Innovation et territoires

Le colloque Dynamiques de Proximité se
rapproche. Je vous rappelle qu’il se tient sur Poitiers du 14 au 16 octobre prochain. Vous trouverez sur le site tout un ensemble d’informations utiles, mises à jour progressivement (localisation, inscription, programme, communications, …). J’ai décidé d’écrire quelques billets
d’ici là, pour évoquer ce qui y sera débattu et vous informer des différents temps forts.

Un des premiers axes de réflexion concerne l’innovation. Ce thème sera traité tout d’abord lors de la conférence
inaugurale, assurée par Nadine Massard, professeure d’économie à Saint-Etienne,
déléguée scientifique adjointe de l’AERES, et présidente d’EuroLIO, nouvel
observatoire européen des dynamiques locales d’innovation. Elle a notamment contribué au rapport du CAE sur l’innovation et la compétitivité des régions (téléchargeable ici). L’objectif premier du colloque étant de jeter des ponts entre chercheurs et acteurs des
territoires, son intervention me semble particulièrement pertinente!

La question de l’innovation sera également au coeur des débats de la première table ronde, qui se déroulera le mercredi
14 octobre, de 18h30 à 20h30, à la Maison de la Région Poitou-Charentes. Table ronde intitulée “Peut-on créer des clusters technologiques?”, à laquelle participeront
côté chercheurs Gilles Le Blanc (Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris), Koen Frenken (Université d’Utrecht) et Jérôme Vicente (IEP Toulouse) et, côté institutionnel, Jean-François Macaire, vice-président
Développement Economique du Conseil Régional (d’autres institutionnels seront dans l’assistance). Cette table ronde sera animée par Marc Chevallier, journaliste à Alternatives Economiques, qui prépare des articles sur les Clusters et s’est montré particulièrement intéressé par le colloque. La
table ronde sera filmée par UP-TV et mise en ligne ultérieurement sur le site.

Enfin, bien sûr, de nombreuses sessions concernent la thématique innovation, pour laquelle nous avons reçu le plus grand
nombre de propositions. Le programme (qui peut être modifié à la marge) est disponible ici.

Les communications sont disponibles progressivement ici.

Les communications et les débats sur les clusters risquent de mettre en évidence le décalage entre ce que les acteurs des territoires ont retenu de ce modèle
d’organisation territorialisé d’innovation et ce que les chercheurs en disent aujourd’hui. Comme souvent, les politiques mises en oeuvre aujourd’hui (la politique des pôles de compétitivité date
de juillet 2005) repose sur des recherches plus anciennes : la notion de cluster a été popularisée dans la sphère des consultants et des politiques par Michael Porter dans un article pour la
Harvard Business Review de 1998 et dans son ouvrage de 1999 On Competition (traduit en français en 2000 sous le titre “La concurrence selon Porter”), mais Porter lui-même ne fait que synthétiser une vaste littérature
développée depuis le début des années 1980. Depuis lors, les chercheurs ont largement insisté sur les limites de ce modèle, mais leurs recherches sont encore loin d’avoir été
entendues…

La déconcentration spatiale de la recherche

J’ai évoqué à plusieurs reprise la question de la concentration spatiale de la recherche. Dans cet article, j’expliquais, en m’appuyant sur les développements de l’économie géographique, qu’un accroissement de la
concentration spatiale de la recherche n’était pas nécessairement souhaitable. Dans cet autre article, je
présentais les résultats d’un travail empirique montrant la tendance à la déconcentration spatiale de la recherche, dans plusieurs pays, sur 1996-2003. Je complète sur ce dernier point avec des
données récentes sur le nombre de chercheurs publics et privés, par région, pour la France métropolitaine, de 1997 à 2006 (source des données : OST), Corse exclue, soit 21 régions. Je vous
présente d’abord l’indicateur statistique utilisé, puis les résultats.

1. présentation de l’indicateur de concentration

Pour mesurer l’évolution de la concentration spatiale de la recherche, j’ai utilisé comme indicateur statistique l’indice
d’Herfindahl, plus précisément l’inverse de cet indice.

Considérons un pays composé de n régions, le poids (en termes de PIB, RDB, nombre d’habitants, …) de chaque région dans
l’ensemble étant noté p(i) avec i = 1 à n. L’indice d’Herfindahl s’écrit :


clip_image002[6]

Quelle valeur peut prendre cet indice? Supposons une répartition parfaitement hétérogène de la variable considérée, une
région concentrant par exemple l’ensemble de l’activité. Le poids de cette région est de 100%, le poids de toutes les autres est nul. L’indice H sera donc égal à 1. Supposons à l’inverse une
répartition homogène, chaque région ayant le même poids dans l’ensemble. Avec n régions, le poids de chacune sera logiquement de 1/n. Je vous laisse montrer que dans ce cas, l’indice H est
lui-même égal à 1/n.

En prenant l’inverse de cet indice, on obtient ce que j’appelle le “nombre de régions équivalent Herfindahl”. L’inverse
de H est compris entre 1 (concentration maximale) et n (répartition parfaitement homogène). Une valeur de 8 pour la variable PIB pourra s’interpréter ainsi : tout se passe comme si l’ensemble de
l’activité économique était concentrée dans 8 régions de même taille (sur un total de 22 si on travaille sur des données françaises).

2. Résultats obtenus

Résultat d’abord pour l’ensemble des régions, avec trois variables : i) le PIB régional, ii) le nombre de chercheurs
publics, iii) le nombre de chercheurs privés :


image

 

Premier résultat : la concentration spatiale des chercheurs privés est plus forte que celle des chercheurs publics,
elle-même plus importante que celle du PIB. Deuxième résultat : pas d’évolution très marquée, mais le sentiment plutôt d’un trend légèrement croissant pour les deux indicateurs “chercheurs”,
autrement dit le signe d’une déconcentration de la recherche.

Pour évaluer l’existence de ce trend, j’ai calculé la moyenne des taux de croissance annuel pour les trois indicateurs.
On obtient 0,3% pour le PIB, 1,3% pour les chercheurs et 2,3% pour les chercheurs privés. Ca confirme plutôt l’intuition.

Pour compléter un peu, j’ai refait les calculs hors Ile de France. On obtient ceci :


image


Plusieurs choses : i) la concentration est beaucoup plus faible que sur le premier graphique, avec un nombre de régions
équivalent Herfindahl de 15 pour le PIB et autour de 11 pour les deux autres variables, ii) pas de différence de concentration entre chercheurs publics et privés cette fois-ci, iii) apparemment,
pas de trend croissant non plus. La moyenne des taux de croissance des indicateurs est toujours de 0,3% pour le PIB, mais de 0,0% pour les chercheurs publics et de –0,5% pour les chercheurs
privés.

Conclusion : on observe une certaine tendance à la déconcentration spatiale de la recherche, qui correspond à un
mouvement de la région Ile de France vers l’ensemble des régions de province, déconcentration plus marquée pour la recherche privée que pour la recherche publique. L’Ile de France pesait 40% du
nombre de chercheurs publics en 1997 et 37% en 2006. S’agissant des chercheurs privés, le poids est passé de 46% à 40%.

La construction sociale du genre

Le jeu du dictateur est un jeu très simple en économie expérimentale, qui consiste à allouer une certaine somme à un
premier joueur qui est chargé de réallouer cette somme entre lui-même et le deuxième joueur, qui n’a rien d’autre à faire que de récupérer la somme laissée par le premier, qu’on peut logiquement
qualifier de dictateur. Résultat récurrent et surprenant du jeu : alors que le dictateur pourrait tout garder pour lui, la plupart du temps, il réalloue une certaine somme au deuxième joueur.
Mais ce n’est pas tout, on observe également des effets de genre : les femmes sont généralement moins égoïstes que les hommes…

Via Stumbling et Mumbling, je découvre une expérience faite en Suède
qui permet d’approfondir la réflexion. Les chercheurs proposent le jeu à différents groupes de joueurs : i) des groupes homogènes (seulement des femmes ou seulement des hommes) vs. des groupes
mixtes, ii) dans certains groupes, le joueur doit indiquer son genre avec de commencer à jouer, dans d’autres groupes, il l’indique après avoir joué.

Résultat : quand ils sont dans des groupes homogènes, femmes et hommes donnent approximativement la même chose (autour de 28% de la somme). En revanche, quand les joueurs sont dans des groupes
mixtes et qu’ils indiquent leur genre avant de jouer, les choses changent : les femmes donnent 24,9%, les hommes 13,2%…

Preuve intéressante que le genre est un construit social, comme le rappelle les auteurs en introduction, en se référant aux propos de Simone de Beauvoir. On ne naît pas femme, on le devient…
Quoique, à la vue des résultats (les femmes modifient peu leur comportement, les hommes bien davantage), c’est plutôt la proposition suivante qui s’applique : on ne naît pas homme, on le
devient…


Histoire globale

La revue Sciences Humaines vient de lancer un nouveau site dédié à l’histoire globale, animé par des journalistes et des chercheurs. Parmi les chercheurs, mon collègue,
voisin de bureau et néanmoins ami Philippe Norel, qui a posté sur ce site un
texte
sur l’hégémonie européenne (15ème – 20ème siècles). Théoriquement, un ou deux textes de chercheurs devraient être postés chaque mois. A consommer sans modération!

Colloque “Dynamiques de proximité”

Dans de nombreux colloques, notamment en France, la date limite de soumission des propositions de communication est
finalement décalée d’une quizaine de jours. Sachant cela, de nombreux chercheurs attendent que soit annoncée la nouvelle date avant de transmettre leur proposition. C’est pourquoi j’ai le plaisir
de vous communiquer la nouvelle date limite pour les sixièmes journées de la proximité : le vendredi 27 mars 2009. Toutes les informations utiles sont sur le site http://proximite.conference.univ-poitiers.fr.

PS : il n’y aura pas de nouvelle nouvelle date!

L’innovation en Poitou-Charentes

J’ai été sollicité pour participer à une table ronde « l’innovation, un remède à la crise ? » dans le cadre de la visite de Danuta Hübner, Commissaire Européen en charge de la politique régionale. Je suis intervenu une dizaine de minutes pour faire un petit diagnostic en Poitou-Charentes, identifier les forces et faiblesses de la région, les menaces et opportunités. Voici quelques uns des éléments présentés.

Idée 1 : Poitou-Charentes, une petite région d’innovation

Pour situer la Région Poitou-Charentes, on peut d’abord s’interroger sur son poids en matière d’innovation. Pour cela, j’ai simplement divisé le poids de la région pour différents indicateurs par le poids de la région en termes d’habitants (2,8% de la France métropolitaine). Un indice de 100 pour l’indicateur x signifie que le poids de la région pour cet indicateur est le même que le poids de la région en termes d’habitants. Un indice inférieur à 100 signifie que la région pèse moins pour cet indicateur qu’en termes d’habitants, etc.

Les indicateurs recensés sont d’abord quelques indicateurs généraux de cadrage (population, PIB, emploi), puis des indicateurs d’innovation, divisés en deux catégories :

* les inputs de l’activité d’innovation ou plus précisément, en fait, de l’activité de recherche, pour laquelle on dispose de données fiables : dépenses de R&D civile, décomposée en R&D publique et R&D privée ; nombre de chercheurs équivalent temps plein, également décomposé en chercheurs publics et privés

* les outputs de l’activité de recherche : demandes de brevets déposés auprès de l’office européen ; publications scientifiques ; nombre de contrats Cifre (contrat permettant de financer une thèse, qui lie une entreprise (qui accueille le doctorant) et un laboratoire).

Résultats :

Population 100
population active 96
PIB 82
DIRD 29
DIRD des Administrations 39
DIRD des entreprises 25
Chercheurs 32
chercheurs  secteur public 46
chercheurs secteur privé 21
publications scientifiques 50
brevets européens 43
Contrats Cifre 36

Par construction, l’indice pour la population est de 100 [(2,8%/2,8%)*100]. Il est proche pour la population active, inférieur pour le PIB (Poitou-Charentes pèse 2,3% du PIB français contre 2,8% des habitants) et, surtout, nettement inférieur pour tous les indicateurs d’innovation, leur valeur oscillant entre 25 pour les dépenses de R&D des entreprises à 50 pour les publications scientifiques. Poitou-Charentes est donc une petite région en matière d’innovation.

On notera cependant que les indicateurs sont plus élevés côté recherche publique que côté recherche privée. Ce qui s’explique largement par les caractéristiques du tissu productif de la région : surreprésentation de PME, de sous-traitants et de secteurs de faible technologie, sous-représentation de secteurs de haute technologie. Poitou-Charentes est donc une petite région pour la recherche publique, et une toute petite région pour la recherche privée.

Idée 2 : petite, mais costaude

So what, me direz-vous ? Les petits calculs ci-dessus ne sont au final que des indicateurs de taille. Les exercices de benchmarking en matière d’innovation se limitent souvent à cela, mais sauf à supposer que big is beautiful (j’y reviens plus loin), on peut préférer construire des indicateurs de performance.

On peut par exemple rapporter le poids de la région côté output de la recherche au poids de la région côté input, pour disposer d’indicateurs de productivité apparente de la recherche. Un indicateur supérieur à 100 indique une productivité apparente supérieure à la moyenne.

Résultats :

publications/chercheurs 156
publications/dird 175
brevets/chercheurs 133
brevets/dird 150
cifre/chercheurs 111
cifre/dird 125

Résultats plutôt flatteurs, puisque tous les indicateurs sont supérieurs à 100. Ne pas croire cependant, sur la base de ces seuls résultats, que le climat picto-charentais rend les chercheurs excellents (quoique …). Les résultats peuvent s’expliquer notamment par des effets de spécialisation (présence de domaines scientifiques qui ont une propension à publier, breveter, contracter plus forte).

Idée 3 : mazette ! Il existe des relations entre universités et entreprises ?!

Petit complément sur les relations science-industrie, dont on nous dit le plus souvent qu’elles sont insuffisantes, qu’il faudrait les développer, en favorisant notamment les relations locales. Difficile avec les chiffres dont on dispose de dire si elles sont suffisantes ou insuffisantes, on peut dire en tous cas qu’elles existent.

Pour preuve d’abord le nombre de contrats entre laboratoires de l’Université de Poitiers et entreprises (nous avons travaillé sur ce point avec la cellule de valorisation de la recherche de l’Université de Poitiers, je remercie en passant Pierre de Ramefort pour son aide !). Sur 2004-2007, 941 contrats ont été signés, dont 559 avec des entreprises privées, soit 59% de l’ensemble des contrats (autour de 140 par an). Sur ces contrats entreprises, 51% sont avec des entreprises de l’Ile de France, 15% sont intra-régionaux, 8% avec des entreprises des Pays de la Loire, 7% avec des entreprises de Midi-Pyrénées.

Autre source, les contrats Cifre (c’est cette fois l’ANRT et Nadine Massard que je remercie pour ces données, sur lesquelles nous commençons à travailler). Sur 1981-2006, l’ANRT en recense 14294. Poitou-Charentes est impliquée dans 293 d’entre eux, soit 1% de l’ensemble (la région peut être impliquée côté laboratoire ou côté entreprise, il faut donc diviser 293 par 14294*2). Côté laboratoires, la Région pèse 1,5% de l’ensemble (soit un indice tel que calculé dans le premier point de 54) ; côté entreprises, elle pèse 0,9% (indice de 32). Les relations tissées par les laboratoires picto-charentais le sont majoritairement avec des entreprises d’Ile de France (49%), des entreprises de la région (25%), puis de Rhône-Alpes (6%).

Idée 4 : une menace principale, les effets de mode

Quelques problèmes importants, liés à la diffusion d’idées à la mode.

i) on est trop à la recherche d’un prétendu modèle optimal (la Silicon Valley, bien sûr ! base incontournable du modèle des clusters), on ne réfléchit pas suffisamment aux spécificités des territoires avant de lancer des politiques de soutien à l’innovation. Or, Poitou-Charentes est une région très spécifique, qui appelle donc des politiques également spécifiques.

ii) nombre de politiques considèrent que l’agglomération est nécessaire à l’innovation, et préconisent donc l’émergence de pôles de taille importante, ainsi que la concentration spatiale de la recherche. Les études disponibles devraient pourtant relativiser ce discours. Il y a sans doute une taille minimale à respecter, mais des territoires de taille moyenne peuvent tout à fait être performants en matière d’innovation, on l’a vu avec la productivité apparente de la recherche en Poitou-Charentes.

iii) on préconise également le rapprochement des entreprises et des laboratoires de chaque région. Or si pour certaines régions c’est pertinent, ça ne l’est pas pour Poitou-Charentes : les compétences des deux parties prenantes sont faiblement complémentaires. Une stratégie réseau serait plus efficace. Or, pour prendre l’exemple des pôles de compétitivité, elle est pénalisée par le zonage R&D.

iv) pour les PME, les enjeux les plus forts sont en termes d’innovation organisationnelle, d’une part, et de diversification cohérente, d’autre part. Ce sont donc des formes particulières d’innovation qui doivent être intégrées dans la réflexion et soutenues par les politiques, notamment en Poitou-Charentes, où le tissu productif est composé de nombreuses PME.

Universitaires créatifs

Des enseignants chercheurs d’une UFR d’une Université Française, opposés aux réformes actuelles, ont décidé de faire la
grève des cours jusqu’au 10 mars prochain. Cependant, pour éviter que les étudiants ne désertent l’Université, ils proposent d’organiser des cours “alternatifs”. En indiquant que ces cours
“alternatifs” pouvaient très bien correspondre aux cours initialement supprimés…

La concentration spatiale de la recherche académique

Inutile de vous dire que ca bouillone pas mal dans les Universités en ce moment, en raison, notamment, de la réforme du statut des enseignants-chercheurs. Sur ce point, voir notamment l’analyse de Gizmo, à laquelle je souscris très largement. Rationalité Limitée en avait parlé aussi ici, en concluant sur l’idée que les réformes en cours visaient implictement à renforcer la concentration spatiale de la recherche. il vient de compléter sur ce point dans ce billet,  en plaidant à la mode évolutionniste sur l’intérêt d’une décentralisation de la recherche, synonyme de diversité. Billet qui m’a rappelé que j’avais commencé à écrire il y a quelques mois un petit topo sur cette question de la concentration spatiale de la recherche académique. Je me dis que c’est sans doute le bon moment de le diffuser, même si j’aurais voulu idéalement compléter ou développer certains points.Vous verrez en passant qu’il s’agit aussi d’une critique des analyses très à la mode de l’économie géographique, qui certes ont permis d’avancer des propositions intéressantes sur tout un ensemble de points, mais qui ont tendance à être mobilisées à toutes les sauces, parfois de manière non pertinente. Ce qui risque d’être encore plus le cas avec le nobel de Krugman. Critique qui s’appuie implicitement sur des analyses en termes de proximité, ce qui tombe bien puisque je pilote l’organisation des journées éponymes, qui visent notamment à mettre en débat économie géographique et économie de la proximité. Un avant goût en quelque sorte.

Je vous le livre tel quel, commentaires bienvenus.

On entend souvent l’idée selon laquelle le nombre d’Universités en France est trop élevé, qu’il faudrait favoriser leur concentration spatiale, ceci permettant de faire émerger des Campus d’Excellence, et par suite de remonter dans le classement de Shangaï, d’accroître la productivité des Universités, etc. Je résume ici les arguments généralement évoqués, pour en montrer les limites.

1. Les avantages de la concentration spatiale

Les économistes défendant l’idée d’une concentration de la Recherche s’appuie sur les développements de l’économie géographique : la concentration spatiale permettrait de bénéficier de rendements croissants, d’une part, et de réduire les coûts de transaction, d’autre part.

Sur le premier point, la concentration spatiale des acteurs serait synonyme d’accroissement de la taille du marché. Un marché plus grand permet de mutualiser certains besoins, par exemple en machines, ce qui conduit, à la réduction de leur coût unitaire de fabrication, dès lors que ces équipements font supporter aux entreprises des coûts fixes. Un marché plus grand permet également d’accroître la spécialisation des organisations, synonyme là aussi de gains de productivité. On pourrait donc voir apparaître différentes organisations se divisant localement le travail, l’intérêt pour ces organisations de se localiser à proximité étant qu’ainsi, les coûts de transaction sont réduits (coûts de transport, coûts de coordination si les produits supposent des échanges nombreux, …). La concentration spatiale des acteurs est également synonyme d’accroissement de la taille du marché local du travail. Ceci permet d’une part d’améliorer l’appariement entre offre et demande de travail et, d’autre part, de gagner en productivité via la circulation des travailleurs, et donc des compétences, entre les organisations. La concentration spatiale permet enfin de rendre moins coûteuse/moins difficile la circulation des connaissances, notamment quand ces connaissances sont tacites, et qu’elles ne peuvent s’échanger que dans le cadre de rapports de face à face.

Ces différentes sources de gains de productivité ne sont pas intégrées dans les calculs des différentes entités. On dit qu’elles bénéficient d’externalités positives, en l’occurrence locales : elles profitent de gains de productivité sans en payer le coût. Ceci signifie que le marché ne va pas conduire à une concentration spatiale optimale, on observe une déconnexion entre bénéfice privé et bénéfice social, une intervention de l’Etat pour accroître la concentration spatiale des acteurs est donc souhaitable.

Ces avantages de la concentration ont cependant une limite. Si tel n’était pas le cas, on devrait observer la concentration de l’ensemble des acteurs sur un seul territoire. Ces désavantages résultent d’abord de l’existence de déséconomies d’échelle : au-delà d’un certain point, peuvent d’abord se poser des problèmes de congestion. La concentration des acteurs sur un espace de taille finie conduit également à une élévation du prix du foncier, qui peut, au-delà d’un certain point, faire plus que compenser les gains de la concentration. Ces deux premiers éléments sont synonymes d’externalités locales négatives. De la même façon que pour les externalités positives, ces externalités négatives ne sont pas intégrées dans les calculs des acteurs. Ceci peut conduire cette fois à une concentration trop importante des acteurs. Un autre ensemble d’éléments limitant l’intérêt de la concentration des acteurs est liée à la mobilité des personnes et des entreprises : si le coût de la relocalisation des acteurs excède le bénéfice de la concentration, l’intérêt du regroupement disparaît.

2. Application au cas de la recherche

Les chercheurs produisent et diffusent des connaissances nouvelles. Pour cela, ils mobilisent différentes ressources, principalement des équipements (équipement informatique, machines plus ou moins spécifiques) et des connaissances passées, pour partie codifiables (publications et brevets), pour partie tacites (connaissances dont disposent les chercheurs mais qui ne peuvent être inscrites sur un support). Dans quelle mesure la concentration des chercheurs sur un territoire restreint est-elle souhaitable ?

La mutualisation des ressources

Conformément aux mécanismes évoqués plus haut, le fait que des chercheurs mobilisent des équipements communs peut inciter à leur regroupement. Ceci est recevable dans certains domaines scientifiques, qui utilisent des équipements très coûteux, beaucoup moins dans d’autres domaines, par exemple en sciences humaines et sociales, ou de tels équipements ne sont pas nécessaires. Même dans le premier cas, le regroupement spatial des chercheurs n’est pas toujours économiquement pertinent : on peut en effet mettre en place un équipement sur un territoire donné, les chercheurs venant utiliser temporairement l’équipement, en fonction de leur besoin. Autrement dit, une proximité temporaire peut être préférable à une localisation définitive.

Jusqu’à récemment, une autre ressource essentielle favorisait la concentration des chercheurs : les centres de documentation. La dématérialisation des publications affaiblit cependant cet avantage de manière considérable, puisqu’on peut accéder via les TIC à toutes les publications souhaitées. Même sans cela, on peut douter que la taille optimale des centres de documentation réclame un accroissement de leur concentration spatiale.

On peut également évoquer les dépenses en personnel administratif : la concentration de la recherche permettrait peut-être de faire quelques économies en la matière, mais on peut craindre également des déséconomies liées à des coûts supplémentaires d’organisation interne. L’enjeu est sans doute moins d’accroître la taille que d’améliorer l’organisation.

Le marché du travail

Le marché des chercheurs n’est pas un marché local, il s’agit d’un marché d’envergure nationale, voire globale. Cette internationalisation est d’ailleurs considérée comme une source de gains de productivité en matière de recherche, car elle favorise la diffusion des connaissances, qui peuvent être remobilisées dans des contextes locaux spécifiques. L’enjeu n’est donc pas de concentrer les chercheurs en un lieu donné, mais de favoriser leur circulation entre les différentes universités, françaises et étrangères, soit sous la forme d’incitations à la mobilité du travail (possibilités de détachement, de séjours à l’étranger, …), soit sous la forme d’incitations à la mobilité dans le travail (séminaires, colloques, …). C’est donc plutôt à la proximité temporaire/circulation des chercheurs qu’il convient de travailler.

La circulation des connaissances

S’agissant des connaissances codifiables, on l’a dit, elles sont pour l’essentiel inscrites sur un support dématérialisé, elles peuvent donc circuler instantanément dans l’espace, pour un coût faible.

S’agissant des connaissances tacites, l’argument selon lequel une co-localisation des acteurs est nécessaire doit être fortement nuancé : les connaissances tacites sont des connaissances non codifiables que partagent des acteurs ayant une expérience commune. Deux chercheurs travaillant dans le même domaine de spécialisation, ayant accumulé des connaissances tacites très pointues au fur et à mesure de leur activité, peuvent parfaitement échanger à distance et faire circuler, ainsi, des connaissances tacites.

Et lorsque des échanges plus informels sont nécessaires entre des chercheurs aux compétences complémentaires (qui ne partagent pas donc pas les mêmes connaissances tacites), ou entre des chercheurs aux compétences semblables, une proximité temporaire sera souvent préférable : séminaires, colloques, chercheurs invités, etc.

3. Les autres missions des chercheurs

En France, nombre de chercheurs exercent des activités d’enseignement. Ils développent également des recherches appliquées, en collaboration avec des entreprises et/ou des collectivités locales.

La proposition souvent entendue de concentrer la recherche sur un ensemble restreint de campus, et de confier aux autres universités le soin des formations jusqu’au niveau L peut dans ce cadre se révéler contre-productive : on néglige d’une part l’importance des interactions recherche-enseignement pour dispenser des cours de qualité, y compris au niveau L ; on occulte d’autre part les besoins d’interaction entre chercheurs, entreprises et collectivité pour la coproduction des connaissances nouvelles.

il est clair que, parfois, ces interactions peuvent se faire à distance, elles peuvent parfois reposer sur une proximité temporaire, mais dans d’autres cas, une proximité permanente est souhaitable. Le besoin de proximité spatiale est d’ailleurs certainement plus important entre ces acteurs appartenant à des univers très différents, dont certains sont peu mobiles (étudiants en début de parcours, PME, collectivités locales) qu’entre des chercheurs de la même discipline, ce qui plaide plutôt pour un certain degré de dispersion spatiale de la recherche.

Conclusion

Au final, les arguments plaidant pour une concentration spatiale de la recherche me semblent plutôt légers.  Ils sont logiquement portés par de grands pôles (la PSE et la TSE en économie), et correspondent tellement bien à l’idée toujours très prisée en France selon laquelle le “big is beautiful”, qu’ils risquent de s’imposer très rapidement. Rectificatif : en fait, ils se sont déjà imposés.

Dynamiques de proximité : le temps des débats

Après Lyon (1997), Toulouse (1999), Paris (2001), Marseille (2004) et Bordeaux (2006), les prochaines journées de la
Proximité, sixièmes du nom, seront organisées sur Poitiers, du 14 au 16 octobre 2009 par le CRIEF (laboratoire de recherche de
l’UFR de Sciences Economiques de l’Université de Poitiers auquel j’appartiens) et le groupe Dynamiques de Proximité (réseaux de chercheurs, économistes, sociologues et géographes, spécialisés sur
ce thème). Ces journées rassemblent généralement autour de 200 chercheurs français et étrangers.

L’idée est de faire de ce colloque un lieu d’échange et de débats entre les chercheurs et les autres acteurs des territoires. Cinq thématiques prioritaires ont été définies, développées dans
l’appel en communication.

Nous organiserons également trois débats en séance plénière, organisés sous forme de tables rondes, filmées puis diffusées sur le site du colloque :

Débat 1 : Peut-on créer des clusters technologiques ?

Débat 2 : L’économie résidentielle, horizon indépassable des territoires “périphériques” ?

Débat 3 : Attirer les créatifs, une stratégie gagnante ?

Informations complémentaires à suivre sur l’intérêt des thématiques et des débats, sur les intervenants, sur les modalités d’inscription, etc.

L’ensemble du colloque est géré via un Open Conference System. Vous y trouverez pour l’instant l’appel à communication en français et en anglais, ainsi que la composition du Comité Scientifique
et du Comité d’Organisation. Les chercheurs peuvent y déposer leur proposition de communication. Une seule adresse donc : http://proximite.conference.univ-poitiers.fr

Dates importantes :

– date limite de soumission d’une communication : 8 mars 2009
– date d’acceptation des communications : 2 mai 2009
– date limite d’envoi des communications : 31 août 2009


N’hésitez pas à me faire part de toute remarque que vous jugerez utile!

Grand emprunt – suite

Sarkozy valide l’essentiel des propositions
Juppé-Rocard
: l’essentiel des fonds ira à quelques campus d’excellence et tant pis pour les autres. Tout ça pour monter dans le classement de Shangaï

Psychologie de comptoir : Juppé et Rocard, anciens énarques, sont obsédés depuis tout petit par les classements. Pas étonnant qu’ils ne regardent que cela pour juger des Universités, et que leur
seul objectif soit qu’elles grimpent dans ce classement stupide. Quand à notre président, il veut de
grandes entreprises, un grand Paris, u
n grand emprunt, de grandes universités (1 milliard d’euros sera investi « tout de suite »pour constituer un « gigantesque campus » à Saclay),il est obsédé par la taille, on se demande pourquoi…