l’oubli des effets de structure

Propositions entendues à diverses reprises : « L’effort de recherche est inférieur en France à ce qu’il est au Japon, aux
Etats-Unis ou en Suède, il faut inciter les entreprises à investir plus en R&D ». « Les entreprises de Poitou-Charentes (remplacez par la région de votre choix) n’exportent pas
assez, il faut les inciter à le faire davantage ». « L’Université de Poitiers (remplacez par l’Université de votre choix) forme de nombreux étudiants qui partent ensuite travailler dans
d’autres régions, il faut les informer sur l’activité des entreprises picto-charentaises, leur proposer des stages, pour qu’ils aient envie de rester ». « Le taux d’encadrement dans les
entreprises de Poitou-Charentes (remplacez etc…) est inférieur au taux national, il faut les inciter à embaucher plus de cadres ».

Je pourrais multiplier les exemples. Dans tous les cas, on compare des indicateurs nationaux ou régionaux, on observe une valeur
inférieure à la moyenne pour notre pays/région, on en déduit que les acteurs ne se comportent pas comme ils le devraient, on propose donc de mettre en place des systèmes d’information et/ou
d’incitation pour qu’ils révisent leurs comportements. Ce qui coûte en termes d’argent public. Les rares fois où les politiques incitatives mises en place sont évaluées, on se désespère de la
faiblesse des effets. Quelques années après, on propose donc de mettre en place une nouvelle politique dans le même but. Etc.

Où est l’erreur ? Dans l’absence de prise en compte, dans les écarts à la moyenne observés, de ce qui résulte d’effets de
structures et de ce qui résulte de comportements « individuels ». J’avais déjà parlé de la première
proposition
 : une intensité technologique (rapport des dépenses de R&D au PIB) plus faible en France que dans d’autres pays. Cette plus faible intensité peut s’expliquer : i)
par des effets de structure, en l’occurrence une spécialisation plus forte dans des secteurs ayant une intensité technologique intrinsèquement plus faible, ii) par des effets comportements
« individuels », autrement dit par une propension plus faible à investir dans la R&D à composition sectorielle identique. L’étude mentionnée montrait que les écarts d’intensité
technologique s’expliquaient pour  tous les pays par des effets structurels, sauf deux pays : la Suède, dont l’intensité était plus forte que ce que prédisait sa spécialisation, et
l’Espagne, dans la situation inverse.

Quid des autres questions ? Quelques intuitions : les entreprises de Poitou-Charentes exportent moins que la moyenne car ce
sont pour une part supérieure à la moyenne des PME sous-traitantes. Elles vendent donc à des entreprises qui exportent. Vous pouvez mettre des systèmes d’incitation sur elles, cela n’y changera
rien. Si vous voulez qu’elles exportent plus, il faut faire bouger les structures (les inciter à passer du statut de sous-traitant à celui de donneur d’ordre). Les étudiants poitevins partent,
diplôme en poche, travailler dans d’autres régions ? Ce n’est pas parce qu’ils ne connaissent pas/n’aiment pas les entreprises de notre région, c’est parce que les emplois sont, pour une
large part, ailleurs. Ils vont là où sont les emplois. Vous voulez qu’ils restent ? N’agissez pas sur eux, réfléchissez à la dynamique de création d’emplois en Région. Les entreprises
picto-charentaises ont un taux d’encadrement inférieur à la moyenne ? Effet de structure, encore : il s’agit de PME indépendantes, toujours, qui ont structurellement une propension plus
faible à engager des cadres.

Ce qui me désole, dans cette histoire, c’est que l’on sait depuis longtemps isoler statistiquement ce qui relève des effets de
structure des effets hors structure. Il est donc très facile, pour chaque problème donné, de voir si les effets de structure expliquent l’ensemble du problème, ou une partie seulement. Si les
effets de structure expliquent tout, et qu’on veut faire bouger le taux moyen, il faut faire bouger les structures. Si les effets de structure n’expliquent rien, il faut faire bouger les
comportements individuels. Dans le cas général, on se trouve entre ces deux extrêmes. Autant savoir précisément où avant de prendre des décisions…

Industrie, Services et exportations

Dans une tribune pour Libération datée du 2 septembre dernier, Alexandre Delaigue s’interroge sur le fétichisme industriel de nos politiques. Je complète son analyse sur un point en m’appuyant sur ce que j’ai dit, dans un billet précédent, des limites des statistiques sur le commerce extérieur et de la nécessité de comptabiliser le commerce en valeur ajoutée.

Comme expliqué précedemment, donc, les statistiques habituelles du commerce extérieur ne permettent pas de prendre acte du processus de fragmentation des processus productifs. Quand les Etats-Unis exportent un Boeing, disons d’une valeur de 100, vers l’Europe, on affecte 100 de richesse créées aux Etats-Unis. Or, pour fabriquer
un Boeing, les Etats-Unis importent de pays tiers tout un ensemble d’éléments. Il convient donc de soustraire ces éléments importées pour avoir une idée exacte de la valeur ajoutée aux Etats-Unis. Lorsqu’on procède de la sorte, on observe que, pour le Boeing 787 Dreamliner, 70% de la valeur provient des composants importés, seuls 30% correspondent à une valeur ajoutée américaine.

boeing

J’avais tiré parti de cette nouvelle façon de comptabiliser les échanges pour dénoncer les propositions de taxation des pays étrangers : en les taxant, on taxe, pour beaucoup, les entreprises françaises. Mais il convient de tirer une deuxième implication essentielle de cette comptabilisation du commerce en valeur ajoutée.

Lorsqu’on analyse les statistiques habituelles du commerce, on observe que, pour l’essentiel, ce sont les secteurs industriels qui sont exportateurs. Ce qui est un des éléments explicatifs du fétichisme industriel dénoncé par Alexandre Delaigue. Mais la encore, la comptabilité habituelle du commerce est trompeuse : les services
sont en fait fortement exportateurs, mais cela ne se voit pas dans les statistiques…

Pourquoi? Car les services sont exportés via les biens industriels. Prenons le cas d’une entreprise industrielle qui exporte un bien A vers un pays tiers. Pour fabriquer ce bien A, elle a acheté un ensemble de services aux entreprises : conseil, design, services informatiques, transports de biens intermédiaires, etc. Pour évaluer la part des services dans les exportations, il convient donc, là encore, d’évaluer le commerce en valeur ajoutée. Autrement dit de décomposer la chaîne de valeur des biens et d’affecter
la valeur créée pour chaque étape au bon secteur et au bon pays.

L’article de l’OFCE déjà cité dans le précédent article montre l’ampleur des changements liés à cette nouvelle comptabilisation : “Mesurés à partir des données en valeur ajoutée (…), la part de l’industrie dans le commerce international passe de plus des deux tiers (4 400 milliards de dollars) à moins de 45 % (2 100 milliards de dollars) (…) alors que la part des services fait plus que doubler pour passer de 21 % (1 300 milliards de dollars) à 43 % (2 000 milliards de dollars).” (page 156, voir également le tableau page 155 du même document).

Conclusion : si les politiques veulent absolument soutenir les secteurs exportateurs (il y aurait beaucoup à dire, également, de cette obsession mercantiliste), ils se doivent donc d’être aussi attentifs aux services qu’à l’industrie…

La démondialisation

Arnaud Montebourg, dans le cadre des primaires du parti socialiste, s’est fait le chantre de la démondialisation. Ce positionnement
politique est plutôt bien réparti sur l’échiquier politique, de Jean-Luc Mélanchon à Marine Le Pen, en passant par Arnaud Montebourg, donc, Nicolas Dupont-Aignan et j’en passe. En 2007, les deux
finalistes (Sarkozy et Royal) avaient tenu des propos plutôt anti-mondialistes (Ségolène Royal : il faut « taxer les entreprises qui délocalisent les emplois et taxer leurs produits
lorsqu’elles les réimportent » ; Nicolas Sarkozy : il faut trouver « Un chemin équilibré entre protection et protectionnisme »). Idem aux Etats-Unis avec Obama (le
protectionnisme serait « un mal nécessaire », propos repris par Christine Lagarde).

De manière générale, les sondages d’opinion le démontrent à l’envie : la mondialisation fait peur aux citoyens, les politiques ont
stratégiquement intérêt à « caresser les citoyens dans le sens de leur peur » (formule reprise de François Héran, le Temps des
immigrés
, Seuil-La République des Idées), ils adoptent donc de manière préférentielle des positionnements plutôt frileux, voir très anti, vis-à-vis de la mondialisation.

Récemment, Frédéric Lordon s’est énervé contre les attaques virulentes faites aux partisans de la démondialisation (voir ici). Son argumentation : ce n’est pas parce que la démondialisation est au programme du FN
qu’on ne peut pas réfléchir à cette notion, qu’elle n’est pas digne de débat. Si l’on s’interdit d’en parler, tout débat risque d’être impossible, car potentiellement récupérable par le FN. Je
suis totalement d’accord avec ce positionnement : on ne peut pas critiquer les partisans de la démondialisation sous ce prétexte. Il convient plutôt d’argumenter, d’avancer des éléments de
preuve sur les avantages/coûts d’une telle stratégie, puis d’en tirer les conséquences en termes d’action publique.

Dans cette perspective, je vous propose de développer deux idées pour alimenter le débat. La première est assez connue. La deuxième
résulte de considérations plus récentes.

1. Les économistes sont de mauvais pédagogues

Quand on leur parle de mondialisation, la plupart des économistes expliqueront que c’est un jeu gagnant-gagnant, un « win-win
game » in english. Ce qui a valu a Greg Mankiw de se faire traiter de « Alice au pays des Merveilles » par un sénateur démocrate. Il
faut dire que l’expression est particulièrement maladroite : quand les économistes disent que la mondialisation est un jeu gagnant-gagnant, ils ne veulent pas dire qu’il n’y a pas de
perdants. Car il y a des perdants en fait…

Ca vous semble paradoxal ? Ben non… J’illustre de manière (j’espère) pédagogique. Intéressons-nous au cas de deux pays A et B. Ce
qu’enseigne l’économie, c’est que si ces deux pays s’insèrent dans la mondialisation, ils vont réaliser des gains nets
positifs :

A : Gains – Pertes > 0

B : Gains – Pertes > 0

D’un point de vue macro-économique, donc, les deux réalisent des gains. Mais ces gains nets correspondent à la différence entre des
gains et des pertes. Les perdants sont d’une part des entreprises qui se trouvent évincées du marché par la concurrence étrangère et d’autre part les salariés qui perdent leur emploi suite à la
disparation ou à la réduction de la production de ces entreprises. Il convient donc de distinguer ce qui se passe à l’échelle macro-économique et ce qui se passe au niveau d’une entreprise (quand
une entreprise ferme, les salariés souffrent) ou d’un territoire.

Si l’on considère que, globalement, les pays gagnent à la mondialisation, la question est déplacée : il ne s’agit plus d’accuser
l’autre (le pays étranger) de nos maux, mais de s’interroger sur notre capacité à « dédommager » les perdants : comment faire en sorte que les personnes essuyant les pertes (les
personnes peu qualifiées pour l’essentiel) parviennent à retrouver rapidement un emploi ? Il ne s’agit donc plus de prôner une politique de protectionnisme commercial, mais une politique de
protection sociale, qui passe, notamment, par des politiques de formation des personnes les moins qualifiées (quand je dis cela, je ne dis pas que l’avenir de tous les jeunes français passe par
l’obtention d’un diplôme d’école d’ingénieur, d’un Master ou d’un doctorat : il y a de nombreux besoins non couverts dans des entreprises industrielles qui sont à la recherche de diplômés de
CAP/BEP/Bac pro dans des filières de formation désertées, pour des raisons bien connues mais difficiles à combattre). Ainsi qu’une politique industrielle (avec un volet essentiel en termes
d’innovation) pour travailler à la spécialisation de l’économie française.

En clair : arrêtons d’externaliser la faute (le méchant chinois, polonais, indien, etc.), prônons plutôt un travail
d’introspection (où sont les défaillances dans nos politiques publiques).

(Précision importante, en passant : les propos ci-dessus ne visent pas à prôner un libre-échangisme effréné. Nous sommes dans un
système économique plutôt favorable aux échanges de biens, à la mobilité du capital et du travail. Je dis bien plutôt favorable, car il existe tout un ensemble de règles qui freinent ces
circulations (notamment du travail). Ce que je veux dire, c’est que l’enjeu essentiel n’est pas de modifier radicalement et rapidement cet ensemble de règles cadrant les relations
internationales, mais de s’interroger sur l’ensemble de règles internes qui cadrent les comportements en termes de formation des personnes et d’innovation des entreprises).

2. Taxer les pays étrangers, c’est, pour beaucoup, taxer les entreprises françaises

Deuxième idée essentielle, plus récemment mise en évidence : les discours sur la mondialisation sont développés en considérant, à
la base, que nous sommes dans une espèce de confrontation entre pays. Nous regardons donc ce qu’exporte la France, ce qu’elle importe, on se réjouit dans le premier cas, on se désespère dans le
deuxième cas.

On procède de même pour l’ensemble des pays, ce qui laisse dire à beaucoup que l’industrie n’a plus d’avenir dans les pays développés,
que la Chine, notamment, est devenue l’atelier du monde, que la désindustrialisation des pays développés est en marche. Beaucoup de choses à dire sur ce sujet, voir ce billet par exemple, qui montre que la baisse des effectifs industriels en France a beaucoup à voir
avec des mécanismes qui ont peu à voir avec la mondialisation. Mais il y a un autre élément important.

Cet élément a été avancé sur un cas simple, celui de la production de l’iPod. Si vous regardez les flux d’importation/exportation de ce
produit, vous constaterez assez vite que, pour l’essentiel, on observe des exportations de iPod de la Chine (principal producteur) vers les Etats-Unis (principal consommateur). Ce qui semble
valider la thèse de la désindustrialisation des pays développés au profit des pays à bas coût.

Sauf que : pour exporter un iPod, la Chine importe beaucoup de composants. D’Allemagne, du Japon, de Corée du Sud, etc. Ce que la
Chine récupère, ce sont donc les dollars qu’elle perçoit de ses importateurs d’Amérique du Nord, moins ce qu’elle reverse à ses fournisseurs. Quel est le bilan ? En gros, sur 100 perçus des
Etats-Unis, elle en reverse 97 à ses fournisseurs. La richesse récupérée en Chine est donc de 3%. La Chine n’est pas l’usine du monde, elle est l’assembleur du monde. Elle s’occupe, dans de
nombreux cas, de la dernière étape avant distribution des produits. En localisant toute la valeur créée à cette dernière étape (approche retenue dans les statistiques traditionnelles du commerce
mondial), on en arrive à une vision très erronée de la géographie de la création de richesse.

On trouve des exemples similaires pour la France : « l’entreprise Bonduelle exporte depuis la France des poêlées de légumes
surgelés. Il ne s’agit toutefois pas d’exportations entièrement françaises puisque les choux-fleurs peuvent venir de Pologne, les choux de Bruxelles, du Guatemala, etc. À la limite, Bonduelle
n’exporte depuis la France que des services de conception, de marketing et d’emballage. De même, l’entreprise Conserves de Provence transforme et conditionne du concentré de tomates chinoises
pour le revendre en Europe. À l’inverse, des flacons de parfum français font l’aller-retour entre la France et Shanghai pour être décorés d’un motif écossais. On ne peut pas dire pour autant que
la France importe des parfums de Chine. C’est pourtant ce que suggèrent les statistiques de commerce extérieur » (source ici, p. 130).

Ce mécanisme joue pour tous les pays. Il illustre les limites des statistiques sur les exportations et la nécessité de raisonner sur la
valeur ajoutée : que récupère-t-on dans le pays A une fois payés les fournisseurs des pays B, C, D, etc. ? Pour la Chine, en moyenne, c’est près de 50% de la valeur des exportations
chinoises qui vont à des fournisseurs étrangers en 2005. Pour la France, c’est près de 30%. Idem pour l’Allemagne. Le pompon va au Luxembourg, avec près de 60% (voir cette étude trouvée via ce billet).

Revenons, donc, à la proposition de « démondialiser » l’économie. Imaginons que, pour ce faire, on taxe de x% les produits
importés de l’étranger. Il faudrait déjà savoir si l’on taxe hors Europe ou en Europe aussi. Car la France importe des produits, à hauteur des 2/3, de l’Union Européenne. Imaginons que l’on taxe
tous les pays. Négligeons d’éventuelles mesures de rétorsion. Mécaniquement, ceci conduira, en moyenne, à accroître de (x/3)% le coût des produits français, via l’accroissement du prix des
produits intermédiaires importés.

Taxer les pays étrangers, c’est donc, aussi, et pour une part non négligeable, taxer les entreprises françaises. Je ne suis pas sûr
qu’il s’agisse de la plus grande urgence en termes de politique publique. Et j’euphémise…

Conférence “Brevets croissance verte Poitou-Charentes”

Le Conseil Régional de Poitou-Charentes et le Pôle des Eco-Industries m’ont invité à participer à une table ronde intitulée “Brevets
croissance verte Poitou-Charentes”, le vendredi 30 septembre 2011 entre 14h et 15h, sur le site du Futuroscope (voir ici pour le programme des ateliers/conférences et pour s’inscrire).

 

Présentation sur le site : Situation du Poitou-Charentes en matière de propriété industrielle, par Olivier Bouba-Olga (Maître de
conférences à la faculté de sciences économiques de Poitiers). Démarche innovante de valorisation de la PI régionale : exemple de la SAEML Valagro, par Antoine Piccirilli (Directeur de
valorisation de la PI à Valagro). Stratégie en matière de PI chez Jouffray-Drillaud : certification d’obtention végétale, par Vincent Béguier, (Responsable R&D Jouffray-Drillaud).

 

Je dirai quelques mots sur : i) l’innovation et la propriété industrielle, ii) la situation de la France puis de Poitou-Charentes en la
matière, iii) les enjeux en matière de politique régionale d’innovation. J’essaie de poster un billet synthétique dans la foulée.

Les tribunes de l’innovation

Le Conseil Général de Charente-Maritime m’a invité à participer aux Tribunes de l’innovation sur le thème “La proximité :
réponse à la mondialisation”, le vendredi 7 octobre prochain, à la Maison de la Charente-Maritime.

Je traiterai la question en ajoutant un point d’interrogation à la fin du thème retenu. Si je suis très très courageux, je posterais
dans la foulée la trame de mon intervention et quelques éléments sur le débat qui s’ensuivra.

Si quelqu’un de passage ici veut y assister, qu’il m’envoie un mail à cette adresse : obouba(at)wanadoo.fr

L’attractivité des territoires

J’ai été invité hier à participer à une table ronde du Colloque « Développement durable, Territoires et Localisation des entreprises : Vers une
attractivité durable ? » organisé par Jean-Marie Cardebat du LAREFI de l’Université de Bordeaux IV. Table ronde intitulée « la mise en
œuvre de l’attractivité des territoires ». J’étais chargé d’ouvrir la séance et de donner un cadrage général sur la question. Histoire de susciter le débat, j’ai développé quelques idées
critiques sur le sujet, dont je viens vous faire part.

1. Sur l’attractivité de la France

Première idée, à une échelle macroéconomique, la France est un pays attractif. On peut se référer par exemple aux données d’Ernst et Young sur l’implantation de projets en Europe, la France est systématiquement au deuxième rang derrière le
Royaume-Uni, avec une part des projets accueillis qui tourne autour de 15%. Toujours sur la base de ces données, deuxième idée, la part des pays est relativement stable dans le temps.

2. Attractivité vs. développement endogène

Mon sentiment général est que les politiques, sur la plupart des territoires, se focalisent trop sur la question de l’attractivité. On
pense que le développement du territoire passera par l’arrivée d’entreprises extérieures. D’où, dans un premier temps, le développement un peu partout de zones d’activité dont la plupart sont
restées désespérément vides… D’où, dans un deuxième temps, le développement un peu partout de politiques de Marketing Territorial pour vanter les mérites et l’unicité de son territoire… Quand ce
ne sont pas les entreprises que l’on veut attirer, ce sont les personnes, mais pas n’importe lesquelles : les créatifs, au cœur du processus d’innovation.

Une autre stratégie de base me semble pourtant plus pertinente, surtout au regard des déterminants de la mobilité des entreprises et
des personnes, qui montrent que les marges de manœuvre des politiques en la matière sont plutôt faibles (voir ici s’agissant de la mobilité des créatifs) : travailler à l’accompagnement des entreprises déjà présentes. Une
stratégie de développement endogène plutôt que d’attractivité, donc. Avec des besoins évidents en matière de formation des personnes, de reprise d’entreprises, d’innovation, etc.

On m’objectera que ces deux stratégies de base ne sont pas exclusives. Certes. Mais dans un contexte où les ressources des
collectivités sont limitées, l’enjeu est de savoir quelles sommes sont allouées à chacune de ces stratégies et quel est, à chaque fois, le retour sur investissement. Il faudrait un peu
d’évaluation des politiques publiques, donc, mais je pressens que le retour sur investissement des politiques d’attractivité est plutôt faible (cf. le dernier point de ce billet).

3. Des effets de mode

En matière d’attractivité, on observe également des effets mimétiques assez calamiteux, qui exacerbent la concurrence territoriale. Il
fut un temps où tout le monde voulait attirer des entreprises de la nouvelle économie, vous vous rappelez ? Aujourd’hui, cette mode est passée, on préfère tout ce qui relève de la croissance
verte… Certes, dans un domaine et dans l’autre, on sait qu’il y a des foyers de création de richesse et d’emplois importants. Mais on ne sait pas sur quels créneaux précis. Conformément au
processus évolutionniste d’émergence de nouvelles activités, on est donc face à une première phase correspondant à un jeu d’essais/erreurs, avec beaucoup de projets développés, nombre d’entre eux
vont échouer, quelques uns vont aboutir. Que tous les territoires injectent des sommes importantes sur des projets proches et très risqués peut donc laisser perplexe en matière de bonne
utilisation de l’argent public…

4. La guerre des territoires

Parler d’attractivité des territoires, ou parler d’attractivité des villes, des Universités ou que sais-je encore, c’est d’emblée
considérer que l’on est dans une espèce de guerre économique ou de compétition sportive, quelque chose qui ressemble en tout cas à un jeu (à somme nulle) entre entités plus ou moins
autonome.

On oublie ce faisant que l’économie n’est pas un jeu à somme nulle, que les entités dont on parle sont fortement interdépendantes,
qu’elles s’inscrivent dans une hiérarchie ou un système urbain ou territorial, qu’il existe des processus de division du travail et des systèmes de production et d’innovation qui tous traversent
les territoires. Bref, qu’il faut plus se penser comme un élément d’un système plus vaste et réfléchir à la façon dont on s’organise avec les autres, sur les possibilités de coopération, de
division du travail et des fonctions à assurer. On en est loin…

5. La course aux armements

Dernier point, les politiques d’attractivité des territoires font penser à une course aux armements. Les territoires financent de plus
en plus de services aux entreprises pour les attirer, mais comme tous les territoires font de même, on n’observe pas de modifications significatives en termes d’attractivité (cf. le premier
point). Les territoires sont donc enfermés dans un jeu plutôt malsain : soit elles n’effectuent pas ces dépenses et elles risquent de perdre en matière d’attractivité, soit elles effectuent
ces dépenses pour ne pas perdre, mais elles ne gagnent rien pour autant. L’effet essentiel est que des dépenses préalablement effectuées par des entreprises privées sont maintenant effectuées par
les territoires.

Petit jeu pour bien faire comprendre l’idée. Raisonnons sur deux territoires A et B qui effectuent ou non des dépenses pour attirer un
nombre N d’entreprises. On suppose que ces deux territoires ont des caractéristiques intrinsèques qui font que, en dehors de toute dépense territoriale, le territoire A attirerait disons 1/3 des
entreprises et le territoire B 2/3. On suppose également que les dépenses territoriales sont parfaitement efficaces : si un territoire développe une politique de marketing territorial et que
l’autre ne le fait pas, il attirera toutes les entreprises (on pourrait compliquer en considérant que seule une fraction des entreprises change de décision, il faudrait aussi intégrer le montant
des dépenses, mais je simplifie, ça ne change rien aux résultats). On arrive à cette configuration :

 

B

pas de dépense

dépense

A

pas de dépense

N/3 ; 2N/3

0 ; N

dépense

N ; 0

N/3 ;2N/3

 

Il s’agit d’un jeu non coopératif symétrique. Plaçons nous du point de vue de A : si B n’effectue pas de dépense, A a intérêt à en
effectuer (N>N/3). Si B effectue des dépenses, il a aussi intérêt à en effectuer (N/3>0). Il a donc toujours intérêt à en effectuer. Idem pour B. On est donc dans la même situation, en
matière d’attractivité, que si aucun n’effectuait de dépense…

Comment sortir de cette situation ? Il conviendrait que les territoires sortent de cette situation de jeu non coopératif. On en
revient donc à l’idée développée à la fin du point précédent. Mais comme je l’ai dit, on en est loin…

quels sujets intéressent les étudiants d’économie? (épisode 2)

Première séance du cours « Problèmes économiques et sociaux contemporains » en première année de Licence lundi dernier. J’en
ai profité pour refaire un petit sondage express auprès des étudiants présents, le même que l’an passé, où je leur demandais de choisir et de hiérarchiser 4 thèmes parmi 5 : crise, développement durable, dette, mondialisation, pouvoir d’achat.

Sur la base des résultats de 2010 et 2011, j’ai fait quelques stats. Sur l’ensemble des choix, d’abord :

ensemble des choix

2010

2011

Total

CRISE

22%

24%

23%

DETTE

20%

19%

20%

DEVELOPPEMENT DURABLE

16%

16%

16%

MONDIALISATION

20%

20%

20%

POUVOIR D’ACHAT

21%

21%

21%

 

Les choix ont peu évolué entre les deux années, l’item « développement durable » est toujours en retrait, la
« crise » est toujours légèrement en tête.

Sur le premier choix, ensuite :

choix 1

2010

2011

Total

CRISE

26%

24%

25%

DETTE

13%

16%

15%

DEVELOPPEMENT DURABLE

15%

13%

14%

MONDIALISATION

17%

33%

25%

POUVOIR D’ACHAT

29%

14%

22%

TOTAL

100%

100%

100%

 

Evolution significative, cette fois : la question du pouvoir d’achat intéresse moins la promotion 2011 que la promotion 2010 et
inversement pour la question de la mondialisation. Les parts des autres thèmes sont plutôt stables.

Pour une nouvelle démarche d’évaluation

L’Association Française d’Economie Politique vient de publier un document intitulé “Pour une nouvelle démarche d’évaluation des
laboratoires de recherche, des enseignants-chercheurs et des chercheurs en économie”, coordonné par Gabriel Colletis et Thomas Lamarche.

Le document complet est ici.

En voici la présentation reprise du site de
l’AFEP
:

La Commission évaluation de l’AFEP a regroupé une trentaine d’enseignants-chercheurs et de chercheurs qui se sont organisés en
trois sous-groupes : l’un consacré à la question de l’évaluation des laboratoires de recherche, l’autre à celle de l’évaluation des enseignants chercheurs, le troisième à la question des
publications.

 Ces trois sous-groupes ont travaillé en parallèle et de façon concertée pour produire le présent document. La méthode de
travail a donc été itérative et a favorisé le débat. Au final, les contributeurs ont convergé sur l’essentiel et ont maintenu certaines différences d’appréciation sur tel ou tel aspect de
l’analyse et des préconisations (en particulier sur l’AERES).

 Le présent document se compose de cinq parties :

La première partie (I) pose la question générale de l’évaluation dans le contexte actuel en examinant les différents aspects des
pratiques actuelles, et que l’AFEP entend contester. Au final, apparaît clairement la nécessité d’une clarification de l’intention de l’évaluation. À l’opposé de l’actuelle évaluation sanction,
que l’on peut suspecter d’introduire de sérieux biais, l’AFEP propose une évaluation professionnelle visant à promouvoir la qualité et le pluralisme des approches, des méthodes et des objets de
recherche.

 La deuxième partie (II) analyse les conditions d’évaluation des laboratoires de recherche. La question fondamentale est celle
de leur cohérence avec les missions que la société assigne à ces laboratoires, missions parmi lesquelles l’élaboration de questions de recherche ayant une finalité d’avancée des connaissances
et/ou de production de savoirs utiles est essentielle. Le corollaire de cette question est la façon dont on se représente ce qu’est un laboratoire. Dominent actuellement la représentation d’un
laboratoire comme somme de chercheurs produisants et des modalités d’évaluation reflétant cette conception. L’AFEP entend rappeler que les missions fondamentales des laboratoires ne peuvent être
réalisées qu’à la condition de considérer qu’un laboratoire est un collectif de chercheurs rassemblés autour d’un projet scientifique porté par des valeurs partagées. Les modalités d’évaluation
des laboratoires que l’AFEP entend promouvoir sont en cohérence avec la dimension collective, le rôle social et la qualité scientifique attestée par un projet des laboratoires
concernés.

 La troisième partie du présent document (III) concerne l’évaluation des enseignants-chercheurs. Dans l’actuelle pratique
d’évaluation, les enseignants chercheurs (EC) sont pour l’essentiel évalués en fonction de leur activité de publication. Si ce n’est pas le rang des publications mais leur nombre qui détermine la
qualité de chercheur « publiant » ou « produisant »2 (2 pour un EC, 4 pour un chercheur), l’appréciation de la « qualité » de l’EC dépend en revanche du rang des publications issu de la liste de
la section 37 du Cnrs. Les conséquences néfastes de cette façon d’évaluer l’activité des enseignants-chercheurs sont nombreuses et considérables, notamment pour ce qui est de l’innovation
scientifique. L’AFEP propose de reconsidérer profondément le mode d’évaluation des enseignants-chercheurs en reconnaissant la diversité de leurs missions et celle de leurs pratiques. Plutôt que
de les considérer comme des individus isolés et calculateurs, intéressés de façon principale par l’optimisation de leur carrière et leur accès aux primes, l’AFEP entend promouvoir la liberté du
chercheur et son autonomie dans le cadre de collectifs orientés par le souci d’une progression de chacun et de tous, au service de la société.

 La quatrième partie (IV) rassemble les préconisations de l’AFEP dans la perspective d’une refonte très profonde de la
démarche d’évaluation. Cette partie propose tout d’abord des préconisations à caractère général puis des préconisations aux deux niveaux appréhendés dans ce document : celui des laboratoires,
celui des enseignants chercheurs. L’ensemble de ces préconisations résulte des débats que la commission a eus pendant le temps de son existence, des analyses qui ont été produites, de l’examen
aussi de travaux disponibles portés à la connaissance de la commission par ses membres. Un espace spécifique a été créé sur le site de l’AFEP afin de déposer certains de ces travaux ou
documents.

La cinquième et dernière partie du présent document (V) rassemble sous la forme d’annexes des extraits de documents qui ont été
utilisés pour la production de ce travail.