’impression qu’on
obtiendrait les mêmes résultats pour la France…

L’Ile de France est-elle surproductive?

Lorsqu’on rapporte le revenu par habitant de l’Ile de France au revenu par habitant de l’ensemble du pays, on obtient, en 2005, un indice de 123 : le niveau de vie en IDF est 23% plus élevé que dans les autres régions. Quand on effectue le même calcul en s’appuyant sur le PIB par habitant, l’indice monte à 152. La différence entre les deux chiffres s’explique par différents mécanismes de redistribution longuement analysés par Davezies, l’idée de base étant qu’une partie des richesses créées en IDF sont distribuées et/ou redistribuées sous formes de revenu dans les autres régions.

J’ai vaguement l’impression que certains tirent de ces chiffres l’idée que la “compétitivité française” serait avant tout celle de l’Ile de France, les autres régions vivant au crochet de la région capitale, sans même lui en être reconnaissant… A commencer par Davezies, dans un article pour La vie des idées,  dans lequel il s’inquiète du déclin de la métropole francilienne qu’il considère comme “à la fois le meilleur atout français dans la nouvelle économie mondialisée et la principale – presque l’unique – pompe à redistribuer les richesses créées – via les budgets publics et sociaux – vers le reste du pays”. Pour continuer avec Missika, qui critique l’analyse de Davezie du déclin francilien, mais titre sa contribution “Paris, ville-monde dans une France endormie”.

Un examen un peu attentif des données conduit cependant à nuancer ce genre de propos. Dotons nous d’un objectif : mesurer la productivité des régions.Premier indicateur possible, le PIB par habitant, abondamment utilisé pour les comparaisons internationales et interrégionales de productivité.

En rapportant la valeur observée en Ile de France à la valeur France entière, on obtient ce graphique :



Soit une surproductivité de plus de 50% depuis 1990, avec certes quelques variations, mais plutôt négligeables.

Le problème, c’est que le PIB par habitant est un assez mauvais indicateur de productivité, car tous les habitants ne participent pas à la création de richesses, ils n’ont donc pas à être comptabilisés au dénominateur. Un meilleur indicateur est le PIB par emploi, rapport entre les richesses créées et les personnes effectivement mobilisées pour créer ces richesses. Le lien entre ces deux indicateurs est simple à établir :

PIB/H = PIB/L * L/H

avec L le nombre de personnes effectivement mobilisées.

Autrement dit, le PIB part habitant de certaines régions peut être plus important non pas en raison d’une productivité supérieure, mais parce que le rapport L/H y est plus important (ce qui résulte de différentes choses, notamment des considérations démographiques : part moins importante de personnes âgées qui ne sont plus en âge de travailler par exemple ; ou par des différences de taux de chômage).

 Comme on dispose des données sur le PIB par emploi, on peut reprendre et modifier notre graphique :



La surproductivité de 50% est sérieusement entamée, elle tombe à 30% en fin de période. On observe tendanciellement une hausse relative de la productivité apparente du travail de l’Ile de France et une baisse relative de L/H.

Est-ce tout? Non, toujours pas… Les différences de productivité observées à une échelle macro-régionale peuvent en effet s’expliquer par des différences de spécialisation des régions, plus que par des différences intrinsèques de productivité. On retrouve la même idée que dans mon billet consacré aux différences d’intensité technologique entre pays européens.

Pour mesurer l’importance des effets de spécialisation, on peut s’appuyer sur ce que l’on appelle une analyse structurelle-résiduelle, qui permet de dissocier, dans l’écart total de productivité entre une région donnée et l’ensemble de référence, l’écart que l’on peut attribuer au jeu des spécialisations (écart structurel) et l’écart résiduel (ou écart géographique).

Petite difficulté cependant, pour mesurer cela, il faut disposer des valeurs ajoutées et des personnes employées par secteur. Or, si on dispose bien des valeurs ajoutées (seulement jusqu’en 2005 cependant), je n’ai trouvé les données que pour les effectifs salariés, non pas pour salariés et non salariés. J’ai donc dû recalculer une productivité apparente du travail (notée PIB/L*) avant de faire la décomposition entre écart structurel et écart résiduel. Or, on observe un certain écart entre PIB/L et PIB/L* :



Ce qui devrait s’expliquer logiquement par le fait que les non salariés sont moins nombreux en Ile de France que dans les autres régions, ce que j’ai pu vérifier au niveau macro-régional, à partir de ces données (la part des non salariés est de 6% en Ilde de France en 2005, c’est la part la plus faible (hors Corse), à comparer à la moyenne France entière de 9%).

Que nous donne la décomposition écart structurel/écart résiduel? Ceci :



Conclusion ? L’écart initial de productivité de 50% que l’on croyait lire dans les statistiques de PIB par habitant est tombé, après ces quelques décompositions, à un peu plus de 10%. Et encore : la décomposition s’appuie sur une décompostion de l’activité en NES 36. Une décomposition plus fine (mais les données ne sont pas disponibles) pourrait faire apparaître un écart structurel plus forte (l’écart résiduel observé étant décomposé en un écart structurel à une échelle plus fine et un nouvel écart résiduel).

 Au final, l’Ile de France présente donc une productivité macro-régionale supérieure à celle des autres régions françaises, mais les différences sont loin d’atteindre le niveau que certains ont en tête. Une bonne partie des écarts de PIB par habitant s’explique par des écarts démographiques ou de taux de chômage (qui jouent sur L/H) et par des différences de spécialisation. Titrer “Paris, ville-monde dans une France endormie”  a donc de quoi hérisser le poil d’un économiste, surtout lorsqu’il est localisé en province… 

France 3 Poitou-Charentes

interview à venir pour France 3 Limousin Poitou-Charentes, enregistrée vendredi 5 décembre, diffusée samedi 6 décembre
entre 11h30 et 12h, visible ensuite en passant  ici. Sujet : impact de la crise sur
l’économie de la région…
Je serai “aux prises” avec Jean-Marie Giraudeau (secrétaire général comité régional CGT) et Marie-Christine Bolinches (déléguée générale MEDEF Vienne).

Les régions qui gagnent, et celles qui perdent…

Document Insee Première n°1162 particulièrement intéressant sur les niveaux de vie
et la pauvreté en France, par région et par département. Les différences de niveaux de vie permettent de repérer les régions « riches » et les régions « pauvres ».
L’indicateur retenu est le niveau de vie médian. Le rapport inter-décile entre le niveau de vie plancher des 10 % d’individus les plus aisés et le niveau de vie plafond des 10 % les
plus pauvres permet de mesurer l’ampleur des inégalités, et de distinguer des régions « inégalitaires » et des régions « égalitaires ».

Si l’on s’accorde sur l’idée que l’objectif économique essentiel de tout territoire est d’assurer à l’ensemble des habitants un niveau de vie élevé et croissant, ces données
permettent de repérer les régions qui atteignent mieux que d’autres cet objectif, étant entendu que quatre possibilités existent : régions riches égalitaires, régions pauvres égalitaires,
régions riches inégalitaires, régions pauvres inégalitaires.

Les quelques calculs que j’ai pu effectuer sur les données Insee disponibles en ligne montrent que la corrélation entre niveaux de vie et degré d’inégalités est mauvaise, au niveau des régions
comme au niveau des départements : le R² au niveau des régions est de 0,1351, la corrélation est faiblement positive (plus on est riche, plus on est inégalitaire). Si on enlève l’Ile de
France, le R² tombe à 0,0945, la corrélation est cette fois faiblement négative. Résultats à interpréter avec précaution, puisque la population est de 22 régions (21 quand on enlève l’Ile de
France). Au niveau des départements, le R² est de 0,3193, corrélation positive. Mais quand on enlève les deux départements les plus riches (75-Paris et 92-Haut de Seine), le R² tombe à 0,0928.
Bref, corrélations mauvaises, on a des territoires dans les quatre situations.

Pour compléter un peu, j’ai donc construit un tableau croisé régions riches/pauvres en ligne (niveau de vie supérieur/inférieur à la moyenne simple), et régions égalitaires/inégalitaires en
colonne (rapport interdécile D9/D1 inférieur/supérieur à la moyenne simple). On obtient le tableau suivant :

 
Régions
« Egalitaires »
« Inégalitaires »
« Pauvres »
 
Auvergne
Champagne-Ardenne
Picardie
Limousin
Poitou-Charentes
Basse-Normandie
Bourgogne
Pays de la Loire
Lorraine
Corse
Languedoc-Roussillon
Midi-Pyrénées
Nord-Pas-de-Calais
« Riches »
Aquitaine
Bretagne
Franche-Comté
Haute-Normandie
Centre
Alsace
Ile-de-France
Provence-Alpes-Côte d’Azur
Rhône-Alpes
 
Aquitaine, Bretagne, Franche-Comté, Haute-Normandie, Centre et Alsace sont, sur la base de ces calculs, les régions les plus performantes. La Corse, le
Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et Nord-Pas-de-Calais, en revanche…

La TVA sociale, une arme anti-délocalisations?


tva.jpg
Retour
tranquille de vacances et plus rapide sur la TVA sociale, pour souligner un paradoxe.

On le sait, la TVA sociale a été introduite notamment par l’Allemagne. Le gouvernement français estime qu’elle est à l’origine des bons résultats
économiques de ce pays, il souhaite donc reprendre la mesure. Elle a été rebaptisée par François Fillon TVA
anti-délocalisations
. J’en avais parlé ici assez longuement, puis .

Or, qu’apprend-on dans les Echos ? Que « Le
ministère fédéral des Finances prépare un texte de loi visant à taxer les bénéfices réalisés par les entreprises allemandes grâce à des délocalisations à l’étranger (…)
les deux objectifs
recherchés étant de taxer les bénéfices réalisés à l’occasion de délocalisations dans des pays où le coût de la main-d’oeuvre est moins élevé qu’en Allemagne et, indirectement, de freiner cette
stratégie qui contribue à l’appauvrissement de l’activité industrielle dans ce pays qui compte encore 3,7 millions de demandeurs d’emploi ». Les industriels s’inquiètent de
cette initiative, en expliquant que « L’Allemagne ne serait jamais devenue championne du monde de l’exportation en n’investissant pas tous les ans plusieurs dizaines de milliards d’euros à
l’étranger et, il faut le reconnaître, en délocalisant une partie de sa production» (Sur les aspects ambivalents des délocalisations, voir ce billet).

20
minutes
reprend l’information et complète un peu en renvoyant sur mon blog, pour signaler que les délocalisations représentent  4,5% des emplois détruits en France,
contre 7,2% en Allemagne (pour une moyenne de 5,9% dans les pays européens enquêtés par l’European Restructuring
Monitor
).

Donc, si je résume : le gouvernement français veut reprendre une mesure du gouvernement allemand pour lutter contre les délocalisations, alors même
que ce pays délocalise plus que la France (même si, comme dit à de multiples reprises sur mon blog, les délocalisations pèsent globalement peu, en France comme en Allemagne, dans
l’ensemble des emplois détruits), que le gouvernement allemand s’en désespère, et que les industriels considèrent que ces délocalisations sont une des composantes de la réussite de ce pays en
matière d’exportations.

Je ne sais pas vous, mais moi, quelque chose m’échappe dans le raisonnement de notre gouvernement. Mais sans doute le
rapport Besson sur la TVA sociale
va-t-il très bientôt nous éclairer sur ce point, comme sur tous les autres…

Libéblog – Attractivité de la France : du discours aux faits


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Libération
m’avait sollicité pour participer à un blog (en compagnie de Bruno Amable, Alexandre Delaigue et Peirre-Yves Géoffard) pendant la campagne
présidentielle (titre : La Campagne Déchiffrée). L’expérience continue avec un nouveau titre : “Les Eco-comparateurs”
et un nouveau sous-titre : “la vie économique française et le programme du gouvernement décryptés par des spécialistes”
. Premier billet posté sur l’attractivité de la France. Je le poste
aussi ici, n’hésitez pas à réagir ici où là-bas.


Pour la cinquième année consécutive, Ernst & Young a présenté son étude sur l’attractivité européenne organisée selon deux axes : il s’agit
d’abord d’une mesure de l’image de l’Europe et de celle de ses concurrents perçue par 809 décideurs internationaux, et ensuite d’une analyse de la réalité des implantations internationales
recensées dans le « European Investment Monitor » d’Ernst & Young. J’avais commenté les résultats sur données 2005 dans ce billet. Je récidive aujourd’hui.

 En remarquant d’abord que la presse a relayé de bien curieuse façon les résultats de l’étude, avec comme titre de l’article du Monde : « Investissements étrangers : la France reste attractive mais se fait
rattraper par ses concurrents », mais surtout pour la Tribune (€) : « Attractivité : la
France risque la relégation en deuxième division »… Damned, me suis-je alors exclamé, le problème doit être sérieux…
 
Et en effet, les chiffres sont édifiants :
 

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La France, 2ème du classement en 2005, a dégringolé brutalement en 2006 à la … 2ème place, toujours derrière le Royaume-Uni, et toujours
devant l’Allemagne. En termes de créations d’emplois (20 509 emplois créés en 2006 dans l’hexagone), elle est 3ème derrière la Pologne (largement première : les PECO attirent
moins de projets, mais des projets de plus grande taille, plus intensifs en main d’œuvre) et le Royaume-Uni. On y apprend en outre que la France se caractérise par une « domination des
services aux entreprises et du secteur des logiciels (74 et 72 projets) » et qu’elle est « n°1 européen des implantations de fonctions industrielles ». Tout va mal,
donc…

Y a-t-il eu un bug dans la rédaction du titre de la Tribune ? Que nenni. Le titre se réfère non pas aux statistiques sur les projets effectivement réalisés,
mais à l’autre partie de l’étude, sur les discours des dirigeants. Pour ces derniers, si la France est appréciée pour son haut niveau technologique, son système éducatif et son système de santé,
elle serait pénalisée par « le niveau de croissance, le modèle social et l’environnement juridique et fiscal des entreprises » (la Tribune, p. 30). Marc L’Hermitte, associé chez Ernst
& Young, ne craint donc pas d’affirmer que « la France risque la relégation dans la deuxième division des pays attractifs » (même source).
A moins, bien sûr, nous dit-on, qu’elle ne réponde aux deux premières exigences des dirigeants : en renforçant la flexibilité pour 47% d’entre eux, ou en simplifiant les procédures
administratives pour 44%.

Apparemment, ni les  consultants d’Ernst & Young, ni les journalistes ne  s’interrogent sur ce décalage entre discours et faits.  Je pense qu’ils résolvent le paradoxe apparent
en considérant que les faits éclairent les tendances passées, alors que les discours  anticipent sur les tendances futures.  D’où la proposition suivante : jusqu’à présent, ça va, mais
attention, procédez aux réformes que l’on vous indique, sinon  gare à vous.

Sauf que  cette résolution du paradoxe ne tient pas trop la route. En effet,  la rigidité supposée du marché du travail français et la complexité supposée de son administration ne
datent pas, me semble-t-il, de l’année 2005. On pourrait même poser l’hypothèse que les réformes économiques menées ces dernières années orientent plutôt le système français dans la direction
souhaitée par les dirigeants d’entreprise. Comment comprendre alors que l’attractivité du pays a été et reste bonne (dans les faits, pas dans les discours), en dépit de ces configurations
institutionnelles supposées néfastes? Les entreprises ayant investi en France seraient-elles donc à ce point irrationnelles? On peut s’interroger…

On peut s’interroger  en se disant que c’est le mode de résolution du paradoxe qui n’est pas le bon. Hypothèse alternative, donc : les dirigeants
d’entreprises agissent en rationalité limitée. Ils développent, au fur et à mesure de leur activité, certaines représentations du monde (mon hypothèse pourrait être qualifiée de
Penrosienne).  Représentations du monde  plutôt convergentes, en raison de leurs interactions (au sein par exemple des instances patronales – le Medef en France), et parce qu’ils
partagent des sources d’information similaires (on peut supposer par exemple que les dirigeants français sont majoritairement abonnés au Figaro ou à la Tribune, qui  relaient l’actualité
économique d’une certaine manière (cf. le titre de la Tribune supra), plutôt qu’à Libération ou à l’Humanité. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une hypothèse héroïque).  Ils en viennent donc
à considérer qu’il existe un modèle optimal (forte flexibilité du travail, faible intervention de l’Etat, etc) et, logiquement, lorsqu’ils constatent que les caractéristiques du système
institutionnel français ne correspondent pas aux canons du modèle supposé optimal, ma foi, ils  en déduisent logiquement que la France va souffrir en termes d’attractivité.

Ceci n’est pas nécessairement anodin : ces conventions partagées par les dirigeants d’entreprises peuvent influer sur leurs décisions. Si tous décident que la Chine est le nouvel Eldorado, et
vérifiant -ce qui est plutôt rassurant en incertitude radicale- que tous les autres dirigeants partagent le même sentiment, eh bien ils peuvent décider de s’y implanter, même si une analyse plus
poussée leur montrerait que ce choix n’est pas nécessairement optimal. Je ne dis pas que tous les investissements en Chine procèdent de cette logique conventionnelle, je ne dis pas qu’ils sont
nécessairement sous-optimaux, mais je pense sérieusement qu’elle explique certaines décisions d’investissement.

Conclusion?  Il convient  toujours de se méfier de l’analyse des discours. Non pas que leur analyse soit inutile : elle renseigne sur les représentations sociales des collectifs
d’acteurs, représentations qui influent ensuite (au moins partiellement, mais seulement partiellement : pour preuve le nombre de projets développés en France) sur leurs comportements. Mais il
convient de  croiser l’analyse de ces représentations à l’analyse des faits économiques. On aurait pu souhaiter que la Tribune ou le Monde se livrent un tant soit peu à cet exercice, plutôt
que de prendre pour argent comptant les discours des dirigeants…