La crise pousse à la fraude

Article intéressant du Monde sur une
étude de PriceWaterHouseCoopers et l’INSEAD, au sujet de la fraude dans les entreprises. On y apprend qu’avec la crise :

* la fraude dans les entreprises a augmenté : 30% des entreprises ont été victimes de fraude sur les 12 derniers mois,
43% d’entre elles considèrent que cette fraude est en augmentation

* la fraude est pour l’essentiel d’origine interne à l’entreprise et, fait nouveau, de plus en plus l’affaire des cadres
et cadres sup : ils sont à l’origine de 42% des fraudes en 2009 contre 27% en 2007

* Pourquoi eux ? car ils en ont la rationalité (ils connaissent les règles internes à l’entreprise), l’opportunité (ils
peuvent faire de fausses notes de frais) et la motivation (c’est à eux que l’on fixe des objectifs intenables).

L’aspect motivation est essentiel, puisque a priori c’est le seul qui bouge suite à la crise : des objectifs auparavant
tenables deviennent intenables avec la crise. Ce qui montre en passant que l’efficacité des systèmes d’incitation dépend du contexte macro-économique. Intéresser les salariés en fonction des
performances absolues de l’entreprise (on nous parle dans l’article de règles telles que “la société déclenche une alerte au-delà d’un écart de plus de “X” milliers d’euros”) conduit à négliger
cet aspect.

Solution possible, si on veut rester dans cette logique d’incitation : indexer les primes sur les performances de
l’entreprise relativement aux performances d’entreprises comparables (du même secteur/zone géographique par exemple).
Autrement dit, faire bouger les règles internes. Sans cela, la fraude est moins imputable aux fraudeurs qu’aux règles non modifiées.

Plus radical : abandonner ces effets de mode qui réduisent le management des équipes à la mise en place de systèmes
d’incitation et de contrôle
(voir ici).

Interview La Tribune

Valérie Segond, journaliste à La Tribune, a interrogé quatre des intervenants aux Journées de l’économie de Lyon.
Elle m’a contacté pour évoquer la table ronde à laquelle je participe, avec la question clé suivante : comment faire revenir et maintenir dans l’emploi les personnes qui en sont éloignées.
L’interview est disponible page 9 dans l’édition d’aujourd’hui (également sur le site, €), elle s’intitule “Faire évoluer le meccano français du retour à l’emploi”.

Je développe quelques idées qui me semblent importantes, au sujet de la formation d’abord : i) l’argent investi dans la
formation profite trop peu aux personnes dites non qualifiées, ii) les contenus dispensés sont trop standardisés, sans prise en compte des acquis des personnes ou des besoins précis des
entreprises, iii) la prise en compte des projets personnels des bénéficiaires est également souvent insatisfaisante.

Au sujet ensuite de la sécurisation des parcours des personnes : des innovations émergent sur certains territoires,
échelle à mon avis essentielle pour penser cette sécurisation, compte tenu du caractère fortement localisé des marchés du travail. Mais entreprises et institutions, inscrites dans des logiques
essentiellement verticales, peinent à travailler ensemble sur une base territoriale.

Journées de l’économie

Je participe, dans le cadre des journées de
l’économie
, à une table ronde intitulée “Réinventer les parcours
professionnels”

date/heure :  jeudi 12 novembre, entre 17h30 et 18h45
lieu : Salle Lorenti, 13 bis, quai Jean Moulin 69002 Lyon
participants : Alain Charvet (chargé de mission Aravis), Yannick L’Horty (économiste) et Yves Monteillet (chef de
projet national Ametis)

modérateur : Jean-Paul Coulange (Laisons Sociales)
fil conducteur : Les parcours professionnels d’un nombre croissant de personnes se caractérisent par des ruptures
et discontinuités, avec des passages entre emplois, chômage, formation, inactivité, etc. Ces transformations, synonymes d’un changement profond par rapport au modèle d’emploi antérieur,
conduisent à une insécurité importante des personnes sur le marché du travail. L’objectif de la table ronde est d’éclairer ces problèmes, en insistant sur les solutions innovantes qui émergent
actuellement pour renforcer la sécurisation des parcours professionnels des personnes.

J’insisterai pour ma part sur les solutions territorialisées de sécurisation des parcours des personnes, leur intérêt
et les difficultés de leur mise en oeuvre, sur la base notamment du travail d’évaluation que je mène sur une expérimentation sociale (le “Groupement d’Activité”) soutenue par le Haut
Commissariat aux Solidarités Actives.

Le programme des journées de l’économie
est particullièrement riche. Je pense assister à la conférence inaugurale “Les Démons de la crise”,
puis à la table ronde “Des territoires en concurrence”, où la politique des pôles de compétitivité sera
mise en débat.

Vendredi matin, j’irai bien sûr à cette table ronde censée faire émerger les consensus en économie, démarche qui me laisse particulièrement perplexe… Devrait y être présentée une étude réalisée auprès
d’universitaires en économie. Personnellement, je n’ai pas été sollicité pour y participer : je ne dois être ni universitaire, ni économiste.
Je finirai sans doute par la table
ronde
sur les classes moyennes.

Immigrés et marché du travail

Le dernier numéro
d’Insee Première
s’intéresse à la situation des immigrés, comparativement aux non-immigrés, sur le marché du travail, avec notamment des distinctions selon le sexe, l’origine géographique et
le niveau de diplôme.
Titre : Langue, diplômes : des enjeux pour l’accès des immigrés au marché du travail
Auteurs : Olivier Monso et François Gleizes, division Emploi, Insee
Résumé : Les immigrés sont plus exposés au chômage que le reste de la population, les femmes immigrées étant en outre moins souvent présentes sur le marché du travail. Ceci est en
partie dû à un manque de qualifications. Toutefois, des écarts subsistent à niveau de diplôme équivalent. Ils sont plus marqués pour les diplômés du supérieur. Les qualifications des immigrés,
lorsqu’elles existent, bénéficient rarement d’une reconnaissance formelle en France, sauf pour les diplômés du supérieur. Les immigrés éprouvent souvent des difficultés avec la langue française,
même si cela ne constitue pas forcément une gêne pour travailler. Les immigrés ayant un emploi se sont souvent appuyés, pour le trouver, sur leur réseau relationnel. Une minorité d’entre eux fait
état de discriminations d’ordre professionnel. Ce ressenti est plus fréquent pour ceux qui sont originaires d’Afrique subsaharienne.

Quelques commentaires :
Dans le premier tableau figurent des odds ratio, définis comme le rapport des chances qu’un évènement arrivant à un groupe A (ici les non-immigrés) arrive également à un groupe B (ici les
immigrés). Si le odds ratio est de 1, l’évènement est indépendant de l’appartenance au groupe ; s’il est supérieur (respectivement inférieur) à 1, l’appartenance au groupe B augmente 
(respectivement diminue) la probabilité de subir l’évènement. On constate alors que le odds ratio sur le taux de chômage est égal à 1,2 pour les non diplômés et qu’il est non significatif :
autrement dit, la probabilité d’être au chômage quand on est non diplômé n’est pas significativement différente, que l’on soit immigré ou non immigré. Le odds ratio monte ensuite à 2,4 pour les
diplômés de l’enseignement secondaire et à 4 pour les diplômés de l’enseignement supérieur…

Autre résultat intéressant, les statistiques sur les modes d’obtention d’un emploi. J’en parle souvent aux étudiants : pour obtenir un emploi on peut passer par le marché (candidatures spontanées
par exemple), par des institutions (ANPE, agences d’intérim, …) ou par ses relations sociales (familles, amis, …).

 

Famille, amis ou proches

Agences

Aucune aide

Non immigrés

32 %

9 %

59 %

Total immigrés

41 %

13 %

46 %

Maghreb

33 %

20 %

47 %

Europe

45 %

8 %

47 %

Asie (Turquie incluse)

43 %

9 %

48 %

Amérique et Océanie

42 %

7 %

51 %

Afrique subsaharienne

41 %

18 %

42 %

On le voit, les relations sociales pèsent, pour toutes les catégories de personnes. S’agissant des scores agences vs.
aucune aide, il faudrait voir précisément comment l’enquête a été administrée (notamment, sur le passage en agence, a-t-on inclus les agences d’intérim et autres dispositifs ou la question ne
portait-elle que sur pôle emploi?) car le passage par les institutions (colonne “Agences” ici) me semble particulièrement faible comparativement à ce que l’on a dans d’autres enquêtes. Les scores
obtenus par les réseaux sociaux sont en revanche proches de ceux obtenus dans les enquêtes sur le sujet.

Ouverture des commerces le dimanche

Via le blog de Philippe Moati, je
découvre une étude du Credoc sur l’ouverture des commerces le dimanche. La première partie reprend les résultats d’une enquête
pour cerner l’opinion des français sur le sujet. La deuxième partie est une simulation des effets attendus.


Dans cette dernière partie, les auteurs considèrent que plusieurs effets sont à prendre en compte,
notamment :

* un effet de cannibalisme : les achats en plus dans les commerces qui ouvriraient maintenant le dimanche réduisent les
achats réalisés les autres jours (ou le dimanche dans les commerces ouvrant déjà). Si l’on suppose que ce sont les enseignes les plus productives qui se mettraient à ouvrir le dimanche, on peut
s’attendre à un effet favorable sur les prix (par suite sur le pouvoir d’achat) et à un effet défavorable sur l’emploi

* un effet d’exposition à l”offre : les ménages peuvent piocher dans leur épargne pour accroître leur consommation, sur
la partie commerce non-alimentaire tout au moins. D’où un effet favorable sur l’emploi


Bilan des courses (c’est le cas de le dire…)? Selon les hypothèses, le bilan en termes d’emplois peut être positif (au
maximum 8000 emplois créés)… ou négatif (au pire 21600 emplois détruits). Dans tous les cas, l’effet est limité (pour mémoire, 1,8 millions de personnes travaillent dans le
secteur).

Faut-il aider les entreprises qui font des bénéfices ?

Libé m’a contacté hier pour me poser la question suivante : est-il normal que l’Etat participe à l’indemnisation des
salariés d’entreprises pratiquant du chômage partiel et faisant par ailleurs des bénéfices ? 

Question d’actualité, bien sûr : le chômage partiel se répand rapidement en ce moment, il est pratiqué par de nombreuses
entreprises et certaines, effectivement, font des bénéfices (pour des précisions sur les aides octroyées par l’Etat dans ce cadre, voir ici). Nicolas Sarkozy a par ailleurs annoncé vouloir faciliter le recours au chômage partiel (voir
ici).


Quelques éléments de réponse. La question doit d’abord être scindée en deux : i) est-il normal que l’Etat participe à
l’indemnisation du chômage partiel? ii) si oui, est-il normal qu’il indemnise les entreprises qui font des bénéfices?


Sur le premier point : le chômage partiel est mobilisable en cas de circonstances exceptionnelles ou de difficultés
économiques passagères. On peut considérer que nous sommes aujourd’hui dans ce cas : choc macroéconomique important, qui affecte tout un ensemble d’entreprises qui n’y sont pas pour grand
chose, les aider peut permettre d’amortir le choc, que ceux qui en sont victimes n’aient pas à supporter seuls la charge de l’effort. Ceci ne signifie pas que l’Etat seul doive supporter la
charge de l’effort ; en l’occurrence, l’Etat, les entreprises et les salariés apportent leur contribution, l’enjeu étant d’équilibrer cette charge, de trouver les bons compromis. Le risque
d’une non mutualisation de l’effort est que les entreprises soit s’en remettent à des moyens plus expéditifs (licenciements plutôt que chômage partiel), soit entrent dans des difficultés
plus grandes, pouvant compromettre leur survie.


Sur le deuxième point : je commence vraiment à fatiguer par cette stigmatisation des entreprises qui font des
bénéfices. On a l’impression que c’est une maladie… Sans doute la majorité des gens s’imaginent-ils qu’une entreprise qui fait des bénéfices le fait nécessairement en exploitant ses
salariés… L’idée qu’une entreprise A est plus profitable qu’une entreprise B parce qu’elle est, bêtement, plus efficace, semble inenvisageable… Soyons fous : supposons qu’il existe de
nombreux secteurs dans lesquels des entreprises de type A sont plus profitables que des entreprises de type B, parce qu’elles sont plus efficaces. Que, ce faisant, les entreprises de type A
tendent à créer plus de richesses et plus d’emplois. Si l’Etat décide de n’indemniser que les entreprises de type B, considérant que les entreprises de type A peuvent se débrouiller toutes
seules, il aidera en fait des entreprises peu efficaces, et pénalisera des entreprises plus efficaces. Bref, un peu de distorsion de concurrence au profit des plus mauvais. Drôle d’idée quand
même…