Nombre d’opposants au CPE expliquent que le problème du chômage en France n’est pas lié à une insuffisante flexibilité du marché du travail, mais à une croissance économique en panne. Pour réduire le taux de chômage, il conviendrait donc de s’engager dans une stratégie de croissance économique.
Bien qu’étant d’accord pour partie avec ce discours, je voudrais insister ici sur certaines de ses limites, notamment sur un point particulier : la croissance économique est une condition nécessaire mais non suffisante de la réduction du taux de chômage.
Pour le montrer, petit exercice de statistique (étant entendu qu’un travail plus approfondi mériterait d’être effectué, ce que je présente permet néanmoins d’identifier quelques tendances intéressantes). J’ai collecté les taux de croissance, les taux de chômage et les taux de croissance des créations d’emploi sur la période 1996-2004 pour une vingtaine de pays développés (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Etats-Unis, Finlande, France, Italie, Japon, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède), à partir des données Eurostat. A chaque fois, j’ai calculé le taux moyen observé sur la période.
Si la thèse résumée plus haut est correcte, on doit s’attendre à une bonne corrélation (de signe négatif) entre taux de croissance et taux de chômage. Voici le résultat :

On ne peut pas dire que la corrélation soit des meilleures… On observe des taux de chômage élevés pour des pays à croissance faible et pour des pays à croissance forte, des taux de chômage faibles également pour les deux types de pays.
Est-ce à dire que la croissance n’est pas à rechercher ? Non, bien sûr. En fait, elle joue sur la capacité des pays à créer des emplois. Preuve avec ce deuxième graphique, qui relie taux de croissance économique et taux de croissance des créations d’emplois :

La corrélation n’est pas parfaite, mais elle existe. Plus le taux de croissance des économies est élevé, plus le taux de croissance des créations d’emplois est fort.
Conclusion générale que l’on peut tirer des deux graphiques : la croissance est le levier essentiel de la création d’emplois, mais pas de la réduction du taux de chômage…
On peut compléter avec un troisième graphique, qui relie création d’emploi et taux de chômage :

L’ajustement n’est pas linéaire, on observe plutôt une courbe en U (ajustement assez médiocre toutefois) : des pays ont à la fois forte création d’emploi – faible taux de chômage, d’autres ont forte création d’emploi et fort taux de chômage.
Quelles explications peut-on avancer?
* on peut d’abord se souvenir que créer un emploi n’équivaut pas à faire disparaître un chômeur : des personnes non actives peuvent venir sur le marché du travail pour occuper l’emploi proposé ; des actifs à temps partiel (souvent subi) peuvent passer à temps plein,
* surtout : ces résultats s’expliquent par le fait que la croissance créé des emplois pour l’essentiel qualifiés. Parallèlement, le chômage touche des personnes peu qualifiées. La création d’emplois (qualifiés) ne permet pas de réduire le problème auquel est confronté cette partie de la population…
Ceci me conduit à répéter une critique que l’on peut adresser au CPE : le chômage des personnes peu qualifiées ne s’explique pas par une insuffisante flexibilité du marché du travail, mais par le fait que les entreprises des pays développés n’ont pas besoin de ces personnes… La seule stratégie pertinente consiste à qualifier ces personnes (ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut que des bac+5, des qualifications pointues et porteuses existent à des niveaux BEP/CAP par exemple). Le problème n’est pas simple, car pour une large part ces personnes sont celles qui sortent du système éducatif sans qualification (160 000 personnes par an de mémoire). On peut toujours incriminer le système éducatif, en disant qu’il est inadapté aux besoins des entreprises, mais je ne pense pas que ce soit le problème : les formations dispensées en lycée professionnel, pour ne prendre qu’un exemple, sont conçues en concertation avec les acteurs professionnels. Le problème tient sans doute plutôt à la difficulté de ne pas faire décrocher ces jeunes et de les accompagner sur le long terme…
Dernier point complémentaire : quels sont les pays de l’échantillon qui connaissent des taux de chômage les plus faibles ? (critère utilisé : taux inférieur à la moyenne simple de l’échantillon).
Il s’agit de : Autriche, Danemark, Etats-Unis, Japon, Norvège, Royaume-Uni et Suède. Leurs taux de chômage sont compris entre 4,1% (Autriche) et 6,8% (Norvège). Si l’on observe attentivement les caractéristiques économiques de ces pays, on s’apercoît qu’ils ont développé des formes très différenciées de capitalisme (je renvoie à la lecture du livre d’Amable et à celle de mon ouvrage à paraître pour des analyses en termes de diversité du capitalisme). Le discours lanscinant consistant à affirmer que notre salut viendra et ne pourra venir que d’une flexibilité quantitative externe est tout sauf exact : différentes voies peuvent être empruntées (cf. un billet précédent), aux politiques de bâtir leurs projets autour des voies qui leur semblent préférables.