Les enfants de riches sont-ils plus intelligents?

Débat intéressant sur les blogs d’économistes américains, suite à la publication par le New-York Times de ce graphique, qui montre que les scores d’élèves à différents tests (lecture, écriture, maths) augmentent avec les revenus des parents :




Greg Mankiw estime qu’il s’agit de la corrélation la moins suprenante qui soit : elle s’explique selon lui par une variable omise, le QI des parents. Des parents au QI élevé vont pouvoir obtenir une situation professionnelle meilleure, donc de meilleurs revenus ; l’intelligence étant pour partie héréditaire, leurs enfants vont eux-aussi être dotés d’un QI supérieur à la moyenne, et donc obtenir de meilleurs scores aux tests.
Interprétation qui a fait bondir Paul Krugman et Matthew Yglesias. Ils reprochent à Mankiw de laisser entendre que les différences de revenu aux Etats-Unis s’expliquent uniquement par des différences de talent individuel. Matthew Yglesias se réfère à une étude par inintéressante, qui mesure la proportion d’enfants allant à l’Université en fonction du revenu des parents et en fonction des scores obtenus par ces enfants à différents tests passés plus jeune :




Le graphique montre que même en neutralisant les différences de réussite aux tests de math, les enfants de riches ont une propension plus grande que les enfants de pauvres à poursuivre leurs études. Krugman renvoie à une autre étude qui montre que les enfants les moins bons aux tests de math mais dont les parents ont des hauts revenus obtiennent aussi fréquemment leur bachelor que les enfants les meilleurs aux tests mais dont les parents ont des bas revenus. Brad de Long complète par quelques calculs, pour montrer que la corrélation entre QI des parents et QI des enfants explique environ la moitié de la corrélation entre revenus des parents et score des enfants.

Marginal Revolution, enfin, reprend les résultats d’une étude particulièrement intéressante, qui s’appuie sur des données concernant des familles ayant des enfants biologiques et des enfants adoptés, l’enjeu étant de mesurer la relation éventuelle entre le revenu des parents et celui des enfants adoptés/non adoptés :


Les courbes montrent le lien fort entre revenu des parents et des enfants biologiques, et l’absence de lien entre revenu des parents et des enfants adoptés. On apprend également dans l’étude que la probabilité d’obtenir un diplôme d’Université augmente quand la mère est allée elle-même à l’Université, mais cette augmentation est plus forte pour les enfants biologiques (+26%) que pour les enfants adoptés (+7%). Une preuve apparemment solide des l’importance  des effets génétiques…
Certains pourront dire que, peut-être, les parents traitent différemment leurs enfants biologiques et leurs enfants adoptés, mais ca semble peu crédible comme hypothèse. Se pose également la question de l’âge auquel les enfants ont été adoptés : si ce n’est pas à la naissance, on peut penser que les écarts observés témoignent de l’importance des premières années d’éducation, plus que de l’effet génétique. Je n’ai pas trouvé l’info sur ce point (je n’ai pas beaucoup cherché il faut dire…).
Quelques propositions pour finir, histoire d’appâter le commentaire :
proposition 1 (évidente) : il vaut mieux avoir des parents riches et intelligents que pauvres et bêtes (proof : see graph 2)
proposition 2 (plus subtile) : il vaut mieux avoir des parents riches et bêtes que pauvres et intelligents (proof : see graph 1 & 2 and here)
proposition 3 (cynique) : si vous avez des parents pauvres et bêtes, ne cherchez pas à vous faire adopter par des parents riches, ca ne changera rien à votre situation future. Cherchez éventuellement des parents riches et intelligents, mais sachez que ca n’améliorera qu’à la marge votre situation… (proof : see graph 3 and comments below)

Les stratégies absurdes

Ouvrage très intéressant, déjà signalé par Les Econoclastes et Que disent les économistes? : les stratégies absurdes (comment faire pire en croyant faire mieux), de Maya Beauvallet, aux éditions du Seuil, janvier 2009.

Le fil conducteur de l’ouvrage est le suivant : un nombre croissant d’organisations se dotent d’indicateurs de performance, d’une part, et mettent en oeuvre des systèmes d’incitation/contrôle, d’autre part, pour influer sur les comportements des acteurs et s’assurer de l’amélioration desdites performances. Sauf que cette “doxa manageriale” échoue souvent, les stratégies mises en oeuvre conduisant à des résultats absurdes…

Petit exemple, en quatrième de couverture, développé ensuite dans l’ouvrage : un joueur de football, bon récupérateur de ballons, passe ensuite trop souvent la balle à l’adversaire. Décision des dirigeants : on lui inflige une sanction financière à chaque fois qu’il la rend à l’autre équipe. Résultat : le joueur ne passe plus la balle à personne…

Les douze chapitres du livre sont autant d’exemples des travers de ce type de stratégie. Certains trouveront sans doute l’ensemble assez répétitif, puisque c’est finalement toujours la même grande idée qui est illustrée. L’intérêt, de mon point de vue, est de démontrer ce faisant que ce type de pratique diffuse très largement dans l’ensemble de la société : au sein des entreprises, bien sûr, mais aussi dans les hôpitaux, dans les tribunaux, au sein des Universités, dans les organismes chargés du suivi des chômeurs et jusque dans les ministères. D’insister également sur la diversité des indicateurs de performance (indicateurs individuels, collectifs, relatifs, subjectifs) et sur l’intérêt de les mobiliser dans certains contextes organisationnels, mais l’absurdité de les utiliser dans d’autres.

Les Universitaires y trouveront deux analyses intéressantes : la première sur le cas australien, pays dans lequel on a décidé que les budgets alloués aux laboratoires dépendraient en partie du nombre de publications dans des revues à comité de lecture. Résultat : le nombre de publications à fortement augmenté, mais la qualité des publications s’est dégradée (qualité mesurée par le nombre de citations des articles publiés). Pourquoi? Les chercheurs se sont mis à publier plus qu’avant des articles un peu moins bons, dans des revues à comité de lecture plus facilement accessibles… La deuxième analyse porte sur les erreurs de mesure et les biais inhérent à l’évaluation des chercheurs, avec l’exemple du h-index notamment, je vous laisse la découvrir dans l’ouvrage (chapitre 11).

Il ne s’agit pas pour Maya Beauvallet de plaider pour un retour à des méthodes manageriales anciennes, temps de la contrainte et des “petits chefs”, mais de dénoncer les travers de stratégies insuffisamment pensées, où l’on commence par bâtir des indicateurs au lieu de définir une politique, de se doter d’objectifs, de prendre tout simplement le temps d’échanger avec les acteurs plutôt que de rester les yeux rivés sur son écran de contrôle, pour surveiller l’évolution des indicateurs.

Lecture qui donne envie de prolonger la réflexion, et d’ajouter des chapitres sur des sujets non traités. Par exemple sur la question des délocalisations : certaines entreprises s’appuient sur quelques indicateurs statistiques de base (coût de l’heure du travail, coût salarial unitaire) pour asseoir leurs choix de localisation, et quelle n’est pas leur déconvenue lorsqu’elles s’aperçoivent, une fois localisées dans des pays lointain, que la performance anticipée n’est pas au rendez-vous… Parce qu’elles rencontrent des problèmes de qualité, de management des équipes, de formation du personnel sur place, etc. En réduisant la performance d’une organisation à un indicateur de performance, elles
déploient parfois, elles-aussi, des stratégies absurdes…

Sur les Universités, là aussi, on a envie d’approfondir au regard des évolutions en cours… La tendance à l’oeuvre semble consister à mesurer la performance des enseignants chercheurs par leur nombre de publications dans des revues à comité de lecture. On l’a vu avec l’exemple australien, cela peut se traduire par une baisse de qualité. Mais on peut également considérer que cela nuit à d’autres supports de communication (colloques, ouvrages, …). Et on réduit aussi l’activité de l’enseignant chercheur à son activité de recherche. On pourrait certes rétorquer qu’il suffit de se doter d’indicateurs complémentaires sur les volets enseignement et charge administrative, mais ce sont des activités beaucoup plus difficiles à évaluer. Ou alors, cela suppose de mettre en place des systèmes coûteux, dont le coût peu plus que compenser les gains attendus de l’amélioration du système… Et l’on entre dans tout un ensemble de complications liées à la construction d’indicateurs composites (quel poids pour chaque activité?). Que l’on collecte, dans les universités, plus d’informations sur l’activité de recherche des enseignants chercheurs me semble indispensable (l’information est excessivement dispersée, mal diffusée, ce qui nuit au rayonnement de la recherche et ce qui conduit à du gaspillage de temps considérable quand il s’agit, par exemple, de rédiger des rapports d’activité ou des projets de recherche). Mais que l’on prenne garde à ne pas, sur cette base, construire quelque indicateur de performance à l’aune duquel seront jugés les enseignants-chercheurs et dont dépendront les évolutions de carrière…

Petit mot pour finir plus sur la forme que sur le fond : l’ouvrage est court (150 pages environ), très clair, et rempli de formules que j’ai trouvé savoureuses. Au fur et à mesure de sa lecture, je me suis dit que Maya Beauvallet ferait une excellente blogueuse! Jai vu qu’elle avait rédigé quelques billets pour la vie des idées, celui-ci donnant un bon aperçu de son livre, mais un blog perso, ce serait bien aussi!

Atelier discrimination

L’histoire se déroule dans une agence ANPE de l’Ouest de la France. Une femme noire entre dans l’agence et, avant qu’elle
n’ait pu dire un mot, la préposée à l’acceuil lui demande :

Vous venez pour l’atelier discrimination?

En fait, non, elle venait
pour l’atelier informatique…

(merci à Emilie pour l’info!)

Des formats économiques qui ne le sont pas

60 millions de Consommateurs a mené l’enquête : certains produits livrés en grand conditionnement et marqués “format familial”, “format éco” ou “format économique” sont plus chers au kilo que ceux livrés en conditionnement classique. Témoignage à l’appui : «Dans mon hypermarché Auchan, je constate qu’il est moins cher d’acheter deux paquets de céréales Special K de 375 g (5,73 € le kilo) qu’un paquet de 600 g (6,50 € le kilo)». Le Monde reprend l’information ici.

Vilcoyote s’énerve sur le blog Optimum, en expliquant qu’il s’agit d’une pratique classique de discrimination tarifaire, consistant à isoler les consommateurs prêts à payer plus que d’autres un certain produit, et à leur faire payer ce supplément d’une façon ou d’une autre (voir chez les mêmes pour un exemple sur les yaourts, et chez les Econoclastes pour d’autres exemples amusants).

Pratique pas forcément condamnable nous expliquent les Econoclastes dans leur (excellent) ouvrage : soit un bien X dont le coût de production est de 20€. Supposons qu’Alexandre soit prêt à payer 25€ pour ce produit, et Stéphane seulement 19€. Si l’entreprise vend le bien X à 20€, seul Alexandre l’achète, il réalise un gain de 5€ (25€ – 20€). Si l’entreprise discrimine en vendant 18€ à Stéphane et 24€ à Alexandre, les deux gagnent 1€. De plus, en augmentant le nombre de produits vendus, l’entreprise peut bénéficier d’économies d’échelle, permettant d’abaisser le coût unitaire de production, ce qui peut bénéficier à l’ensemble des consommateurs. On pourrait objecter que ce n’est pas normal que le petit Alexandre paye beaucoup plus cher que le petit Stéphane, sauf si l’on suppose qu’Alexandre a des revenus plus importants que Stéphane (ce qui peut expliquer qu’il est prêt à payer plus au départ) : la discrimination apparaît alors comme un
moyen de prendre aux riches pour donner aux pauvres…

Bref, on en viendrait presque à considérer que vendre les formats éco plus chers que les formats classiques, ma foi, ça n’a rien d’embêtant.

Sauf qu’on peut analyser les choses un peu différemment…

Supposons qu’Alexandre souhaite acheter un paquet de Céréales dans son hypermarché, au prix le plus bas possible. Dans un monde idéal d’information parfaite, il connaît tous les prix pratiqués, il pourra tranquillement se diriger dans le magasin proposant le meilleur prix et acheter le produit au prix le plus bas. Dans le monde réel, Alexandre ne connaît pas parfaitement tous les prix, il doit collecter l’ensemble de l’information pertinente avant de faire son achat. Or, cette collecte d’information est coûteuse, elle correspond à ce que l’on appelle des coûts de transaction. Alexandre a donc intérêt à les intégrer dans son calcul, il doit minimiser non pas le prix du paquet de céréales, mais l’ensemble de ses coûts.

Lorsqu’on prend en compte ces coûts de transaction, on comprend mieux que les hypermarchés situés en périphérie puissent perdre face à des supermarchés plus proches des lieux d’habitation : même s’ils proposent des produits à un coût unitaire plus faible, ils font supporter aux consommateurs des coûts de transport plus élevés, les consommateurs passeront également plus de temps pour faire leurs achats, le temps de s’y retrouver dans le dédale des rayons et de trouver les produits qu’ils cherchent (L’Insee montre ainsi que la part de marché des Hypers est passée de  35,4% à 33% entre 1999 et 2007, pendant que celle des supermarchés est passée de 30,8% à 33,1%. Il y a bien sûr d’autres éléments explicatifs).

Sachant cela, les hypermarchés proposent des services permettant de signaler aux consommateurs des produits aux prix plus bas : marques repères, étiquettes “produit le moins cher”, produit étiquetés “forma éco”, etc. Services qui permettent de réduire les coûts de transaction des consommateurs.

Les résultats de l’enquête de 60 millions de Consommateurs peuvent alors être interprétés autrement : les hypermarchés délivrent des informations mensongères aux consommateurs, en leur faisant croire qu’ils minimisent prix des produits et coûts de transaction, alors qu’en fait, si les coûts de transaction sont bien minimisés (ils n’ont pas à comparer les prix des produits), les prix des produits ne le sont pas. Pratique peu défendable, on en conviendra…

Inégalités de niveau de vie : l’impact des revenus du patrimoine

Article intéressant d’Alexandre Baclet et
d’Emilie Raynaud sur l’impact sur le niveau de vie de la prise en compte des revenus du patrimoine financier et du logement. On y apprend par exemple que le rapport interdécile du niveau de vie
D9/D1, c’est à dire le rapport entre le niveau de vie des 10% les plus riches (D9) et le niveau de vie des 10% les plus pauvres, qui est de 3,17 avec une mesure standard du niveau de vie, passe à
3,47 quand on intègre loyers imputés et revenus financiers.

Résumé :
En France, la mesure de référence des inégalités de revenus s’appuie sur une définition du niveau de vie qui prend uniquement en compte les ressources monétaires. Jusque dans un passé récent,
cette mesure appréhendait mal les revenus du patrimoine financier et ignorait la contribution du logement au niveau de vie des individus. La prise en compte « élargie » des revenus du patrimoine
dans la mesure des niveaux de vie modifie le paysage des inégalités en France. Qu’il s’agisse du patrimoine financier, dont la distribution au sein de la population est plus concentrée que celle
des revenus, ou de la propriété de la résidence principale, les compléments de ressources estimés accroissent la mesure des inégalités globales. Les inégalités de niveau de vie entre les
différentes catégories socioprofessionnelles et selon l’âge en sont également modifiées. Le niveau de vie moyen des personnes âgées est inférieur à la moyenne de la population avec la mesure
standard du niveau de vie. Compte tenu du fait que le patrimoine des seniors est supérieur à la moyenne, la prise en compte des revenus du patrimoine améliore leur niveau de vie relativement au
reste la population.

Référence : Baclet A., Raynaud E., 2008, “La prise en compte des revenus du patrimoine dans la mesure des inégalités”, Economie et Statistique, n°414, p. 31-52.

L’image du jour : petit complément

Billets intéressants chez Econoclaste et Mathieu P. autour du
graphique présenté par JP Morgan. Je complète un petit peu, en testant la corrélation entre la capitalisation boursière actuelle et celle de 2007. Résultats à prendre avec précaution, il n’y a
que 15 points.




R² moyen, mais on voit un point plutôt particulier, en bas à droite, en l’occurrence Citigroup. Comme par hasard, la
société placée juste à côté de JP Morgan dans leur graphique… On peut l’enlever, voir ce que ca donne (il ne reste alors que 14 points, je sais…).



R² pas
mauvais cette fois, non?

Où passer Noël?

Vous avez une quarantaine d’années? Vous ne savez pas où passer Noël? Un conseil, ne restez pas chez vous, allez plutôt
en Maison de retraite, vous serez à l’abri !

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Joyeux Noël à tous!

La société de défiance

Critique forte, bien argumentée et très convaincante, de l’ouvrage de Yann Algan et Pierre Cahuc, La Société de défiance : comment le modèle social s’autodétruit, par Eloi Laurent,
sur la Vie des Idées.

L’ouvrage d’Algan et Cahuc avait pas mal défrayé la chronique. Voir notamment  la réaction de Blanchard, ou encore une critique de Nathalie
Georges
,ainsi qu’un billet sur le blog d’Etienne Wasmer.
L’analyse critique d’Eloi Laurent va plus loin me semble-t-il, tant elle met en évidence des problèmes méthodologiques de
base.

interviews

Bonne récession 2009 à tous, d’abord (“bonne année”, c’est tellement banal…)

2009 s’annonce plutôt chargée de mon côté, j’espère malgré tout pouvoir poster assez régulièrement des billets. En attendant, quelques interviews de début d’année.

Sur la récession, France Bleu Poitou m’a interrogé mercredi dernier. Le technopolitain également, un peu avant les
vacances, interview visible page 2.

Sur les relocalisations ensuite : quelques éléments devraient paraître dans le Monde, je ne sais pas trop quand. Idem dans les pages nationales de la Nouvelle République du Centre Ouest,
normalement en début de semaine, suite à la relocalisation de Geneviève Lethu, dont j’avais dit deux mots ici.

Je suis un peu embêté parfois avec ces interviews, notamment sur la récession, car pour l’essentiel, tout ce que je peux dire, c’est qu’on n’en connaît ni l’ampleur, ni la durée, alors qu’on
attend de nous (économistes) des prédictions précises. vive l’astrologie…

A relier aux propos de Ragu Rajan, dont Krugman et les Econoclastes nous ont parlé récemment : “Most academics are really reluctant to take part in the public dialog, because the public dialog requires you to have an opinion about
things you can’t really be sure about,” (…) “They fear talking about things where everything is not neatly nailed in a model. They stay away and let the charlatans occupy the high ground.”

Angoisse existentielle : peut-on être un économiste blogueur sans être un charlatan?