Made in France, again

Mathieu Magnaudeix, de Médiapart, m’a interviewé mercredi dernier sur le Made in France. Alexandre Delaigue et Jean-Luc Gaffard ont également été interrogés. L’objectif?
Synthétiser les analyses (largement convergentes) des économistes sur cette nouvelle mode du Made in France avant de recevoir François Bayrou, ce soir, entre 20h30 et 22h00.

L’article se trouve ici (€). Le débat sera diffusé là.

Made in France vs. Made in Monde

Je découvre dans cet article (via EcoInter View) le petit tableau ci-dessous, traduit et complété par mes soins.

Balance commerciale des Etats-Unis pour l’iPhone, en 2009 (millions de dollars)

Chine Japon Corée du Sud Allemagne Reste du Monde Monde
Mesure traditionnelle -1901.2 0 0 0 0 -1901.2
en % 100% 0% 0% 0% 0% 100%
Mesure en valeur ajoutée -73.5 -684.8 -259.4 -340.7 -542.8 -1901.2
en % 4% 36% 14% 18% 29% 100%

 

Il s’agit d’un tableau résumant la balance commerciale des Etats-Unis, en 2009, pour un seul produit, l’iPhone. La mesure traditionnelle du commerce montre que les Etats-Unis payent 1901.2 millions de dollars à la Chine, qui assemble ce produit. Une mesure révisée, en valeur ajoutée, modifie totalement notre perception : la Chine, pour assembler l’iPhone, importe beaucoup du Japon, de l’Allemagne, de la Corée du Sud et d’autres pays encore. Si l’on déduit des exportations chinoises d’iPhone les importations chinoises nécessaires, les Etats-Unis ne payent plus que 73.5 millions de dollars à la Chine, soit 4%, contre 36% au Japon ou 18% à l’Allemagne.

J’avais déjà parlé de l’importance de l’analyse du commerce international en valeur ajoutée ici et . Je voulais en remettre une couche, vu le débat politique actuel sur le fabriqué en France :

Sarkozy/Jego proposent de labelliser “Origine France Garantie” les produits dont plus de 50% de la valeur ajoutée est française. Bayrou a fait du “Fabriqué en France” un point essentiel de sa campagne. Sur la base de ce critère, on observe que l’iPhone est un produit Made in Nulle Part. Ou plutôt Made in Monde,

* Le Japon et l’Allemagne ne peuvent pas revendiquer que l’iPhone est un pays respectivement Made in Japan ou Made in Germany. Mais ils sont très bien positionnés dans la chaîne de valeur ajoutée de ce produit Monde,

* On peut donc opposer deux stratégies en matière de politique industrielle : i) la stratégie Sarkozy/Jego/Bayrou, qui vise à soutenir la production de biens Made in France vendus en France, ii) la stratégie Japonaise ou Allemande, qui vise à être bien placé dans les processus de production de produits Made in Monde vendus… partout dans le Monde.

Personnellement, je ne sais pas, mais alors absolument pas, quelle est la meilleure stratégie…

Industrie, Services et exportations

Dans une tribune pour Libération datée du 2 septembre dernier, Alexandre Delaigue s’interroge sur le fétichisme industriel de nos politiques. Je complète son analyse sur un point en m’appuyant sur ce que j’ai dit, dans un billet précédent, des limites des statistiques sur le commerce extérieur et de la nécessité de comptabiliser le commerce en valeur ajoutée.

Comme expliqué précedemment, donc, les statistiques habituelles du commerce extérieur ne permettent pas de prendre acte du processus de fragmentation des processus productifs. Quand les Etats-Unis exportent un Boeing, disons d’une valeur de 100, vers l’Europe, on affecte 100 de richesse créées aux Etats-Unis. Or, pour fabriquer
un Boeing, les Etats-Unis importent de pays tiers tout un ensemble d’éléments. Il convient donc de soustraire ces éléments importées pour avoir une idée exacte de la valeur ajoutée aux Etats-Unis. Lorsqu’on procède de la sorte, on observe que, pour le Boeing 787 Dreamliner, 70% de la valeur provient des composants importés, seuls 30% correspondent à une valeur ajoutée américaine.

boeing

J’avais tiré parti de cette nouvelle façon de comptabiliser les échanges pour dénoncer les propositions de taxation des pays étrangers : en les taxant, on taxe, pour beaucoup, les entreprises françaises. Mais il convient de tirer une deuxième implication essentielle de cette comptabilisation du commerce en valeur ajoutée.

Lorsqu’on analyse les statistiques habituelles du commerce, on observe que, pour l’essentiel, ce sont les secteurs industriels qui sont exportateurs. Ce qui est un des éléments explicatifs du fétichisme industriel dénoncé par Alexandre Delaigue. Mais la encore, la comptabilité habituelle du commerce est trompeuse : les services
sont en fait fortement exportateurs, mais cela ne se voit pas dans les statistiques…

Pourquoi? Car les services sont exportés via les biens industriels. Prenons le cas d’une entreprise industrielle qui exporte un bien A vers un pays tiers. Pour fabriquer ce bien A, elle a acheté un ensemble de services aux entreprises : conseil, design, services informatiques, transports de biens intermédiaires, etc. Pour évaluer la part des services dans les exportations, il convient donc, là encore, d’évaluer le commerce en valeur ajoutée. Autrement dit de décomposer la chaîne de valeur des biens et d’affecter
la valeur créée pour chaque étape au bon secteur et au bon pays.

L’article de l’OFCE déjà cité dans le précédent article montre l’ampleur des changements liés à cette nouvelle comptabilisation : “Mesurés à partir des données en valeur ajoutée (…), la part de l’industrie dans le commerce international passe de plus des deux tiers (4 400 milliards de dollars) à moins de 45 % (2 100 milliards de dollars) (…) alors que la part des services fait plus que doubler pour passer de 21 % (1 300 milliards de dollars) à 43 % (2 000 milliards de dollars).” (page 156, voir également le tableau page 155 du même document).

Conclusion : si les politiques veulent absolument soutenir les secteurs exportateurs (il y aurait beaucoup à dire, également, de cette obsession mercantiliste), ils se doivent donc d’être aussi attentifs aux services qu’à l’industrie…

La démondialisation

Arnaud Montebourg, dans le cadre des primaires du parti socialiste, s’est fait le chantre de la démondialisation. Ce positionnement
politique est plutôt bien réparti sur l’échiquier politique, de Jean-Luc Mélanchon à Marine Le Pen, en passant par Arnaud Montebourg, donc, Nicolas Dupont-Aignan et j’en passe. En 2007, les deux
finalistes (Sarkozy et Royal) avaient tenu des propos plutôt anti-mondialistes (Ségolène Royal : il faut « taxer les entreprises qui délocalisent les emplois et taxer leurs produits
lorsqu’elles les réimportent » ; Nicolas Sarkozy : il faut trouver « Un chemin équilibré entre protection et protectionnisme »). Idem aux Etats-Unis avec Obama (le
protectionnisme serait « un mal nécessaire », propos repris par Christine Lagarde).

De manière générale, les sondages d’opinion le démontrent à l’envie : la mondialisation fait peur aux citoyens, les politiques ont
stratégiquement intérêt à « caresser les citoyens dans le sens de leur peur » (formule reprise de François Héran, le Temps des
immigrés
, Seuil-La République des Idées), ils adoptent donc de manière préférentielle des positionnements plutôt frileux, voir très anti, vis-à-vis de la mondialisation.

Récemment, Frédéric Lordon s’est énervé contre les attaques virulentes faites aux partisans de la démondialisation (voir ici). Son argumentation : ce n’est pas parce que la démondialisation est au programme du FN
qu’on ne peut pas réfléchir à cette notion, qu’elle n’est pas digne de débat. Si l’on s’interdit d’en parler, tout débat risque d’être impossible, car potentiellement récupérable par le FN. Je
suis totalement d’accord avec ce positionnement : on ne peut pas critiquer les partisans de la démondialisation sous ce prétexte. Il convient plutôt d’argumenter, d’avancer des éléments de
preuve sur les avantages/coûts d’une telle stratégie, puis d’en tirer les conséquences en termes d’action publique.

Dans cette perspective, je vous propose de développer deux idées pour alimenter le débat. La première est assez connue. La deuxième
résulte de considérations plus récentes.

1. Les économistes sont de mauvais pédagogues

Quand on leur parle de mondialisation, la plupart des économistes expliqueront que c’est un jeu gagnant-gagnant, un « win-win
game » in english. Ce qui a valu a Greg Mankiw de se faire traiter de « Alice au pays des Merveilles » par un sénateur démocrate. Il
faut dire que l’expression est particulièrement maladroite : quand les économistes disent que la mondialisation est un jeu gagnant-gagnant, ils ne veulent pas dire qu’il n’y a pas de
perdants. Car il y a des perdants en fait…

Ca vous semble paradoxal ? Ben non… J’illustre de manière (j’espère) pédagogique. Intéressons-nous au cas de deux pays A et B. Ce
qu’enseigne l’économie, c’est que si ces deux pays s’insèrent dans la mondialisation, ils vont réaliser des gains nets
positifs :

A : Gains – Pertes > 0

B : Gains – Pertes > 0

D’un point de vue macro-économique, donc, les deux réalisent des gains. Mais ces gains nets correspondent à la différence entre des
gains et des pertes. Les perdants sont d’une part des entreprises qui se trouvent évincées du marché par la concurrence étrangère et d’autre part les salariés qui perdent leur emploi suite à la
disparation ou à la réduction de la production de ces entreprises. Il convient donc de distinguer ce qui se passe à l’échelle macro-économique et ce qui se passe au niveau d’une entreprise (quand
une entreprise ferme, les salariés souffrent) ou d’un territoire.

Si l’on considère que, globalement, les pays gagnent à la mondialisation, la question est déplacée : il ne s’agit plus d’accuser
l’autre (le pays étranger) de nos maux, mais de s’interroger sur notre capacité à « dédommager » les perdants : comment faire en sorte que les personnes essuyant les pertes (les
personnes peu qualifiées pour l’essentiel) parviennent à retrouver rapidement un emploi ? Il ne s’agit donc plus de prôner une politique de protectionnisme commercial, mais une politique de
protection sociale, qui passe, notamment, par des politiques de formation des personnes les moins qualifiées (quand je dis cela, je ne dis pas que l’avenir de tous les jeunes français passe par
l’obtention d’un diplôme d’école d’ingénieur, d’un Master ou d’un doctorat : il y a de nombreux besoins non couverts dans des entreprises industrielles qui sont à la recherche de diplômés de
CAP/BEP/Bac pro dans des filières de formation désertées, pour des raisons bien connues mais difficiles à combattre). Ainsi qu’une politique industrielle (avec un volet essentiel en termes
d’innovation) pour travailler à la spécialisation de l’économie française.

En clair : arrêtons d’externaliser la faute (le méchant chinois, polonais, indien, etc.), prônons plutôt un travail
d’introspection (où sont les défaillances dans nos politiques publiques).

(Précision importante, en passant : les propos ci-dessus ne visent pas à prôner un libre-échangisme effréné. Nous sommes dans un
système économique plutôt favorable aux échanges de biens, à la mobilité du capital et du travail. Je dis bien plutôt favorable, car il existe tout un ensemble de règles qui freinent ces
circulations (notamment du travail). Ce que je veux dire, c’est que l’enjeu essentiel n’est pas de modifier radicalement et rapidement cet ensemble de règles cadrant les relations
internationales, mais de s’interroger sur l’ensemble de règles internes qui cadrent les comportements en termes de formation des personnes et d’innovation des entreprises).

2. Taxer les pays étrangers, c’est, pour beaucoup, taxer les entreprises françaises

Deuxième idée essentielle, plus récemment mise en évidence : les discours sur la mondialisation sont développés en considérant, à
la base, que nous sommes dans une espèce de confrontation entre pays. Nous regardons donc ce qu’exporte la France, ce qu’elle importe, on se réjouit dans le premier cas, on se désespère dans le
deuxième cas.

On procède de même pour l’ensemble des pays, ce qui laisse dire à beaucoup que l’industrie n’a plus d’avenir dans les pays développés,
que la Chine, notamment, est devenue l’atelier du monde, que la désindustrialisation des pays développés est en marche. Beaucoup de choses à dire sur ce sujet, voir ce billet par exemple, qui montre que la baisse des effectifs industriels en France a beaucoup à voir
avec des mécanismes qui ont peu à voir avec la mondialisation. Mais il y a un autre élément important.

Cet élément a été avancé sur un cas simple, celui de la production de l’iPod. Si vous regardez les flux d’importation/exportation de ce
produit, vous constaterez assez vite que, pour l’essentiel, on observe des exportations de iPod de la Chine (principal producteur) vers les Etats-Unis (principal consommateur). Ce qui semble
valider la thèse de la désindustrialisation des pays développés au profit des pays à bas coût.

Sauf que : pour exporter un iPod, la Chine importe beaucoup de composants. D’Allemagne, du Japon, de Corée du Sud, etc. Ce que la
Chine récupère, ce sont donc les dollars qu’elle perçoit de ses importateurs d’Amérique du Nord, moins ce qu’elle reverse à ses fournisseurs. Quel est le bilan ? En gros, sur 100 perçus des
Etats-Unis, elle en reverse 97 à ses fournisseurs. La richesse récupérée en Chine est donc de 3%. La Chine n’est pas l’usine du monde, elle est l’assembleur du monde. Elle s’occupe, dans de
nombreux cas, de la dernière étape avant distribution des produits. En localisant toute la valeur créée à cette dernière étape (approche retenue dans les statistiques traditionnelles du commerce
mondial), on en arrive à une vision très erronée de la géographie de la création de richesse.

On trouve des exemples similaires pour la France : « l’entreprise Bonduelle exporte depuis la France des poêlées de légumes
surgelés. Il ne s’agit toutefois pas d’exportations entièrement françaises puisque les choux-fleurs peuvent venir de Pologne, les choux de Bruxelles, du Guatemala, etc. À la limite, Bonduelle
n’exporte depuis la France que des services de conception, de marketing et d’emballage. De même, l’entreprise Conserves de Provence transforme et conditionne du concentré de tomates chinoises
pour le revendre en Europe. À l’inverse, des flacons de parfum français font l’aller-retour entre la France et Shanghai pour être décorés d’un motif écossais. On ne peut pas dire pour autant que
la France importe des parfums de Chine. C’est pourtant ce que suggèrent les statistiques de commerce extérieur » (source ici, p. 130).

Ce mécanisme joue pour tous les pays. Il illustre les limites des statistiques sur les exportations et la nécessité de raisonner sur la
valeur ajoutée : que récupère-t-on dans le pays A une fois payés les fournisseurs des pays B, C, D, etc. ? Pour la Chine, en moyenne, c’est près de 50% de la valeur des exportations
chinoises qui vont à des fournisseurs étrangers en 2005. Pour la France, c’est près de 30%. Idem pour l’Allemagne. Le pompon va au Luxembourg, avec près de 60% (voir cette étude trouvée via ce billet).

Revenons, donc, à la proposition de « démondialiser » l’économie. Imaginons que, pour ce faire, on taxe de x% les produits
importés de l’étranger. Il faudrait déjà savoir si l’on taxe hors Europe ou en Europe aussi. Car la France importe des produits, à hauteur des 2/3, de l’Union Européenne. Imaginons que l’on taxe
tous les pays. Négligeons d’éventuelles mesures de rétorsion. Mécaniquement, ceci conduira, en moyenne, à accroître de (x/3)% le coût des produits français, via l’accroissement du prix des
produits intermédiaires importés.

Taxer les pays étrangers, c’est donc, aussi, et pour une part non négligeable, taxer les entreprises françaises. Je ne suis pas sûr
qu’il s’agisse de la plus grande urgence en termes de politique publique. Et j’euphémise…

L’an 2008

An_2008.jpgDans
le cadre de la deuxième édition du festival Filmer le travail, un documentaire intitulé “L’an 2008” est projeté mercredi 2 février,
à 17h, à la Médiathèque François Mitterrand de Poitiers. Les organisateurs du colloque m’ont demandé d’animer la séance, qui aura lieu de 17h à 18h. L’organisation serait en gros la
suivante : i) 10 minutes d’échange avec le réalisateur Martin Le Chevallier, ii) projection du documentaire (20 minutes), iii) discussion/débat avec la salle (30 minutes).

Ce documentaire fait partie des films sélectionnés pour la compétition internationale. En voici la
présentation :

L’an 2008 met en scène une collection d’archétypes de la mondialisation : le consommateur insouciant, la sociale dumper chinoise,
le défricheur amazonien, le voleur de plaques d’égout, la tuvaluane inondée, le surendetté américain, le trader inconséquent, la veuve écossaise, etc. Tous ces personnages, à la fois dérisoires
et emblématiques, vont s’interpeller mutuellement, s’accuser des maux qu’ils subissent et s’excuser pour les dommages qu’ils provoquent. Des bureaux de La City aux usines du Guangdong, des
marchés de Lagos aux villas de Beverly Hills, ce chassé-croisé picaresque va peu à peu dessiner la folle escalade de l’économie mondialisée.

 

Tarif : 4€ la séance (ensemble des tarifs ici).

Fiscalité et attractivité de la France

Est-ce que la réduction de la fiscalité sur les entreprises favorise l’investissement en provenance de l’étranger? La réponse semble évidente me direz-vous… Et bien non, pour preuve cet article (€) de Nathan Jensen, à paraître dans le Comparative Corporate Studies (version très préliminaire librement disponible ici). A partir de données sur 19 pays de l’OCDE sur la période 1980-2000, l’auteur montre qu’il n’y a pas de relation entre fiscalité des entreprises et Investissements Directs Etrangers entrants. Pourquoi cette obsession de la plupart des politiques, alors? L’auteur propose trois hypothèses explicatives (trouvé ici) :

i) la réduction de la fiscalité sur les entreprises profiterait à des groupes d’intérêt au sein de chacun des pays, groupes d’intérêt qui feraient pression sur les gouvernants en agitant cet argument de l’attractivité vis-à-vis de l’étranger (je dirais le Medef en France par exemple),

ii) même s’ils se trompent, les citoyens sont convaincus que les niveaux de fiscalité sont un déterminant très important des choix de localisation des entreprises. En agissant sur la fiscalité des entreprises, les politiques porteraient à leur crédit des décisions qui s’expliqueraient par d’autres choses,

iii) il existe une asymétrie d’information évidente entre entreprises et politiques. Les entreprises auraient beau jeu d’expliquer que les niveaux de fiscalité sont essentiels dans leur choix de localisation, même si ce n’est pas le cas.

Mondialisation et pouvoir d’achat : salauds de riches

Via EcoInterviews, je découvre ce graphique particulièrement intéressant, tiré de cette note :

prixmondialises.jpg

Pour chaque décile de revenu (D1 correspond aux 10% des français aux revenus les plus faibles, D10 aux 10% des français aux revenus les plus forts), on calcule la part des biens mondialisés dans le panier global de consommation (en orange, échelle de droite) et l’évolution des prix du panier de consommation total (en bleu, échelle de gauche).

Résultat : l’inflation subie par les ménages décroît quand leur revenu augmente, car plus on est riche, plus on consomme de biens mondialisés et/ou des catégories de biens mondialisés dont les prix augmentent moins vite et/ou diminuent plus vite (cet effet ne résulte vraisemblablement pas seulement du caractère mondialisé/non mondialisé des biens, plus généralement des différences de structure de consommation).

On apprend également dans la note qu’entre 1998 et 2008, l’indice du prix des biens mondialisés a augmenté de 0,6% pour le ménage moyen, contre 21% pour l’indice des prix à la consommation.

Vous allez dire que je suis obsessionnel, mais ce graphique est un argument de plus plaidant pour une réforme fiscale d’envergure : les “riches” bénéficient d’une fiscalité régressive, ils sont moins exposés au risque de chômage que les “pauvres”, leurs comportements de consommation les exposent moins à l’inflation.

Une autre stratégie (“Montebourgeoise” je dirais) consisterait à démondialiser rapidos. Bon, tout le monde y perdrait (cf. l’évolution des prix mondialisés vs. l’évolution des des prix à la consommation), mais les riches perdraient plus que les pauvres. Bien fait pour eux.

Le poids des filiales étrangères en France

Combien pèsent les filiales étrangères en France ? L’OCDE a sorti un document il y a quelques temps, qui permet de s’en faire une idée plus précise qu’en
regardant simplement les IDE entrants en France. Le critère statistique retenu est plutôt strict : sont comptabilisées les filiales dont le capital est détenu à plus de 50% par une société
étrangère. Résultats pour quelques pays, pour l’industrie manufacturière seulement :

Tableau 1 : poids des filiales étrangères dans différents pays, en % du total national,
2004

 

nombre d’entreprises

nombre de salariés

chiffre d’affaires

R&D

Allemagne

1,4%

15,4%

26,7%

27,9%

Espagne

0,7%

15,6%

26,4%

nd

France

2,0%

26,2%

31,8%

27,4%

Royaume-Uni

2,6%

26,6%

41,0%

39,4%

Suède

2,8%

32,4%

39,9%

52,0%

Tchéquie

4,0%

37,2%

52,6%

65,0%

Source : OCDE, Mesurer la mondialisation : activités des multinationales, volume I, secteur manufacturier
2000-2004. Les chiffres portent sur l’industrie manufacturière.

On a des données également pour l’ensemble des activités. Pour la France, les chiffres deviennent un peu moins
importants, mais ils restent conséquents (14% des salariés, 23% du chiffre d’affaires et 25% de la R&D).

Je reviens aux chiffres « effectifs salariés » de l’industrie manufacturière française travaillant dans des
filières étrangères. On apprend dans le document que 99% de ces effectifs travaillent pour des filiales relevant de pays de l’OCDE, dont 66,3% de pays de l’Europe et 26,3% des Etats-Unis. Au sein
de l’Europe, ce 66,3% se décompose en un 57,8% UE à 25 et un 57,7% UE à 15. Le premier pays UE à 15 est l’Allemagne, avec 16,6%.

Vous imaginez si les pays d’origine des filiales étrangères implantées en France instaurent, comme le fait le
gouvernement français, des primes à la relocalisation, et que ces primes soient réellement efficaces ? Sûr que ça fera du bien à l’économie française…

Prime à la relocalisation et taxe carbone européenne

Sur la prime à la relocalisation, ne pas rater cette tribune de El Mouhoub
El Mouhoud dans le Monde, découverte via le Blog de Philippe Moati. Extrait :

Depuis trente ans, les politiques publiques interviennent pour sauver les territoires une fois la délocalisation ou
la restructuration effectuées. Une intervention après coup en aidant les entreprises (exonérations de taxes, subventions,…) a pour effet de verrouiller le territoire dans ses difficultés au
lieu de l’aider à se diversifier. Les leçons du passé n’ont pas été tirées. Le paradoxe est que les aides se concentrent sur les mobiles (entreprises) et laissent de côté les immobiles,
c’est-à-dire les hommes et les femmes qui vivent sur les territoires vulnérables à la mondialisation et à la délocalisation.

Une politique plus offensive consisterait à anticiper les chocs de la délocalisation en concentrant les aides sur les
personnes pour favoriser leur qualification, leur formation et leur mobilité et en s’appuyant sur les infrastructures du territoire lui-même. Ce type d’avantage compétitif est susceptible
d’attirer les entreprises dont la vocation à l’ancrage territorial est plus forte, c’est-à-dire celles qui tirent leurs avantages de la qualité du territoire et des hommes et femmes qui y vivent
et y travaillent.

 
Sur la taxe carbone, voir cette tribune d’Hyppolyte d’Albis, titrée “Idiote taxe carbone
européenne”. Extrait :

Une taxe carbone aux frontières n’a tout simplement pas de sens, car, lorsqu’on importe un bien étranger, on ignore
son contenu en carbone. On ne connaît pas la quantité d’énergies fossiles nécessaire pour le produire, et encore moins la quantité de gaz à effet de serre qui a été émise lors de sa production.
(…)

On pourrait imaginer que des taux de taxation soient définis pour chaque bien ou pour chaque secteur en fonction, par
exemple, de la consommation moyenne d’énergie fossile. Mais cela reviendrait à favoriser, parmi les entreprises étrangères, celles qui ne font aucun investissement dans des technologies propres.
Les entreprises les plus polluantes auraient donc un accès privilégié au marché européen ! Une autre solution consisterait en une obligation de déclaration des consommations d’énergie aux
douanes. Outre le fait qu’une nouvelle formalité viendrait s’ajouter aux procédures d’importation déjà complexes, ces déclarations seraient invérifiables. Cela reviendrait à favoriser
implicitement les entreprises produisant de fausses déclarations.

L’évolution des salaires dans les pays low cost

Les pays low cost sont confrontés à quelque chose qui ressemble à une contradiction interne : ils disposent d’un avantage en termes de
coût du travail, qui permet un développement rapide, attire de l’investissement étranger, mais ce supplément de création de richesse conduit à une élévation des salaires et donc à une réduction
progressive de leur avantage initial.

J’explique souvent ce processus en m’appuyant sur une comparaison France/Tchéquie : en 1996, le coût de l’heure de travail était 8 fois
plus important en France, la productivité du travail était 2 fois plus forte, le coût salarial unitaire, rapport du coût de l’heure de travail et de la productivité horaire du travail, était donc
4 fois plus important en France qu’en République Tchèque. En 2002, soit 6 ans plus tard, ce rapport de 4/1 était tombé à 2,5/1. Pourquoi? Le différentiel de productivité a peu évolué sur la
période, c’est du côté des salaires que les choses ont bougé, le rapport entre le coût de l’heure de travail entre les deux pays passant de 8/1 à 5/1.

Cette mécanique n’a cependant rien de naturel : son ampleur et son rythme dépendent notamment des rapports de force entre les
collectifs d’acteurs, les salariés ayant des marges de manoeuvre plus ou moins importantes pour négocier des augmentations de salaire (d’où des interrogations sur l’ampleur de cette dynamique
pour un pays comme la Chine, compte tenu du régime politique en place et de “l’armée de réserve” sur laquelle peuvent compter les entreprises…).

L’organisation International du Travail vient de livrer un ensemble de statistiques particulièrement
intéressantes sur ce sujet. On y découvre notamment ce tableau (page 16) :

 

Croissance cumulée des salaires (base 100 en 1999)
1999 2006 2007 2008 2009
Pays avancés 100 104.2 105 104.5 105.2
Europe centrale et orientale 100 144.8 154.4 161.4 161.3
Europe orientiale et Asie centrale 100 264.1 308.9 341.6 334.1
Asie 100 168.8 180.9 193.8 209.3
Amérique latine et Caraîbes 100 106.7 110.3 112.4 114.8
Afrique 100 111.2 112.8 113.4 116.1
Monde 100 115.6 118.9 120.7 122.6

 

Les salaires ont peu évolué dans les pays avancés (multiplication par 1,05 sur 10 ans), alors qu’ils ont fortement évolué en Asie
(multiplication par plus de 2). On peut compléter grace aux données en annexe. Je reprend ici les chiffres pour la Chine et la France : 

Croissance des salaires mensuels moyens réels, en % par année
2000-2005 2006 2007 2008 2009
France 0.6 0.5 1.5 2.7 -0.8
Chine 12.6 12.9 13.1 11.7 12.8

 

 

La Chine n’échappe donc pas à la mécanique rappelée plus haut.

S’agissant du rôle des rapports de force entre collectifs d’acteurs, le rapport nous apprend que “les salaires sont mieux alignés sur la productivité dans les pays où la négociation collective couvre plus de 30 pour cent des employés”.

Je vous laisse découvrir les autres éléments qui figurent dans ce rapport, vraiment instructif sur de nombreux aspects.