Des quotas en classe préparatoire pour les meilleurs élèves…

Je découvre dans le Monde que François Hollande propose de fixer des quotas pour permettre un plus large accès aux classes préparatoires. Extraits :

“Dans tous les lycées de France, quels qu’ils soient, une part des élèves de terminale devront aller dans les classes préparatoires aux grandes écoles sans qu’il y ait de système particulier. Ça peut être 5 à 6 % des élèves”.

(…) Cette mesure est inspirée d’une proposition de loi défendue en 2005 entre autres par le député de l’Essonne Manuel Valls, qui proposait que “les meilleurs élèves de chaque lycée de France auraient un droit d’accès aux classes préparatoires aux grandes écoles et aux premières années des établissements qui sélectionnent à l’entrée (Instituts d’études politiques ou Dauphine par exemple)”, en fixant le poucentage de ces élèves à 6 %.

Je vous avoue qu’à chaque fois que je lis ce type de propos, les bras m’en tombent… C’est que, vous comprenez, je suis prof à l’Université, alors entendre qu’il faut que les meilleurs élèves aillent dans les grandes écoles ou dans les établissements qui sélectionnent à l’entrée, parce que quand même c’est tellement mieux, c’est à pleurer… Le problème, c’est que notre élite politique, de droite comme de gauche, est issue de ces grandes écoles. Comment, dès lors, attendre qu’ils fassent bouger le système ?

Une suggestion? Lisez les travaux des chercheurs. Sur le sujet évoqué dans l’article, je vous conseille cet article de Marie Duru-Bellat et Annick Kieffer, très complet. Je vais reprendre la conclusion, tiens, car on dirait que c’est une réponse à l’article du Monde…

Promouvoir l’égalité des chances ne peut se limiter à jouer à la marge sur les processus de sélection dans les filières d’« élite » par différents systèmes de discrimination positive (comme les procédures d’admission spéciale pour les élèves des lycées défavorisés) alors que, par définition, celles-ci resteront toujours quantitativement restreintes.

Il conviendrait de jouer bien en amont, sur les inégalités de réussite précoce et donc sur les chances d’accéder aux voies scolaires les mieux adaptées à ces filières (en l’occurrence l’accès aux baccalauréats généraux). De multiples actions en aval sont bien sûr concevables, telles que favoriser les formations tout au long de la vie qui sont, en France, particulièrement rares, ce qui donne encore plus de portée aux inégalités scellées très tôt dans l’éducation initiale.

Nicolas Sarkozy ou la stratégie du bonimenteur

Stéphane Ménia a posté l’autre jour un billet intitulé “la revanche des bonimenteurs”. Extraits :

(…) nous sommes probablement en train de franchir une étape déterminante dans la communication politique autour des chiffres (…). il semble que nous ayons passé un nouveau cap. Celui où l’on ment tout simplement, de façon décomplexée (…). Puisque les gens veulent des chiffres, on leur en donne à foison. Ce qui traduit implicitement une compétence moderne incontestable. Pensez donc à ces vendeurs de couteaux pourris sur les marchés. Leur discours technique vous fait marrer ? Sachez qu’il inspire le respect et la confiance à d’autres. Mais puisque les gens sont submergés de chiffres, on peut passer au milieu du discours des choses totalement farfelues. Ils n’iront pas vérifier. Surtout quand cela les arrange. Au contraire, ils propageront le message. Si untel a avancé des chiffres aussi catégoriques à l’heure d’Internet, ce ne peut être que vrai (…).

Qu’on prenne le fautif la main dans le sac ? Pas de problème. Si ça ne buzze pas trop, il suffit de laisser les deux ou trois blaireaux qui font une audience confidentielle dans l’électorat du camp d’en face se perdre dans leurs étranglements. Le reste du monde n’en saura rien et campera sur notre propos. Si on en parle au delà, on peut tenter la rectification qui soutient encore davantage l’argument. Dans une version de repli, il suffit d’évoquer des propos scandaleusement reproduits hors de leur contexte. Et si on se fait encore renvoyer dans les cordes, faisons croupir l’affaire à coup de communiqués croisés ou de silence complet. Il viendra bien un jour où l’actualité fera oublier cette affaire datant de 3 mois en arrière qui n’intéresse quasiment plus personne.

Pour avoir commenté hier en direct les propos de Nicolas Sarkozy dans l’émission de Paroles de candidat, un constat s’impose : il a adopté clairement la stratégie du bonimenteur.

En affirmant d’abord, à plusieurs reprises, que nos comptes sociaux souffraient de l’immigration, de tous ces étrangers qui viennent en France profiter de notre système avantageux de protection sociale. Les études sérieuses sur le sujet montrent que ce type d’affirmation est particulièrement contestable :

l’impact global de l’immigration sur les finances publiques est légèrement positif dans le long terme du fait de l’apport perpétuel d’individus d’âge actif et de la prise en compte de la contribution nette des descendants de ces immigrés.

Pour avoir indiqué ensuite que la France était le pays qui avait connu la plus forte hausse du pouvoir d’achat pendant les années de crise. La hausse du pouvoir d’achat peut être mesuré de différentes façon : soit par le taux de croissance du PIB réel, soit, pour tenir compte des évolutions démographiques, par le taux de croissance du PIB réel par habitant. Dans les deux cas, l’affirmation est fausse. Les chiffres pour le premier indicateur se trouve ici (site d’Eurostat). Pour le deuxième indicateur, c’est là. j’ai calculé la moyenne simple du taux de croissance des deux indicateurs sur la période 2007-2011. Nombre de pays ont fait mieux que la France :

 (moyenne des taux de croissance sur 2007-2011, %) PIB réél PIB réel par habitant
Allemagne 1,34 1,20
Autriche 0,98 1,34
Belgique 0,20 1,06
Danemark -0,96 -0,54
Espagne -0,66 0,26
Finlande 0,32 0,56
France -0,04 0,76
Islande -1,08 0,54
Italie -1,16 -0,08
Luxembourg -0,58 -0,56
Norvège -0,52 1,18
Pays-Bas 0,68 0,66
Portugal -0,24 1,02
Royaume-Uni -0,54 0,18
Suède 0,76 1,54
Suisse 0,84 1,68
rang France 8 8

Dans les deux cas, la France se classe au 8ème rang de cet échantillon de 16 pays.

Pour avoir affirmé encore que depuis 2005 la délinquance avait baissé, en France, de 17%. Le rapport de l’Observatoire National de la Délinquance montre que c’est faux :

2005 2010 taux de croissance
Atteintes aux biens 2633571 2184460 -17,1%
Atteintes volontaires à l’intégrité physique 411350 467348 13,6%
Escroquerie et infractions économiques et financières 318680 354656 11,3%
Infractions révélées par l’action des services 317680 359292 13,1%
Total 3681281 3365756 -8,6%

On observe une baisse de 17% si l’on ne regarde que les atteintes aux biens. La baisse est dans l’ensemble de -8,6%, les autres types d’infraction ayant connu une augmentation plutôt forte.

En affirmant enfin que les effectifs de la fonction publique territoriale ont augmenté de 110% sur les dernières années. L’Insee montre là encore que ce chiffre est faux :

 (effectifs en milliers, source Insee) 1996 2006 2007 2008
Collectivités territoriales 1 177,8 1 342,6 1 418,1 1 467,8
Communes 905,2 1 048,5 1 065,6 1 075,1
Départements 155,3 208,2 241,5 276,8
Régions 8,6 22,3 53,7 72,3
Emplois aidés et apprentis des collectivités territoriales 108,7 63,6 57,3 43,5
Etablissements publics à caractère administratif (EPA) 280,0 446,2 457,2 460,5
Etablissements communaux 90,9 120,0 123,7 126,3
Etablissements intercommunaux 100,5 193,5 204,4 212,7
Etablissements départementaux 43,3 92,3 93,4 95,4
Autres EPA locaux 24,7 22,1 19,1 13,1
Emplois aidés et apprentis des EPA 20,5 18,2 16,6 12,9
Total fonction publique territoriale 1 457,8 1 788,8 1 875,4 1 928,2

Entre 1996 et 2008, les effectifs sont passés de 1 million 457 mille à 1 million 928 mille, soit une hausse de 32%.

Nicolas Sarkozy avance des chiffres faux, mais quelle importance? L’expert s’en agace, bien sûr, mais si une telle stratégie permet d’être élu, elle est rationnelle. Il paraît que les courbes se croisent, ce matin. Gageons que Nicolas Sarkozy n’est pas près de changer de stratégie…

L’oral de Nicolas S. (épreuve de janvier 2012)

Il y a quelques années, Nicolas S. avait passé un
écrit
et un oral plutôt peu concluants. Il a récidivé dimanche soir.

Sujet tiré lors de l’épreuve orale : que faire pour sauver l’économie française de la crise actuelle? Voici le déroulé de
l’épreuve… (en gras, les propos entendus -ce n’est pas une retranscription littérale, mais les idées sont là)

– bonjour Nicolas, installe toi… avant de commencer, cependant, petite précision : j’ai donné le sujet en août dernier, au moment du
retour de la crise… et tu ne t’es pas présenté à l’épreuve… je veux bien t’entendre, mais il faudra que je sanctionne ce retard…

– (…)

– bien, que proposes-tu?

– je propose de réduire les charges patronales pour lutter contre les délocalisations, car il faut bien que tout le monde en prenne
conscience : la France est en train de se vider de son sang industriel…

– tu peux me dire quel est le rapport avec le retour de la crise d’août dernier?

– (…)

– bon, continue. Si je comprends bien, le problème n’est pas le retour de la crise, tu sembles pointer un problème plus structurel de
baisse de l’emploi industriel en France…

– oui, c’est cela! D’où ma proposition!

– d’accord, je te suis… Cependant, je te rappelle que l’emploi industriel baisse en France depuis les années 1970… que les causes
sont assez bien indentifiées par ailleurs… (je te renvoie à ce document).
Pourquoi ne pas avoir évoqué cette solution la première fois que tu as passé cette épreuve??? Souviens-toi, c’était il y a cinq ans, quand même!!!

– je sais… j’ai des regrets… qui n’en aurait pas…

– d’accord, je comprends. Bon, tu veux donc baisser les charges patronales. Mais ceci risque de dégrader encore plus la situation des
finances publiques, ne crois-tu pas?

– pas du tout! Car je propose de financer ces baisses de charge par un accroissement de la TVA!

– eh bien, tu n’y va pas avec le dos de la cuillère! Et tu proposes de faire tout cela quand?

baisse des charges en février, hausse de la TVA en octobre!

– ah, il y a un décalage de 8 mois… pendant 8 mois, tu réduis les rentrées fiscales sans augmenter les recettes… c’est curieux,
non?

– (…)

– bon, passons… revenons à cette hausse de la TVA… n’as-tu pas peur qu’elle pèse sur la consommation en France? Nous risquons
d’assister à une hausse des prix, ne crois-tu pas?

– absolument pas! En Allemagne, aucun effet!

– tu as vérifié les statistiques?

– (…)

tu peux aller voir sur Eurostat… Ton amie Angela M. a augmenté la TVA en 2007, l’inflation allemande, systématiquement sous les 2% entre 2000 et 2006 (1,8% en 2006), est passée à
2,3% en 2007 et 2,8% en 2008… effet inflationniste assez inévitable, Nicolas, même si l’ampleur peut varier selon les pays… Au Royaume-Uni, apparemment, l’effet inflationniste a été très fort
depuis la réforme similaire de David C…

– oui, mais au Royaume-Uni, rien à voir : ils n’ont plus d’industrie!!!

– tu en es sûr? A en croire ce graphique (données Eurostat), l’industrie pèse 11,9% de la valeur ajoutée (en valeur) en France, contre 12,4% au Royaume-Uni…

– (…)

– bon, imaginons que tu aies finalement raison : pas d’effet inflationniste de la mise en place de la TVA. Je ne comprends pas pourquoi
tu ne veux pas l’instaurer plus tôt?

– ben… c’est pour des raisons techniques… le temps que les ordinateurs s’adaptent

– tu te moques de moi?

– (…)

– bon, tu peux justifier d’une autre façon?

– oui! C’est pour faire comme en Allemagne! Ils ont annoncé la hausse de la TVA quelques mois en avance, comme ça les
consommateurs se sont dit qu’il valait mieux vite consommer avant la hausse
, ça a fait repartir la consommation du feu de dieu!

– ok, je comprends… donc, tu annonces la hausse en février, elle n’a lieu qu’en octobre, comme ça, les consommateurs, qui se disent
que les prix vont augmenter seulement en octobre, vont consommer beaucoup en février, mars, avril, mai, etc… et donc faire repartir la croissance en France, plutôt qu’attendre octobre et subir
la hausse des prix?

– oui! oui! oui! c’est ça!!!!

– je comprends… je comprends… mais pourtant… il y a quelques minutes… tu ne m’as pas dit que la hausse de la TVA n’aurait pas
d’effet sur les prix???

– (…)

– donc, si je résume : tu dis aux français que tu augmentes la TVA, tu leur dit en même temps que ça ne fera pas monter les prix, mais
tu espère qu’ils vont penser que ça fera monter les prix histoire qu’ils consomment fissa avant les élections et que la croissance redémarre…

– (…)

– si je résume encore plus : tu veux qu’ils pensent d’une part que ça ne fera pas monter les prix et d’autre part qu’ils pensent que ça
fera monter les prix… tout ça en même temps…

– (…)

– bien… je te dis à la prochaine fois ?


Le quotient familial a-t-il stimulé la natalité française ?

Nouveau débat en cours : la suppression/modulation du quotient familial proposée par François Hollande. Nicolas Sarkozy a rétorqué que
“Ce serait une folie. C’est quand même quatre millions et demi de familles qui sont concernées. C’est un coup porté à notre politique familiale. Elles y perdraient beaucoup” (source). Diantre, rien que cela… Je me suis
empressé d’aller chercher quelques éléments côté recherche académique, histoire de mesurer l’ampleur de la folie dans laquelle nous allons tous plonger.

La meilleure référence que j’ai pu trouver (n’hésitez pas à poster d’autres références) est cet article de Camille Landais de 2004, précisément intitulé “Le quotient familial a-t-il stimulé la natalité française ?”. Voici le
résumé :

Dans cette étude, nous exploitons les variations des mesures familiales de la législation de l’impôt sur le revenu afin d’estimer
l’impact des incitations financières sur la fécondité à partir de la méthode dite des « expériences naturelles ». Nous utilisons des données annuelles issues du dépouillement exhaustif de
l’ensemble des déclarations de revenus par l’administration fiscale depuis 1915. Nous avons exploité deux expériences naturelles, le plafonnement des effets du QF en 1981 et l’introduction de la
demi-part supplémentaire au troisième enfant en 1980, qui semblent indiquer que l’impact des politiques d’incitations fiscales sur la fécondité est positif, mais toujours extrêmement faible.
Néanmoins, même s’ils demeurent très faibles, ces effets présentent deux caractéristiques remarquables. Ils sont tout d’abord très lents à se diffuser (5 à 10 ans). Ils sont ensuite assez
clairement dissymétriques en fonction du rang de naissance et du niveau de revenu : la politique de troisième enfant a une certaine efficacité quoique très restreinte et les très hauts
revenus sont légèrement plus sensibles aux incitations fiscales que les hauts revenus.

Je vous livre également la dernière phrase de sa conclusion (petite précision : Landais parle d’étrange “policy mix” car l’Etat a pris
sur la période des décisions plutôt contradictoires avec d’un côté le plafonnement des effets du QF et de l’autre un soutien vigoureux aux familles nombreuses) :

En dernier recours, cet étrange « policy mix » a permis à l’État d’économiser des sommes conséquentes (de l’ordre de 4,5 milliards
de francs courants pour la seule année 1982 au niveau du dernier centile, d’après nos propres estimations !), sans détériorer pour autant la fécondité des hauts revenus. 

 

Contrairement à l’affirmation de notre Président (et des quelques ministres dont j’ai pu entendre les cris horrifiés hier dans les
médias), modifier les incitations proposées par l’Etat ne semble pas bouleverser les comportements des acteurs. Dès lors, si l’évolution proposée par Hollande s’inscrit dans le cadre plus large
d’une réforme fiscale de nature plus progressive, je vote pour cette folie douce…

TVA Sociale et autres futilités…

Les médias s’emparent du sujet remis sur le tapis par le gouvernement. Hier, petite interview pour France Bleu Poitou (édition de 18h, mais c’est très court) et pour Le Parisien/Aujourd’hui en France (elle devrait figurer dans l’édition papier d’ajourd’hui).

Difficile en quelques secondes ou minutes de dire tout ce que j’en pense, je renvoie plutôt à mon billet d’il y a quelques années. Voir aussi les billlets des Econoclastes, ce billet de Mathieu Bronnec, ou encore celui-ci, d’un nouveau venu sur la blogosphère, Captain
Economics.

Sur Twitter, @petitesphrases cherchait des billets sur le sujet. Alexandre Delaigue l’a renvoyé sur certains des billets indiqués plus
haut. Question alors de @petitesphrases : “ok, je vais lire ça, mais pourquoi on le fait alors si c’est naze?”.

Réponse d’Alexandre Delaigue : “la politique ne consiste pas à régler les problèmes, mais à les gérer : c’est à dire, à créer
l’illusion de faire quelque chose.”

Certains trouveront la formule un peu cynique et/ou désespérante, mais je la trouve tellement vrai ces temps-ci, quand on voit ce qui
fait l’actualité : tva sociale, relocalisations, made in France, Seafrance…

Inégalités de patrimoine et de revenu

Doocument intéressant de l’Insee sur les
inégalités de patrimoine et leur évolution entre 2004 et 2010.

Si l’on ne regarde que le revenu disponible, les 10% les plus riches ont un revenu disponible 4,2 fois supérieur à celui des 10% les
plus pauvres. En termes de patrimoine, le ratio n’est pas de 4,2, mais de 205.

On y apprend également que ce ratio a aougmenté de 30% entre 2004 et 2010.

Preuve supplémentaire, s’il en était besoin, de l’urgence d’une réforme fiscale en France.

Présidentielle 2012 : conseil de lecture

A l’approche des éléctions 2012, je ne peux que conseiller de suivre assidûment les blogs d’économistes, de sociologues et de juristes
(voir par exemple la blogroll à gauche de l’écran), qui ne manqueront pas de décrypter les propositions des uns et des autres.

 

Je conseille également, et c’est l’objet du petit billet du jour, de suivre le blog
de Jean Véronis
, Professeur de linguistique et d’informatique, qui s’amuse souvent à produire des statistiques sur les mots utilisés par nos politiques. Dernier exemple en date, les critiques de l’UMP vis-à-vis d’Hollande, accusé de vouloir “réenchanter le rêve
français”. Il ne faut pas faire rêver les français, nous dit-on, mais les rappeler à la réalité, ce que ne manque pas de faire Nicolas Sarkozy, dixit l’incontournable Jean-François Copé : “Il ne
ré-enchante pas le rêve mais éclaire le chemin des Français ainsi que la raison profonde de son action et de sa mission”.

 

Jean Véronis est donc aller chercher des éléments de preuve de cet ancrage dans la réalité de notre Président, en s’appuyant sur les
discours de la dernière campagne présidentielle, en dénombrant le nombre de fois où les mots “rêves” ou “rêver” sont cités (en proportion du nombre de mots cités, bien sûr). Résultat des courses
:

 

sarkozy-reve

Les chercheurs sont globalement des gens pénibles…

TVA anti-délocalisation

Les élections présidentielles 2012 approchent. L’occasion d’entendre des propositions innovantes, peut-on espérer.

Pas vraiment en fait… Pour preuve, l’interview de Jean Arthuis au Monde, qui nous exhorte à oser le débat sur la TVA anti-délocalisation. Bon, je pourrais écrire un article pour dire ce que j’en pense, mais c’est plutôt inutile : billet déjà fait il y a 4 ans, intitulé “La TVA sociale anti-délocalisation anti-chomage non inflationniste qui va faire payer les méchants étrangers”.

Je la pressens reposante pour les économistes blogueurs, cette campagne 2012 : il nous suffira juste de poster des liens vers des billets d’il y a 5 ans!

révolution fiscale et exil fiscal

Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez ont sorti un ouvrage au Seuil/République des Idées le mois dernier, intitulé “Pour une
révolution fiscale”. Un site internet associé résume leur propos et permet à qui le souhaite de simuler les implications de sa
propre réforme fiscale.

Brève synthèse :

1) le système d’impôt actuel est faiblement progressif quand on commence à monter dans l’échelle des revenus, ce jusqu’au niveau des
classes moyennes, puis il devient régressif, puis très régressif quand on attaque les 5% les plus riches,

2) la décomposition par impôt permet d’identifier l’origine du problème : i) tes cotisations sociales et les autres taxes sur les
salaires sont “naturellement” régressives, car elles ne touchent pas le facteur capital et sont plafonnés pour les très hauts revenus, ii) idem pour les taxes sur la consommation, car les pauvres
allouent la quasi-totalité de leurs revenus à la consommation pendant que les riches peuvent épargner, iii) les impôts sur le capital sont logiquement progressif, vu la concentration du
patrimoine dans les mains des plus aisés, iv) le problème est donc du côté de l’impôt sur le revenu, qui devrait corriger le caractère régressif des deux premiers types d’impôt non compensé par
le caractère progressif du troisième

3) Pourquoi l’impôt sur le revenu ne fonctionne-t-il pas? Deux raisons avancées par les auteurs : i) “L’IRPP, mité par les niches
fiscales et abaissé par tous les gouvernements successifs, ne rapporte plus aujourd’hui que la moitié de ce que rapporte la CSG”, ii) La plupart des hauts revenus et des revenus du capital
(intérêts, dividendes, plus-values, loyers) bénéficient d’exemptions particulières et de règles dérogatoires leur permettant d’échapper au barème de l’IRPP.”

4) proposition des auteurs : appliquer un seul et unique impôt sur le revenu, prélevé à la source, en appliquant un barême
véritablement progressif. Implication : “Le nouveau barème permet de réduire les impôts jusqu’à des revenus bruts mensuels individuels de 7 000 euros, soit près de 97% de la population. Au-delà,
les taux effectifs d’imposition n’augmentent que de quelques pourcents (sauf évidemment pour ceux qui bénéficient très fortement de niches particulières), et les augmentations n’atteignent 10% du
revenu que pour des revenus de l’ordre de 50 000 euros par mois – ce qui reste modéré.”

Vous vous en doutez, réaction immédiate de certains commentateurs : ils sont fous, si l’Etat fait ça, tous les riches vont
partir!!!

Dernier exemple en date, ce billet dans les Echos de Mathieu
Laine
, avocat et maître de conférences à Science Po, intitulé “L’inquiétante « révolution fiscale » de Thomas Piketty et des siens”. Il mobilise habilement un article co-écrit par Saez et Landais sur le cas des footballeurs européens, qui montre l’impact des taux d’imposition sur leur
localisation. Sauf que les auteurs insistent en fin d’article sur le fait qu’il s’agit d’un marché très particulier (peu de joueurs par club et peu de clubs dans les premières divisions des
championnats), ils en appellent donc à d’autres études sur des salariés à très haut-revenu.

L’argumentation de Mathieu Laine est assez amusante, puisqu’il commence par dire :

C’est une réalité quotidienne : une partie toujours plus grande de nos capitaux, et, par ricochet, de nos recettes fiscales,
de nos intelligences, de nos entrepreneurs et des emplois qu’ils créent quitte le territoire national. N’importe quel dirigeant doté d’un minimum de bon sens devrait donc, dans l’intérêt de tous,
éviter de sombrer dans le piège démagogique de l’hypertaxation des hauts revenus.

 Mais plus loin, il explique :

Opacité oblige, nous manquons hélas de données à ce sujet, d’où l’absence de publications scientifiques chiffrées. Bercy devrait
d’ailleurs, d’urgence, les livrer de manière anonyme. On estime cependant que l’ISF, par exemple, coûterait entre 6 et 15 milliards d’euros de manque à gagner fiscal par an, à comparer aux
3,2 milliards qu’il rapporte…

Bref : il n’y a pas d’étude sérieuse, mais “on” estime l’évasion fiscale lié à l’ISF considérable et de toute façon, c’est une réalité
quotidienne, tous les capitaux fuient la France, tous les talents, toutes les intelligences s’en vont…

J’adore ce genre de propos non documentés, qui ne résistent pas à l’épreuve des faits. Non, tous les capitaux ne fuient pas hors de
France (voir cet article très complet sur les méthodologies et les résultats, voir aussi ici sur ce type de discours alarmiste). Non, tous les jeunes diplômés français ne s’enfuient pas à Londres ou à New York
(voir cet article qui reprend les résultats d’un travail de recherche. J’ai vu passer récemment
un autre doc (une annexe à un rapport du CAE je crois) qui parvenait aux mêmes conclusions, je n’arrive plus à mettre la main dessus, si quelqu’un a ça sous le coude…).

Sur la problématique de l’ISF, contrairement à ce que dit Mathieu Laine, des travaux existent. Gabriel Zucman a ainsi réalisé un mémoire sous la direction de Piketty en 2008, intitulé “Les hauts patrimoines fuient-ils l’ISF ?
Une estimation sur la période 1995-2006″.

Je vous livre un extrait du résumé :

Nos projections indiquent que le rendement de l’ISF aurait dû être multiplié par 3,6 entre 1995 et 2006, un chiffre très proche de
la multiplication par 3,3 constatée. L’écart résiduel peut s’expliquer, outre par l’imprécision de nos estimations, par des délocalisations, des non-déclarations, et des sous-déclarations, sans
qu’il soit exactement possible de trancher avec les données dont on dispose.

Au total, les pertes de recettes d’ISF dues à ces trois phénomènes réunis n’excèdent pas 400 millions d’euros, soit 10 % du produit
de cet impôt en 2006.

C’est l’étude la plus sérieuse sur le sujet. L’évasion existe, mais elle pèse peu.

Compte tenu de l’état des connaissances sur le sujet, je plaide pour la réforme proposée par Landais, Piketty et Saez. Reste à trouver
les politiques qui auront l’audace d’inclure cette réforme dans leur programme pour 2012…