La décadence de la recherche parisienne (suite – moins drôle)

En complément du clin d’oeil d’hier (il fallait bien sûr lire “chercheurs” et non “chômeurs”), petit commentaire de l’article de la Tribune. Cet article commente le rapport de l’OST sur la Recherche et Développement, en expliquant
notamment que les Régions s’impliquent de manière croissante dans la R&D.

On y trouve une carte des régions, avec des chiffres pour les “10 premières régions françaises en R&D”. Dans l’article, ce passage
: “le top 10 des régions qui investissent est tiré par les traditionnellement plus dynamiques d’entre elles : l’Ile de France, Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées, Provence-Alpes-Côte
d’Azur”
.

Sauf que ce “top 10” est réalisé sur la base du poids des régions dans les dépenses de R&D. Ce n’est donc pas le top 10 des régions
les plus performantes ou les plus dynamiques, mais le top 10 des régions les plus grandes. L’obsession de la grande taille, toujours…

Ils ont tout ce qu’il faut sur leur carte, pourtant, pour calculer quelque chose qui ressemble plus à un indicateur de performance : il
convient par exemple de rapporter un indicateur de production scientifique (publications ou brevets) à un indicateur de ressource scientifique mobilisée (part dans la R&D).

Exemple avec l’Ile de France, région “leader” : elle pèse 41,3% de la R&D, mais seulement 35,4% des publications et 37,8% des
brevets. La productivité apparente de la recherche franilienne (base 100 = moyenne française) est donc de 86 si l’on retient les publications comme indicateur de production scientifique et de 91
côté publications. Comparativement, Rhône-Alpes est bien plus performante : indicateurs de 109 pour les publications et de 141 pour les brevets. Midi-Pyrénées, 3ème par la taille, est, comme
l’Ile de France, “sous-performante” (indices de 64 et de 45).

S’agissant du dynamisme, on apprend dans l’article que le poids de l’Ile de France recule tout doucement depuis des années. Précisions
dans le document de l’OST : “alors qu’en 2003, l’Île-de-France contribuait à plus de 36,7 % des publications
nationales, elle n’en coproduit plus que 35,4 % en 2008″ (page 158 du rapport OST). Plus loin (page 168) : “Entre 2003 et 2008, parmi les six premières régions en production technologique, seule
l’Île-de-France enregistre une baisse de sa part nationale de demandes de brevet européen tous domaines confondus”.

Bref, pas top le top, la recherche francilienne est vraiment décadente…

 

précision : attention, une sous-productivité ou une sur-productivité peut s’expliquer partiellement voire totalement par des effets
de spécialisation (présence plus faiblle/plus forte de domaines scientifiques qui ont une propension à publier (ou à déposer des brevets) plus forte).

 

Sur le même sujet :

Recherche : le rang de
la France

– Le rapport Juppé-Rocard :
quelques inepties

 – La déconcentration de la production
scientifique

– L’innovation en Poitou-Charentes

La décadence de la recherche parisienne…

Si l’on en croît cet extrait d’un article paru dans l’édition papier de la Tribune du mercredi 5 janvier 2011 :


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137 000 personnes sont dans la R&D, dont 81 300 chômeurs… Allez plutôt en Province si vous souhaitez faire de la recherche,
l’insertion est bien meilleure!

 

PS : merci à Christian Aubin pour l’info.

Vive la rigidité!

Vous le savez tous : la France manque de flexibilité. Les commentateurs des rapports Ernst & Young sur l’attractivité de notre
beau pays nous le disent tous les ans, ce qui leur permet de prédire la
dégradation probable de notre situation pourtant flatteuse. Laurence Parisot idem, avec une formule inoubliable : “La vie, la santé, l’amour sont précaires. Pourquoi le travail échapperait-il à cette loi?”

En réfléchissant un peu, l’argument semble imparable, un manque de flexibilité étant synonyme de réduction des choix : si jamais
vous avez fait un mauvais choix, vous ne pourrez que plus difficilement vous en défaire ; l’agrégation de ces dysfonctionnements conduit à des performances plus faibles. Redonnons donc de la
flexibilité, de la liberté, et tout ira bien mieux.

Sauf que ce type de raisonnement souffre d’un biais important : il suppose que les acteurs ne prennent pas en compte, avant de
décider d’un comportement, de ces différences de flexibilité. Or, on peut supposer qu’il n’en est rien : les acteurs agissant dans un environnement plus rigide intègrent ce fait à leurs
calculs, adoptent des comportements différents, ce qui peut influer sur leurs performances futures. L’évaluation ex post d’un dispositif législatif plus rigide ne suffit donc pas, il
convient également d’en évaluer les conséquences ex ante.

C’est précisément l’analyse que déroulent trois économistes dans un document de travail du NBER qui vient juste de paraître. Il s’intitule « Labor laws and innovation ». Voici le résumé, suivi de
ma traduction :

Abstract

Stringent labor laws can provide firms a commitment device to not punish short-run failures and thereby spur their employees to pursue
value-enhancing innovative activities. Using patents and citations as proxies for innovation, we identify this effect by exploiting the time-series variation generated by staggered country-level
changes in dismissal laws. We find that within a country, innovation and economic growth are fostered by stringent laws governing dismissal of employees, especially in the more
innovation-intensive sectors. Firm-level tests within the United States that exploit a discontinuity generated by the passage of the federal Worker Adjustment and Retraining Notification Act
confirm the cross-country evidence.

Ma traduction

Un droit du travail restrictif peut inciter les firmes à ne pas sanctionner les défaillances de court terme et donc les conduire à
encourager leurs employés à poursuivre des activités innovantes créatrices de valeur. En utilisant des données sur les brevets et sur les citations d’articles pour rendre compte de l’activité
d’innovation, nous analysons cet effet en exploitant des données temporelles qui nous renseignent sur les changements observés dans certains pays relatifs aux lois sur les licenciements. Nous
montrons qu’au sein d’un pays, l’activité d’innovation et la croissance économique sont renforcées par des lois plus restrictives sur le licenciement, spécialement pour les secteurs les plus
intensifs en innovation. Des tests réalisés au niveau des entreprises américaines, qui exploitent une discontinuité liée au passage au Worker Adjustment and Retraining Notification Act,
confirment ce résultat.

Adam Smith n’est pas un économiste

Un des passages les plus fameux de la Richesse des Nations d’Adam Smith est sans doute celui concernant la manufacture d’épingles, base de son analyse de la division du travail. Une étude de cas. Aucun modèle, aucun traitement économétrique.
Une étude de cas. Du descriptif, quoi.

Nous pouvons donc affirmer, aujourd’hui, qu’Adam Smith n’est pas un économiste. Un sociologue, à la
rigueur…


Ps : idée reprise de ce texte, que
je viens de relire, au moment où les auditions des candidats aux postes de Maître de Conférences en Economie se déroulent un peu partout en France.

L’évaluation en SHS

Via le blog Evaluation de la recherche en SHS, je
découvre le second rapport du Conseil pour le Développement des Humanités et des Sciences Sociales.
Une bonne partie est consacrée à la question de l’évaluation en SHS. On reste dans des propos généraux, certes intéressants, mais la question de l’opérationnalisation de ces propositions me
semble être le point le plus difficile. Il s’agit d’un rapport d’étape daté de mars 2010, le rapport final doit être remis fin juin 2010, à suivre donc…

Xynthia, l’Etat et la confusion des temps

Initiative intéressante d’Universitaires picto-charentais, qui ont publié cette tribune dans Marianne :

 

Depuis le 28 février 2010 et le passage de la tempête Xynthia sur le littoral du Centre-Ouest, l’Etat s’est légitimement emparé de la question de la sécurité
des zones côtières. Peu importe que bien des villages soient le résultat d’une lente observation de la nature et des manières d’en tirer parti. Peu importe que les défenses contre la mer aient
été abandonnées depuis des décennies. La « cuvette » de La Faute sur mer, avec ses lotissements balnéaires de maisons récentes et de plain-pied, a
décidé d’une ligne dure et de la destruction programmée des zones bâties concernées.

 

Munis de cette « feuille de route », les préfets se sont livrés, en toute hâte, à un déni de méthode scientifique,
pour déterminer les zones « noires » devenues « zones de solidarité ». En dépit du caractère sensible de la commande, les organismes gouvernementaux impliqués (CETMEF, CETE et DREAL), certains de
création récente, ne communiquent ni sur les données, ni sur la méthode, ni sur les critères utilisés et encore moins sur leur participation à l’expertise initiale. Les chercheurs des universités
régionales qui ont derrière eux des années d’études du territoire concerné, une expertise connue et reconnue, n’ont été quant à eux ni officiellement, ni officieusement consultés. Durant le mois
qu’a duré l’enquête coordonnée par la Direction Départementale Terre et Mer, un dossier à charge sans le moindre élément contradictoire, a été instruit. Cette ignorance de la communauté
scientifique n’est malheureusement pas une première dans l’histoire récente.


Ailleurs, après les inondations qui ont endeuillé les Pays-Bas en 1953, la communauté scientifique néerlandaise a été
mobilisée et, de manière contradictoire, des experts japonais, habitués à lutter contre les colères de la mer (tsunami est un mot japonais) ont été consultés. C’est que le risque doit être
envisagé sous toutes ses formes. Le géologue, spécialiste des mouvements de matériaux (sable, vase) et des modifications du trait de côte, travaille à l’échelle du demi-siècle. L’historien du
climat étudie la variation du niveau de la mer ainsi que la fréquence et l’intensité des tempêtes, à l’échelle du siècle. Le géohistorien maîtrise l’adaptation des communautés du littoral aux
dangers venus de la mer, à l’échelle chronologique. Il fait le lien entre la mémoire des habitants et les archives, le matériau de l’enquête historique. A plus court terme, des aménageurs, des
hydrauliciens océanographes et des ingénieurs, sans oublier les spécialistes du droit du littoral, ont aussi leur mot à dire.

 

L’Etat a demandé à des spécialistes de l’organisation des secours, les services de la Préfecture, de remplacer en
toute hâte la valeur de l’expertise collective des scientifiques. On s’est livré, à huis clos, à une totale confusion des temps. Ignorés le temps du géologue, celui du climatologue, celui de
l’océanographe et celui de l’historien : tout a été mélangé et rapporté au temps médiatique, pour répondre à une commande simple, en dépit de l’extrême complexité de la
question.

Venu clore une période marquée par ces malentendus, M.J-L.Borloo, Ministre de l’Ecologie, s’est adressé aux maires
des communes sinistrées. Il fait référence à la nécessité d’une « expertise complémentaire ». La communauté scientifique, régionale, nationale et même internationale, n’imagine pas être exclue à
nouveau des instances qui en seront chargées.

 

Thierry SAUZEAU – Géohistoire du littoral (Université de Poitiers) ; Jacques PERET – Géohistoire du littoral
(Université de Poitiers) ; Eric CHAUMILLON – Géologie Marine ; Xavier BERTIN – Océanographie côtière

 

Où faire sa licence? suite

Billet intéressant et complémentaire de celui-ci, à découvrir ici.

Sur l’idée selon laquelle (reprise dans certains commentaires) les petites universités seraient bonnes en pédagogie (d’où
leur score en licence) et les grandes universités seraient bonnes en recherche (d’où leur labellisation “campus d’excellence”), je veux et j’exige des arguments de preuve, nom de
dieu!!!


Mon sentiment :

* en matière pédagogique, il y a des rendements décroissants, d’où l’avantage à des structures de taille
petites/moyennes, qui se reflètent dans les stats sur les licences

* en matière de recherche, je pense qu’il y a une taille minimale optimale, mais ensuite des rendements plutôt constants
puis décroissants. Avec une taille minimale optimale pas si importante que cela, en tout cas dans le domaine des Sciences Sociales, Economiques, Juridiques, etc. (sans besoin de gros équipements
à coût fixe important je veux dire).

* les gros centres se rassurent en se disant qu’ils sont bien sûr meilleurs, sinon ça se saurait! Mais les éléments de
preuve que j’ai pu voir sont des plus ténus… A l’inverse, les performances côté recherche des pov’petites antennes universitaires, que certains se sont risqués à mesurer… ben… elles sont
loin d’être ridicules!


Question déjà posée ici : est-il plus judicieux d’investir un euro supplémentaire dans TSE, où bien dans une antenne
universitaire quelconque? C’est quoi la rentabilité marginale de cet euro dépensé? Je croyais que c’était ça, la base du calcul économique, je me trompe???

Le naufrage de TSE

J’ai eu le plaisir récemment de me promener sur le site de la Manufacture des Tabacs, à Toulouse, siège de la Toulouse
School of Economics (TSE).  On y trouve (notamment) le GREMAQ et l’IDEI.

J’ai été particulièrement intéressé par l’organisation spatiale des lieux. En bas, le GREMAQ. Au-dessus, l’IDEI. Les
différents étages du GREMAQ sont eux-mêmes hiérarchisés (tout en bas, si je ne me trompe, les doctorants-aspirants à la montée des marches). Quand on s’élève dans les airs, on monte en
importance. Idem pour l’IDEI.

Sans rire, l’organisation spatiale du bâtiment m’a fait penser à celle du Titanic : hiérarchisation absolue. En cas
de naufrage, on ferme d’abord les portes des étages inférieurs (je parle du Titanic). Tout l’inverse de l’idée que je me fais de la recherche. Sans doute le prix de l’excellence.

Evaluation et rigueur scientifique : appel à témoignages

Initiative pas inintéressante je trouve… Vu comment
fonctionne ma discipline, je pense que pas mal d’économistes pourraient témoigner avantageusement (quand vous pensez que certains économistes tentent d’automatiser informatiquement l’évaluation
des chercheurs et que, le pire!, c’est qu’ils y croient)1

 

 

1.Voir aussi ici : “Alors que de nombreuses disciplines (comme la physique, la chimie, et les mathématiques) renoncent à la bibliométrie dans
l’évaluation (voir notamment le rapport de l’Académie des
sciences
), il serait regrettable que les économistes y recourent avoir la foi du nouveau converti.”