Faut-il réformer Sciences Po?

Hélène Rey a publié une tribune dans les Echos, dans laquelle elle dénonce
l’enseignement de l’économie dans les lycées, qui serait à la base de la défiance des français envers le marché. Tribune qu’Etienne Wasmer reprend sur son blog et qualifie de courageuse, assurément, et de polémique, certainement… Personnellement, à l’instar de Gizmo, je la trouve particulièrement mal documentée.

Comme démontré sur mon blog, en effet, moins de 30% des élèves suivent l’enseignement de SES en seconde. Ce n’est
donc pas là que se forgent, pour l’essentiel, les visions du monde des citoyens français vis-à-vis de l’économie de marché ou de la mondialisation (ce qui ne veut pas dire que cet enseignement
n’a pas à évoluer, mais c’est un autre sujet).

Où se développent-elles, alors? Question complexe, mais il me semble que les “producteurs de sens”, dans la société, ceux qui nous éclairent sur le fonctionnement du monde et sur les défis à
relever, plus que les profs de SES, ce sont les médias et les politiques. Bien sûr, c’est très réducteur de dire cela, bien sûr, ce sont des collectifs très hétérogènes, mais ils nous abreuvent
régulièrement de discours alarmistes sur la mondialisation, les délocalisations, les méfaits du marché, …, et contribuent sans aucun doute bien plus au sentiment de défiance des français que
les pauvres petits profs de SES…

Or, spécificité française, une bonne proportion de nos élites politiques et médiatiques sont passées, à un moment ou à un autre de leur formation, par la case Sciences Po Paris. Dès lors, si certains veulent s’amuser à trouver des coupables, c’est sans doute plus de ce côté là qu’il faut qu’ils
regardent, que du côté de l’enseignement de l’économie en classe de seconde.

On notera d’ailleurs, détail cocasse, qu’Hélène Rey ne dit rien d’autre : pour critiquer le contenu des manuels d’économie de SES, quel exemple particulièrement pertinent prend-elle ? L’extrait
d’un manuel … d’histoire … vivement recommandé en première année à … Sciences Po Paris…

Entreprise négative contre l’enseignement de l’économie – épisode 3

Nouvel épisode, car le débat repart de plus belle.  Voir par exemple RCE, Pierre Maura, David
Mourey
, Denis Colombi et le site de l’APSES avec tout un ensemble de liens vers des articles ou émissions de radio.


Résumé des épisodes précédents :

L’Association Positive entreprise considère que les jeunes n’aiment pas l’entreprise à cause de l’école
et plus précisément en raison du contenu des manuels scolaires d’économie de seconde, qui véhiculent « une image pessimiste, incomplète, réductrice et idéologiquement orientée de
l’entreprise ». Pour pallier ce problème, Thibault Lanxade propose d’intégrer « des chefs d’entreprise dans la commission des programmes scolaires », afin de « réactualiser
les données des manuels scolaires et [de] proposer une vision objective et positive du monde de
l’entreprise ». Lors de l’épisode 1, nous avons vu que 71,4% des élèves ne suivent pas
l’enseignement de SES
, difficile dès lors d’en faire le responsable du désamour des jeunes pour l’entreprise. Lors de l’épisode 2, nous avons montré, à partir des sondages de l’association Positive Entreprise elle-même, ce qui est quand même
cocasse, que 74% des jeunes ont un opinion positive de l’entreprise. Troisième épisode, donc, qui s’intéresse à la capacité des dirigeants à proposer “une vision objective et
positive” du monde de l’entreprise…


Comme le rappelle Yvon Gattaz dans un “grand débat” de BFM du 14 janvier dernier, l’économie, ça se passe dans
les entreprises. Les mieux placés pour parler d’économie, ce sont donc les dirigeants d’entreprises. Il conviendrait dès lors qu’ils participent à la définition des programmes, et qu’ils
interviennent plus souvent dans les collèges et lycées, histoire d’expliquer aux élèves (et à leurs enseignants) ce que c’est que la vérité vraie de l’entreprise et donc, la vérité vraie en
matière d’économie.

Dans cette perspective, on consultera avec intérêt cet article des
Echos
, qui reprend les principaux résultats d’une étude de Watson Wyatt, dans laquelle le
cabinet de consultant interroge employés et employeurs sur ce qui attire les premiers dans les entreprises, et sur ce qui les en fait partir. Sur cette question, les employés
sont logiquement les mieux informés. Tout l’enjeu est donc de savoir si les employeurs ont bien compris leurs motivations. En fait, non : s
ur le premier
point, les employeurs répondent “l’évolution de carrière” à 55% et “la réputation de l’entreprise” à 51%. Mais si on interroge les employés, ils répondent “le contenu du poste” à 49% et “la
sécurité de l’emploi” à 34%. Idem sur le deuxième point : les employeurs pensent que les salariés partent pour des raisons d’évolution de carrière (49%) ou pour une promotion (48%) alors que les
employés insistent sur “le niveau de stress” (35%) et “le salaire de base” (34%).

Imaginons maintenant qu’un dirigeant soit invité dans un établissement pour expliquer à nos chères têtes blondes ce qui attire et fait partir les salariés des entreprises. En supposant que le
sondage mentionné ici soit représentatif de l’opinion des dirigeants, on peut penser qu’ils vont commettre quelques erreurs d’analyse… On remarque également avec ce petit exemple que l’objectif
assigné par Positive Entreprise (et par d’autres, notamment Claude Goasgen sur France Info) d’un enseignement
objectif et positif est difficilement atteignable : si on veut que l’enseignement soit positif, autant éviter de dire que nombre de salariés disent quitter leur emploi pour motif
de stress. Ce faisant, on perd en objectivité. Et si on mentionne l’importance du stress, à l’inverse, on perd en positive attitude.
On pourrait
multiplier les exemples : j’avais montré ici les erreurs d’analyse de Laurence Parisot, lorsqu’elle s’était improvisée prof d’économie devant un aréopage de dirigeants du Medef. Dans cet autre billet, j’avais montré le décalage entre ce que pensent les dirigeants de l’attractivité de la France et le
degré effectif d’attractivité de notre pays. Bref : un bon dirigeant d’entreprise n’est pas nécessairement, il est sans doute même très rarement, un bon économiste. Et ce n’est pas grave,
car ce n’est pas ce qu’on lui demande. Pas plus qu’on ne demande aux profs ou chercheurs en économie d’être de bons dirigeants d’entreprises.

Ceci ne signifie pas qu’il ne faut pas développer les relations entre entreprises et monde de l’éducation, notamment dans le cadre des cours
d’économie. Mais pas pour que ces dirigeants expliquent ce qu’il faut enseigner, ni comment. Je reprends l’exemple du stress des salariés : je pense qu’il peut être efficace que l’enseignant
présente l’état de la réflexion des économistes sur le sujet plus large des conditions de travail (en s’appuyant par exemple et entre autres sur les travaux
d’Askenazy)
. On peut imaginer ensuite qu’il invite des dirigeants, des salariés, un médecin du travail, …,  à venir échanger sur le sujet. Ceci permettrait de donner du corps à
l’enseignement dispensé, d’identifier d’éventuels décalages entre l’état général du problème et la représentation qu’en ont les acteurs, de discuter autour de ces décalages, d’échanger aussi sur
les moyens mobilisés par les acteurs pour résoudre les problèmes rencontrés. Pour information, et pour y avoir participé à l’occasion, je signale que ce type de démarche existe déjà dans les
lycées, et que ça fonctionne très bien. A charge sans doute de trouver les moyens de généraliser, ce qui suppose notamment que les responsables d’entreprises acceptent de dégager un peu de temps
pour cela. 

Au final, les élèves n’auraient sans doute ni une vision positive de l’entreprise, ni une vision négative, simplement une
vision plus juste, et de meilleurs outils pour décrypter la réalité qui les entoure. Ce que l’on peut considérer comme un objectif louable, y compris pour les entreprises sousceptibles de
recruter, plus tard, ces personnes.

Kezeco ? Un peu n’importe quoi…

Kezeco (l’économie ne se cache plus) est le site du Codice, le
Conseil pour la Diffusion de la Culture Economique, Conseil mis en place par le ministère de l’économie et des finances. L’idée du Codice est la suivante : li) ‘économie, c’est
important; ii) or, les français sont nuls en économie ; iii) on va donc les former. Arme stratégique pour atteindre l’objectif : Kezeco.

Sauf que Kezeco se plante un peu quand même, si bien que la formation proposée ressemble parfois à une entreprise de
déformation…


PIB : erreur


Erreur grossière, d’abord, repérée par Denis Colombi, sur la définition du PIB “en additionnant les valeurs ajoutées
de l’ensemble des entreprises d’un pays, à laquelle on rajoute le solde de sa balance extérieure, on obtient… (Bingo !)… le célèbre PIB.” Depuis, suite sans doute aux billets sur les blogs
et aux messages laissés sur Kezeco par des blogeurs économistes (à vérifier, ce n’est qu’une hypothèse), la définition a
été rectifiée
.


Revenu des ménages : deuxième erreur


Kezeco nous explique ceci :

La population augmente, donc le nombre de ménages aussi. S’ils sont de plus en plus nombreux, les ménages sont aussi
de plus en plus petits. Les femmes ont des enfants plus tardivement, le veuvage est plus important du fait de l’allongement de la durée de vie, les divorcés, les familles monoparentales et les
célibataires sont plus nombreux…
Ces évolutions ne sont pas prises en compte par les
statisticiens qui calculent le pouvoir d’achat des ménages.

Et les statistiques ne prennent pas non plus en compte la taille de ces ménages. Or les dépenses ne sont pas les mêmes si l’on est seul ou quatre à vivre dans une famille. Les dépenses
pré-engagées ne pèsent pas de la même manière non plus. Et pourtant, les ménages ont théoriquement pour l’INSEE le même pouvoir d’achat moyen, quelle que soit leur taille. Le nombre de foyers
augmentant plus vite que le revenu brut disponible de l’ensemble des Français qui sert de base de calcul, cela fait baisser la part théoriquement dévolue à chaque ménage.


Eh bien non, les statisticiens de l’INSEE ne sont pas fous, ils savent bien cela. Extrait du site de l’Insee :

La notion usuelle du pouvoir d’achat correspond au pouvoir d’achat du revenu disponible brut (…). La mesure ainsi
obtenue est une mesure globale, qui couvre l’ensemble des ménages. Elle ne reflète pas la diversité des évolutions individuelles, ni même une évolution individuelle moyenne car le nombre et la
composition des ménages varient au cours du temps en France. Pour appréhender une évolution individuelle moyenne, on calcule un pouvoir d’achat par unité de
consommation.


C’est quoi l’unité de consommation? à quoi ca sert? comment c’est calculé? tout est expliqué ici. Et vous trouverez ici l’évolution du pouvoir d’achat par unité de
consommation.


Désindustrialisation : réducteur


Article sur la désindustrialisation,
immédiatement sous-titré “Effet collatéral de la mondialisation”… Petit topo ultra-réducteur (je vous laisse découvrir), qui n’évoque même pas l’effet pourtant essentiel sur la baisse des
effectifs industriels des stratégies d’externalisation des firmes (j’en ai parlé ici et ). Le fait qu’Eric le Boucher soit président du Comité des sages du Codice n’a sans doute rien à voir avec le
contenu de ce billet…


Billet qui conclue en disant qu’heureusement en France on fait des choses : “L’État s’efforce en France de suivre
l’exemple allemand en encourageant par exemple les investissements dans les nouvelles entreprises innovantes par le biais d’avantages fiscaux importants. La défiscalisation des heures de travail
supplémentaires favorise également la compétitivité. Par ailleurs, à la suite de la fermeture d’une usine d’Arcelor-Mittal en Moselle début 2008, la création d’un « fonds national de
ré-industrialisation du territoire » a été envisagée.” Après avoir lu ca, je me suis dit heureusement que le Codice est “une  instance de réfléxion impartiale, indépendante et
pluraliste”!!! (c’est dit ). Plus généralement, se pose le problème de la production de connaissances en économie par un organe très
lié au gouvernement et qui risque d’avoir structurellement tendance à survaloriser les actions récentes de celui-ci dans la résolution des problèmes évoqués.


Productivité : politiquement incorrect


Ils n’ont pas bien relu les articles, sur Kezeco : à la rubrique productivité, ils nous disent “travailler moins pour produire plus, telle est l’ambition !“. Ils sont fous ou quoi? Ils n’écoutent pas notre président?

Entreprise négative contre l’enseignement de l’économie – épisode 2

Résumé de l’épisode
précédent

L’Association Positive entreprise considère que les jeunes n’aiment pas l’entreprise à cause de l’école et
plus précisément en raison du contenu des manuels scolaires d’économie de seconde, qui véhiculent « une image pessimiste, incomplète, réductrice et idéologiquement orientée de
l’entreprise ». Pour pallier ce problème, Thibault Lanxade propose d’intégrer « des chefs d’entreprise dans la commission des programmes scolaires », afin de « réactualiser
les données des manuels scolaires et [de] proposer une vision objective et positive du monde de
l’entreprise ». Lors de l’épisode 1, nous avons vu que 71,4% des élèves ne suivent pas l’enseignement de SES, difficile dès lors d’en faire le responsable du désamour des jeunes pour
l’entreprise… Mais au fait, y-a-t-il véritablement “désamour” ?

L’article de 20 minutes commence ainsi « Si les jeunes n’aiment pas
les entreprises
, c’est à cause de l’école. » Thibault Lanxade reprend la même idée dans cet article « 
On comprend mieux la principale raison de la perception négative des jeunes vis-à-vis de l’entreprise ».
L’affaire semble entendue.

Mais, au fait, sur quoi s’appuient ces affirmations ? Sur un sondage OpinionWay réalisé pour Positive Entreprise en juin dernier auprès d’un échantillon de 325 jeunes. Bon, on peut s’interroger sur le sérieux d’Opinion Way, mais je fais comme
si, cela ne change rien à ma démonstration. En fait, la question posée est « selon vous, pourquoi existe-t-il un profond décalage entre les jeunes et l’entreprise ? » avec comme
proposition de réponse : i) en raison du fossé qui existe entre l’école et l’entreprise, ii) parce que la nouvelle génération ne croît plus aux promesses de l’entreprise, iii) parce que la
nouvelle génération ne souhaite pas s’impliquer autant dans l’entreprise, iv) en raison du chômage des jeunes, v) aucune de ces raisons.

Résultat des courses : 55% attribuent « le profond décalage » au fossé « école-entreprise ». Deux remarques : i) la question est d’emblée biaisée, on ne demande pas
aux jeunes s’il existe un décalage, on leur dit qu’il existe un décalage et on leur demande quelle explication ils en donnent. Incomplet, réducteur et idéologiquement orienté, comme démarche.
 ii) considérer qu’il existe « un décalage entre jeune et entreprise » n’est pas synonyme de « les jeunes n’aiment pas l’entreprise ». Or, c’est
l’assimilation qui est faite dans 20 minutes, ainsi que par Thibault Lanxade à plusieurs reprises dans les interviews.

« Oh, tu chicanes ! », me direz-vous, c’est quand même pas bien éloigné tout ça. Je vous répondrai par … un sondage… Opinion Way… réalisé pour … l’association Positive Entreprise…
dans le cadre d’une autre étude « Les jeunes et l’entreprise ». Y figure notamment la question
suivante « quel est votre opinion sur les entreprises en général ? ». Résultat : 6% ont une très bonne opinion, 68% une opinion plutôt bonne, 25% plutôt mauvaise et 1% très
mauvaise… 74% des jeunes ont une opinion positive de l’entreprise

[1]
Mais alors, où
est-il, le désamour des jeunes pour l’entreprise censé être expliqué par le contenu des manuels de SES ???
 


 

[1] Ajoutons, autre élément de preuve déjà souligné dans un commentaire au précédent billet, que nombre d’élèves passant
par la filière ES s’orientent ensuite dans des formations en lien avec l’entreprise (écoles de commerce, IUT, BTS, IAE, etc.). Cela fait un grand nombre de masochistes, quand
même…

 

Filière ES : débat sur France Info

Débat sur France Info entre Sylvain David, Président de l’APSES, et Pascale-Marie Deschamps, rédactrice en chef
adjointe d’Enjeux – Les Echos. Vous pouvez l’écouter en cliquant ici.

Enfin, débat, si l’on peut dire, puisque l’un et l’autre dénoncent les propos de Darcos sur les débouchés de la filière ES, et tous les deux attendent que le Ministre développe un peu son
argumentation ou ses arrières pensées. Sur la fin de l’interview, la question de l’orientation idéologique du contenu des manuels de SES est évoquée, Pascale-Marie Deschamps considérant que le
débat autour de ce contenu relève sans doute d’un “combat d’arrière-garde”.

add 13/09 : voir aussi cet article du Monde.

Darcos récidive…

Dans le
Figaro
,  Darcos appelle les lycéens à s’inscrire en section littéraire, pourquoi pas, mais en s’en prenant au passage  la filière ES, toujours sur la base de faux arguments
:

XAVIER DARCOS n’en démord pas : il faut dissuader les bataillons de lycéens qui s’engouffrent dans la filière économie et social aux débouchés
incertains
et revaloriser la filière littéraire. C’est à ce double objectif, entre autres, que répondra la réforme des lycées qu’il prépare pour 2008.

Plus loin :

Dans le collimateur du ministre : la section ES (économique et sociale), de plus en plus prisée par les lycéens. Il a de nouveau déploré le manque de
débouchés de cette filière, précisant qu’elle permet à très peu d’élèves de s’inscrire « dans les filières d’excellence ». La plupart des bacheliers ES s’engagent dans les
facultés de droit ou de sciences humaines, où
« nous avons les plus grandes difficultés à les intégrer ».

Le véritable problème est sans  doute celui là : “En quinze ans, la filière ES n’a cessé de concurrencer la section littéraire : les effectifs
de L ont baissé de 28 % quand ceux d’ES augmentaient de 18 %, et ceux de S de 4 %.”

Est-ce une raison pour raconter n’importe quoi ? Serait-il possible que les journalistes fassent leur boulot, en indiquant à leurs lecteurs que les déclarations du ministre sur les débouchés des
ES sont fausses (Cf. ce billet et celui-ci) ?

Entreprise négative contre l’enseignement de l’économie – épisode 1

L’autre jour, Xavier Darcos expliquait que la filière ES n’offrait pas de débouchés. On a vu, statistiques du Ministère de l’Education Nationale à l’appui, que cette affirmation était totalement erronée. C’est à une autre idée
récurrente que je m’attaque aujourd’hui, après avoir lu le rapport de l’Association Positive
Entreprise
, dirigé par Thibault Lanxade, et titré « l’entreprise dans les programmes scolaires » et sous-titré « les Sciences Economiques et Sociales au programme de
seconde ».

Pourquoi discuter du rapport de cette association peu connue, me direz-vous ? Car le point de vue défendu est assez
représentatif des positions des dirigeants d’entreprise, me semble-t-il, mais aussi parce que cette association organise le 10 décembre 2007 un colloque au Sénat placé sous “le haut patronage du
Président de la Commission des Affaires Économiques, Monsieur le Sénateur Jean-Paul Émorine” (voir ici).  Le rapport a également fait l’objet d’un article dans 20 minutes le 31 août dernier, et de quelques reprises
ici.

La thèse défendue est la suivante : les jeunes n’aiment pas l’entreprise à cause de l’école et plus précisément en raison du contenu des manuels scolaires d’économie de seconde, qui
véhiculent « une image pessimiste, incomplète, réductrice et idéologiquement orientée de l’entreprise ». Pour pallier ce problème, Thibault Lanxade propose d’intégrer « des chefs
d’entreprise dans la commission des programmes scolaires », afin de « réactualiser les données des manuels scolaires et [de] proposer une vision objective et positive
du monde de l’entreprise » (je grasse).

Il y aurait plusieurs choses à examiner pour évaluer la validité des propos de Thibault Lanxade : i) peut-on dire véritablement que les jeunes n’aiment pas l’entreprise ? ii) ce
« désamour » est-il le produit de l’enseignement de SES au lycée ? iii) l’analyse des manuels de SES proposée par Positive Entreprise, et les conclusions qu’en tire l’association,
sont-elles recevables ? iv) la proposition d’intégrer les chefs d’entreprise dans la commission des programmes scolaires est-elle une bonne solution ? etc.

Je me concentre ici sur le point 2, je reviendrai sur les autres dans les prochains épisodes. A supposer que les jeunes n’aiment pas l’entreprise, peut-on dire que ce « désamour »
résulte du contenu de l’enseignement de SES ? En fait non, en dehors même de tout examen du contenu des manuels, pour une raison très simple : la grande majorité des
jeunes ne suivent pas l’option SES de seconde…

 Démonstration :

 A la rentrée 2006, selon les chiffres du Ministère,
522 801 élèves sont entrés en seconde générale et technologique, 214 199 en seconde professionnelle, 50 456 en première année de CAP en 2 ans et 151 en première année de CAP en 3
ans. Il y a donc au total 787 607 élèves, ceux entrant en seconde générale et technologique représentent 66,4% de l’ensemble.
Sur ces élèves, tous ne
choisissent pas l’option SES. Ils sont en fait 225 213 à faire ce choix, et 297 588 à faire un autre choix. C’est donc 43% des élèves de seconde générale et technologique qui suivent
l’enseignement de SES.


Sur la base de ces chiffres, il s’avère donc que seuls 66,4%*43,1% des élèves suivent l’enseignement de SES, soit 28,6% et donc, vous l’aurez deviné, 71,4% des élèves ne suivent
pas un tel enseignement
. Affirmer que l’enseignement de SES est une des causes principales du désamour des jeunes pour l’entreprise est donc erroné. Au mieux, sous réserve de validation
des autres points, il peut participer au désamour de moins du tiers d’entre eux (plus près du quart que du tiers, d’ailleurs).

Darcos au pays des statistiques

L’autre jour, nous avons vu que l’argumentation de Xavier Darcos sur la filière ES ne
résistait pas à l’épreuve des statistiques. Hier,  notre ministre, lors d’un chat sur Le Monde.fr,
a lui même utilisé des statistiques. Pour le moment, c’est un peu laborieux et peu convaincant… Extrait du chat :

jeremi : Comment pouvez-vous dire que la filière ES n’a que des débouchés incertains alors que les titulaires du bac ES réussissent
plutôt bien dans l’enseignement supérieur ? Est-ce une attaque cachée envers notre président, titulaire d’un bac B, l’ancien bac ES ?  

Xavier Darcos : Je n’ai évidemment pas le moindre projet hostile vis-à-vis de la filière ES.
Je sais cependant que seuls 6 % de ces bacheliers accèdent aux classes préparatoires et que 68 % d’entre eux vont vers l’enseignement du droit ou de la
gestion.
Je sais aussi que ce sont dans ces filières de l’enseignement supérieur, comme dans les sciences humaines, que les déperditions sont importantes

Bon, je me concentre sur les inexactitudes :

“seuls 6% de ces bacheliers accèdent aux classes préparatoires” : Exact ! (5,9% en fait). En revanche, ils sont 12,4% à aller en Grandes Ecoles d’après les statistiques du ministère (voir le 2ème tableau ici).  Mais au-delà : On dirait que notre Ministre sous-entend par ce chiffre qu’en dehors des classes prépas et des Grandes Ecoles, point de salut… Me trompe-je?
Intéressant, je trouve, je pense que les Présidents d’Université apprécieront…  

“68% d’entre eux vont vers l’enseignement du droit ou de la gestion” : Faux, très faux ! Ils sont 15% en Droit. Quant à la gestion, il n’y a pas de
filière longue juste après le bac… Peut-être voulait-il dire économie ? Ils sont 8,5% à aller en Fac d’économie, ajoutons la filière Administration Economique et Sociale (8%), on obtient au
total 31,5%. Je ne sais pas d’où viennent ces 68%…

“Je sais aussi que ce sont dans ces filières de l’enseignement supérieur, comme dans les sciences humaines, que les déperditions sont importantes” :
Ca veut dire quoi “déperditions importantes?”. S’il s’agit des débouchés, droit, éco et gestion en offrent de nombreux.  S’il s’agit du taux d’échec, oui, on sait qu’il est important à
l’Université, y compris dans ces filières, mais il ne touche pas plus les élèves ES que les autres, voire moins, comme déjà dit dans mon billet précédent (sur la base des statistiques ministère présentées ici).


Bon, mais heureusement, pas de souci à se faire, Darcos n’a “évidemment pas le moindre projet hostile vis-à-vis de la filière ES”…

testez vos compétences !



Trois petites questions toutes bêtes :
1. si la probabilité de tomber malade est de 10%, à combien de malades doit-on s’attendre dans une population de 1 000 individus?
2. Si 5 personnes se partagent le gros lot du loto, et que ce gros lot est de 2 millions d’euros, combien chaque personne touchera-t-elle?
3. Supposons que vous ayez 200€ sur un compte épargne. Le taux d’intérêt est de 10% par an. De quelle somme disposerez-vous dans 2 ans?

Ces questions ont été posées à 1700 jeunes quinquagénaires. 80% ont répondu juste à la première question, moins de la moitié à la deuxième et 18% à la troisième. Sachant que la troisième n’a été posée qu’à ceux ayant répondu juste à l’une des deux premières questions.

J’ai trouvé ça sur le blog de Bernard Salanié, qui commente les résultats dans la foulée et donne les liens vers les articles. N’allez voir qu’après avoir répondu aux questions!

Enseignants d’économie en lycée, n’hésitez pas à soumettre ça aux lycéens, histoire de bien vérifier que le niveau baisse…