Le CV anonyme, une bonne idée pour lutter contre les discriminations?

 

Pas sûr du tout vu l’évaluation menée par Pôle Emploi

Résumé (graissé par moi) :

L’évaluation de l’expérimentation du CV anonyme a été conduite et pilotée par Pôle emploi entre novembre 2009 et novembre 2010. Les
résultats indiquent que le CV anonyme n’améliore pas, en moyenne, les chances d’accéder à un entretien d’embauche pour les publics susceptibles d’être discriminés. Son impact est même
négatif sur les taux d’accès aux entretiens des candidats issus de l’immigration ou résidant en Zus/Cucs
. L’absence d’effets moyens pour certaines catégories masque toutefois des
différences importantes en fonction de certaines caractéristiques des recruteurs. Ainsi, le recours au CV anonyme agit contre la tendance des recruteurs à privilégier des candidats du même genre
qu’eux-mêmes.

L’effet défavorable du CV anonyme sur les chances d’accès à l’entretien des candidats immigrés et/ou résidant Zus/Cucs peut
s’expliquer par le profil particulier des entreprises qui ont été volontaires pour participer à l’expérimentation.

 Dans certaines configurations, l’usage du CV anonyme a eu pour effet de modifier les pratiques des recrutements et de réduire
les risques de discrimination dans l’accès aux entretiens d’embauche, voire à l’emploi. Si l’obligation de recourir au CV anonyme parait peu envisageable, le CV anonyme constitue un outil qui
reste pertinent parmi d’autres moyens complémentaires de lutte contre les discriminations.

 

Le résultat le plus surprenant est l’impact négatif sur les candidats issus de l’immigration ou résidant en Zus / Cucs, ce que montre
ce graphique tiré de l’étude :


cvanonyme.jpg

 

Comment expliquer ce résultat? Les auteurs de l’étude avancent plusieurs explications :

* les entreprises ayant participé à l’expérimentation auraient un profil spécifique. Là, j’avoue ne pas comprendre l’argument, car la
méthodologie repose sur de l’expérience contrôlée, donc a priori pas de différences de caractéristiques entre le groupe des entreprises “cv nominatif” et celui “cv anonyme”. Puisque la
participation à l’expérimentation a été fait sur la base du volontariat des entreprises, on a certes une spécificité des résultats (on ne peut pas généraliser à l’ensemble des entreprises), mais
on ne doit pas avoir de spécificité entre les deux groupes,

* les cv anonymes pénalisent les entreprises ayant une approche volontariste en matière de lutte contre les discriminations,

* dernière raison, la plus convaincante selon moi: L’anonymisation des CV empêcherait les recruteurs de relativiser des signaux jugés
défavorables dans les CV de candidats potentiellement discriminés, par exemple des diplômes ou des expériences moins prestigieuses. En focalisant l’attention uniquement sur le contenu du CV, le
CV anonyme pourrait ainsi générer des désavantages spécifiques pour certains candidats.

 

Résultat pas si intuitif que cela je trouve. D’où l’intérêt des démarches d’évaluation!

Tu habites loin de chez ta maman?

J’ai participé début juillet à un programme intensif Erasmus à Padoue. J’ai notamment pu entendre Maria Castiglioni, qui a présenté quelques statistiques intéressantes sur la localisation des
personnes.

 

Question posée lors d’une enquête réalisée en 2005 à des personnes de plus de 15 ans mariés ou vivant en couple : à quelle distance de
la maison de votre mère vivez-vous aujourd’hui? (si votre mère est décédée, précisez la distance qui vous séparait de son domicile au moment de son décès).

Tableau de résultats :

 

(% cumulés) ITA  FRA  GER  HUN  CZE 
Je vis avec elle 35.6 24.4 17.9 29.8 25.5
Au même endroit mais dans un appartement/maison différent 43.4 30.6 26.2 32.5 31.3
à moins d’un kilomètre 57.2 35.9 33.8 46.7 44.4
1-10 kilomètres  78.6 53.9 52.9 71.4 68.7
10-50 kilomètres 89.4 69.5 73.6 86.9 86.5
50-100 kilomètres  92.6 75.4 85.7 90.8 93.5
plus de 100 kilomètres  100 100 100 100 100
Nombre de personnes interrogées 900 902 901 1240 964

 

On observe certes des différences selon les pays, mais dans tous les cas, les chiffres sont particulièrement forts. Plus de 75% des
français interrogés vivent à moins de 100 kilomètres de leur mère, proportion qui dépasse les 90% pour l’Italie, la Hongrie et la République Tchèque. Un bon tiers des français et bien plus de la
moitié des italiens vivent à moins d’un kilomètre de leur mère.

J’aime bien ce genre de statistiques : la mondialisation, la nécessaire mobilité des personnes, tout ça semble tout à coup très
loin…

relocalisations : (ex-future) interview pour le Figaro

Le Figaro m’a interviewé il y a un mois au sujet des relocalisations d’entreprises. L’article n’a finalement pas été publié, pour
je ne sais quelle raison (plusieurs hypothèses possibles). Je poste malgré tout ce petit billet avec quelques éléments mobilisés alors.

Sur l’aspect quantitatif, je me suis appuyé pour l’interview sur les résultats de l’exploitation de la base de données de
l’Observatoire de l’Investissement, exploitation qui a donné lieu à la rédaction d’un article (Délocalisations et désinvestissements : une analyse empirique des régions« à risque ») co-écrit avec
Liliane Bonnal, collègue Poitevine.

A partir de ces données, nous montrons dans un premier temps que les opérations de délocalisation et de relocalisation pèsent très peu
dans l’ensemble, que ce soit en nombre d’opérations ou en nombre d’emplois concernés (les délocalisations représentent 2,7% des opérations de désinvestissement, les relocalisations 0,3% de
l’ensemble des opérations d’investissement…). Nous nous focalisons donc dans un deuxième temps sur l’ensemble des opérations d’investissement et de désinvestissement, en estimant un modèle
économétrique qui explique la probabilité d’observer un investissement ou un désinvestissement, ainsi que la probabilité d’observer différentes catégories d’investissement (création de site et
extension de site) et de désinvestissement (menace, réduction d’effectifs, fermeture de site).

Nous identifions notamment 5 régions “à risque”, c’est-à-dire des régions qui influent négativement sur la probabilité d’investir
plutôt que de désinvestir. C’est d’abord la région Poitou-Charentes, avec un effet marginal de -19,7%, suivie de la région Champagne Ardennes (-9,9%), de la région Centre (-8,5%), de la Picardie
(-7,1%) et de l’Ile de France (-6,5%). Provence-Alpes-Côte d’Azur est la seule région qui influe positivement sur la probabilité d’investissement, avec un effet marginal comparativement modéré
(+5,6%).

régions à risque

Regards croisés sur Poitou-Charentes

Rappel : l’UFR de Sciences Economiques de Poitiers
organise une table ronde/débat sur le développement économique de la région Poitou-Charentes, mardi 12 avril prochain, à partir de 18h. Entrée libre et gratuite.

La Direction Régionale de la Banque de France, la Direction Régionale de l’Insee et le CRIEF (Centre de Recherche sur l’Intégration
Economique et Financière) présenteront des analyses complémentaires du sujet. Présentations suivies d’un débat entre les participants et avec la salle sur les méthodes mobilisées, leur
intérêt/limites, sur la complémentarité des études, les points qui font débat, etc.

L’ensemble sera animé par les étudiants du Master Développement Economique Local. Voici l’affiche :



Regards Croisés

Labex (suite) : petite réponse à la réponse de T. Coulhon

 

Thierry Coulhon, directeur au Commissariat Général à l’Investissement, en charge des dossiers Idex, Labex et Equipex, a été interviewé  par
Educpros
suite à la publication des Labex. Petit extrait en lien avec la question de la
masse critique 
:

Question : l’excellence est partout, indiquait Valérie Pécresse. La concentration des labels d’excellence sur un nombre de
sites restreints ne contredit-elle pas cette assurance de la ministre ?

Réponse : la concentration est relativement importante, ce qui n’a rien de surprenant. A noter tout de même un grand nombre de
projets en réseau. La variable “aménagement du territoire” ne fait en effet pas partie des critères de choix a priori : ce n’est pas le but de l’opération. La carte de l’excellence est ce qu’elle
est, mais elle ne se réduit pas aux zones de concentration : il existe des sites à visibilité internationale mais aussi des pépites.

C’est comme si on dévoilait des résultats qui statistiquement, sont des évidences. Evidemment, l’Ile-de-France ou la région
Rhône-Alpes sont très représentées, mais il y a aussi Amiens, Limoges, Clermont-Ferrand, Brest, Lille… L’objectif est de reconnaître la valeur là où elle se trouve, grâce justement à cette
variété d’appels d’offres. Notre but n’est pas de changer le profil du pays, c’est de donner les moyens, à toutes les échelles, d’aller plus loin.

Thierry Coulhon confond (volontairement ou involontairement, je ne sais pas…) deux choses :

* que l’Ile de France concentre plus de Labex que les autres régions est tout sauf anormal : la région Capitale concentre une part
importante des ressources scientifiques, de l’ordre de 40% des chercheurs publics en 2006 selon les données de l’OST,

* la question n’est donc pas de savoir s’il est normal que l’Ile de France concentre plus de Labex que les autres régions, mais s’il
est normal qu’elle concentre un nombre de Labex plus que proportionnel à sa taille. Or, c’est ce que l’on observe : l’Ile de France concentre 55% des Labex pour environ 40% des chercheurs,
soit un ratio de 1.25.

Cette sur-dotation est-elle « normale » ? Tout dépend en fait des hypothèses que l’on peut faire en matière de
« performance » des régions. Si l’on considère que l’Ile de France est 1.25 fois plus performante que les autres régions, alors cette dotation est normale. Si elle est aussi performante
que les autres, elle est moins normale, a fortiori si elle est inférieure à 1…

Comme expliqué dans notre
texte
, les études empiriques disponibles montrent plutôt l’existence d’une relation linéaire entre taille des villes ou des régions (mesurée par le nombre de chercheurs par exemple) et leur
production scientifique (nombre de publications par exemple). Bref, des indices de performance autour de 1. S’agissant de la France, l’indice pour la région Capitale est un peu inférieur à 1, quelque soit les indicateurs que l’on mobilise.

Il ne s’agit bien sûr pas de dire que pour tout dispositif la dotation de chaque région doive être égale à son poids en termes de
ressource, on peut tout à fait concevoir que pour un dispositif précis il soit bien supérieur ou bien inférieur, sur la base d’autres considérations. Mais en agrégeant l’ensemble des dispositifs,
il serait bon que les dotations ne conduisent pas systématiquement à des sur-dotations des plus grosses régions.

Labex, masse critique et autres futilités

Dans la continuité de la publication de la liste des Labex et plus généralement de la politique de la recherche et de l’enseignement
supérieur menée en France, voici une tribune co-écrite avec des collègues toulousains spécialistes de sociologie et de géographie des sciences.

Nous avions rédigé cette tribune en réaction aux propos de Jean-François Dhainaut, directeur de l’AERES, dans les Echos. Nous l’avions logiquement proposée aux Echos, qui avaient accepté de la publier sans pouvoir nous dire
quand. Comme elle n’a toujours pas été mise en ligne, (no comment) je la publie ici.

Déconcentration de la recherche

Laboratoires d’Excellence

La liste des Labex est tombée récemment.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cet appel à projets “Laboratoires d’excellence”, plus
généralement sur la politique de la recherche du gouvernement français. Temps trop contraint en ce moment, j’espère pouvoir écrire quelques billets sur le sujet rapidement. Dans l’attente, voici
une lettre ouverte de Jean-Pierre Gesson, Président de l’Université de Poitiers :

Enseignement supérieur et recherche : une stratégie d’excellence ?

Labex, Equipex, Idex, les résultats pleuvent et tombent à côté d’un objectif : renforcer l’université
française dans le grand bain international

La marche à l’excellence ?

La France a été traumatisée plus que tout autre pays par le classement de Shanghai. Le fait qu’aucune
université ou école française ne figure dans les premiers mondiaux a été interprété comme une preuve de la faiblesse de la recherche française. L’analyse objective des résultats globaux de notre
pays démontre à l’évidence que cette analyse est fausse.

Une élémentaire rigueur scientifique imposerait de discuter de la validité des critères utilisés dans
ce classement avant d’en utiliser la valeur. Mais tel un oracle ce classement est médiatisé chaque année. Il en est de même du classement du Times Higher Education dont le principe est basé sur
une forme de sondage de popularité auprès d’experts. D’autres classements existent (CHE, Leiden, QS, …), pertinents ou discutables, mais moins médiatiques. La faiblesse méthodologique de la
plupart de ces classements n’empêche pas une utilisation abusive.

Mais la question essentielle pour notre pays n’est pas de savoir si telle université ou école peut être
classée demain dans le top ten des établissements mondiaux. Quel intérêt d’avoir un Harvard ou Oxford français si globalement la recherche française n’est pas compétitive ? La vraie question est
surtout comment organiser la recherche française pour la rendre globalement plus efficiente. Il était nécessaire de lui en donner les moyens organisationnels et financiers pour rester à un haut
niveau au plan mondial. Mais comment ?

La première condition a été réunie à partir de 2007 en donnant aux universités une autonomie élargie.
Cette approche que l’on peut qualifier de responsabilisante a été combattue par certains au nom d’une égalité mythique qui n’a jamais existé et qui n’existera jamais. Son principal intérêt est de
permettre aux établissements de mettre en place des stratégies spécifiques en fonction de leurs caractéristiques propres. Cette liberté, toutefois soumise à des régulations nationales
nécessaires, est une chance pour les activités de recherche dont il est souvent difficile de prédire les résultats et applications. Inutile de rappeler de nombreux exemples célèbres.

La deuxième étape étant celle de l’augmentation des moyens, le gouvernement a alors décidé d’utiliser
un emprunt de grande ampleur pour financer la recherche. Si on ne peut que se louer qu’un emprunt serve à de l’investissement, encore faut-il que son utilisation soit optimisée pour être
efficace. Le rapport Juppé-Rocard a servi de base à la stratégie développée : concentrer les moyens sur un nombre limité de sites (5 à 10). Malheureusement cette proposition, qui ressemble plus à
un « gosplan » soviétique qu’à une approche réaliste, est basée sur des erreurs d’appréciations très graves. N’est-il pas écrit par exemple dans ce rapport que la faiblesse des universités
françaises vient de leur taille insuffisante ! Cet axiome a été repris par certains qui insistent outrageusement sur la taille critique comme facteur indispensable à l’excellence (une définition
par ailleurs très floue). Mais alors pourquoi le MIT qui n’a que 10 000 étudiants est-il toujours classé dans les premiers établissements mondiaux et Harvard avec ses 18 000 étudiants est-elle
une université moyenne ?

Des bons choix pour l’excellence ?

Après l’Opération campus, les projets Equipex, Labex, Idex, la carte universitaire française pourrait
être totalement bouleversée. Des sites universitaires sont donc laissés à eux mêmes à côté d’autres fortement dotés. Sans insister sur les conditions d’attribution de ces moyens ayant abouti à
des déséquilibres indécents, on peut se demander quel en sera le résultat ? Un échec prévisible car l’augmentation du rayonnement de la recherche française ne sera pas à la hauteur des
financements apportés. Pourquoi ? Parce que l’attribution des moyens aura plus reposé sur la taille d’un site que sur tout autre paramètre alors que toutes les études montrent que la productivité
scientifique n’est pas directement proportionnelle à la taille et aux moyens apportés. Parce que l’on aura donné le sentiment que la partie était jouée d’avance et que l’on aura ainsi découragé
une bonne partie des chercheurs français. Une fois les sites de l’Opération Campus connus, était-il utile de demander aux autres de candidater aux appels à projets d’excellence ?

L’avenir dira si la surconcentration des moyens est la meilleure voie vers l’excellence de
l’enseignement supérieur et de la recherche.

Jean-Pierre Gesson

Président de l’Université de
Poitiers

 

Les régions françaises dans le concert des pays de l’UE27

Eurostat vient de
publier
les PIB régionaux par habitant de l’UE27 (en standards de pouvoir d’achat) pour l’année 2008. J’ai récupéré les chiffres pour l’ensemble des pays de l’UE, pour l’ensemble des régions
françaises, puis je me suis “amusé” à construire ce graphique (sous le logiciel R), qui permet de situer les régions françaises les unes par rapport aux autres mais aussi, exercice moins souvent
pratiqué, par rapport aux autres pays de l’UE.

L’axe à droite du graphique reprend les valeurs du PIB par habitant par rapport à la moyenne de l’UE27 : une valeur de 100 signifie
donc que le pays/région en question a un PIB par habitant égal à a moyenne de l’UE27.

 

PibReg.jpg

L’Ile de France est au-dessus du plus “riche” des pays de mon échantillon (j’ai en fait enlevé un pays, le Luwembourg, indice de 279),
Rhônes-Alpes et la France sont pile dans la moyenne de l’UE, entre la Belgique et l’Italie. 7 régions sont situées entre l’Espagne et la Grèce, 3 entre la Grèce et la Slovénie, 10 (dont
Poitou-Charentes) entre la Slovénie et la République Tchèque. Viennent ensuite les DOM/TOM, la Guyane fermant la marche.

Attention, ne pas déduire de ce graphique que, par exemple, les habitants de Poitou-Charentes ont un niveau de vie compris entre les
slovènes et les tchèques : il s’agit de données sur le PIB par habitant, le niveau de vie dépend beaucoup plus du revenu par habitant, or si les différences entre ces deux agrégats sont faibles à
l’échelle des pays, elles sont fortes entre les régions d’un même pays, en raison notamment de la redistribution des richesses par les Etats.