Conseils de lecture

Les 15% de Besson
Comme sans doute beaucoup d’entre vous, j’ai entendu l’autre jour Eric Besson affirmer que seules 15% des contributions au débat sur l’identité
nationale concernaient la thématique de l’immigration et de l’Islam (25% si on élargit le nombre d’items). Jean Véronis relaie un travail d’analyse
statistique
des contributions déposées sur le site debatidentitenationale.fr, qui montre que la proportion est plus élevée (23% avec la liste courte d’items, 38,5% avec la liste
élargie).

Ce travail a été réalisée par Nabil Wakim, journaliste au Monde, ce qui fait dire à Jean Véronis : “Je me permets d’ajouter que je trouve qu’il
s’agit-là d’un excellent exemple de ce journalisme d’investigation qui nous fait tellement défaut depuis quelques années. La vraie raison du malaise de la presse, ce n’est peut être pas la
concurrence d’internet, ni la faute à Google, mais peut-être simplement que le journalisme est devenu pour la plus grande partie un journalisme de copier-coller. L’AFP déverse, les rédacs
recopient. Qui veut payer pour ça ?”. Ca m’a rappelé un vieux billet sur le sujet journalistes vs.
blogueurs.


Jacques Marseille

Dans une interview au
Monde
, comme à son habitude, il dit n’importe quoi : preuve chez Optimum, et encore,
VilCoyote n’a pas tout relevé!


30% de boursiers dans les grandes écoles

Billet très intéressant de Denis
Colombi. J’aime particulièrement ce passage : “la proposition des quotas de boursiers dans ces seuls établissements, même s’il ne reste qu’au niveau des propositions, est
extrêmement perverse : elle contribue en effet à maintenir l’idée que, hors des grandes écoles, il n’y a pas de salut, qu’elles sont les seules à valoir les coups, à avoir quelque chose à
proposer aux étudiants. Non seulement l’université et les formations courtes du type BTS disparaissent alors qu’elles apportent une contribution significative à la mobilité sociale, à la réussite
des étudiants et à la formation d’une main-d’oeuvre de qualité, non seulement les formations professionnelles ne sont mêmes pas évoquées par qui ce soit, mais surtout l’idée demeure que la guerre
pour les places, pour un petit nombre de formations, est tout à fait normale. On légitime un peu plus l’idée que seule compte la réussite d’un petit groupe d’étudiants, qui formeront l’élite, et
que l’on peut abandonner les autres – et que, donc, pour ceux qui ne font pas partis des “élus”, c’est vae victis. “

Fitoussi sur les agences de notation

Tribune intéressante de Fitoussi sur
les agences de notation, qui ne sont pas sans avoir contribué à la crise financière, mais qu’on écoute de nouveau quand elles notent les pays.

Qu’on ne me dise pas que la dénonciation des comportements des agences de notation est récente, que les économistes ne l’avaient pas vu, pour preuve cet extrait d’un ouvrage de 2006 : “D’autres insistent encore sur la nécessaire amélioration du travail des agences de notation, dont les comportements, jusqu’à
présent, relèvent plutôt du mimétisme : alors qu’elles ont a priori pour mission de délivrer une information crédible sur les entreprises, permettant d’orienter les décisions des
acteurs sur les marchés, on observe que les notes suivent plus qu’elles ne précèdent l’évolution des cours…”

ps : merci à Philippe N. pour l’info!

Ca va comme un dimanche…

Synthèse d’un billet déprimant de Stumbling and Mumbling :

* Une étude allemande, d’abord, montre qu’il y a un fort effet du jour de semaine sur le bonheur. Les personnes sont moins heureuses
le dimanche que les autres jours.Ce n’est pas parce que les gens pensent au lundi : les personnes sans emploi sont aussi moins heureuses le dimanche. En fait, l’effet dimanche est
particulièrement fort pour les gens mariés, plus fort que pour les personnes seules. A tel point que la différence de bonheur du dimanche entre une personne mariée et une personne seule est 1/3
plus grande que celle entre une personne ayant un emploi et celle sans emploi…
* la deuxième étude montre que le bonheur suit une courbe en U avec l’âge, avec un minimum à 40 ans.
Les auteurs suggèrent que c’est à cet âge que les échecs dans ses investissements antérieurs apparaissent. C’est autour de cet âge qu’on a le plus de chance d’avoir divorcé, que ceux qui sont
sans emploi souffrent le plus, que même les personnes ayant réussi réalisent qu’elles n’iront pas aussi haut qu’espéré, que les enfants réduisent le bien-être des parents, que l’on s’aperçoit
qu’on ne réalisera jamais ses rêves…
* la troisième étude avance une nouvelle explication du paradoxe d’Easterlin, en termes de capital social. Les pays qui
ont connu une forte chute en termes de capital social (mesuré par l’implication volontaire des personnes dans des associations) voient leur bonheur chuter.

Lien suggéré par Chris Dillow entre les trois études : les gens anticipent mal ce qui pourra les rendre heureux. Avoir des enfants et investir en termes de carrière plutôt que dans les réseaux
sociaux ne nous rend pas heureux, et pourtant c’est ce que nous faisons jusqu’à la trentaine, et nous sommes ensuite malheureux…

Les consensus en économie

Les résultats de l’enquête pilotée par Etienne Wasmer et Thierry Mayer viennent de sortir sous la forme d’un article en anglais. Voir le blog de Wasmer pour le résumé et pour la mise en ligne progressive des résultats ainsi que des données de base (à venir). Voir aussi cet article d’Eco89.
Lors des Journées de l’Economie, j’ai assisté à la session de présentation des résultats. Petit compte rendu, puis quelques remarques.

Participants : Etienne Wasmer, modérateur, Francis Kramarz, Michel de Vroey, Eric le Boucher.

 

Etienne Wasmer présente l’enquête.


Contexte : l’enquête a été réalisée en partenariat avec l’AFSE et ECO89 et financée par le Codice. La source
d’inspiration des auteurs est l’enquête réalisée aux Etats-Unis par Whaples en 2006, qui posait 24 questions normatives envoyées à 210 personnes. Résultat : assez fort degré de consensus,
notamment par rapport au libre-échange. L’objectif de la présente étude n’est pas d’établir un certain nombre de savoirs à prendre comme des vérités défintives, mais d’apprendre sur le
fonctionnement de la profession.

Il y a eu 305 participants, qui ont  tous répondu aux 82 affirmations. Parmi eux, 181 non anonymes et 146
académiques. Pas d’écart massif de résultat entre anonymes et non anonymes sauf peut-être pour les personnes de la fonction publique. Les 82 affirmations portent sur 11 thèmes. 35 sont de type
normatif (il faudrait que), 39 de type positif (ceci entraîne cela), 8 inclassables. 26 affirmations suggèrent qu’une intervention publique est souhaitable, 34 sont pour une logique de marché, 22
neutres.

 

Résultats : pour se prononcer sur le consensus, calcul de l’écart type entre individus sur une question ou un
ensemble de questions. Consensus absolu = 0 ; consensus nul = 2. Sur cette base, on observe que  25% des questions font l’objet d’un consensus fort ou assez fort ; 10% des questions font
l’objet d’un très fort dissensus. En moyenne le consensus est plutôt faible. Les résultats sont globalement les mêmes si on se concentre sur la sous-population des académiques.

Par catégorie, le consensus le plus fort concerne le logement et la  fiscalité, le consensus le moins fort concerne
l’éducation/capital humain, la mondialisation, la régulation des marchés. Les deux affirmations les plus clivantes sont  1) “la concurrence entre Universités sera néfaste pour les
étudiants”, 2) “L’Etat devrait nationaliser tout ou partie du secteur bancaire français afin de favoriser la stabilité du secteur français”. Les deux affirmations les plus consensuelles sont 1)
“les niches fiscales permettent à des ménages riches de ne pas payer d’impôts”
2) “Les Etats-Unis devraient
signer les accords de Kyoto”.

 


En reprenant l’opposition marché/Etat, on observe une relative méfiance pour le marché (moyenne de 42, sachant qu’une
adhésion totale au marché aboutirait à un score de 100, une adhésion totale à l’Etat à un score de 0). Le résultat est plus fort pour les Profs d’Université/Directeurs de recherche, sans que
l’écart ne soit gigantesque (49,6). Sur la base de cet écart, je m’étonne du commentaire d’Eco89 : “
Détail
qui ne surprendra pas, les maîtres de conférence, chargés de recherche et professeurs du secondaire sont bien moins favorables au marché et à sa main invisible que les professeurs d’université et
directeurs de recherche”, même si sur certains items, les différences peuvent être fortes.

 

Réactions des participants : Michel de Vroey a ensuite pris la parole, non pas pour commenter directement les
résultats, mais pour traiter de la question du consensus en macroéconomie standard, dans une perspective historique. Il défend l’idée que l’opposition libéraux/anti-libéraux est par trop
réductrice et propose de distinguer quatre degrés :
i) plein libéralisme (laisser faire ou libéralisme
régulé), ii) libéralisme mitigé (libéralisme keynésien, libéralisme de co-existence (défenseurs de l’économie mixte)), iii) anti-libéralisme mitigé (posture hybride), iv) socialisme
(anti-libéralisme plein). Il insiste également sur la nécessité de distinguer entre le consensus autour de l’appareil conceptuel et le consensus autour de la cause de politique économique au
service de laquelle les modèles sont mis. Il n’y a eu qu’une période de consensus sur l’aspect cause servie, pendant les trente glorieuses, autour du modèle ISLM, depuis il a disparu et, selon
Michel de Vroey, il n’y a pas de raison qu’il émerge de nouveau. Il y a en revanche plutôt consensus aujourd’hui sur l’appareillage conceptuel. Ouvrage sur le sujet à venir.

 

Francis Kramarz s’est ensuite déchaîné, en s’appuyant sur l’analyse de l’affirmation “le salaire minimum ne détruit pas
d’emploi”. Il explique qu’on se moque de savoir ce que pensent en moyenne les économistes, qu’il convient plutôt de mener des analyses empiriques et de voir quels résultats émergent. En
l’occurence, les travaux appliquées montrent qu’aux Etats-Unis il n’a pas détruit d’emplois, alors qu’en France si. Kramarz défend en fait une approche très empirique de l’économie, qui se
développe via les expérimentations sociales et permet de sortir des débats trop idéologiques de l’économie. Assez d’accord avec l’idée qu’on se bat en France un peu trop à coup d’idées et trop
peu à coup de chiffres, mais de mon point de vue on ne peut se satisfaire de cette approche extrème, on a aussi besoin de schémas théoriques d’ensemble permettant de penser le système économique.
Pour en avoir touché deux mots à Kramarz en fin de séance, il semblait d’accord, mais disait qu’on était en France tellement à l’autre extrème, qu’il défendait une position radicale pour faire
bouger les choses et que dans un autre contexte (aux Etats-Unis par exemple), il ne dirait sans doute pas la même chose.

 

On notera que Wasmer est plutôt en phase avec les premiers propos de Kramarz (article Eco89) : “Etienne Wasmer met en
garde contre toute interprétation abusive de l’enquête : d’abord, ce n’est pas un sondage représentatif ; ensuite, il ne s’agit pas de dessiner un chimérique « consensus des
économistes », mais plus modestement de repérer quelles sont les questions qui soulèvent le plus de divergences : “On ne peut utiliser cette enquête pour en déduire ce que pensent les
économistes, ou bien pour déterminer où en est le “savoir” économique. Si je veux avoir par exemple une idée concernant l’état de la réflexion sur les effets du salaire minimum sur l’emploi, je
ne vais pas consulter les résultats du sondage : je vais me plonger dans les derniers travaux de recherche sur la question. »

 

Eric le Boucher a ensuite félicité les auteurs de l’étude et mentionné que le résultat moyen “plutôt à gauche” des
interrogés s’expliquait peut-être aussi par l’effet crise et les besoins actuels de régulation.


Remarques complémentaires :

* l’enquête est très mal titrée, on peut se demander pourquoi elle n’a pas été intitulée “Les controverses en économie”
par exemple… Adopter ce titre, c’est nécessairement s’exposer aux critiques de Raveaud (contestables par ailleurs, il n’évoque que lles items pro-marchés alors que l’enquête contient de nombreux items pro-régulation) ou à celles,
particulièrement intéressantes, de Bruno Amable. Je ne crois pas que Wasmer soit en profond
désaccord avec les propos d’Amable, il n’avait sans doute pas anticipé le type de réaction qu’allait susciter son intiative et donc insuffisamment explicité ses intentions

(qu’il n’hésite pas à confirmer/infirmer ici!).

* d’accord avec de Vroey, l’opposition marché/Etat est manichéenne et plutôt piégante. J’irai un cran plus loin, en
adoptant une perspective coasienne (voir ici) : la structure de gouvernance à adopter (marché,
Etat, structure hybride) dépend du contexte historique, social, institutionnel, spatial, etc. du problème à traiter ; on perd beaucoup de temps avec ces débats pro/anti-marché. Idée pour Etienne
Wasmer : pourrait-on reventiler les items pour retrouver les catégories de Michel de Vroey? Ce ne serait pas inintéressant je trouve.

*je  crois que le job des
économistes est surtout de réintroduire de la complexité dans des analyses par trop manichéennes. Ce n’est pas en disant “les économistes, qui sont des gens vraiment intelligents et très bien
informés, convergent sur telle ou telle idée, que vous, béotiens que vous êtes, n’avez même pas compris” qu’on fera avancer les choses. je crois vraiment que si on veut faire avancer les gens,
c’est en développant leur esprit critique, leur dire qu’il faut qu’ils s’interrogent, quand on leur avance une proposition, sur les éléments de preuve, sur des contre-arguments éventuels, etc. Ce
type d’enquête, même si tel n’était pas le but des auteurs, a plutôt vocation à les faire converger sur une idée  donnée, sous prétexte qu’elle est partagée par une intelligentsia. Ca me
pertube… ca fait un peu défaite de la pensée je trouve… pensez-vous que c’est mieux que les gens se disent que “les économistes ont raison” plutôt que  au hasard, “sarkozy a raison”? moi
je doute, je crois qu’on a raté la cible… encore une fois, je ne pense vraiment pas que telle était l’intention des auteurs, mais il convient de se méfier d’une éventuelle instrumentalisation
des résultats, ne pas faire preuve de naïveté, quoi…


 

Jeco en direct – épisode 2

Pas vraiment en direct, problème de wifi, donc en léger différé on va dire… Avec un tout petit topo sur la deuxième
plénière titrée “Les démons de la crise”.


Interview (vidéo) intéressante de Daniel Cohen, qui reprend pour l’essentiel des propos de son dernier livre (La Prospérité du vice). difficile de résumer, vous pouvez voir la vidéo
ici (je n’ai vu que la version courte diffusée pendant les Jeco).

Son fil conducteur : i) le bonheur des individus dépend moins de leur niveau de vie que du taux de croissance, pas sûr
que les français soient plus heureux aujourd’hui que dans les années 1960, même si le niveau de vie a doublé, car les perspectives de croissance sont beaucoup plus faibles, ii) on redécouvre
parallèlement la loi de Malthus : la croissance potentielle bute sur la finitude du monde (épuisement des ressources rares, effet de serre, etc.), iii) la stratégie de décroissance n’est pas
pertinente, il faut aller vers d’autres formes de croissance, iv) une piste à explorer est la croissance potentielle que l’on peut tirer du développement du cyber-monde, le problème étant de
définir le business model de ce type d’activité, v) les outils économiques d’internalisation des externalités environnementales sont importants, doivent être développés, mais ne suffiront pas, il
convient également de s’interroger sur nos valeurs.

François Bourguignon a proposé ensuite une analyse de la crise, en insistant sur un élément parfois négligé : le rôle de
l’excédent d’épargne à l’échelle mondiale. L’endettement américain a été rendu possible par l’excédent d’épargne des BRICS (Brésil, Russie, Chine, Inde, Afrique du Sud). Cet excédent d’épargne va
continuer à exister, ce ne sont peut-être plus les Etats-Unis qui vont l’absorber, mais il peut continuer à poser problème. La solution serait qu’un pays comme la Chine s’appuie sur cette épargne
pour favoriser son développement interne, mais les plans mis en place par le gouvernement chinois n’invitent pas à l’optimisme : ils profitent essentiellement aux grandes entreprises
exportatrices. Enjeu fort : dessiner les contours d’une gouvernance mondiale notamment pour gérer l’affectation de cette épargne.

à suivre : un billet sur la table ronde consacrée à la présentation de l’enquête “Les consensus en
économie”.

JECO en direct

Première matinée sur Lyon.
Table ronde d’abord sur les connaissances en économie des français, suite à la passation d’un test organisé par le Codice.
Ce test consiste à poser 27 questions sous forme de QCM, avec trois réponses dont une juste, et une possibilité de non réponse. Ces questions ont été regroupées en 3 catégories : i) raisonnement
économique, ii) connaissance, ii) connaissance “vie pratique”. Je n’ai pas encore regardé les questions. Vous pouvez passer le test ici.

Note moyenne de la population interrogée : 9,5/20, écart type de 4,7. La note augmente avec le niveau d’études : 7 pour les sans diplômes, 10 pour les titulaires du bac, 11,8 pour les diplômés de
l’enseignement supérieur. Tranche d’âge la plus performante, les 25-34 ans (10,1).
Par grande catégorie :

* raisonnement (rareté, offre/demande, impact d’une variation d’une devise) : 11,1/20

* connaissance économique (définitions, acteur principal de la politique monétaire, etc…) : 9,5/20

* questions d’économie pratique (calcul d’un taux d’intérêt, taux de croissance, comparaison de 2 forfaits téléphoniques)
: 6/20

 

Les français ne sont donc pas nuls en économie, ils peinent surtout sur des questions techniques, qui peuvent être
importantes pour la vie courante (calcul d’un remboursement d’emprunt par exemple), mais moins essentielles pour participer aux débats.

Plusieurs personnes ont ensuite pris la parole, avec en gros le même message : scores non catastrophiques, on peut faire
mieux, c’est essentiel aujourd’hui compte tenu du rôle structurant de l’économie, l’éducation nationale doit accroître son effort en la matière, c’est le lieu essentiel de développement des
compétences en économie.

Tito Boeri, économiste italien organisateur du pendant des JECO en Italie, était à la tribune, il a dit la même chose, en
se désespérant que la réforme des lycées en Italie allait malheureusement dans le sens inverse, avec une réduction des heures d’enseignements d’économie. Rires dans la salle, que Tito Boeri n’a
pas dû comprendre : il ne doit pas savoir que, en dépit du message introductif de Christine Lagarde aux JECO sur l’importance de l’accumulation et de la diffusion des savoirs en économie, le
gouvernement français s’apprête à faire de même… (voir ici).

Cagnotte anti-absentéisme

Petit billet pour 7 à Poitiers (page 9 – photo
pourrie, faudrait vraiment qu’ils en changent!)  sur l’expérimentation en cours dans l’Académie de Créteil. Format très réduit (1500 caractères, juste de quoi avancer deux ou trois
idées…). Je le reposte ici :

L’académie de Créteil a décidé de récompenser les classes présentant le plus faible taux d’absentéisme, en versant
une somme d’argent, pouvant aller de 2 000€ à 10 000€, à utiliser dans le cadre d’un projet pédagogique.  Les médias se sont déchaînés, en posant souvent le problème sous une
forme morale : est-ce bien ou mal ? On peut aussi s’interroger, en dehors de toute considération morale, sur son (in)efficacité attendue.

Première idée, si un individu adopte un comportement donné, c’est soit parce qu’il le juge bon, soit parce qu’il
est incité (ici financièrement) à l’adopter. On a longtemps cru que ces deux motivations s’ajoutaient, mais ce n’est pas toujours le cas : en rémunérant le don du sang, par exemple, on
peut observer une baisse du nombre de donneurs.  Rémunérer l’assiduité pourrait donc en décourager certains.

Deuxième idée, pour verser une récompense, il faut se doter d’indicateurs de performance. Or, on attend des élèves
différentes choses : assiduité, effort, créativité, etc. Certaines (l’assiduité) sont faciles à évaluer, d’autres (l’effort fourni) beaucoup plus difficiles. Les acteurs concernés,
comprenant vite cela, vont se contenter d’atteindre les objectifs pour les tâches mesurables et délaisser les autres.

Dernière idée, pour que l’opération réussisse, il faut que la plupart des élèves de la classe jouent le jeu. On est
alors confronté à un problème de passager clandestin : si tous jouent le jeu sauf moi, l’objectif est atteint. Mais si tous se disent cela, personne ne joue le jeu.

Cela condamne-t-il l’opération ? Pas nécessairement dira le chercheur
: il s’agit d’une expérimentation, testée dans quelques classes, qui pourrait justement permettre d’y voir plus clair entre ces différents effets et d’autres plus
positifs.


Sur le sujet, voir les Econoclastes (ici et ), Kramarz et Laurent
Denant-Boèmont
.

Je développe un peu :
* sur le premier point ci-dessus, il s’agit de reprendre la distinction entre motivation intrinsèque et motivation extrinsèque. Comme précisé par Laurent Denan-Boèmont, il existe déjà de
nombreuses motivations extrinsèques dans le système éducatif, il s’agit d’en proposer dans l’expérimentation d’autres d’une autre nature. Je me dis cependant que les motivations intrinsèques ne
tombent pas du ciel, elles se développent dans différents lieux, notamment à l’école. Je m’interroge donc sur l’effet de ce type d’incitations financières sur la construction des motivations
intrinsèques.
* sur le deuxième point, je n’ai pas assez d’information sur l’expérimentation proposée pour savoir comment cela a été pensé. Le billet de Kramarz semble indiquer que les expérimentateurs ont
essayé de proposer un système assez sophistiqué, mais bon, il faudrait voir les détails.
* sur ma conclusion, je ne sais pas si je suis d’accord avec moi même… L’argument de Kramarz selon lequel “comme on ne sait pas si ce système est efficace ou non, il faut l’expérimenter” me
semble assez contestable… A ce compte là, on peut défendre n’importe quelle expérimentation. Il précise cependant qu’un comité d’éthique est attaché au dispositif proposé par Hirsch, ce qui est
plutôt rassurant, mais on aimerait savoir ce que ce comité a dit de cette expérimentation.
* sur les expériences contrôlées : d’accord avec pas mal de commentateurs, l’évaluation en France est à peu près au niveau 0, défendre toutes ces initiatives me semble plutôt bien. J’émettrais
juste quelques réserves sur les expériences contrôlées : on sent une vraie fascination des économistes et de certains politiques (à commencer par Hirsch) pour ces nouvelles méthodes. Elles sont
effectivement très solides et rapprochent le travail des économistes de celui des chercheurs testant des molécules (les économistes se rapprochent encore plus des “vrais scientifiques”, quoi!).
Elles ne sont cependant pas exemptes de limites, certaines recensées par Wasmer ici. Il y en a une autre qui m’inquiète, je n’ai vu personne en
parler : beaucoup considèrent qu’il existe une hiérarchie des méthodes d’évaluation, celle par expérience contrôlée étant en haut de la pyramide. On peut craindre alors que dans l’ensemble des
expérimentations, celles que l’on peut évaluer par cette méthode soient retenues, au détriment d’autres, qu’on ne peut évaluer ainsi. Ce ne serait alors plus l’intérêt intrinsèque de
l’expérimentation qui compterait, mais la méthode d’évaluation attachée, ce qui ne me semble pas très sain. Ce problème de focalisation sur les méthodes plus que sur le fond ne touche d’ailleurs
pas seulement la question des expérimentations, c’est un problème plus général qu’on retrouve en sciences sociales, notamment en économie, j’y reviens dans un prochain billet…

Il trouve 100 000€ et les redonne… surprenant?

Entendu à plusieurs reprises sur les ondes, lu ici : un homme trouve dans une poubelle une boîte en métal  contenant 100 000€ et une enveloppe
portant un nom et une adresse. Il rend le tout à cette personne. Est-ce surprenant? Pas si sûr…

J’ai d’abord tout de suite pensé à la petite expérience du Reader’s Digest, relatée dans l’ouvrage de Algan et Cahuc “La Société de Défiance” : L’expérience consiste à égarer volontairement vingt
portefeuilles contenant l’équivalent de cinquante dollars en monnaie nationale avec les coordonnées explicites du supposé propriétaire, puis de mesurer le nombre de portefeuilles restitués. Cette
expérience est menée dans quatorze pays européens et aux États-Unis. Résultat, une forte hétérogénéité selon les pays : 100% de retour dans les pays nordique (Danemark, Norvège) contre 28% en
Italie. La France? 11ème sur 15, avec un taux de retour de 61%. Si on mobilise ces chiffres pour le cas traité ici, la probabilité que l’homme rapporte la boîte était donc plutôt élévée…

J’ajouterai que trouver 50$ et 100 000€, ce n’est évidemment pas tout à fait la même chose. Intuitivement, je dirai que la probabilité de rapporter 100 000€ est plus forte que celle de rapporter
50€, pour deux raisons : i) on peut raisonnablement penser que des personnes ayant égaré 100 000€ mettent en oeuvre quelques moyens (légaux ou non légaux, en fonction de la provenance de cette
somme) pour les retrouver, on prend donc un risque non négligeable en ne les ramenant pas, ii) en les ramenant, l’homme s’imagine peut-être toucher une récompense, ce qui serait la moindre des
choses.

Bref, pas mal de raisons de penser (j’en oublie sans doute d’autres) que ce comportement n’est pas si surprenant que cela.