Bien entouré…

Première recension des Nouvelles Géographies du Capitalisme dans le supplément Economie du Monde daté du 4 avril, avec un article titré "Petits Mondes", p. VI, de Antoine Reverchon.
Je m’y trouve bien entouré avec:
* sur la gauche, un article intitulé "Le Contrat Premier Embauche repose sur une erreur de diagnostic", de Patrick Werquin et Miho Taguma, chercheurs à l’OCDE. Leur analyse change quelque peu (euphémisme) du discours souvent monolithique de l’organisation dont ils sont membres(mais bien sûr, ce texte "n’engage que l’opinion de leurs auteurs")
* en bas à droite, un article titré "il est temps de remettre sur le tapis la question de l’enseignement de l’économie", de Christian Arnsperger, chercheur au FNRS. Décapant.
* en bas à gauche, l’annonce de la parution d’un dossier "Précarité et insécurités sociales" et d’un "Atlas des nouvelles fractures sociales". Salutaires.

Chapeau pour la cohérence et les complémentarités!

Les nouvelles géographies du capitalisme…

La date de parution des "nouvelles géographies du capitalisme" approche… Les éditions du Seuil viennent de mettre en ligne une présentation de l’ouvrage, ainsi qu’en extrait l’introduction.
N’hésitez donc pas à la parcourir et à me faire part de vos premières impressions si vous le jugez utile !

N’hésitez pas non plus à parcourir la présentation de l’ouvrage de Suzanne Berger qui vient de sortir chez le même éditeur (Made in Monde) et à visionner son interview. Le peu que j’ai pu en voir me laisse penser que les deux ouvrages sont complémentaires puisque nous parvenons à des conclusions globalement similaires, elle en partant d’interview et d’études de cas d’entreprises, moi en partant d’une analyse économique plus générale.

Bonnes lectures !

Arcelor – Mittal : une guerre des communiqués instructive…

Dans l’édition du mardi 28 janvier 2006, un article de La Tribune sur les objectifs annoncés par Arcelor d’un côté et par Mittal de l’autre.

– Arcelor promet de créer de la valeur pour les actionnaires : "nous sommes une machine à générer du free cash flow" indique le directeur financier du groupe et de promettre : "tout cash excédentaire (…) sera rendu aux actionnaires" (p. 12)

– Mittal, de son côté, insiste sur des avantages en termes d’emploi : aucune suppression de poste au-delà de celles prévues par Arcelor, voire annulation de certaines décisions de fermeture de site.

Bien sûr, on ne peut pas savoir si ces objectifs sont crédibles et si les engagements pris seront tenus, mais ce qui est promis par les uns et les autres est cependant intéressant en soi : Arcelor est dans une pure logique shareholder, où seule compte la valeur actionnariale ; Mittal, en insistant sur les bénéfices attendus pour les salariés, est plutôt dans une logique stakeholder, dans laquelle on considère que les salariés sont pleinement partie prenante de l’entreprise. Ces visions différenciées de l’entreprise ne sont pas sans lien avec le mode de gouvernance attaché à chacun des deux groupes.

Pour une présentation du débat gouvernance shareholder / gouvernance stakeholder, je renvoie à un document de travail rédigé il y a un peu plus d’un an et publié depuis sous une forme révisée dans la Revue Economique et Sociale de mars 2005 : [cliquez pour télécharger!]

Fusion Suez – GDF : l’énergie du désespoir…

Quelques jours après l’affaire Mittal – Arcelor, voilà que le projet de fusion Suez – GDF défraye la chronique. Quelle analyse peut-on en faire?

Premier point : ce projet de fusion s’inscrit dans une dynamique plus générale de réorganisation des activités à l’échelle mondiale. Pour rester compétitive, les entreprises se recentrent sur leur coeur de métier et procèdent à des fusions – acquisitions afin d’atteindre une taille critique. Cette taille critique leur permet de bénéficier d’économies d’échelle (l’accroissement de la production d’un même bien permet de baisser le coût unitaire de production) et d’économies de champs (le coût unitaire de fabrication de deux biens diminue quand ces deux biens sont produits par la même entreprise). Sur ce dernier point, s’agissant de la fusion Suez – GDF, on nous dit qu’elle permettra de proposer aux clients des offres duales, combinant gaz et électricité. Si l’on en reste à cet argument, la fusion semble donc souhaitable : elle permettra de réduire les coûts de production et donc de gagner en compétitivité.

Les choses sont cependant un peu plus complexes… D’abord parce qu’il ne faut pas simplement comparer l’efficacité des deux anciennes entités à l’efficacité supposée de la nouvelle entité, il faut aussi s’interroger sur l’efficacité que l’on pourrait attendre d’autres rapprochement d’entreprises : par exemple, un groupe Suez – GDF est-il nécessairement plus efficace qu’un groupe Enel – Suez? La question mérite au moins d’être posée…

Ensuite parce ce ne sont pas seulement les coûts de production qu’il faut comparer, mais aussi ce que certains appellent les coûts d’organisation interne (d’autres diraient des coûts de gouvernance). C’est en tout cas ce qu’invite à faire la théorie des coûts de transaction (pour une présentation, je vous invite à lire le deuxième chapitre de mon ouvrage "L’économie de l’entreprise" ). Dans le cas qui nous intéresse, ces coûts d’organisation interne risquent de ne pas être négligeables, compte tenu, comme l’on dit, des différences dans les cultures de ces deux entreprises; et ils pourraient très bien plus que compenser les avantages en termesde coûts de production. Dans cette perspective, un rapprochement entre EDF et GDF aurait sans doute été moins problématique…

Troisième élément à prendre en compte : le risque que la nouvelle entité occupe une position dominante sur certains territoires… Pour ne prendre qu’un exemple,  à l’issue de la fusion, la nouvelle entité contrôlera plus de 96% de la fourniture en gaz de la région flamande et 90% de sa fourniture en électricité. D’ici que des pratiques anti-concurrentielles n’émergent… Ceci explique le positionnement différent de l’Europe dans les deux affaires récentes Mittal – Arcelor, d’un côté, Suez – GDF de l’autre : dans le premier cas, le risque de position dominante est faible, dans le deuxième, il est avérée. L’Europe, en charge de la politique de la concurrence, voit donc plutôt d’un mauvais oeil le projet français.

On objectera que, quand même!, une fusion entre deux groupes français sera toujours préférable à une prise de contrôle d’un fleuron de notre industrie par un groupe étranger (bon, là, ce serait moins grave que pour Arcelor : Enel est italien…). On aurait moins à redouter en termes d’emploi. On retrouve donc le sacro-saint principe de "patriotisme économique". Mais je l’ai déjà dit pour l’affaire Mittal – Arcelor, ce principe est tout à fait contestable : certains groupes bien français n’hésitent pas à délocaliser une partie de leur activité; a contrario, des groupes bien étrangers sont implantés de manière durable sur le territoire national. Bref, la nationalité du groupe n’est pas le critère déterminant. Il faudrait plutôt s’interroger, indépendamment de la nationalité, sur les pratiques effectives des différents acteurs en présence  i ) en termes d’organisation et de localisation des activités, ii) en termes de gestion des ressources humaines. L’enquête de l’Expansion parue dans le numéro de mars le montre bien s’agissant de Mittal: les salariés de l’établissement localisée près de Metz considèrent qu’ils ont gagnés en passant du groupe Arcelor au groupe Mittal.

Le gouvernement ne s’est apparemment pas posé toutes ces questions. Il est vrai que a fusion lui permet de privatiser rapidement un groupe public sans que grand monde s’en émeuve, puisque c’est au nom du patriotisme économique…

Mittal, le grand gentil loup social

A signaler une enquête particulièrement intéressante sur les pratiques du groupe Mittal sur différents sites (Gandrange, au Nord de Metz, mais aussi en Roumanie et au Mexique), dans le dernier numéro du magazine L’Expansion (n°706, mars 2006). Où l’on apprend que "les salariés des aciéries absorbées par le géant indien n’ont pas à s’en plaindre. Et ce sont les syndicalistes qui le disent…" (p. 98).

Pendant ce temps, Guy Dollé, après avoir dit qu’il ne fallait pas mélanger les pommes et les poires, après avoir expliqué qu’il fabriquait du parfum pendant que Mittal fabriquait de l’eau de Cologne, ironise sur les entreprises familiales : "je vais vous présenter les dirigeants présents, mais mon fils n’est pas là".

Sans commentaire.

Le triste sort d’Arcelor…

Dure vie que celle de responsable d’une firme actionnariale… Il faut sans cesse convaincre que tout est fait pour créer de la valeur pour les actionnaires. Et quand un "méchant" groupe lance une OPA hostile, la guerre des communiqués fait rage, afin que les "gentils" actionnaires restent fidèles aux dirigeants en place.

Guy Dollé s’est donc fendu d’une analyse remarquable démontrant qu’Arcelor étant sans doute ce qui se faisait de mieux en matière de firme capitaliste : résultat d’exploitation en hausse de 30%, résultat net en hausse de 66%. Et en passant une mesure phare : l’accroissement de 85% du dividende par action . Tout ceci étant prévu depuis longtemps, rien à voir avec Mittal, bien sûr…

 Il semble qu’ensuite, Guy Dollé se soit un peu emballé : interrogé sur le Clémenceau, il a indiqué qu’il était "en acier de chez Arcelor, Monsieur !" pour affirmer ensuite que -pas de problème!- Arcelor pourrait se charger du désamiantage… M’étonnerait qu’à moitié que demain Monsieur Dollé décide de prendre en charge les volailles grippées (asiatiques et sauvages, comme Mittal).

Mittal Steel : au secours, les indiens attaquent !

Quelques précisions sur l’OPA de Mittal Steel sur Arcelor et sur le discours médiatique qui a accompagné cet évènement…

Premier élément, sur la nationalité du groupe et sur la notion de patriotisme économique : on nous a présenté Mittal Steel comme un groupe indien. En fait, la définition de la nationalité du groupe pose problème : juridiquement, c’est la localisation du siège social de la tête de groupe qui importe, dans ce cas, Mittal est européen… Certains économistes considèrent que ce critère juridique n’est pas pertinent : il conviendrait plutôt de retenir comme nationalit le pays où sont prises les décisions stratégiques essentielles. Dans ce cas, le groupe est toujours européen… D’autres encore considèrent que la nationalité dépend de la nationalité des principaux actionnaires et là, ouf!, le groupe est indien…

En quoi est-ce important? En fait, on considère implicitement, à travers ce débat, que la nationalité est décisive pour juger des pratiques des entreprises en matière d’organisation de l’activité et de création/destruction d’emploi. Or, rien n’est moins sûr : des entreprises bien françaises ont des comportements stratégiques qui ne profitent pas vraiment à la bonne marche de l’entreprise (Vivendi) ou à ses salariés (Moulinex). A l’inverse, des entreprises étrangères peuvent prendre le contrôle et/ou s’implanter en France, au profit du territoire (Toyota à Valenciennes). Autrement dit, l’association nationalité du groupe – efficacité des choix, qui sous-tend le discours sur le patriotisme économique, est très contestable. La vraie question consiste à se demander si l’OPA permettra de mettre sur pied un groupe plus compétitif, créateur de richesses et d’emplois, au profit de quels territoires.

En l’occurrence, l’avis (initial) du gouvernement et le jugement quasi-xénophobe du PDG d’Arcelor ("on ne mélange pas les pommes et les poires" – je me demande qui est la poire dans l’histoire…) est sans doute un peu rapide : i) Mittal n’est pas un groupe détenu par de méchants capitalistes avides d’une rentabilité financière à court terme, mais une entreprise familiale. Or tout un ensemble d’études montrent que ces entreprises poursuivent plutôt des objectifs de rentabilité économique à long terme, investissent plus que la moyenne dans la formation de leurs salariés, et entretiennent des relations de plus long terme avec l’ensemble de leurs partenaires. Il n’est donc pas sûr, comme l’a affirmé Thierry Breton, qu’elles ne comprennent rien à la "grammaire du capitalisme". ii) il semblerait que de vraies complémentarités existent entre les deux entreprises, à la fois en termes géographiques et en termes de gammes, si bien que l’affirmation selon laquelle le projet d’OPA n’est sous-tendu par aucun projet industriel est également très contestable. Le problème, dans l’histoire, tient donc sans doute moins au comportement "sauvage" du groupe indien qu’à l’incapacité d’anticipation d’Arcelor et du gouvernement…

Plutôt que de se précipiter, tel le pompier camembert, avec un demi-verre d’eau quand l’incendie s’est déjà déclenché, il conviendrait que les politiques définissent, sans doute à l’échelle européenne, sur les secteurs que l’on peut considérer comme stratégiques en termes de création de richesses et d’emplois, et qu’ils s’interrogent sur les moyens i) d’améliorer leur compétitivité (dimension industrielle), ii) de réduire leur vulnérabilité (dimension financière). Dans certains cas, la solution passera par la mise en place d’accords avec des entreprises extra-européennes (quid alors du patriotisme économique?), dans d’autres cas, par des alliances à l’échelle de l’Union. Bien sûr, cela suppose d’adopter une vision élargie de la notion de secteur stratégique, ce qui n’est guère le cas en Europe, au contraire de ce qui se fait aux Etats-Unis… Par rapport à l’affaire Arcelor, il conviendrait donc de savoir si le secteur sidérurgique est un de ces secteurs stratégiques (la question peut faire débat). Si tel est le cas, il aurait fallu s’interroger un peu plus tôt sur la vulnérabilité de cette entreprise. Car si l’OPA est possible, c’est bien parce qu’Arcelor est Opable…

Relocalisation d’entreprise

Exemple plutôt intéressant de relocalisation d’entreprise[1] : Samas France, fabricant de mobilier de bureau, avait décidé de délocaliser une partie de sa production en Chine. Elle vient de décider de relocaliser en France (Noyon) et, pour cela, d’investir 400 000€ dans une chaîne de fabrication de caissons.

Comment expliquer ce revirement? En fait, si l’on en croît les informations de l’article et les déclarations du responsable, l’entreprise avait mal anticipé les coûts de la coordination à distance, plus précisément les coûts de transport (non négligeable : les produits fabriqués sont encombrants) et les délais de transport "peu compatibles avec la réalisation rapide de prototypes de meubles personnalisés, que demandent de plus en plus souvent les grands groupes et la livraison rapide du modèle choisi."

On retrouve l’idée développée dans plusieurs billets précédents (en commençant par par exemple) selon laquelle le choix de localisation doit se faire en raisonnant sur les coûts complets : quels sont les coûts de production en France? en Chine? quels sont les coûts de la coordination à distance? Quels sont les coûts de la coordination sur place? Comment faire évoluer favorablement ces différentes composantes? Ce que l’entreprise a semble-t-il oublié de faire, signe d’une rationalité plutôt limitée des agents économiques.

Ceci montre également que si l’adaptation des entreprises françaises à l’approfondissement de la mondialisation passe pour une part importante par l’innovation, cette dernière ne doit pas être réduite à l’innovation technologique : la capacité à reconfigurer l’organisation d’ensemble –autrement dit la capacité d’innovation organisationnelle— est au moins aussi importante. Je ne suis pas sûr que tous les acteurs concernés (à commencer par les entreprises elles-mêmes) en ont véritablement conscience…

Notes

[1] source : Les Echos, 18 décembre 2006, p.20, article payant – Merci aux étudiants du Master ATDEL pour l’info.

Aubade

Les Echos publient aujourd’hui un article (payant) intitulé "Qui a peur du "syndrome Aubade" " rédigé par Pierre de Gasquet. Il renvoie à mon blog en reprenant un petit bout de mes propos "Calida est un groupe à contrôle familial, largement à l’abri de la dictature des marchés financiers".

Si des lecteurs des Echos viennent se perdre ici, quelques liens vers les billets consacrés au sujet :
* ici, sur le site de Sciences Humaines, billet général sur la question des licenciements boursiers, pour relativiser leur importance
* dans un premier billet sur ce blog, j’illustre le propos pour montrer que la fermeture d’Aubade ne correspond pas à un licenciement boursier
* dans un deuxième billet, je décrypte la stratégie industrielle de Calida

Dans son article, Pierre de Gasquet fini sur un renvoi au livre de Suzanne Berger (Made in Monde), en disant qu’elle a "démontré, exemples à l’appui, que la délocalisation n’est pas la seule issue possible et qu’une main d’oeuvre peu coûteuse n’est pas le seul critère de succès". Tout à fait d’accord, j’en ai parlé ici (billet sur les coûts cachés) et (billet réorganisation vs. délocalisation). Et bien sûr, beaucoup plus longuement, dans les nouvelles géographies du capitalisme.

Bref, il faut faire des analyses au cas par cas pour se prononcer sur la rationalité des décisions prises et sur l’opportunité de délocaliser. Adopter une régle d’analyse du genre "toute délocalisation est mauvaise" est stupide. La proposition inverse également. En passant, n’oublions pas que ces délocalisations permettent le développement de pays qui en ont bien besoin. Simplement, il serait bon d’anticiper sur les mutations et d’accompagner certains mouvements, pour que l’effort d’adaptation ne repose pas que sur les salariés les moins qualifiés. Ce sera plus efficace que d’interdire les délocalisations…