Covid 19, épisode 4 : une comparaison des géographies française et italienne

Petit billet pour explorer la géographie de l’épidémie de l’autre côté des Alpes, grâce à des données pour l’Italie disponibles ici.

Comme indiqué dans mon premier billet consacré au Covid 19, lorsque l’on brasse des données par territoire, il convient de rapporter le nombre de cas observés à la population pour neutraliser les différences de taille des territoires. J’ai donc récupéré les données sur les populations des régions italiennes sur Eurostat pour calculer le nombre de cas par habitant.

En rapportant les valeurs obtenues pour chaque région au résultat pour le pays dans son ensemble, on obtient un indice qui vaut 1 si la valeur de la région est la même que dans l’ensemble du pays, et une valeur supérieure à 1 si cette valeur est supérieure. Un indice de 2, par exemple, signifie que le ratio observé pour la région considérée est le double de celui observé en moyenne. Ou, dit d’une autre façon, que la région considérée pèse deux fois plus pour l’indicateur considéré que pour la population (c’est comme cela que je vais présenter les résultats). Je me concentre sur les données relatives aux décès cumulés observés à la date du 27 mars 2020.

Région part de la région dans la population nationale (%)
(1)
part de la région dans l’ensemble des décès (%)
(2)
indice

(2)/(1)

Lombardia 16.7% 59.1%                   3.5
Valle d’Aosta 0.2% 0.4%                   1.9
Emilia Romagna 7.4% 13.9%                   1.9
Marche 2.5% 3.7%                   1.5
Liguria 2.6% 3.6%                   1.4
P.A. Trento 0.9% 1.1%                   1.2
Piemonte 7.2% 6.2%                   0.9
P.A. Bolzano 0.9% 0.7%                   0.7
Veneto 8.1% 3.4%                   0.4
Friuli Venezia Giulia 2.0% 0.8%                   0.4
Abruzzo 2.2% 0.7%                   0.3
Toscana 6.2% 1.9%                   0.3
Molise 0.5% 0.1%                   0.2
Umbria 1.5% 0.2%                   0.2
Lazio 9.7% 1.3%                   0.1
Puglia 6.7% 0.8%                   0.1
Campania 9.6% 1.1%                   0.1
Sardegna 2.7% 0.2%                   0.1
Calabria 3.2% 0.2%                   0.1
Sicilia 8.3% 0.4%                   0.1
Basilicata 0.9% 0.0%                   0.0

La géographie de l’épidémie est fortement marquée, la Lombardie concentrant 59% des décès. Comme cette région concentre 17% des habitants, l’indice obtenu est de 3,5 : on observe 3,5 fois plus de décès dans cette région que ce que l’on observe pour l’Italie dans son ensemble.

L’Emilie-Romagne est dans une situation similaire (poids dans les décès supérieur au poids dans la population), mais moins marquée (indice « seulement » de 1,9). Le Piémont, en revanche, qui arrive en troisième position en termes de décès, présente un indice inférieur à 1.

En procédant de même à l’échelle des régions françaises, on obtient les résultats suivants :

Région part de la région dans la population nationale (%)
(1)
part de la région dans l’ensemble des décès

(2)

indice

(2)/(1)

Grand-Est 8.2% 32.9%                4.0
Corse 0.5% 1.0%                1.8
Bourgogne-Franche-Comté 4.1% 7.0%                1.7
Île-de-France 18.3% 29.0%                1.6
Hauts-de-France 8.9% 8.5%                0.9
Auvergne-Rhône-Alpes 12.0% 8.3%                0.7
Occitanie 8.8% 3.1%                0.3
Bretagne 5.0% 1.7%                0.3
Centre-Val de Loire 3.8% 1.3%                0.3
Provence-Alpes-Côte d’Azur 7.5% 2.4%                0.3
Pays de la Loire 5.7% 1.6%                0.3
Normandie 4.9% 1.2%                0.2
Nouvelle-Aquitaine 8.9% 2.1%                0.2
Martinique 0.5% 0.1%                0.1
Guadeloupe 0.6% 0.1%                0.1
Guyane 0.4% 0.0%                     –
La Réunion 1.3% 0.0%                     –
Mayotte 0.4% 0.0%                     –

Même si Grand Est concentre une part moins importante des décès que la Lombardie, son indice est encore supérieur. Les Hauts-de-France sont dans une situation similaire à celle du Piémont : nombre absolu de cas élevé mais, compte-tenu de la taille de cette région, l’indice reste inférieur à 1.

Dans le cas Italien comme dans le cas français, l’épidémie reste donc pour l’instant très concentrée géographiquement : 62% des décès sont situés dans les deux régions françaises les plus touchées (Grand Est et Ile-de-France), 73% dans le cas italien (Lombardie et Emilie-Romagne).

Covid 19, épisode 3 : sur la mortalité

Petit billet un peu glauque sur le nombre de morts dû à l’épidémie et sur la mortalité en général, afin de mettre en perspective et un peu à distance le décompte anxiogène assené chaque soir.

Première point sous forme de question : savez-vous combien de personnes décèdent en France, en moyenne, chaque jour ? En 2019, on comptait 612 000 décès, soit 1 676 décès par jour (source ici). Dans le même temps, on dénombrait 753 000 naissances, soit 2 063 par jour (source ici).

Deuxième point : à côté des chiffres publiés par Santé Publique France, l’Insee a décidé de publier chaque semaine le nombre de décès quotidien toutes causes confondues, et de le comparer aux mêmes chiffres de 2018 et de 2019 (voir ici). La première livraison couvre la période du 1er au 20 mars 2020 pour les annonces dématérialisées de décès (qui arrivent plus vite à l’Insee) et du 1er au 16 mars pour l’ensemble des décès (transmis par voie dématérialisée et par voie papier).

Je me concentre sur ces derniers chiffres. Ils montrent que, pour l’instant, l’épidémie ne se traduit pas, à l’échelle du pays, par une surmortalité comparativement à 2018 et à 2019 (à noter la mortalité sensiblement plus forte en 2018 qu’en 2019, ceci notamment en raison d’une épidémie de grippe plus virulente et plus longue) :

Je dis bien pour l’instant, car il semble que nous soyons encore éloignés du pic épidémique. Je dis bien, surtout, à l’échelle du pays, car les chiffres de l’Insee par département montrent que certains connaissent dès à présent un nombre de décès bien supérieur à celui des années précédentes.  Neuf départements connaissent ainsi un nombre de décès supérieur de 10% ou plus à celui de l’année passée :

Libellé

décès 2020

décès 2019 écart Ratio
Mayotte 42                    30                    12 1.4
Haut-Rhin 417                  302                  115 1.38
Corse-du-Sud 88                    67                    21 1.31
Deux-Sèvres 182                  143                    39 1.27
Creuse 82                    70                    12 1.17
Vosges 219                  189                    30 1.16
Aisne 286                  249                    37 1.15
Oise 339                  297                    42 1.14
Haute-Saône 105                    93                    12 1.13

Parmi ces départements, certains sont fortement impactés par l’épidémie, comme le Haut-Rhin (290 décès recensés par Santé publique France au 27 mars), l’Oise (66 décès) ou les Vosges (56 décès). Mais d’autres, en apparence, ne le sont pas, comme les Deux-Sèvres et la Creuse : aucun décès recensé par Santé publique France en Creuse, 2 dans les Deux-Sèvres, toujours à la date du 27 mars. Sans que l’on sache, pour ces deux derniers départements, si l’écart est dû à d’autres causes de mortalité, où à des décès liés au Covid 19 non recensés par Santé publique France.

Covid 19, épisode 2 : géographie des propriétaires de résidence secondaire

Suite à l’annonce du confinement, certains habitants de grandes villes sont allés se réfugier dans leur résidence secondaire. J’ai entendu hier sur les ondes Stéphane Richard, PDG d’Orange, indiqué que la population de Paris avait baissé de 17% suite à l’annonce, pendant que celle de l’Ile de Ré avait augmenté de 30% (chiffres obtenus à partir de données de téléphonie mobile, voir ici).

Ouest France s’en est fait l’écho hier, en indiquant que plus de 150 000 personnes sont venus se réfugier en Pays de la Loire, principalement en Loire-Atlantique et en Vendée, en précisant qu’il est “Impossible d’affirmer d’où viennent ces dizaines de milliers de personnes” (source ici).

En fait, si, on peut savoir assez bien d’où ils viennent, en ressortant une de mes cartes préférées, extraite d’un article de Berroir et al. (2017), ” les systèmes urbains français : une approche relationnelle”, Cybergéo, qui relie la localisation des résidences secondaires à la localisation des résidences principales de leurs propriétaires.

L’article présente la même carte en excluant Paris, qui montre qu’on peut croiser sur les plages vendéennes quelques touristes qui ne viennent pas d’Ile-de-France :

Il n’est donc pas exclu que la propagation du Covid 19 à venir soit en partie orientée par cette géographie des résidences secondaires…

Géographie du Covid 19

Petit billet sur la géographie régionale et départementale du Covid 19, suite à une insatisfaction avec la façon quotidienne de présenter les chiffres dans les médias, sous la forme du nombre absolu de personnes contaminées ou décédées. Ces nombres absolus ne sont pas satisfaisants, dès lors que la taille des entités analysées varient : on devrait logiquement observer un nombre plus grand de victimes dans une grande région, si l’épidémie touche de manière homogène tous les territoires.

Pour éviter ce biais, il convient de diviser le nombre de cas par la population du territoire, ce que je vous propose de faire. Plus précisément : j’ai rapporté le nombre de cas par habitant des régions au même ratio observé France entière. Dès lors, une valeur de mon indicateur de 1 signifie que le nombre de cas par habitant de la région en question est similaire au nombre de cas par habitant observé en moyenne en France ; une valeur supérieure à 1 que le ratio est supérieur, d’autant plus que la valeur est forte.

A ce “jeu”, la région Grand Est est sans surprise la plus touchée, avec un indice de 2,69 pour le nombre de personnes contaminées en date du 23 mars 2020, suivie de la Corse (1,89) et de l’Ile-de-France (1,67). La région capitale reste donc moins touchée que Grand Est, même si le nombre absolu de cas observés est plus élevé (6211 contre 4256). Les régions les moins touchées de France métropolitaines sont les Pays de la Loire (indice de 0,27) et la Nouvelle-Aquitaine (indice de 0,40).

J’ai reproduit l’exercice avec le nombre de décès, à l’échelle des départements : les plus touchés relativement à la moyenne sont le Haut-Rhin (indice de 16,04), le Territoire de Belfort (13,35) et les Vosges (6,94).

Le dernier exercice auquel je me suis livré consiste à repérer la géographie départementale des personnes de 60 ans et plus, considérées comme les plus vulnérables face à l’épidémie, car cette géographie est assez marquée : la part des 60 ans et + varie en France métropolitaine de 39,3% dans le Doubs à 19,3% dans le Val d’Oise.

La géographie des décès et la géographie des personnes de 60 ans et + diffèrent sensiblement. Il n’est pas exclu qu’elles se rapprochent à mesure que l’épidémie se propage, et que les données collectées soient de meilleure qualité (jusqu’à présent les décès en Ephad ne sont pas comptabilisés par Santé publique France, cela devrait être le cas à partir de la semaine prochaine si j’ai bien compris).

Territoires zéro chômeur : rapport intermédiaire du Comité Scientifique

J’ai remis aujourd’hui à la Ministre du travail le rapport intermédiaire du Comité Scientifique d’évaluation sur l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), vous pouvez le télécharger ici. Quelques précisions/compléments.

Quand j’ai été sollicité en 2016 pour présider le comité, j’ai tenu à ce qu’il soit composé de chercheurs de disciplines différentes (économie, sociologie, droit, géographie), et une fois le comité constitué, à ce que l’évaluation combine analyses quantitatives et analyses qualitatives. Le croisement des regards et la combinaison des méthodes a donné lieu à des échanges que j’ai trouvé particulièrement riches lors des réunions du comité.

Notre rapport intermédiaire se nourrit pour une part importante des travaux de terrain confiés à trois organismes (le consortium ASDOANSA, le CLERSE, KPMG), qui ont travaillé séparément sur quatre des dix territoires d’expérimentation. Nous mettons à disposition leurs rapports intermédiaires, j’encourage vivement les personnes intéressées par l’expérimentation à les lire, c’est tout sauf superflu.

Compte-tenu des premiers retours que j’ai pu avoir sur notre travail, j’aimerais que personne ne perde de vue que l’avis général du Comité Scientifique est favorable à la poursuite de l’expérimentation, ainsi qu’à son extension à des territoires suffisamment matures. Le fait que nous insistions dans notre rapport sur certains problèmes ne signifie pas que notre avis est négatif, l’intention est de porter à la connaissance des acteurs ces problèmes (dont certains ont commencé à être réglés sur les sites) pour qu’ils ne se reproduisent pas. C’est tout l’intérêt d’une démarche expérimentation-évaluation, précisément, que de repérer ce qui ne va pas et d’y remédier. Quand nous proposons ensuite une extension à des territoires suffisamment matures, c’est pour souligner l’importance, pour la réussite de l’expérimentation, de relations fluides et de qualité entre les institutions. Nous proposons également que les futurs territoires d’expérimentation indiquent clairement quels moyens humains et financiers ils souhaitent apporter, moyens indispensables à la réussite du projet selon nous, or je ne suis pas sûr que tous les territoires candidats (près de 200) en aient pleinement conscience.

Autre précision importante : le rapport  remis aujourd’hui est un rapport intermédiaire, le rapport final devant être livré d’ici l’été 2020. D’ici là, nous allons pouvoir approfondir certains points, notamment mieux comprendre quelles sont les caractéristiques/trajectoires passées des bénéficiaires de l’expérimentation, d’une part, et quel est l’impact territorial de l’expérimentation, d’autre part. Le premier approfondissement est essentiel, car il va permettre d’éclairer le point qui va sans doute faire le plus de buzz : il semble en effet que, contrairement à ce qui avait été anticipé, l’Etat économise moins que prévu en favorisant l’embauche de chômeurs de longue durée, car une part non négligeable des bénéficiaires de l’expérimentation ne touchait pas, avant entrée dans les entreprises à but d’emploi, d’allocations chômage ou de prestations sociales. Nous ne savons cependant pas pour le moment dans quelle mesure cela s’explique par du non recours, il est donc indispensable de le mesurer avant de dire qu’il y a ou non un problème éventuel de ciblage dans l’expérimentation. S’agissant de l’impact territorial de l’expérimentation, la deuxième vague d’enquête qui va être lancée auprès des habitants des territoires devrait permettre de le mesurer en partie. Affaire à suivre, donc.

Territoires zéro chômeur : mise au point suite à la tribune de Pierre Cahuc

Etant donné que je préside le Comité Scientifique de l’expérimentation territoire zéro chômeur de longue durée, je me permets de réagir brièvement à la tribune de Pierre Cahuc publiée par les Echos vendredi dernier.

Je tiens à préciser que cette tribune n’engage en rien le Comité Scientifique, même si Pierre Cahuc en fait partie. J’ai indiqué à l’ensemble des collègues du Comité que sa publication me posait problème : si chacun des chercheurs impliqués communique dans les médias pour faire part de son sentiment personnel, à quelques jours de la publication de notre rapport intermédiaire, le travail collectif réalisé est mis à mal.

J’en profite pour faire une autre mise au point sur le fait que, jusqu’à présent, le Comité Scientifique ne s’est pas exprimé : c’est volontaire. J’ai été sollicité à plusieurs reprises par les médias et par des personnes impliquées dans l’expérimentation, qui s’interrogeaient légitimement sur les conclusions de nos travaux. Jusqu’à présent, j’ai toujours refusé de répondre, en indiquant que nos travaux étaient en cours et que nous ne communiquerions que lorsque nous disposerions de résultats suffisamment solides.

Métropoles rayonnantes ou métropoles repoussantes ?

L’Insee Ile-de-France vient de publier une note intitulée « Un rayonnement économique de l’agglomération parisienne plus intense vers l’ouest ». Note très intéressante, qui s’intéresse aux liens entre Paris, l’Ile-de-France et les territoires alentours, et qui montre notamment que les interdépendances sont plus fortes à l’Ouest qu’à l’Est de la région capitale.

Note intéressante, j’insiste, car l’enjeu, en termes d’analyse de la géographie économique, consiste à se focaliser sur les interdépendances territoriales, plutôt que de continuer à comparer des portions d’espaces géographiques considérées comme des entités en concurrence les unes avec les autres. Toute étude qui s’intéresse aux liens plutôt qu’aux lieux est donc bienvenue.

Le vocabulaire employé, cependant, m’a fait tiquer (d’où ce billet).

  • Le titre, d’abord, où l’on parle de « rayonnement », j’y reviens plus loin,
  • L’idée selon laquelle l’Ile-de-France « dégage plus de 40% de la richesse nationale » : on ne sait pas calculer la richesse générée par un territoire, dès lors qu’on dispose de données sur la valeur ajoutée à l’échelle de l’entreprise, pas des établissements. L’Insee s’en remet donc, pour approcher la richesse créée, aux salaires versés dans les établissements pour ventiler la valeur ajoutée. D’après les données disponibles, l’Ile-de-France concentre un peu moins d’1/3 des salaires versés, non pas 40%. Pas trop d’informations dans la note pour comprendre le calcul, j’espère qu’il ne s’agit pas de l’addition des valeurs ajoutées des sièges sociaux d’Ile-de-France,
  • L’emploi du terme de « redistribution », ensuite, dans cette phrase : « Les territoires de ce bassin sont interconnectés et reliés entre eux par des flux économiques, qui redistribuent les richesses via les flux salariaux et commerciaux ». Verser des salaires, ce n’est pas faire de la redistribution géographique des revenus, c’est faire de la distribution des revenus. Payer les gens qui ont bossé, quoi.

J’en reviens au point principal : l’idée de rayonnement. La même idée était défendue par Gérard Collomb, suite à une étude commandée à Laurent Davezies, indiquant que Lyon « redistribuait » 9 milliards d’euros aux territoires environnants. Paris et Lyon sont généreuses : elles versent des salaires aux gens qui y travaillent, mais qui n’y résident pas.

Petite histoire pour faire passer le message : Emmanuel et Jeanne se sont rencontrés sur les bancs de la fac de Bordeaux (vous pouvez modifier avec la grande ville de votre choix), ont décidé d’emménager ensemble dans le studio (un peu plus grand) de Jeanne, le temps de finir leurs études. Ils ont l’un et l’autre trouvé un emploi à la fin de leur master (comme la très grande majorité des diplômés de Master des universités françaises, soit dit en passant).

Chemin faisant, ils ont eu envie d’avoir un enfant : logement trop petit, il faut trouver un nouveau toit. Loyer prohibitifs sur Bordeaux, ils décident donc de s’éloigner et de prendre un logement sur Libourne.

Supposons que cette histoire soit représentative. Agrégeons ces histoires individuelles. On constatera que les personnes qui viennent travailler sur Paris, Lyon, Bordeaux, …, viennent de plus en plus loin. Non pas parce que ces villes « attirent », mais bien parce qu’elles « repoussent ». Avec une montée des processus de gentrification, au centre, qui interroge.

Mon sentiment est que l’évolution de la géographie de l’emploi est un produit des deux logiques : attraction de certaines catégories de personnes, éviction d’autres catégories. Il convient de mieux documenter ces processus, en faisant attention au vocabulaire employé, qui n’est pas neutre. Pour mieux cerner, ensuite, les enjeux en termes d’action publique.

Poitiers 2020 : saison 2, épisode 1 (les centres d’appels)

Poitiers est une ville qui vit pour une part importante de la fonction publique, quelle soit hospitalière (1er employeur : le CHU), territoriale (1er employeur : la ville de Poitiers) ou d’Etat (1er employeur : l’Université).

Si l’on regarde par exemple à l’échelle de l’Aire Urbaine le poids des 15 fonctions d’emploi rapporté au poids de ces fonctions France entière, ressortent les fonctions « administration publique » (indice de 1,4, c’est-à-dire que cette fonction pèse 40% de plus sur Poitiers que France entière, avec des effectifs au recensement 2014 de 14 107), « santé, action sociale » (indice de 1,2 ; effectifs de 13 363) et « éducation, formation » (indice de 1,2 ; effectifs de 6 856). L’agriculture s’intercale cependant avec un indice de 1,3 mais des effectifs plus faibles (2 228).

L’activité privée, pour autant, n’est pas absente. Notamment les activités des centres d’appels, d’où ce billet.

Pour évaluer le poids de cette activité, j’ai exploité les données Acoss (qui recensent l’ensemble des emplois privés hors agriculture) par zones d’emploi, dans le découpage sectoriel le plus fin disponible, la NAF 732. Il s’avère que le secteur privé qui emploie le plus de personnes sur la zone d’emploi de Poitiers est précisément le secteur « activités de centres d’appels », avec, en 2017, 2 640 personnes qui y travaillent. Cela représente 3,4% de l’ensemble de l’emploi privé de la zone.

Est-ce beaucoup ? Oui : France entière, ce secteur représente 0,29% de l’ensemble de l’emploi privé, dès lors, ce secteur pèse près de 12 fois plus sur Poitiers que ce qu’il pèse France entière.

On peut même regarder en valeur absolue pour se rendre compte de son importance : la zone d’emploi qui emploie le plus dans ce secteur, c’est logiquement Paris (qui pèse 25% de l’ensemble des emplois, cela n’a donc rien de surprenant), avec 6 096 emplois recensés. En 2ème position, arrive la zone d’emploi de … Poitiers. Devant Lens-Hénin (2 584), Lille (2 152), Bordeaux (2 066) et Marseille-Aubagne (1 596).

Je signale en passant que ce chiffre de 2 640 pour Poitiers ne capture qu’une partie des emplois des centres d’appels, ceux des entreprises enregistrées dans ce secteur, qui correspondent donc à ce que l’on appelle des centres d’appels externalisés. On trouve sur la zone également des centres d’appels internalisés, comptabilisés dans les effectifs des secteurs auxquelles appartiennent les entreprises en question, et j’en connais un certain nombre.

L’essentiel des emplois de ce secteur sont localisés sur la zone du Futuroscope, à proximité immédiate de Poitiers. Un nombre non négligeable de salariés réside sur Poitiers et travaille au Futuroscope, ce qui génère un flux lui-même non négligeable de déplacement domicile-travail, matin et soir.

La zone du Futuroscope, présentée par nombre de politiques comme une technopole —une sorte de Silicon Valley picto-charentaise— est donc avant tout dominée par cette activité, ce qui n’est ni bien, ni mal : c’est un fait.

Pour ceux qui pensent que ce secteur n’a pas d’avenir en France, je signale en passant que c’est l’un des secteurs les plus dynamiques en termes de création d’emploi, avec un taux de croissance de 31% entre 2007 et 2017 (dynamique plus faible sur la zone d’emploi de Poitiers : +6%).

Or : je crois que je n’ai jamais entendu un politique, quel que soit son bord, parler de ce secteur, ni des milliers de poitevins qui y travaillent (je prends tout élément de preuve permettant de me contredire). C’est pourtant l’activité privée phare du territoire.

D’autant plus que ce secteur, à l’image plutôt calamiteuse, est beaucoup plus hétérogène et complexe qu’on l’imagine. Nous avions travaillé dessus il y a quelques années, pour montrer notamment que l’idée que cette activité allait connaître un processus massif de délocalisation ne résistait pas à l’analyse (l’article est visible ici).

Elle fait sans doute moins rêver les politiques que les activités dites de haute technologie, ou les “startups”, ou que sais-je encore, mais elle est là, et fait vivre de nombreuses personnes. S’intéresser à son fonctionnement, sa dynamique, aux salariés qui y travaillent, à comment ils se sentent, à leurs pratiques de déplacements, aux problèmes éventuels qu’ils rencontrent et/ou que rencontrent les entreprises, etc., me semble donc important, pour ne pas dire indispensable.

Pour un nouveau récit territorial

Vient de paraître mon dernier petit ouvrage, intitulé “pour un nouveau récit territorial”. Vous pouvez le télécharger et le lire ici. Il fait suite à une conférence prononcée lors du lancement du programme de recherche « pour et avec les petites villes » (mais j’ai beaucoup retravaillé le texte, la conférence et l’ouvrage diffèrent sensiblement), conférence que vous pouvez voir ici (mon intervention se déroule entre 10’45 et 39’15).

 

Et si l’on regardait aussi ce qui se passe hors métropole, sans préjugé ?

Petit billet auto-centré, un brin narcissique, suite à une interview réalisée en novembre dernier, en amont d’une conférence lors du lancement d’un nouveau programme du PUCA (Plan Urbanisme, Construction, Architecture), intitulé POPSU-Territoires. Passons sur les acronymes : l’idée est de regarder ce qui se passe sur des territoires qualifiés de “petites villes”, en soutenant différents programmes de recherche-action, car il s’y passe des choses intéressantes. Je vous poste la vidéo ci-dessous (pour info, j’ai créé une page sur mon blog avec quelques interviews, courtes et moins courtes, auxquelles j’ai pu me livrer, cf. l’onglet en haut de la page).

Vous trouverez les interviews d’autres intervenants ici.

Teasing : je finalise actuellement un petit livre que le PUCA devrait éditer, qui reprend et développe ce que j’ai dit lors de la conférence. Une invitation à sortir du récit métropolitain pour proposer un autre récit territorial, mieux compatible avec les faits et les chiffres dont on dispose. Car l’enjeu, me semble-t-il, est de sortir de représentations, parfois calamiteuses, potentiellement performatives, pour tenter d’approcher une forme de vérité.