Le modèle social français

Pour dénoncer la faillite du modèle social français, on s’appuie souvent sur l’analyse du taux de chômage, effectivement plus élevé en France que dans de nombreux autres pays développés. Se limiter à l’analyse de cet indicateur est cependant problématique, surtout lorsqu’ensuite, on vante les mérites du modèle américain ou britannique, qui "produisent" un taux de chômage significativement plus faible.

Pour compléter le diagnostic, il convient de se doter d’autres indicateurs, notamment d’un indicateur permettant de caractériser les disparités de revenu que l’on observe au sein de chaque pays. Pourquoi? Car l’objectif économique essentiel de tout pays est d’assurer à l’ensemble des habitants un niveau de vie élevé et si possible croissant.

On constate alors que le classement des pays est sensiblement différent de celui qu’on observe en se limitant au taux de chômage, comme en témoigne le graphique suivant, paru dans Le Monde du 3 mai 2006 :


Contrairement aux autres pays de l’échantillon, la France n’a pas connu d’accroissement des disparités de revenu. Certes, les disparités restent plus fortes qu’en Allemagne, ou en Suède, mais elles sont sensiblement plus faibles que celles observées au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis (et les écarts se creusent sur la période).

Preuve en passant qu’aucun modèle n’est supérieur à l’autre : pour paraphraser le titre d’un article de Paul Krugman, si la France est sans emploi (taux de chômage élevé), l’Amérique (ajoutons le RU) est sans le sou (disparités de revenu très forte) [Paul Krugman, "L’Europe sans emploi, l’Amérique sans le sou ?", Futuribles, n°201, sept. 1995, p. 58].

Est-on condamné à l’un des deux maux? Sans doute pas, car des pays comme la Suède sont parvenus à des compromis plus intéressants, avec faible taux de chômage et faibles disparités (on constate cependant que la situation de la Suède se détériore sur la période). Reste à identifier les politiques à mettre en oeuvre, en France, pour arriver à un tel résultat mieux équilibré. Dans cette perspective, prôner le rapprochement du modèle britannique ne semble pas la voie "royale"…

Le poids de la dette…

Dans son édition datée du mardi 18 avril 2006, Les Echos titraient en gros et en gras : "Nouveau piège pour Matignon : le coût croissant de la dette".

Et chacun de déplorer le niveau astronomique de l’endettement public. Et certains de déclarer qu’il faut gérer le budget en bon père de famille, donc ne pas trop s’endetter (je ne donne pas de noms, mais il y aurait de quoi faire un jeu concours là-dessus…).

Sauf que…

* cet accroissement du coût de la dette s’explique par la montée des taux directeurs de la Banque Centrale Européenne, pilotée par Jean-Claude Trichet. Et Mr Trichet, bien imprégné des analyses monétaristes, soucieux de désinflation compétitive, a peur que la hausse du prix du pétrole ne se traduise par un retour de l’inflation (c’est vrai que l’on atteint des niveaux records…). D’où l’augmentation du principal taux directeur à 2,5% il y a un peu plus d’un mois. D’où la nouvelle hausse programmée en juin semble-t-il. On pourrait peut-être s’interroger un jour sur la politique de la BCE et sur les missions qui lui sont confiées (rappelons que la BCE a pour seul objectif la stabilité des prix, pendant que la Fed (son équivalent US) a un double objectif de stabilité des prix et de croissance économique)…
* La métaphore du bon père de famille semble frappée du coin du bon sens et généralisable à l’Etat : on ne peut pas s’endetter indéfiniment, il faut bien rembourser un jour… Sauf qu’il existe une différence de taille entre un Etat et un père de famille : le dernier vieilli, le premier non (je parle de l’Etat en tant qu’institution, pas de nos dirigeants :-))…  De ce fait là,  l’Etat peut  se permettre de conserver un  taux d’endettement constant…
* Surtout : on fait comme si être endetté était mauvais en soi, mais tout dépend, en fait, de ce que l’on finance en s’endettant. Or, plus que le niveau de la dette en France, c’est l’utilisation de l’argent public qu’on nous annonce qui fait un peu peur : d’un côté, 350 millions d’euros pour les restaurateurs, contre qui je n’ai absolument rien, si ce n’est que je ne les considèrent pas comme les leviers essentiels de la croissance économique future. De l’autre côté, un sous-investissement dans la recherche et dans l’enseignement supérieur (cf. ce billet pour ce qui est de l’investissement dans le supérieur, ou encore les éléments sur le site de Débat 2007). Car c’est bien sûr, l’enseignement supérieur est si riche que notre ministre affirme « Je pense que les universités peuvent vraiment supporter ce coût-là [les dégâts lors des manifs anti-CPE] et nous, continuer notre programme de formation des jeunes » (citation glânée ici).

Petite citation convergente : "l’essentiel n’est pas de réduire la dette publique à court terme mais plutôt de restructurer les dépenses publiques aux fins d’augmenter le potentiel de croissance : baisser les dépenses inefficaces en accroissant la productivité des services, réduire celles dont l’objectif premier est de satisfaire des lobbies à des fins électorales [les restaurateurs?], mais également augmenter l’investissement public dans certains domaines où la France a accumulé un retard préoccupant depuis le début des années 90 : l’éducation supérieure[Allô, Gilles?], la recherche, les infrastructures, notamment urbaines." C’est de Aghion et Fitoussi, article paru dans le Figaro du 26 janvier 2006.  Je vous invite à lire l’article en entier, il permet d’avoir une vue moins caricaturale du problème de la dette (voir aussi celui-ci, plus ancien (article 2004 paru dans Le Monde), de Fitoussi tout seul)…
 

Ici Londres #2

Le Royaume-Uni fait rêver nombre de nos politiques. Extraits :
Alain Lambert : "La France et la Grande Bretagne sont deux pays qui ont une population comparable : environ 60 millions d’habitants. Une grande différence cependant : le taux d’emploi est de 72 % en GB contre 63% seulement en France. Le taux de chômage est double en France (9,8% contre 5%), double également pour la longue durée (42 % contre 21%), et presque double pour les jeunes (22% contre 12%). Il y a donc en Grande Bretagne 4 millions d’emplois de plus qu’en France (28,8 millions contre 24,7). Imaginons 4 millions d’emplois de plus en France ! le chômage serait résorbé ! Il ne s’agit de porter un jugement de valeur, simplement de savoir comment cela se passe autour de nous." (source ici)
L’Express du 6 avril 2006 : "Les statistiques sont cruelles: 4,7% de chômeurs parmi la population active en Grande-Bretagne, 9,6% en France. Et, en prime, outre-Manche, plus de seniors et de jeunes au travail, une croissance plus dynamique, une richesse par habitant supérieure. La France devrait-elle s’inspirer de l’exemple britannique?" (source ici)
Ségolène Royal si "tout n’est pas positif (…), le Premier ministre britannique a une vision mobilisatrice de son pays". Et "je ne vois pas au nom de quelle langue de bois je devrais m’interdire de regarder certaines choses qui marchent outre-Manche, en Espagne ou dans le nord de l’Europe" (source ici)
Etc…
Je crois cependant que la palme revient à François Fillon :  "Cette renaissance britannique n’est pas le fruit du hasard. Elle n’a rien à voir avec les cycles économiques. Elle doit tout à la volonté de Margaret Thatcher qui a su dynamiter les verrous qui barraient la route de l’avenir et à Tony Blair qui a eu l’intelligence de ne pas changer de route, au moins sur le plan économique, au moment où les résultats consacraient une politique que des ignorants ou des imbéciles, continuent, en France à qualifier d’inhumaine et d’antisociale quand elle a permis de tendre vers le plein emploi." (source ici)
Je trouve que François Fillon prend une pente un peu gauchisante quand il loue les mérites de Tony Blair, qui, de mon point de vue, a fait beaucoup moins pour son pays que Margaret Tatcher. Preuve en image (source : article très sérieux d’Eco & Stat) :


Premier enseignement : contrairement à ce qu’affirme Monsieur Fillon, Tony Blair fait beaucoup moins bien que Margaret Tatcher.
Deuxième enseignement : certains se demandent si les politiques ont encore des marges de manoeuvre et peuvent encore peser sur l’évolution du système économique (cf. l’article de Ceteris Paribus qui compare les performances des gouvernements Jospin et Raffarin). Margaret Tatcher a démontré que oui : il suffit pour cela de faire des vraies réformes, d’adopter une stratégie de rupture, et, en quelques mois, tout devient possible…

Croissance, emploi, chômage

Nombre d’opposants au CPE expliquent que le problème du chômage en France n’est pas lié à une insuffisante flexibilité du marché du travail, mais à une croissance économique en panne. Pour réduire le taux de chômage, il conviendrait donc de s’engager dans une stratégie de croissance économique.

Bien qu’étant d’accord pour partie avec ce discours, je voudrais insister ici sur certaines de ses limites, notamment sur un point particulier :  la croissance économique est une condition nécessaire mais non suffisante de la réduction du taux de chômage.

Pour le montrer, petit exercice de statistique (étant entendu qu’un travail plus approfondi mériterait d’être effectué, ce que je présente permet néanmoins d’identifier quelques tendances intéressantes). J’ai collecté  les taux de croissance, les taux de chômage et les taux de croissance des créations d’emploi  sur la période 1996-2004 pour une vingtaine de pays développés (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark,  Etats-Unis, Finlande, France, Italie,  Japon, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni,  Suède), à partir des données Eurostat. A chaque fois, j’ai calculé le taux moyen observé sur la période.

Si la thèse résumée plus haut est correcte, on doit s’attendre à une bonne corrélation (de signe négatif) entre taux de croissance et taux de chômage. Voici le résultat :


On ne peut pas dire que la corrélation soit des meilleures… On observe des taux de chômage élevés pour des pays à croissance faible et pour des pays à croissance forte, des taux de chômage faibles également pour les deux types de pays.

Est-ce à dire que la croissance n’est pas à rechercher ? Non, bien sûr. En fait, elle joue sur la capacité des pays à créer des emplois. Preuve avec ce deuxième graphique, qui relie taux de croissance économique et taux de croissance des créations d’emplois :

La corrélation n’est pas parfaite, mais elle existe. Plus le taux de croissance des économies est élevé, plus le taux de croissance des créations d’emplois est fort.
Conclusion générale que l’on peut tirer des deux graphiques : la croissance est le levier essentiel de la création d’emplois, mais pas de la réduction du taux de chômage…
On peut compléter avec un troisième graphique, qui relie création d’emploi et taux de chômage :

L’ajustement n’est pas linéaire, on observe plutôt une courbe en U (ajustement assez médiocre toutefois) : des pays ont à la fois forte création d’emploi – faible taux de chômage, d’autres ont forte création d’emploi et fort taux de chômage.
Quelles explications peut-on avancer?
* on peut d’abord se souvenir que créer un emploi n’équivaut pas à faire disparaître un chômeur : des personnes non actives peuvent venir sur le marché du travail pour occuper l’emploi proposé ; des actifs à temps partiel (souvent subi) peuvent passer à temps plein,
* surtout : ces résultats s’expliquent  par le fait que la croissance créé des emplois pour l’essentiel qualifiés. Parallèlement, le chômage touche des personnes peu qualifiées. La création d’emplois (qualifiés) ne permet pas de réduire le problème auquel est confronté cette partie de la population…

Ceci me conduit à répéter une critique que l’on peut adresser au CPE : le chômage des personnes peu qualifiées ne s’explique pas par une insuffisante flexibilité du marché du travail, mais par le fait que les entreprises des pays développés n’ont pas besoin de ces personnes… La seule stratégie pertinente consiste à qualifier ces personnes (ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut que des bac+5, des qualifications pointues et porteuses existent à des niveaux BEP/CAP par exemple). Le problème n’est pas simple, car pour une large part ces personnes sont celles qui sortent du système éducatif sans qualification (160 000 personnes par an de mémoire). On peut toujours incriminer le système éducatif, en disant qu’il est inadapté aux besoins des entreprises, mais je ne pense pas que ce soit le problème : les formations dispensées en lycée professionnel, pour ne prendre qu’un exemple, sont conçues en concertation avec les acteurs professionnels. Le problème tient sans doute plutôt à la difficulté de ne pas faire décrocher ces jeunes et de les accompagner sur le long terme…

Dernier point complémentaire : quels sont les pays de l’échantillon qui connaissent des taux de chômage les plus faibles ? (critère utilisé : taux inférieur à la moyenne simple de l’échantillon).
Il s’agit de : Autriche, Danemark, Etats-Unis, Japon, Norvège, Royaume-Uni et Suède. Leurs taux de chômage sont compris entre 4,1% (Autriche) et 6,8% (Norvège). Si l’on observe attentivement les caractéristiques économiques de ces pays, on s’apercoît qu’ils ont développé des formes très différenciées de capitalisme (je renvoie à la lecture du livre d’Amable et à celle de mon ouvrage à paraître pour des analyses en termes de diversité du capitalisme). Le discours lanscinant consistant à affirmer que notre salut viendra et ne pourra venir que d’une flexibilité quantitative externe est tout sauf exact : différentes voies peuvent être empruntées (cf. un billet précédent), aux politiques de bâtir leurs projets autour des voies qui leur semblent préférables.

Prévisions de croissance : compléments

Ceteris Paribus vient de poster un billet tout à fait intéressant sur les prévisions de
croissance, en réponse à mon propre billet sur “les prévisions de croissance du gouvernement sont-elles crédibles?“. Il montre à
juste titre que  les écarts observés s’expliquent plus par la difficulté de l’exercice que par une sorte d’opportunisme des gouvernants, avec un bémol quand même pour 2006 (la prévision du
gouvernement est significativement supérieure à celle des experts) et dans une moindre mesure pour 2005 (la prévision du gouvernement était aussi supérieure, mais dans une moindre mesure, à celle
des experts, les experts s’étant significativement trompés avec des prévisions trop optimistes). Voir aussi sur ce sujet  le dossier dans Enjeux – Les Echos de janvier 2006 : “pourquoi les
économistes se trompent (presque) toujours?”.

Pour compléter l’analyse, je me suis amusé (!) à construire la courbe des taux de croissance du PIB pour  la période 1997-2005 (source des données : Insee) :



De 1997 à 2000, le taux de croissance est plutôt sur une pente croissante, les experts et le gouvernement ont tendance à sous-estimer la croissance. De 2000 à 2003, le taux de croissance diminue,
les experts sur-estiment la croissance. 2004, le taux remonte, experts et gouvernements sous-estiment ; 2005, processus inverse…
Comment expliquer cela? J’attends vos propositions!

Nouvelle leçon !

nouvelle leçon d’économie sur le blog d’Alain Lambert :
"Quant aux comparaisons internationales, elles suggèrent qu’un degré de protection de l’emploi trop important développe un sentiment paradoxalement d’insécurité de l’emploi chez les salariés"
Sans trahir son auteur, on peut donc en déduire une nouvelle proposition, ayant valeur de loi économique fondamentale : protection = précarité.
On se rappelle des lois économiques présentés dans le précédent billet :
Loi Dassault : précarité = emploi
Loi Villepin : CPE=anti-précarité

Déductions :
protection=précarité (loi Lambert) =emploi (loi  Dassault)
CPE=anti-précarité (loi Villepin) =chômage (loi Dassault)

on combine tout ça :
CPE=anti-précarité=protection=précarité=emploi=chômage…

pftt, c’est dur l’économie…

croissance et décroissance…

Les commentaires relatifs à mon dernier article sur les prévisions de croissance du gouvernement ont déplacé le débat vers la question : "la croissance économique est-elle souhaitable?".  Et certains de citer Goergescu-Roegen, considéré comme le "père" des théories de la décroissance.

Personnellement, je suis plus que dubitatif vis-à-vis de cette approche… Je ne développe pas, mais vous renvoie à deux textes, l’un de Serge Latouche, considéré comme le chef de file en France de ces théories, et Jean-Marie Harribey, membre du conseil scientifique d’Attac, plutôt critique vis-à-vis de l’argumentation de Latouche. Le texte d’Harribey démontre de manière convaincante que l’on peut ne pas adhérer aux thèses de la décroissance sans être pour autant taxé d’économiste libéral !

Ces deux textes ont été publiés dans Le Monde Diplomatique, respectivement en 2003 et 2004.

[Lien vers le texte de Latouche] [Lien vers le texte de Harribey]

Les prévisions de croissance du gouvernement sont-elles crédibles?

Le ministère de l’économie et des finances vient de publier ses prévisions de croissance pour 2006 et 2007 :  la croissance française se redresserait et serait
comprise entre 2 % et 2½ % en 2006 et en 2007 » (p. 2 du rapport, à télécharger en
cliquant ici
).

Ces prévisions sont-elles crédibles? Pour en juger, on peut s’en remettre à un petit exercice très simple : quelles ont été les prévisions de croissance du gouvernement pour 2005? Quel résultat
effectif a-t-on observé?
Petite chronologie instructive :
* Fin 2004, pour construire son budget, le gouvernement table sur 2,5% de croissance.
* février 2005 : Thierry Breton révise les prévisions à la baisse : croissance située entre 2 et 2,5%
* mi-août 2005 : il redresse encore, prévision entre 1,5% et 2%
* au final, la croissance aura été de 1,4%…

Problème d’incompétence? Pas sûr… Deux raisons essentielles expliquent ce trop grand optimisme :
– La croissance dépend pour une partie non négligeable des anticipations que les acteurs en ont : si les consommateurs anticipent de la croissance, ils vont consommer plus ; si les entreprises
anticipent de la croissance, elles vont investir plus. Le politique a donc tout intérêt à convaincre les acteurs que la croissance attendue est forte. Tout le problème étant de savoir si les
prévisions sont crédibles.
– les recettes fiscales de l’Etat sont le produit du taux d’imposition et des richesses créées. Avec une taux de croissance anticipée important, on peut inscrire dans la loi des finances des
recettes plus importantes, et caler les dépenses en conséquence…
Bien sûr en fin d’année, quand on constate que la croissance n’a pas été au rendez-vous, on
se désole de voir le déficit se creuser… mais on s’empresse, de nouveau, de faire des pronostics très optimistes pour l’année suivante !

Quelle solution? Sans doute de demander à une institution indépendante de procéder aux estimations, et d’obliger le gouvernement à s’en remettre aux prévisions de cette institution. Sur le
premier point, l’Insee fait déjà le travail, et force est de constater que ses prévisions de croissance sont toujours moins optimistes que celles du gouvernement. Mais jusqu’à présent, le
gouvernement a tout loisir de s’appuyer sur ses propres prévisions, plutôt que de s’en remettre à celles de l’Insee…

Pourquoi Ségolène Royal va-t-elle gagner?

parce qu’elle répond à la volonté de changement profond symbolisée par Pluton, qu’elle semble rigoureuse et pointilleuse sur les détails, comme l’exige Saturne, et qu’elle "brasse" large et flou sur les options majeures, selon l’humeur du tandem Neptune-Uranus…

Ce n’est pas moi qui le dit, mais Michael Delmar, astrologue de profession, dans un article de Libé.

Remarquez, vous passez ça au masculin, et vous obtenez quelque chose qui colle bien à son rival annoncé:

parce qu’il répond à la volonté de changement profond symbolisée par Pluton, qu’il semble rigoureux et pointilleux sur les détails, comme l’exige Saturne, et qu’il "brasse" large et flou sur les options majeures, selon l’humeur du tandem Neptune-Uranus…

Dans son genre, notre astrologue fait très fort : il commence par expliquer qu’il ne peut garantir l’efficacité de sa méthode, qu’évidemment, il y a une part d’interprétation, que les prédictions astrologiques concernant l’avenir des hommes politiques sont délicates… pour finir par nous pronostiquer des scores au dixième : "Ségolène Royal (20 %) devancera d’une courte tête Nicolas Sarkozy (19,8 %), lui-même devant Jean-Marie Le Pen (19,5 %)".

Ah, l’astrologie et la politique, voilà qui va alimenter les conversations de fin d’année! Bon, d’ici là, je vais chercher le champagne qui doit être en Neptune, et je nous souhaite une bonne année 2007…

La métaphore de la course à pied

A plusieurs reprises, j’ai pu entendre dans les médias certains commentateurs se désespérer du faible taux de croissance de la France, autour de 2-2,5%, comparativement à la croissance mondiale (4 à 5%), où à la croissance de certains pays comme la Chine (8 à 9%). Dans leur esprit, et, je crois, dans l’esprit de nombre de personnes, tout se passe comme si tous les pays de la planète participaient à une course à pied, le taux de croissance mesurant la vitesse de chacun. Et à ce petit jeu,  la France ne pédale pas très vite, comparativement à la moyenne de l’ensemble des pays (taux de croissance mondial)…

Cette métaphore de la course à pied a du sens, mais jusqu’à un certain point seulement : en effet, dans la "course économique", il existe une relation étroite entre la position du coureur dans la course et sa vitesse, relation plutôt contre-intuitive, puisque plus on est en retard sur le peloton de tête et… plus on court vite (ca va faire réver les coureurs du dimanche!). Dit autrement, les coureurs en retard on un avantage indéniable sur ceux qui sont en avance.

Quel avantage? Pour le comprendre, on peut s’en remettre aux théories du rattrapage, développées notamment par Abramovitz (on pourrait également s’en remettre au modèle de Solow, mais Abramovitz intègre l’argumentation de Solow qui se concentre sur le rôle de la décroissance des rendements du capital, et la dépasse en intégrant l’existence de différences de niveau technologique) : si l’on admet que l’apprentissage et l’imitation sont moins coûteux et plus rapides que la découverte et l’expérimentation initiale des technologies, alors les gains potentiels de productivité réalisés par un pays en retard seront d’autant plus importants que l’écart entre le niveau de productivité du pays et le niveau de productivité du ou des leaders (supposés se trouver à la frontière technologique) est important. Le pays en retard pourra en effet remplacer des équipements obsolètes par des machines "derniers cris", adopter les pratiques manageriales considérées comme plus efficaces, mettre en place les infrastructures (formation, transport, télécommunication,…) les plus avancés, etc… Ces gains importants de productivité conduisent à une croissance rapide du produit global et, donc, de la taille du marché ; ce qui permet d’accélerer encore la croissance, en vertu de l’existence d’économies d’échelle.

Ceci explique pour une bonne part la croissance actuelle de pays comme la Chine ou les Pays d’Europe Centrale et Orientale, le rattrapage étant alimenté notamment par les investissements directs étrangers de firmes occidentales. Se désespérer des comparaisons de taux de croissance entre la France et le taux de la croissance mondiale n’a donc pas de sens, et ce d’autant moins que des pays comme la Chine ou l’Inde se développent et pèsent de plus en plus dans le PIB mondial. C’est la comparaison des taux de croissance de pays de niveau de développement comparable qui importe.

Petit exemple numérique pour bien comprendre les incidences du processus : supposons qu’en 2000 le PIB mondial est de 110 (100 pour les pays développés, 10 pour les pays en développement). Supposons que le taux de croissance des pays développés est de 3% par an, celui des pays en développement, qui bénéficient de l’effet rattrapage, étant de 10% par an. Le taux de croissance mondial est alors, en 2000, de 3,64% = (10/110)*10% + (100/110)*3%. En supposant la constance des taux de croissance dans les PVD d’une côté (10%) et dans les pays développés, de l’autre (3%), on observe que le taux de croissance de l’économie mondiale va constamment augmenter, passant de 3,64% en 2000 à 4,90% en 2020. Leur poids croissant dans l’économie fait augmenter mécaniquement le taux de croissance mondial.


La France, qui accuse un écart de -0,64% à la date initiale (3%-3,64%), verra cet écart passer à -1,90% en 2020 (3%-4,90%), là encore sous l’effet bêtement mécanique du poids croissant des PVD. Ceci n’a rien de choquant : les performances supérieures des pays comme la Chine, l’Inde ou les PECO sont plutôt une bonne nouvelle, car elles signifient que ces pays se développent, que le niveau de vie de leurs populations s’améliore (plus ou moins vite et de manière plus ou moins égalitaire selon les pays) ; bref,  tendent à converger vers le niveau de vie des pays développés.

L’hypothèse selon laquelle leur taux de croissance est constant est bien sûr critiquable : au fur et à mesure de leur développement, ces pays bénéficient de moins en moins de l’effet rattrapage. Ils se rapprochent de la frontière technologique, leur croissance dépendant alors de plus en plus de leur capacité à repousser cette frontière, autrement dit de leur capacité à innover, plutôt qu’à imiter les produits, procédés et modes organisationnels des pays développés. Croire également que tous les pays en développement bénéficient mécaniquement du rattrapage est erroné. Abramovitz, qui en a bien conscience, avance ainsi la proposition suivante : les pays qui pourront bénéficier du rattrapage sont les pays technologiquement en retard mais socialement avancés. Ce faisant, il pointe du doigt l’importance des institutions, bien avant que ne se développent les réflexions en termes de convergence conditionnelle (je reviendrai à ces analyses dans un prochain billet).

Tout ceci ne signifie pas que tout va bien côté France. Il convient en effet de s’interroger sur la faible croissance de l’économie française comparativement aux taux de croissance d’autres économies européennes ; ou à la faible croissance européenne, comparativement à celle de l’économie américaine. Bref, au différentiel de croissance entre des pays de niveau de développement comparable. Econoclaste a commencé à en parler en se focalisant sur la question du temps de travail, avec une comparaison Europe/Etats-Unis. J’essaie d’y revenir aussi, avec des analyses différentes, plutôt complémentaires.