Les jeunes et la politique

Via
Pierre Maura
, je découvre cette enquête très intéressante sur la politisation des jeunes, que j’insère ci-dessous :

 

 

Si l’on interrogeait les enseignants ou enseignants-chercheurs, je pense que le sentiment dominant serait celui d’une dépolitisation
des jeunes. Ils ne s’intéressent à rien nos petits jeunes, de toute façon, ils sont de moins en moins bons, ils
passent leur temps sur leur portable ou sur Facebook, etc, etc…


L’étude montre qu’il n’en est rien : les réponses des 18-29 ans sont très proches en 2008 de ceux des 30 ans et plus, qu’il
s’agisse de « l’importance de la politique dans la vie », de « l’intérêt pour la politique » ou de « la fréquence des discussions politiques » (tableau 1). Idem
s’agissant des formes d’action politique (tableau 2) ou de leur positionnement politique (tableau 3).

 

Seule différence significative par rapport aux 30 ans et + :  les 18-29 ans sont seulement 36% à suivre l’actualité politique tous
les jours, contre 63% pour les 30 ans et +. Ce que j’estime comme le signe d’une meilleure allocation du temps de cerveau disponible, vu le niveau des propos de nos politiques et des médias
traditionnels (je sais, ça a un petit côté populiste ce discours).

 

Par rapport aux jeunes de 1981, 1990 ou 1999, les jeunes de 2008 sont beaucoup moins nombreux à ne pas se situer sur l’échelle
politique (autour de 20% sur les 3 premières périodes, seulement 8% en 2008). Ils sont également plus nombreux à souhaiter un changement radical de la société (24% en 2008 contre 11% en 1981 et
6% en 1990).

 

L’article insiste sur la fin sur l’hétérogénéité de la catégorie “jeunes”, en fonction notamment du niveau d’études. Les plus instruits sont ainsi plus
intéressés par la politique (54% contre 27%) et moins “révolutionnaires” (19% contre 32%). Ce qui fait que l’on peut s’interroger, au final, sur la pertinence de cette catégorie
“jeunes”.

C’est moins grave que si c’était pire…

Formule choc de notre ministre de la relance, Patrick Devedjian, entendue hier sur France 2 (après 1’30). En déplacement dans une usine de Renault Trucks,
histoire de voir l’effet des 250 millions injectés dans cette entreprise, il interroge des salariés :
Devedjian : “vous êtes au chômage partiel?”
Salarié : “en alternance une semaine sur deux…”
Devedjian : “sur le plan de votre salaire, finalement?”
Salarié : “finalement, on subit une petite baisse…”
Devedjian : “de combien?”
Salarié : “entre 5 et 10%”
Devedjian : “et on y arrive? [les salariés tardent à répondre, ils semblent hésiter…] ah, c’est pas un cadeau!”
Salarié : “ouais, on y arrive mais… c’est dur…”
Devedjian : “mais euh…. “[on le sent réfléchir, jusqu’à ce qu’un éclair de génie le traverse] : “c’est moins grave que si c’était pire!
Salarié : [impressionnés par la sortie de not’ministre] “voilà… ouais… bien sûr!…”

Sans doute fier de sa formule, il récidive quelques instants plus tard, en commentant la timide reprise de l’activité :
“au mois de janvier, ils sortaient 20 véhicules jour… aujourd’hui, c’est 60… c’est typique de ce qui s’est passé et de l’effort qui est fait… malgré tout, ca va un peu mieux que moins
mal si vous voulez
…”

Bon, ben, vive le plan de relance, et vive son ministre, surtout…

Le modèle exit-voice appliqué au parti socialiste

Hirschman a développé en 1970 un modèle aussi simple que puissant, qualifié de modèle exit-voice, auquel il a apporté quelques compléments/précisions en 1986. Modèle à mon humble avis sous-utilisé en économie, sur lequel nous travaillons dans notre labo pour traiter des modalités de résolution des conflits d’usage et de voisinage observés sur le littoral picto-charentais (avec un article à paraître fin 2009 dans la revue Natures Sciences et Sociétés). L’objectif ici est de montrer en quoi il permet d’analyser les conflits observés au sein du Parti Socialiste…

1. Exit, voice et loyalty

Dans son modèle, Hirschman s’intéresse de manière générale aux modalités de résolution des dysfonctionnements observés dans une organisation : un consommateur insatisfait par la qualité du produit vendu par une entreprise, un citoyen mécontent de la politique de son gouvernement, un salarié insatisfait de ses conditions de travail, etc.

Il considère alors, en première analyse, que les acteurs peuvent apporter deux grands types de réponse aux dysfonctionnements constatés : soit ils adoptent un comportement de fuite (exit), soit ils prennent la parole (voice). Par exemple, les citoyens d’un État peuvent répondre à une répression politique par l’émigration (exit) ou par des manifestations (voice) ; les salariés d’une entreprise insatisfaits de leurs conditions de travail peuvent décider de quitter leur emploi (exit) ou d’exprimer leur mécontentement afin que la situation s’améliore (voice) ; des consommateurs déçus par la qualité d’un produit peuvent réagir en effectuant leurs achats ailleurs (exit), ou bien en se plaignant aux responsables de l’entreprise productrice (voice).

Dans certains cas, l’une des deux options, exit ou voice, est impossible et les deux solutions apparaissent alors complémentaires. Dans d’autres cas, exit et voice sont envisageables et apparaissent donc comme substituables. Hirschman (1986, p. 59) précise que le voice est souvent préférable, car l’exit est « un moyen puissant mais indirect et assez grossier de faire savoir à la direction que les choses ne vont pas » et il peut être à
l’origine d’un processus cumulatif de détérioration (par exemple, un quartier difficile, où sont localisées de nombreuses personnes pauvres, verra partir prioritairement celles qui disposent des moyens financiers les plus importants, et ainsi s’accentuer le phénomène de ghettoïsation).

En s’interrogeant sur les moyens de freiner l’exit et de favoriser le voice, Hirschman (1986) est amené à distinguer deux types de voice, correspondant à deux étapes différentes de la prise de parole des acteurs. La première, le voice horizontal, renvoie à l’organisation des acteurs en collectifs, qu’ils soient formels ou informels, dans le but de préparer l’action collective. Ce n’est qu’une fois cette étape réalisée que les acteurs peuvent, de manière efficace, prendre la parole face à l’autorité régulatrice, ceci marquant l’entrée dans la seconde étape, qualifiée de voice vertical.

Pour comprendre davantage l’arbitrage réalisé par les acteurs entre exit et voice, Hirschman introduit une troisième notion, le loyalty, qu’il relie à la confiance que les acteurs peuvent porter à l’organisation à laquelle ils appartiennent – sentiment de patriotisme dans le domaine politique, attachement des consommateurs à une marque dans le domaine économique. Dans les cas où exit et voice sont possibles, les individus opteront alors pour le voice soit s’ils sont loyaux, soit s’ils considèrent qu’ils peuvent influencer l’évolution de leur organisation. Ces deux conditions sont en fait interdépendantes et s’autorenforcent : les personnes loyales cherchent à gagner de l’influence et les personnes influentes sont de plus en plus attachées à l’organisation, persuadées de pouvoir la faire évoluer. Au total, le loyalty aurait donc tendance à freiner le recours à l’exit et à favoriser davantage le recours au voice.

2. Application au parti socialiste

Les applications peuvent être nombreuses, je me concentre ici sur les comportements récents de certains des ténors du parti. Etant entendu que je suis loin d’en disposer d’une connaissance précise, mais bon, n’hésitez pas à amender en commentaire…

Première idée, ont-ils intérêt à faire de l’exit ou du voice?

En règle générale, on peut considérer que pour les cadres d’un parti, faire de l’exit est particulièrement coûteux : ils ont dû investir pendant de longues années pour monter progressivement dans la hiérarchie d’une organisation qui dispose d’une puissance de frappe non négligeable pour atteindre à plus ou moins long terme l’objectif poursuivi par ces individus : obtenir le pouvoir. En France, on a depuis de longues années grosso modo deux partis qui trustent l’essentiel des postes, le PS et l’UMP, quitter l’un de ces partis pour s’aventurer dans une organisation moins bien implantée (NPA, Modem, …) n’est donc pas le meilleur moyen de décrocher rapidement un poste. A moins de ne plus avoir guère d’espoir en interne (Mélenchon?).

Jusqu’à récemment en tout cas, car depuis quelques temps, cela n’a échappé à personne, notre Président de la République a déployé une stratégie pas inintéressante pour faciliter l’exit de certains ténors du parti socialiste, en leur proposant de redéployer l’investissement effectué au PS au sein de l’UMP (Eric Besson) ou du gouvernement (Kouchner)… Et ça marche plutôt bien… Avec sans doute des effets en retour : d’autres ténors, non encore partis du parti, (si j’ose dire) peuvent en effet agiter une menace devenue crédible (“si vous ne répondez pas à mes demandes, je cours au gouvernement!”) pour obtenir plus que ce qu’ils pouvaient espérer auparavant (Jack Lang?).

Deuxième élément d’application, pour décrypter les comportements de Valls, Peillon et de Montebourg. Chacun déploie en fait une stratégie de voice assez différenciée.

Arnaud de Montebourg, d’abord, a pris la parole pour… menacer de partir si son projet était bloqué par la direction (voir sa tribune dans la nouvel obs).

“Or, je le dis tout net, je n’irai pas plus loin. S’il devait échouer, ce combat serait pour moi le dernier, au sein
d’un PS qui telle la vieille SFIO ne mériterait plus qu’on l’aide à survivre. Il y a dans ce parti trop de violence, trop de blocages, trop de poussières sous les tapis, trop de petits
calculs pour que le militant que je suis, fidèle à ses idées et fier de ses engagements, ne tente pas son dernier combat.”

En gros, l’idée est que si on ne l’écoute pas, il fera de l’exit. Le problème avec ce type de stratégie est de savoir si la menace est crédible… S’il part, c’est pour aller où? Et quel dommage pour l’organisation?

Deuxième stratégie mise en oeuvre ce week-end, celle de Vincent Peillon (voir ici par exemple), qui dirige le courant “l’espoir à gauche”, qu’il considère comme le «premier courant dans le parti». Peillon fait clairement du voice, mais plutôt du voice horizontal : il ne s’agit pas de se confronter directement à la direction du parti, mais de faire émerger, au préalable, un collectif intermédiaire, susceptible de prendre la parole, plus tard, face à la direction du parti, et d’imposer ses vues.

Troisième stratégie, enfin, celle de Manuel Valls (voir ici par exemple) : Manuel Valls s’est exprimé à plusieurs reprises sur le parti socialiste, en contestant son nom, en dénonçant la victoire d’Aubry contre Ségolène Royal, en affirmant surtout, plus récemment :

« Martine Aubry nous dit que le Parti socialiste est en ordre de marche pour affronter de nouvelles défaites. Tel le
chef d’orchestre sur le pont du Titanic, elle convie les socialistes à bien lire leur partition tout en leur cachant la vérité sur l’ampleur des voies d’eau constatées sur le navire.
(…)

Ce n’est pas en réinventant l’eau tiède des valeurs de la gauche que celle-ci a la moindre chance de reconquérir le
pouvoir. Martine Aubry se présente comme un adversaire résolu de Nicolas Sarkozy. Pourtant en la lisant, je crains que ce dernier ne se dise : avec une gauche comme celle-là, la droite a de
beaux jours devant elle ! »

Bref, lui aussi fait du voice, mais du voice moins consensuel, selon une logique de confrontation, et en se positionnant directement vis-à-vis de la première secrétaire. Du voice vertical sans voice horizontal préalable, donc… Peut-être est-ce là un signe que l’on peut inverser la logique mis en évidence par Hirschman? Valls fait du voice vertical en essayant de structurer autour de lui un autre courant au sein du PS (voir ici), autrement dit pour provoquer du voice horizontal? Cheminement inverse à celui de Peillon, donc.

Ce à quoi Aubry répond :

Si les propos que tu exprimes reflètent profondément ta pensée, alors tu dois en tirer pleinement les conséquences et
quitter le Parti socialiste.

Aubry demande à Valls de se taire ou de partir. D’arrêter le voice et de faire de l’exit. Ce qui n’est pas vraiment un signe de bonne santé pour une organisation, pas le signe, en tout cas, que cette organisation est prête à évoluer… En apparence, en tout cas, car les choses pourraient être moins simples. Avant cette formule, en effet, Martine Aubry avait pris soin de proposer à Manuel Valls de continuer à faire du voice, mais d’une autre manière, moins dans une logique de confrontation que de concertation :

Mon cher Manuel, s’il s’agit pour toi de tirer la sonnette d’alarme par rapport à un parti auquel tu tiens, alors tu
dois cesser ces propos publics et apporter en notre sein tes idées et ton engagement.

Tout l’enjeu est de savoir si une telle prise de parole en interne est susceptible de faire évoluer l’organisation… Valls doit penser que non.

Quelle est la meilleure stratégie? Montebourg et Valls doivent avoir un ego plus important que Peillon, puisqu’ils espèrent rassembler sous leur seul nom un nombre suffisant de personnes. Entre Montebourg et Valls, la stratégie du premier me semble plus hasardeuse, la menace de départ étant somme toute peu crédible… A moins, finalement, que ces stratégies ne soient complémentaires et plus ou moins coordonnées, car, sauf erreur de ma part, ces trois espoirs du parti ont soutenu plus ou moins fortement la candidature de Ségolène Royal… Il s’agirait alors de faire craquer la direction, en attaquant de tous les côtés?

Source :

Hirschman A.O., 1970, Exit, Voice, and Loyalty: Responses to Decline in Firms, Organizations, and States. Cambridge, MA: Harvard University Press.

Hirschman, A.O., 1986. Vers une économie politique élargie, Paris, Éditions de Minuit.

Plan automobile : quelques commentaires

Nicolas Sarkozy a annoncé des aides de plus de 6 milliards au secteur automobile, à destination principalement des deux
principaux constructeurs Renault et PSA, prêt de 6% assorti de contrepartie, la principale étant de ne pas délocaliser d’usines implantées en France. Le détail du plan est visible ici.

Le fait qu’il s’agisse d’un prêt et non d’un don ne signifie pas qu’il ne coûte rien aux citoyens français, comme a pu le
dire notre président jeudi dernier au sujet des prêts accordés aux banques. Comme on dit en économie, il n’y a pas de repas gratuit : en octroyant un prêt, l’Etat se prive d’intervenir dans
d’autres domaines, qui auraient permis de dégager une certaine rentabilité ; le coût du prêt correspond donc au gain associé à la meilleure option non choisie (c’est ce qu’on appelle le coût
d’opportunité).

L’aide accordée au secteur automobile s’explique par

i) le poids de ce secteur, plus généralement de la filière automobile, dans l’économie française. Le gouvernement nous
dit régulièrement 10%, soit environ 2,5 millions de personnes, c’est en fait beaucoup moins, comme le découvre Le Monde
aujourd’hui sur la base de cette étude (les lecteurs de blogs le savent depuis le 16 décembre, les
journalistes du Monde devraient les lire)

 ii) le fait que ce secteur est un des premiers touchés par la crise. Bien durable à forte valeur unitaire,
l’automobile est un des premiers biens dont on reporte l’achat,

 iii) la structuration du secteur, avec à sa tête deux grandes entreprises, il est donc plus facile de le soutenir
que de soutenir des secteurs beaucoup plus éclatés, sans véritable pilote dans l’avion. On peut penser également que le lobbying des deux constructeurs français est plus efficace que celui
d’autres entreprises appartenant à d’autres secteurs.

Certaines parties du plan semblent plutôt bienvenues :

i) j’ai relevé notamment les moyens mis en place pour la diffusion du lean manufacturing (p. 9 et 10 du document), dont j’avais souligné
l’importance ici.

ii) le plan prévoit aussi de faire évoluer les relations donneurs d’ordre/sous-traitant, particulièrement calamiteuse en
France, en raison de l’asymétrie des rapports de force, qui permet aux constructeurs de reporter l’essentiel de l’effort (de réduction des coûts et de flexibilité) sur les sous-traitants. Voir
sur ce point l’Usine Nouvelle n°3131 du 29 janvier au 4 février, p. 26-28 : délais de paiement à 100 jours (60 dans le reste de l’Europe), réduction des prix obligatoire de 5 à 6% par an,
prise en charge de la moitié des frais de R&D, obligation de s’implanter dans des pays low cost même si les coûts sont les mêmes, voire inférieurs, en France, etc… Reste à savoir ce qui peut
vraiment contraindre les constructeurs à répondre à ces injonctions.

iii) le plan propose également une meilleure prise en charge du chômage partiel, et des formations proposées aux salariés
pendant les périodes d’inactivité.

A contrario, si l’on considère, comme beaucoup le pensent, que le choc qui a frappé l’automobile a été un révélateur de
problèmes structurels, notamment d’un problème de surcapacité à l’échelle mondiale (estimée à 20%), on peut douter de l’efficacité de tous ces plans de soutien : chaque pays mettant ses
constructeurs sous perfusion, les nécessaires ajustements risquent d’être simplement reportés.

La contrepartie de non délocalisation fait beaucoup réagir en Europe, le plan d’aide risque d’être attaqué par d’autres pays. Le gouvernement répond que l’aide n’a rien d’illégale, mais ce n’est pas l’aide qui est
critiquée, ce sont les contreparties exigées. On peut craindre soit que le plan soit retoqué par l’Europe, soit que des mesures similaires soient prises par d’autres pays. Auquel cas la France
aurait beaucoup à perdre : elle attire de très nombreux investissements directs étrangers, elle aurait plus à perdre qu’à gagner de la mise en place de telles mesures
protectionnistes.

Plus généralement, on voit clairement ressurgir les tentations protectionnistes un peu partout dans le monde, ce qui
n’augure rien de très bons, tant on sait les effets calamiteux que cela peut produire. Je ne développe pas outre mesure, mais l’enjeu essentiel n’est pas de plaider le protectionnisme commercial,
plutôt d’œuvrer à la protection sociale des personnes les plus exposées (voir sur ce point l’interview
de Cohen
dans Le Monde).

PS : Centre Presse m’a interrogé sur le sujet hier, article à lire ici (€), ou dans l’édition papier.

L’oral de Nicolas S.

J’espère qu’en lecteurs assidus des blogs d’économie, vous avez reperé les erreurs et approximations de Nicolas S. lors de son oral d’hier
soir ?

1. Sur la croissance (repéré également par Emmanuel) : “cela fait
dix ans que nos performances sont inférieures à celles de l’Allemagne”. J’en avais parlé ici, reprise d’un petit
graphique :



2. Sur les déficits publics : “j’ai trouvé un pays où chaque français doit 20 000€”.  A qui ? Pour l’essentiel aux
français… Sur ce point et sur le discours lanscinant sur le déficit et la dette, voir ou revoir  ce billet d’Alexandre Delaigue.

3. Sur l’immigration : “Michel Rocard l’a dit il y a longtemps, nous n’avons pas vocation à accueillir toute la misère du monde”. Argument
ultime souvent repris, avec l’éternel oubli de la deuxième partie de la phrase “mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part”. Voir ou revoir le papier de Rocard.

4. à plusieurs reprises, Nicolas S. met en regard les 1 900 000 chômeurs et les 500 000 emplois non pourvus, pour justifier notamment les
sanctions annoncées à l’encontre des chômeurs. Ce chiffre de 500 000 circule souvent, sans que l’on sache vraiment d’où il sort. Peut-être des enquêtes Besoins en Main-d’Oeuvre (BMO) de l’Unedic,
qui montrent qu’en gros 500 000 employeurs jugent difficiles leur projet de recrutement. Mais dire que le recrutement est difficile n’est pas synonyme d’emploi non pourvu. Voir sur ces
enquêtes et les raisons des difficultés de recruter ce document du Credoc.

Je ne prétend pas à l’exhaustivité, d’autant que, je l’avoue, j’ai souvent décroché…

Vous n’avez plus d’argent? Eh bien, remboursez-le!

Je ne fais que relayer l’info,  déjà traitée chez RCE et Versac et reprise chez les Econoclastes, mais elle est tellement
croustillante…

Ségolène Royal “choquée par le scandale de la Société générale”, a demandé vendredi à Chartres “que les 7 milliards d’euros soient remboursés aux familles qui sont
plongées dans l’endettement”.

“Quand les Français ont un compte bancaire excédentaire en début de mois et le terminent à découvert, les pénalités tombent. Les banques s’enrichissent sur le dos
des plus modestes. Je demande à ce que les 7 milliards d’euros soient remboursées aux familles qui sont plongées dans l’endettement”.

Source : Désirs d’Avenir.

On doit pouvoir généraliser : toutes les entreprises essuyant des pertes devraient les rembourser…

Consommation citoyenne

L’Insee nous apprend que la
consommation a augmenté de 0,3% en novembre dernier. Rebond surprise nous dit Le Monde. Luc Chatel, secrétaire d’Etat
chargé de la consommation, aurait déclaré : “En ne réduisant pas leurs achats de Noël, les Français participent à la relance de l’économie et accomplissent donc un “acte
citoyen”
.

Question : est-ce que quelqu’un peut affirmer ici, sans mentir, qu’il a effectué un achat quelconque par citoyenneté,
pour participer à la relance de l’économie?????

Macroéconomie keynésienne pour les nuls

Beaucoup de discussions sur les blogs d’économie autour des politiques de relance, la plupart mobilisant pour cela le modèle keynésien de base. Je me dis qu’une petite explication du modèle pour Patrick Devedjian les non initiés peut être utile. Je reviendrai ensuite sur ce qu’en tirent comme implications les économistes blogueurs.

Modèle de base

Version la plus simple, on raisonne en économie fermée et sans Etat. Soit Y le revenu total. Les deux dépenses possibles sont les dépenses de consommation des ménages (C) et les dépenses d’investissement des entreprises (I). On écrit donc :

Y = C + I

Pour simplifier toujours, on ne fait pas de théorie de l’investissement (on suppose un niveau d’investissement exogène donné), seulement de la consommation, considérée dans une perspective keynésienne comme dépendant positivement du revenu.

C= cY

c est un paramètre stratégique. Il s’agit de la propension marginale à consommer, comprise entre 0 et 1, ce qui signifie qu’un accroissement du revenu se traduit par un accroissement moins que proportionnel de la consommation.

Sur cette base, on peut réécrire puis transformer la première expression :

Y = cY + I

On fait passer cY à gauche

Y – cY = I

On met en facteur :

(1-c)Y = I

On divise de chaque côté par 1-c :

Y = [1/(1-c)]I

Notons k=1/(1-c)

Comme c est compris entre 0 et 1, 1-c est aussi compris entre 0 et 1, donc k est strictement supérieur à 1. Il sera d’autant plus fort que c est élevé.

Dès lors, si I varie d’un certain montant (notons cette variation dI), Y va varier plus que
proportionnellement.

dY/dI = 1/(1-c)=k

Il s’agit de ce qu’on appelle un effet multiplicateur, en l’occurrence des dépenses d’investissement.

Deuxième modèle

On complique en intégrant l’Etat. Celui-ci prélève une partie du revenu sous forme d’impôts (notés T), si bien que C est maintenant égal à :

C= c(Y-T)

Y-T est le revenu disponible.

On considère que l’Etat applique une imposition proportionnelle aux revenus, avec un taux marginal d’imposition de t :

T = tY

Sur la base des impôts collectés, l’Etat réalise des dépenses publiques G. On a donc maintenant trois composantes dans la dépense totale :

Y = C + I + G

C = c (Y-T)

T = tY

On se sert des deux dernières relations, on les réintroduit dans la première, et on trouve :

Y = cY – ctY + I + G

Soit :

Y = [1/(1-c(1-t)][I+G]

L’Etat dispose d’une variable d’action G. En faisant varier G, on arrive à une variation plus que proportionnelle de Y. Le multiplicateur est cependant plus petit que 1/(1-c) car une partie de l’injection va se trouver ponctionnée sous forme d’impôts.

Troisième modèle

On introduit l’extérieur. Une partie des dépenses va se tourner vers les produits étrangers, il convient donc d’introduire les importations (notées M) avec un taux marginal d’importation m. L’extérieur est également demandeur de produits nationaux (exportations notées X). On a donc maintenant :

Y + M = C + I + G + X

C = c(Y-T)

T = tY

M = mY

On réarrange le tout et on obtient :

Y + mY = cY – ctY + I + G + X

Soit après transformations :

Y = [1/(1 + m – c(1-t)][I + G + X]

L’effet multiplicateur est encore réduit, car une partie de l’injection éventuelle par l’Etat sous forme de dépenses publiques est captée par les entreprises étrangères, via les importations, et ce d’autant plus que m est grand.

Que doit-on attendre dès lors d’une politique de relance ? Tout dépend de la valeur des déterminants du multiplicateur. On peut regarder ici pour se faire une idée de c et m, qui tournent autour de 0,8 et de 0,25. Pour le taux d’imposition, on serait environ à 0,45. Soit un multiplicateur de 1,23.

Applications

Alexandre Delaigue se sert du dernier multiplicateur pour s’étonner des effets attendus par notre ministre du plan de relance du gouvernement. Il montre qu’en prenant des valeurs raisonnables pour t et m, obtenir l’effet pronostiqué par notre ministre est incompatible avec une valeur raisonnable de c… (en raisonnant sur les valeurs présentées ci-dessus, plutôt « haut de la fourchette », puisque le plan est de 26 milliards nous dit-on (voir ici pour une critique), l’impact à attendre serait de 26*1,23 = 32 milliards, non pas 100 milliards comme annoncé par Devedjian. En prenant des valeurs «bas de la fourchette»: c=0,8, m=0,3, t=0,5, le multiplicateur est de 1,11, soit 29 milliards).

Rationalité Limitée présente une discussion sur la valeur du multiplicateur des dépenses publiques : vaut-il mieux accroître les dépenses publiques ou réduire les impôts ? 

Mafeco disserte aussi sur le sujet, en proposant notamment de manière réjouissante de cibler la dépense sur les entreprises mal gérées, histoire de viser les personnes dont la propension à consommer est la plus forte.

Rodrik, moins facétieux, s’inquiète de la tentation protectionniste potentielle résultant de l’utilisation de ces modèles : on voit très vite en effet que pour accroître l’effet multiplicateur, il « suffit » de réduire m. Pour éviter cette tentation, il espère que les autres pays feront aussi des politiques de relance, qui profiteront aussi aux Etats-Unis, et se réjouit des dispositions en ce sens de la Chine et de l’UE.

 Krugman enfin, discute des politiques de relance en Europe : si les pays de l’UE font ca de manière unilatérale, l’effet attendu risque d’être faible, car la valeur du m pour chaque pays est élevée. Si, en revanche, on a une politique de relance concertée au niveau de l’UE, l’effet sera fort, car le m de l’UE est faible (l’essentiel du commerce des pays de l’UE est du commerce intra-européen). Il conclue en s’inquiétant de la position allemande sur le sujet : The lesson of this algebra is that there are very large intra-EU externalities in fiscal policy, making coordination really important. And that’s why German obstructionism is such a problem.

PS : j’en oublie sans doute, n’hésitez pas à compléter en précisant le lien et l’idée principale.