Les emplois verts, avenir du Monde (avec les relocalisations, quand même…)

Que les choses soient claires, car je sens que je vais me prendre des remarques désobligeantes. La destruction de la planète, c’est comme le sida : je suis contre.

Ceci étant dit, la médiatisation de la croissance verte (puisque c’est le terme aujourd’hui consacré), ou plutôt le décalage entre la communication politique sur le sujet et la réalité des faits me fatiguent un tantinet.

C’est donc avec intérêt que j’ai découvert les résultats de cette étude de la Direction Régionale de l’Insee Poitou-Charentes sur le nombre d’emplois verts et le nombre d’emplois verdissants en région, leur part dans l’ensemble des emplois, et le rang de Poitou-Charentes dans l’ensemble des régions.

Les emplois verts stricto sensu pèsent 0,5% de l’ensemble des emplois de la Région, ce qui est le taux moyen de la France métropolitaine. Poitou-Charentes occupe la 13ème place (sur 22 régions métropolitaines).

0,5%, c’est un peu plus, pour rappel, que ce que pèsent les emplois créés pour motif de relocalisation dans l’ensemble des emplois créés suite à des investissements dans notre beau pays. Relocalisation et croissance verte étant sans doute les termes les plus utilisés dans les discours des politiques relatifs à l’avenir de notre économie, j’en déduis que moins un phénomène existe, plus nos politiques en parlent. Leur côté visionnaire, sans doute.

Si l’on élargit la perspective en dénombrant les emplois verdissants (en gros, des métiers existant qui doivent s’adapter), ils pèsent 14,6% en Poitou-Charentes, contre 15,3% France entière. Je n’ai pas trouvé le rang précis, mais notre région est dans le groupe des 7 dernières régions.

Comme on peut toujours trouver un indicateur permettant de bien se situer dans un classement, on apprend quand même dans le document que Poitou-Charentes est la 2ème région de métropole pour l’importance des niveaux CAP-BEP dans l’ensemble des emplois verdissants. Médaille d’argent. Yep.

PS : je précise, pour expliquer mon côté un tantinet fatigué, que pendant que je lisais cette étude, trônait sur mon bureau une carte de voeux reçue d’une collectivité dont je tairais le nom, qui affichait comme slogan “l’excellence environnementale a trouvé son territoire”…

Qu’elle était verte ma région ! (épisode 2)

Résumé du premier
épisode
 : une première façon d’approcher le « phénomène » croissance verte est d’évaluer le poids dans les différentes régions de l’agriculture biologique dans
l’ensemble de l’agriculture. On constate alors des disparités plutôt fortes, qui peuvent cependant s’expliquer par des effets de structure, l’activité présente initialement pouvant être plus ou
moins favorable à la transition vers des produits bios.

La croissance verte ne se limite bien sûr pas à l’agriculture biologique. On doit donc mobiliser d’autres sources statistiques. Je
propose dans ce billet d’exploiter une source assez récente, que j’avais déjà mobilisé sur un autre
sujet, celui des relocalisations et délocalisations d’entreprises
 : la base Trendéo développée par l’Observatoire de l’Investissement.

Cette base s’appuie sur un recensement des opérations d’investissement et de désinvestissement réalisées en France, à partir de plus de
3000 sources. Les opérations relatives à la croissance verte sont repérées dans la base, ce qui permet ensuite de faire quelques calculs. Ce sont en fait 9 filières vertes qui sont suivies :
1. Le solaire, 2. L’éolien, 3. Le recyclage et la dépollution, 4. L’écoconstruction et les biomatériaux, 5. La valorisation de la biomasse par méthanisation, 6. L’utilisation du bois pour
chauffage, 7. Les biocarburants, 8. La géothermie et l’aérothermie (pompes à chaleur), 9. Le véhicule électrique.

L’Observatoire de l’investissement a lui-même trituré ses données, voici le diaporama présenté lors d’un colloque du CNER en novembre dernier (voir également cette page pour des compléments, suite aux remarques lors du colloque) :

 

J’ai retravaillé la base Trendéo pour me livrer à quelques calculs complémentaires. De la même façon que pour l’agriculture bio, j’ai
calculé un indice régional en rapportant la part régionale dans les emplois croissance verte à la part régionale dans l’ensemble des emplois recensés dans Trendéo. On obtient le graphique
suivant :


verttrendeo.jpg

Les régions les plus performantes sont l’Aquitaine, la Picardie, la Corse et la Bretagne. Poitou-Charentes, qui s’avérait sous
performante en matière d’agriculture bio (indice de 62), obtient un meilleur score (indice de 125).

On peut ensuite croiser les valeurs obtenues pour les deux indicateurs :

 

filières Trendéo<100

Filières Trendéo >100

bio<100

Nord-Pas-de-Calais

Haute-Normandie

Ile-de-France

Centre

Auvergne

Picardie

Champagne-Ardenne

Poitou-Charentes

Bourgogne

Lorraine

Limousin

Aquitaine

bio>100

Basse-Normandie

Midi-Pyrénées

Alsace

Pays de la Loire

Franche-Comté

Provence-Alpes-Côte d’Azur

Languedoc-Roussillon

Bretagne

Corse

Rhône-Alpes

 

Toutes les configurations sont représentées, signe d’une faible « corrélation » entre agriculture bio et filières vertes.
Performances faibles de la région capitale (indice de 23 ici, de 38 pour l’agriculture bio). Rhône-Alpes est performante sur les deux dimensions (indices de 184 et 170).

 

Suite au prochain épisode…

Faut-il créer des Masters Développement Durable en Sciences Sociales?

A l’évidence oui, me direz-vous : le développement durable, la croissance verte, c’est notre avenir. D’ailleurs,
nombre d’Universités et d’Ecoles ont déjà créé des formations dans ce domaine. Pas sûr, pourtant, que ce soit une bonne chose…


Si l’on en croît, d’abord, le Hors-Série Poche n°42 d’Alternatives Economiques, titré « 30 idées reçues sur
l’emploi et les métiers ». Idée reçue n°9 (€) : « le
développement durable va créer beaucoup d’emploi ». Petit résumé :

En modifiant nos modes de vie, le passage à une économie soutenable réorientera en profondeur l’activité de
nombreuses filières industrielles du bâtiment, etc. Mais là encore, plus qu’à l’apparition de nouveaux métiers, c’est à la transformation de ceux qui existent déjà que nous devrions
assister.


Même constat dans cette note du Centre d’Analyse
Stratégique. Extrait :

Quelle que soit l’ampleur de la création nette d’emplois, la croissance verte ne va pas susciter en masse de nouveaux
métiers, mais va essentiellement contribuer à faire évoluer les emplois existants voire traditionnels. En effet, la plupart des créations d’emplois recensées par les différentes études reposent
sur des emplois du bâtiment, des transports, où il s’agit, d’après les professionnels eux-mêmes, de mettre en œuvre les savoir-faire et gestes professionnels fondamentaux. Ce constat vaut aussi
pour certains emplois directement environnementaux. La majorité des emplois créés dans les énergies renouvelables par exemple, sont des emplois non spécifiques de comptables, d’analystes
informatique, d’avocats, etc. (…) Pour l’essentiel, les compétences « vertes » viennent ainsi compléter des aptitudes techniques sectorielles qui demeurent essentielles aux yeux des
professionnels des filières concernées et qui doivent elles-mêmes être maintenues ou renforcées. (…) Ce panorama impose une évolution des formations initiales, qui doivent incorporer le
développement durable plutôt que la création de nouvelles formations. (Graissé par moi).


Conclusion ? Si le développement durable vous intéresse, cherchez plutôt une formation dans un domaine existant
(développement économique local, stratégie des firmes, banque/finance, ntelligence économique, politiques publiques, marketing, management, etc.), vérifiez que le contenu de ces formations
incorpore cette dimension « développement durable », en accentuant éventuellement votre spécialisation via le choix de votre stage.

ps : marre de voir des étudiants céder à des effets de mode, pas envie qu’ils foncent tête baissée dans des impasses.
Je peux me tromper : je suis preneur de tout contre-argument crédible.

Qu’elle était verte, ma Région ! (épisode 1)

La croissance verte est très présente dans les discours de nos politiques. La question est de savoir si, dans les faits, elle se
développe aussi vite.

Une des difficultés pour se prononcer sur cette question est celle des données disponibles, car i) la définition de la croissance verte
est plutôt floue, ii) il s’agit d’activités transversales aux secteurs. Plusieurs sources commencent cependant à être mobilisables. Je vous propose de poster quelques billets sur le sujet, à
mesure que je traite les informations que j’ai pu collecter.

Premier exercice sur des données relatives à l’agriculture biologique, disponibles dans ce document. On y trouve des données sur les surfaces certifiées bio et celles en
conversion, en 2008, par Région. Faire des calculs directement sur ces surfaces n’est pas pertinent, il faut rapporter les surfaces bio/en conversion à l’ensemble de la SAU (Surface Agricole
Utile), pour éliminer les effets de taille du secteur agricole.

Pour pouvoir comparer des séries d’origine différentes (qui viendront dans mes prochains billets), on peut de plus diviser ces rapports
par la moyenne France entière : un indice de 100 signifie dès lors que la part du bio dans une région donnée est égale à la part observée, en moyenne, France entière. Un indice supérieur à
100 signifie que cette région est plus « bio » que la moyenne, un indice inférieur à 100 qu’elle est moins « bio ». On obtient alors ceci :

bio.jpg

 

La moyenne France entière est de 2,12%. L’indice de PACA (363) signifie donc que la part du bio dans cette région leader est égale à
3,63 * 2,12% = 7,70%. Je vous laisse découvrir les résultats. En complément, j’ai construit un nuage de point qui croise mon indice et la taille SAU de la région, (non reproduit ici) :  pas
de relation apparente.

Des données complémentaires disponibles
ici
permettent de se faire une idée des « scores » par département. Je me concentre juste sur Poitou-Charentes. Les différences départementales sont très faibles : part de 1,3%
en moyenne en Région, avec 1,2% en Charente et Charente-Maritime, 1,4% dans les Deux-Sèvres et 1,5% dans la Vienne.

Il convient bien sûr de prendre des précautions dans l’interprétation de ces résultats, car des effets de structures peuvent en
expliquer une partie : supposons que la conversion bio de certaines productions soit plus facile, une région spécialisée dans cette production présentera de meilleurs « scores ».
Les données en ligne ne permettent cependant pas de neutraliser ce type d’effet, mais si l’Agence Bio en dispose, ce serait pas mal qu’ils complètent.

Les résultats sur ces données seront-ils confirmés par les autres données ? Suite au prochain épisode…

Krugman défend Sarkozy

Notre
président écolo propose de taxer les produits hors Europe
. Krugman s’en réjouit (voir aussi
ici et ), expliquant que le principe de base qui sous-tend le libre échange est l’absence de discrimination entre produit étranger et produit domestique. En taxant tous les produits,
étrangers comme domestiques, on ne discrimine donc pas.
 
Why not? Je signale cependant que l’essentiel des échanges de la France se fait avec des pays de l’Union. Pourquoi, alors, pénaliser les pays hors europe n’ayant pas introduit de taxe carbone
pour épargner les pays de l’UE? Pourquoi taxer les méchants chinois et pas les gentils allemands? J’ai du mal à suivre…

La mobilité quotidienne des habitants

On l’a vu l’autre jour, la taxe carbone
risque d’affecter différemment les individus en fonction de leur revenu. Elle risque aussi d’avoir des effets différenciés en fonction de la localisation des personnes, étant entendu que ces deux
éléments sont en partie liés. Un document récent de l’Insee permet de se faire une petite idée
sur la question.

Résumé : Entre 1994 et 2008, la mobilité locale en France métropolitaine a peu changé, en moyenne. Mais cette stabilité d’ensemble est trompeuse car grandes agglomérations et zones rurales ou
faiblement urbanisées évoluent en sens opposé. Dans les grandes agglomérations, les actifs et les étudiants se déplacent en 2008 moins souvent et moins longtemps au cours d’une journée qu’en
1994. Ils sont plus nombreux à n’aller qu’une fois dans la journée à leur lieu de travail ou d’études, sans pour autant réaliser d’autres activités à l’extérieur. En dehors des grandes
agglomérations, les habitants parcourent des distances de plus en plus longues entre leur résidence et leurs différents lieux d’activité, notamment les lieux de travail ou de courses. Les ménages
utilisent davantage leurs voitures et ils en possèdent davantage qu’en 1994.

On y apprend plus précisément que la distance à vol d’oiseau entre lieu d’habitation et activités, hors des grandes agglomérations, a augmenté de 12% sur la période. Pour la distance
domicile-travail, l’augmentation monte à 26% et à 22% pour la distance domicile-études. Dans les grandes agglomérations, les chiffres sont respectivement de -1% pour l’ensemble des activités et
de 10% pour les trajets domicile-travail (pas d’évolution pour domicile-études). Evolutions qui s’expliquent assez largement par les phénomènes de périurbanisation et par la fermeture de certains
équipements et établissements en zone rurale.

Le gouvernement a bien conscience de l’existence de ces inégalités non seulement sociales mais aussi spatiales (voir ici par exemple), toute la question, encore une fois, étant de savoir comment on peut limiter ces effets inégalitaires. De la difficulté de faire du développement
durable…

ps : toujours sur la taxe carbone, ne pas rater les billets d’Antoine B. sur Optimum: dans le premier,
il défend le principe d’une taxe, dans le deuxième, il discute du montant de la taxe. En
mentionnant au passage un effet pervers possible (réduction des motivations intrinsèques suite à l’instauration de la taxe), largement discuté dans le premier chapitre des Stratégies absurdes
.

Qui va payer la taxe carbone?

Le gouvernement français met en place une taxe carbone une
contribution climat-énergie. Christine Lagarde l’estime à environ 15€ la tonne de CO², en deça des 32€ préconisés par la commission présidée par Michel Rocard. Une question importante : qui va, au final,
payer cette taxe? Christine Lagarde nous dit que “les entreprises supporteront, comme les ménages, la contribution climat-énergie.”. Peu crédible : les entreprises ont assez largement la capacité
de répercuter la taxe sur les prix de leurs produits, ce sont donc essentiellement les ménages qui , au final, paieront. La vraie question est de savoir si, au sein des ménages, certains auront
plus à la subir que d’autres.

Un article sur Vox-Eu, par Corbett Grainger
et  Charles Kolstad (Université de Californie, Santa Barbara) permet de se faire une petite idée sur la question. Ils s’interrogent sur l’impact d’une hausse du prix de la tonne de CO² de
15$ sur la compétititivité des entreprises américaines et sur le budget des ménages américains.

S’agissant de l’impact sur les entreprises, ils montrent que seuls 5 secteurs industriels sur 500 verront leurs coûts de
production augmenter de plus de 5%. Impact faible, donc. S’agissant de l’impact sur les ménages, ils montrent que, effectivement, les plus pauvres seront plus affectés que les plus riches, avec
des variations selon les modalités de calcul des revenus des ménages :




Les auteurs considèrent que l’impact n’est cependant pas si colossal que cela : 1,5 à 2,5% pour ceux qui gagnent 35000$,
contre 1 à 2% pour les plus fortunés nous disent-ils. On voit quand même sur le graphique que pour la tranche la plus basse, on monte à 3 à 4,5%. Les auteurs considèrent également que les
dispositions prises aux Etats-Unis doivent permettre de compenser la perte subie par les plus pauvres. Mais ils ne disent pas grand chose sur ces dispositions.

Pas grand chose non plus sur ce que le gouvernement français est en train d’imaginer pour éviter cet effet pervers, Le Monde indiquant
même que “Le gouvernement, embarrassé, est en train d’imaginer une usine à gaz pour s’assurer que les plus modestes des ménages qui doivent utiliser leur voiture pour aller travailler ne feront
pas les frais de la taxe carbone.” Je leur souhaite bon courage…

Pollution, commerce et innovation

Article très intéressant sur Vox-Eu (en),
découvert via EcoInterViews, qui en propose un résumé efficace en français (et un commentaire en fin d’article
sur l’effet des primes à la casse pas inintéressant!).
L’article montre que la croissance industrielle des Etats-Unis depuis le début des années 1970 s’est accompagnée d’une réduction du niveau de pollution, réduction qui s’explique pour partie par
l’utilisation de technologies moins polluantes, et pour partie par l’abandon de la production de certains biens polluants, désormais fabriqués par des pays plus pauvres, puis importés aux
Etats-Unis. L’effet innovation domine largement (il explique 60% de la dépollution).

.

Un marché de permis à polluer plus efficace qu’une taxe carbone

Pas de vacances pour les universitaires poitevins! Pour preuve cette tribune dans La Tribune (en date du 27
juillet) de Francesco Ricci.

Le rapport Rocard sur l’instauration d’une taxe carbone en France sera remis demain. La Polémique monte sur ce qui
apparaît comme un nouvel impôt sur les ménages. Pour éviter l’usine à gaz, la généralisation d’un système de quotas-avec-marché serait une bonne solution.

Dans son discours du 22 juin devant le Congrès, le président de la République a affirmé son soutien à la mise en
place d’une taxe carbone, dite “contribution climat-énergie” pour limiter les émissions françaises de CO2 liées au transport et à l’habitat. L’intention est louable, mais on peut redouter qu’il
ne s’agisse pas du meilleur choix.

Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, les émissions de CO2 des grands établissements industriels
sont réglementées au niveau européen. Pour une période donnée, ils reçoivent chacun, ou bien doivent acheter aux enchères, un certain nombre de “permis à polluer”, titres qu’ils peuvent ensuite
vendre ou acheter sur un marché, si leurs émissions polluantes sont inférieures ou supérieures aux quotas qui leur ont été fixés au départ. Ce schéma couvre un tiers environ des émissions
globales européennes de CO2. Il aurait été souhaitable, selon nous, d’utiliser un système analogue et non une taxe pour limiter en France les émissions de CO2 liées au transport et à l’habitat
(les deux autres tiers).

Contrairement à ce que certains prétendent, un tel système de quotas-avec-marché ne serait pas beaucoup plus compliqué à
mettre en œuvre qu’une taxe carbone prélevée au moment de la vente d’hydrocarbures. Personne n’envisage de contraindre les automobilistes à se procurer des permis à polluer pour chaque kilomètre
parcouru. Ce sont les producteurs et distributeurs d’énergie qui devront acquérir ces permis de polluer en fonction de leur volume de vente annuel. Et un tel système présente trois avantages
notables par rapport à une taxe carbone. Pour réduire les émissions de CO2 au moindre coût, il faut que les pollueurs qui peuvent le plus facilement diminuer leurs émissions de gaz le fassent
d’abord, en permettant à ceux pour qui c’est le plus onéreux de s’y mettre plus tard. Si l’aciérie Dupont doit dépenser 40 euros pour éviter d’émettre une tonne de CO2 supplémentaire, alors que
le chalutier Rossi ne doit dépenser que 30 euros pour un même résultat, on peut économiser 10 euros en demandant à Rossi de réduire d’une tonne ses émissions et en permettant à Dupont d’émettre
une tonne de plus. Cette économie peut être obtenue avec une taxe aussi bien qu’avec un système de quotas-avec-marché, mais il est fondamental que tous les acteurs économiques soient confrontés à
un prix unique de la tonne de CO2, sans quoi limiter la pollution reviendra plus cher.

Or, de ce point de vue, la coexistence prévue entre les quotas-avec-marché pour les secteurs couverts par le système
européen et d’une taxe carbone pour le reste de l’économie française implique la présence d’au moins deux prix différents : la taxe pour certains, le prix du permis pour d’autres. Si l’on
adoptait un système de quotas-avec-marché pour limiter les émissions de CO2 des secteurs du transport et de l’habitat, il serait possible à l’inverse de relier ce marché français avec le marché
européen, en permettant ainsi l’émergence d’un prix unique du CO2 au niveau européen, le gage d’une politique véritablement cohérente.

Il faut ensuite reconnaître que toute réglementation environnementale est sujette à de nombreuses pressions de groupes
d’intérêt ou de couches électorales pivots. Dans le cas d’une taxe carbone, il est vraisemblable que ces pressions donnent lieu à une panoplie d’exonérations et à l’application de niveaux de
taxation réduits. Dans le cas d’un quota-avec-marché, les mêmes pressions donneraient lieu probablement à des allocations trop abondantes et gratuites de permis à polluer, mais ne porteraient pas
atteinte à l’unicité du prix de la tonne de CO2.

La pérennité de l’effort entrepris serait aussi plus probable. Les supporters de la taxe carbone ont raison de
vouloir la mettre en œuvre très rapidement. En effet, la question climatique est urgente, et le contexte politique actuel apparaît particulièrement favorable à la mise en place d’une telle taxe.
Le score des Verts aux dernières élections et les sondages d’opinion indiquent qu’un grand nombre de Français sont prêts à accepter un coût accru de leurs consommations d’énergie. On ne peut
néanmoins pas être sûr que cette préoccupation pour le climat conserve longtemps sa prééminence face aux questions de revenu, de pouvoir d’achat et d’emploi. Il est possible que, même si une taxe
carbone est aujourd’hui mise en place, elle puisse ensuite être édulcorée. En revanche, avec un système de quotas-avec-marché, les hommes politiques doivent convaincre les électeurs d’adopter un
objectif environnemental, le quota global d’émissions autorisé, et cet engagement pourra être plus largement partagé sur des bases éthiques que la levée d’une taxe sur les consommations
énergétiques.


Francesco Ricci, chercheur à l’école d’économie de Toulouse (TSE) et à l’université de Poitiers

Changement climatique : faut-il acheter local ?

Idée souvent entendue : pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut acheter ses produits localement, ce qui réduira le transport
des produits, et donc les émissions de gaz à effet de serre.

Une étude
américaine
, qui estime les émissions pendant le transport mais aussi pendant la phase de  production des biens, nuance
fortement ces préconisations : 83% des émissions se font pendant les phases de croissance et de production des biens, contre 11% qui viennent du transport dans son ensemble, et seulement 4% du
transport entre distributeur et acheteur (ce qui est la part sur laquelle le fait d’acheter localement a un impact).

Autre résultat de l’étude : tous les biens ne conduisent pas aux mêmes émissions. Les produits les plus néfastes sont la viande rouge et les produits laitiers. Dès lors, vous réduirez bien plus
votre empreinte carbone en mangeant moins de ces produits, et plus de poulet, de poisson et d’oeufs, qu’en achetant vos produits localement.

Vous me direz : certes, certes, mais acheter localement, ca fait quand même gagner un petit peu quelque chose… Ben non, pas toujours : dans cette présentation des résultats de l’étude précédente, on apprend qu’un britannique
soucieux de l’environnement a plus intérêt à acheter des tomates ou des laitues importées d’Espagne, que d’acheter celles produites sous serre au Royaume-Uni, dès lors qu’on prend en compte les
émissions pendant l’ensemble du cycle de vie des produits, et pas seulement pendant la phase finale de transport.

(via Marginal
Revolution
)