Les dures semaines des députés…

(sur une idée originale de @Bank_Able)

A quoi ressemble la vie de nos députés ? Pour m’en faire une idée, je suis allé sur le site de l’Assemblée Nationale, j’ai récupéré les résultats des votes aux scrutins publics ordinaires pour 2010, 2011 et 2012 et j’ai fait un peu de statistiques.

Genre : sachant qu’il y a quelque chose comme 577 députés, quelle est la proportion de votants par année? Résultat : 42% en moyenne en 2010, 45% en 2011, 35% en 2012. Si on regarde l’ensemble des votes sur l’ensemble des années, la médiane est à 22% : la moitié des scrutins avec moins de 22% de votants, la moitié de scrutin avec plus de 22% de votants. Ça sèche dur, quand même…

Autre question, plus rigolote : quelle proportion de votants par jour de la semaine ? Résultat en image :

En ordonnée, le pourcentage de votants. En abscisse, les jours de la semaine (1=lundi, 2=mardi, 3=mercredi, etc.). Chaque boîte synthétise différentes valeurs : le trait inférieur représente le premier décile, le trait supérieur le neuvième décile, la partie basse du rectangle, le premier quartile, la partie haute, le troisième quartile, le trait dans le rectangle, c’est la médiane.

Le lundi et le vendredi, ça bosse pas trop, pour pas dire pas du tout. Le jeudi, pas trop non plus. Le mercredi, ça dépend, mais la médiane est autour de 20%. En revanche, le mardi, c’est top : médiane à plus de 80%.

La prochaine fois que vous croisez votre député, qu’il vous demande comment ça va, répondez-lui : ça va comme un mardi. Il comprendra.

L’élection de Miss France : une activité ludo-éducative…

 

Ce soir c’est le concours Miss France. Concours de beauté. Un concours de beauté consiste à désigner la plus belle des Miss. Imaginons que vous puissiez gagner un prix : ceux qui désignent la Miss qui sera élue se partagent une somme considérable, sachant que la Miss élue sera celle qui aura collecté le plus de suffrages des votants.

Rapport avec l’économie plutôt étroit. Puisque la Miss qui va gagner est celle qui aura obtenu le plus de suffrages, l’enjeu pour vous n’est pas de trouver celle que vous considérez comme la plus belle (vu vos goûts de chiottes, vous allez perdre), mais celle que la majorité des votants considérera comme étant la plus belle.

Jeu complexe, auquel on peut s’amuser avec des étudiants, de la façon suivante : plutôt que de désigner une Miss, demandons de désigner un nombre entier compris entre 0 et 100. Le vainqueur est celui qui aura choisi l’entier le plus proche de la moitié de la moyenne de l’ensemble des entiers proposés.

Pour l’avoir fait à plusieurs reprises, on obtient des choses intéressantes : i) certains ont du mal à comprendre ces quelques règles, répondent au hasard, donnent leur chiffre préféré ou que sais-je encore, ii) d’autres comprennent qu’il faut anticiper les choix des autres joueurs, font l’hypothèse que les autres jouent au hasard, que la moyenne des nombres proposés sera de 50, ils proposent donc la moitié de 50, soit 25, iii) d’autres anticipent un peu plus, se disent que tous vont développer le raisonnement précédent, que tous vont proposer 25, ils proposent donc 12 ou 13, iv) certains (rarement) vont un cran plus loin, pour proposer 6 ou 7, v) exceptionnellement, un étudiant propose 3, 1, ou 0…

L’ensemble des étudiants pourrait se partager la somme considérable que je leur propose, donc tous gagner, en proposant tous 0. Mais ceci repose sur l’hypothèse héroïque que tous les étudiants déroulent le raisonnement jusqu’à la fin, et surtout que tous supposent que tous les autres étudiants vont dérouler le même raisonnement qu’eux jusqu’à la fin (sachant qu’ils ne peuvent communiquer entre eux : il s’agit d’un jeu non coopératif).

Jeu terrible, donc, qui permet par exemple de faire comprendre aux étudiants une proposition fameuse relative au fonctionnement des marchés financiers (je vous laisse trouver l’auteur) : on ne peut pas gagner contre le marché.

Peut-on sortir de ce type de situation infernale ? Oui, répond un autre économiste (je vous laisse trouver son nom, je suis joueur). Modifions un peu les règles du jeu pour faire comprendre son raisonnement : il vous faut toujours trouver un nombre entier compris entre 0 et 100. Pour gagner, il vous faut désigner le nombre qui sera désigné par la majorité des joueurs (plutôt que des nombres, on peut demander d’écrire sur une feuille un prénom, une ville, une fleur, ce que vous voulez).

En jouant au hasard, vous êtes sûr de perdre. Mais si vous vous dites que tous les autres joueurs connaissent les mêmes règles du jeu, ça converge assez vite : certains proposent 0, d’autres 100, la majorité proposent 50. Alors que 101 choix étaient possibles, seuls 3 sont retenus. Quand j’ai demandé aux étudiants de désigner une ville plutôt qu’un nombre, sachant que j’enseigne à Poitiers, une bonne partie a choisi Poitiers, une autre partie a choisi Paris. Alors que l’ensemble des possibles est immense. Bref, vous avez compris : quand il s’agit de deviner ce que les autres vont proposer, autant s’en remettre à ce que l’économiste dont je vous parlais appelle des « points saillants ». Sans jamais se coordonner, alors même que l’ensemble des possibles peut être immense, on peut gagner, car les “points saillants” sont peu nombreux, même si l’ensemble de référence est grand.

Application possible aux marchés financiers, une fois de plus : on ne peut pas gagner contre les marchés, mais un peu quand même, si on identifie les « points saillants » en vigueur sur ces marchés. Genre, fin des années 2000, « les bonnes entreprises sont des entreprises de la nouvelle économie ». Peu importe que vous y croyez, si vous considérez qu’il s’agit d’un « point saillant », vous pouvez gagner. Surtout du côté d’Orléans.

Ce soir, si vous regarder le concours Miss France, donc, ne vous demandez pas quelle est la plus belle. Demandez-vous quels sont les points saillants autour desquels vont converger les votes du public, qui vont les faire voter pour telle ou telle. Ou encore mieux : faites autre chose.

L’économie mondiale en 2050

Goldman Sachs se livre régulièrement à un exercice intéressant : des prévisions de croissance économique à l’horizon 2050, pour un certain nombre de pays, l’accent étant mis sur l’évolution différenciée entre le club des six pays les plus développés (G6), composé des Etats-Unis, du Japon, de l’Allemagne, de la France, du Royaume-Uni et de l’Italie, et les grands pays émergents, à savoir le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (BRIC).

Premier exercice du genre, à ma connaissance, en 2003, résultats synthétisés dans ce document. Ils ont récidivé récemment (décembre 2011), en actualisant l’analyse, résultats ici. Bien sûr, les prévisions reposent sur différentes hypothèses (forme de la fonction de production, évolution démographique, taux de participation, investissement, progrès technique, etc.), mais les simulations faites sur la période passée sont plutôt convaincantes. Il ne s’agit de toute façon pas de déterminer la valeur du PIB pour tel ou tel pays à la virgule près, mais plutôt d’identifier des tendances.

Dans un premier temps, on peut s’amuser à se faire peur, en se focalisant sur le PIB des pays. On obtient alors ce premier graphique :

En 2050, le leader économique mondial, si l’on considère que le leadership est mesuré par le poids dans le PIB mondial, est la Chine. L’Inde est troisième, le Brésil quatrième et la Russie cinquième. La France, cinquième en 2010, rétrograde au dixième rang. On notera que, selon les projections de Goldman Sachs, la France est derrière l’Allemagne en 2010 mais devant l’Allemagne en 2050…

Même idée, sur un temps plus long, dans ce tableau :

Raisonner sur le PIB n’a cependant qu’un intérêt très limité du point de vue économique : c’est un indicateur de la taille des pays, pas du niveau de vie des habitants. Il convient donc plutôt de regarder les estimations faites sur une autre variable, le PIB par habitant. On obtient alors ce nouveau graphique :

Plusieurs remarques : i) les pays développés restent en tête du classement, avec quelques évolutions en leur sein (recul du Japon, progression du Royaume-Uni), ii) chez les BRIC, c’est la Russie qui progresse le plus, elle passe même devant l’Italie, iii) la forme générale du graphique laisse deviner un processus de convergence entre les pays, les écarts étant plus faibles.

Ce dernier point est confirmé par un dernier graphique :

Les deux graphiques montrent, chacun à sa manière, que le monde devient de moins en moins inégalitaire, conclusion plutôt rassurante.

Au final, la dynamique économique fait grimper dans le classement du PIB les pays dont la population pèse le plus dans la population mondiale, ce qui est une bonne chose : dans un monde égalitaire, après tout, chaque pays devrait peser dans le PIB ce qu’il pèse dans la population. Ceci ne se fait pas au détriment des pays de plus petite taille et/ou des pays développés, puisque les niveaux de vie de l’ensemble des habitants de la planète augmentent. La dynamique économique n’est pas un jeu à somme nulle mais, potentiellement, un jeu à somme positive. C’est aussi ce que montrent ces graphiques.

Cumul des mandats : une statistique

Dans Les Echos, j’apprends que Gérard Longuet considère le non-cumul des mandats comme “une erreur totale”, “Nous avons besoin d’avoir des parlementaires qui aient un ancrage sur le terrain et qui connaissent la vie locale et qui exercent des reponsabilités” (l’ancrage local, une façon efficace d’apprendre à faire des bras d’honneur, sans doute). Christian Jacob redoute, avec la fin du cumul, l’émergence d’une “Assemblée nationale peuplée d’apparatchiks, déconnectés des réalités, sans la légitimité du scrutin uninominal”. Valérie Pécresse renchérit, en affirmant qu’avec une telle réforme “On va déconnecter le député du mandat électif d’un territoire, c’est-à-dire des électeurs”.

En France, 85% des députés sont cumulards. En Angleterre, ils sont 13%. En Italie, 16%. Espagne? 15%. Belgique? Idem… Mais bon, quelle importance… Gérard, Christian et Valérie le savent bien, un seul pays compte, aujourd’hui : l’Allemagne.

En Allemagne, cette proportion est de 10%… Ça manque drôlement d’ancrage local, en Allemagne…

Source : Cahuc et al., 2011, “La machine à trier”, Eyrolles, p. 62.

Le rapport Gallois, c’est quoi?

Le rapport Gallois, c’est :

  • 20 propositions consensuelles droite/gauche, plutôt techniques et donc jamais commentées, pour l’essentiel sur la compétitivité hors coût, déjà partiellement ou totalement mises en oeuvre, qui produiront des effets au mieux dans plusieurs années, certes utiles (on pourrait discuter dans le détail, mais je passe), mais non à même de dynamiser l’économie française à court terme (propositions 1 à 3 puis 6 à 22),
  • une proposition écologiquement incorrecte sur le gaz de schiste rejetée par le gouvernement (proposition n°5), je ne développe pas, donc,
  • une proposition (la proposition n°4), qui a focalisé toute l’attention des médias avant et après la sortie du rapport, qui a provoqué le quasi-orgasme quasi-évanouissement de l’ensemble des patrons du Medef. Je la cite :

“créer un choc de compétitivité en transférant une partie significative des charges sociales jusqu’à 3,5 SMIC – de l’ordre de 30 milliards d’euros, soit 1,5 % du PIB – vers la fiscalité et la réduction de la dépense publique. Ce transfert concernerait pour 2/3 les charges patronales, et pour 1/3 les charges salariales.”

 Les économistes se sont logiquement focalisés sur cette dernière proposition (je cite des économistes comme il faut, des économistes que le gouvernement aimerait faire entrer au CAE je pense). Conclusion implacable : c’est du grand n’importe quoi. Philippe Martin et Pierre-Olivier Gourinchas, dans une tribune pour Libération, montrent que cette mesure s’apparente à une forme de dévaluation qui va à l’évidence peser sur le pouvoir d’achat des français, et que les autres mesures visant à améliorer la compétitivité hors coût, certes utiles pour la croissance de long terme, n’auront pas d’effet à court terme sur la croissance et l’emploi.  Pierre-Cyril Hautecoeur enfonce le clou sur le même point, dans Le Monde, en se désespérant des stratégies calamiteuses que tous les pays européens sont en train de mettre en oeuvre. Alexandre Delaigue les avait devancé sur le même sujet, dans ce billet (il y a de légères variations dans leurs analyses, mais ils convergent sur l’essentiel).

D’autres décentrent le débat : Thomas Piketty s’énerve dans Le Monde en reposant la question de la réforme fiscale, pour rappeler notamment, à juste titre, qu’une réforme fiscale n’a pas pour seul objectif de “renforcer les exportations pour 2013”. Alexandre Delaigue décentre autrement le propos sur Francetvinfo, en expliquant que ce rapport vaut moins par son contenu que par son rôle de “légitimation externe” de politiques que le gouvernement voulait mettre en oeuvre et en se désespérant du fait, qu’une fois de plus, les vrais sujets ne sont pas abordés.

Karine Berger, économiste proche du PS (puisqu’ayant participé à la rédaction du programme économique de François Hollande), a déclaré, le jour de la remise du rapport Gallois et la veille du séminaire gouvernemental (auquel elle a participé), qu’elle retiendrait vingt des vingt-deux propositions du rapport Gallois. Les vingt premières propositions dont je parlais. Visiblement, elle n’a pas été entendue. D’où son communiqué, qui vise à faire évoluer quelque peu le gouvernement lors du débat parlementaire. Courage…

Mon point de vue : i) valider les vingt propositions de Louis Gallois, ça ne mange pas de pain, ii) brancher une réforme fiscale telle que décrite par Piketty et al., plutôt que cette proposition n°4, inepte, iii) mettre au coeur de la stratégie de développement économique, enfin, les politiques relevant plutôt, traditionnellement, de l’économie du travail (politiques de formation, initiale et continue ; politiques visant à améliorer la mobilité professionnelle et géographique, etc.).

Pour conclure. Je ne suis pas naïf : ce que disent les économistes est rarement entendu, car il y a d’autres rationalités qui comptent, à commencer par la rationalité politique. Que les choix du gouvernement soient perpendiculaires aux enseignements de l’expertise économique n’est donc pas surprenant. Mais, sur ce coup là, je pense qu’ils sont aussi politiquement perdants…

Fête des morts – graphique du jour

En cette veille de fête des morts, je vous livre ce petit graphique (données Insee), qui présente le chiffre d’affaires en valeur (courbe rouge) et en volume (courbe bleue) des services funéraires, ainsi que l’évolution de l’indice des prix (en vert).

Je vous laisse interpréter l’évolution des courbes, vous pouvez poster en commentaire le résultat de vos réflexions.

Internationalisation, performance des entreprises et emploi

Nouvelle note de la Fabrique de l’Industrie, rédigée par Alexandre Gazaniol, intitulée “Internationalisation, performance des entreprises et emploi”. Comme la première note sur le modèle allemand, il ne s’agit pas d’une analyse originale du sujet, mais d’une synthèse claire et bien documentée, avec majoritairement la présentation des résultats des analyses empiriques.

Résumé :

L’internationalisation des entreprises a un effet positif sur leur chiffre d’affaires, leur innovation et leur emploi en France, et contribue donc au développement de l’activité industrielle française.

Mais si son effet est globalement positif, cette internationalisation profite surtout aux emplois qualifiés (conception, fonctions supports) et provoque en contrepartie la destruction d’emplois peu qualifiés et parfois même la déstabilisation de certains territoires très spécialisés. Pour atténuer les effets négatifs de la mondialisation, les politiques publiques ont donc un rôle essentiel à jouer, notamment dans les domaines de l’emploi et de la formation.

On trouve dans la note ce tableau particulièrement intéressant, sur l’impact en France (je graisse et je souligne!) d’une implantation industrielle à l’étranger :

Trois ans après l’implantation, l’emploi en France augmente sensiblement. Dans la note, on apprend que ce résultat s’observe pour les entreprises qui s’implantent dans des pays développés, comme pour celles qui s’implantent dans des pays à bas coût. Je vous laisse tirer les conséquences de ce tableau. Et des autres résultats synthétisés dans la note.

Que valent les revues scientifiques? ou “Dis-moi la taille de ton sexe, je te dirai qui tu es”.

L’étude largement médiatisée sur l’expérience de Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen, avait commencé à m’interpeller. Pas mal de buzz dans le milieu de la recherche. Avec, au final, des doutes plus que sérieux sur la méthodologie employée et les conclusions tirées par le chercheur. Une des meilleures analyses sur le sujet, trouvée via @freakonometrics, est sans doute celle-là. Pour le dire vite, les résultats de l’expérience ne sont pas statistiquement significatifs. En gros, on ne peut rien conclure de cette étude sur la dangerosité de l’alimentation OGM. Ça ne veut pas dire que ce n’est pas dangereux, ça ne veut pas dire que c’est dangereux, ça veut dire qu’on n’en sait rien. Question ouverte par certains chercheurs, sur twitter : certes, mais si l’on passait au crible de l’analyse statistique l’ensemble des articles de biologie publiés dans des revues à comité de lecture, la moitié passerait à la trappe. Argument non suffisant pour accepter l’étude, mais qui jette un froid un peu plus large, je dirais.

Et là, ce soir, je découvre l’étude de Richard Lynn, publiée dans la revue Personality and Individual Differencies editée par Elsevier, revue référencée, au moins dans la rubrique psychologie, par la très sérieuse Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES). L’article est ici (accès payant). Avec une comparaison, à l’échelle mondiale, de la taille des pénis en érection et des stats par pays (pour une synthèse en français, voir ici. J’ai des stats sur le nombre de clics des liens que j’insère, je suis sûr que le lien précédent va battre des records). Sauf que les données sont pourries, la méthodologie douteuse, les résultats bidons.

Forcément, le chercheur que je suis, ça l’interpelle (j’euphémise). Deux articles publiés dans des revues à comité de lecture, autrement dit des articles évalués par 2, 3, 4, 5 chercheurs réputés compétents (le nombre dépend des revues), articles qui s’avèrent après coup plus que douteux, ça fait mal.

Que faut-il en déduire? Que le processus d’évaluation par les pairs (les chercheurs évaluent d’autres chercheurs) n’est pas infaillible. Il y a de mauvais articles dans des “bonnes” revues (tout comme il y a de bons articles dans des revues “mal classées”, car certains chercheurs s’auto-censurent, pensant ne pas pouvoir accéder aux meilleurs supports). Que ceci ne signifie pas que le processus est à rejeter totalement : aucun système n’est infaillible, l’évaluation par les pairs est sans doute le moins mauvais système. Il ne faut pas l’idéaliser, c’est tout.

Je prolonge un peu la réflexion, car j’ai pu participer ces dernières années à plusieurs concours de recrutement de Maître de Conférences, de Professeurs des Universités, de Chargé de Recherche ou Directeurs de Recherche de différentes institutions. Principalement en économie, mon expérience ne valant donc que pour cette discipline. L’économie, la science des choix, je rappelle.

J’ai été à plusieurs fois surpris (j’euphémise encore) par l’attitude de certains collègues, qui se contentaient, pour évaluer les candidats, de regarder le classement des revues dans lesquelles ils avaient publiés. Pas le temps de lire les articles ou autres productions, de toute façon. Avec une tendance à internaliser les normes les plus récentes assez sidérante. Capacité de réflexivité tendant asympotiquement vers zéro.

Sans doute certains auraient-ils pu plaider pour le recrutement d’un Gilles-Eric Séralini ou d’un Richard Lynn à l’aune du rang de leurs publications : après tout, ils ont publié dans de bonnes revues, et ils devraient avoir un nombre de citations phénoménal, l’un comme l’autre…

Les créateurs d’entreprise ne sont pas ceux que vous croyez…

Ça discute pas mal sur les réseaux sociaux autour de l’impact des mesures fiscales décidées par le gouvernement sur la création d’entreprise en France, certains évoquent la mort des auto-entrepreneurs, des start-up, etc.

Je ne me prononcerais pas sur le sujet, je souhaite juste apporter quelques éléments de réflexion (et quelques statistiques) sur la création d’entreprise en France, car mon sentiment est qu’il y a, de la part de certains, une sorte d’idéalisation de la figure du créateur d’entreprise, un peu comme si on avait affaire, de manière systématique, à des Bill Gates ou des Steve Jobs en puissance. La réalité est plus banale…

Petite analyse néo-institutionnaliste, à la Coase, un brin cynique. Plaçons nous dans la situation d’un individu qui souhaite disposer, chaque mois, d’un revenu pour couvrir ses dépenses. Plusieurs solutions s’offrent à lui :

  • occuper un emploi dans une entreprise, une administration, une association, …
  • créer une entreprise pour se dégager un revenu,
  • rester inactif et vivre du revenu de son conjoint ou d’une autre personne (patrimoine hérité par exemple), ou vivre mal, tout simplement…
  • vivre d’une allocation de l’Etat (allocation chômage par exemple si on ne parvient pas à trouver un emploi),
Le “choix” entre ces différentes possibilités dépend du gain espéré de la situation (est-ce que je vais réussir à décrocher un emploi? combien vais-je être payé? quelle est la nature du contrat de travail? Si je suis au chômage, quel sera le montant de l’allocation? Pour quelle durée? Si je créé mon entreprise, quel chiffre d’affaires j’espère dégager? Est-ce que mon entreprise sera pérenne? etc.) et du coût que je dois supporter pour accéder à cette situation (coût de prospection d’un emploi, coût de création d’une entreprise, contraintes imposées aux bénéficiaires d’allocation, etc.).
Toute chose égale par ailleurs, si vous durcissez les conditions sur une alternative, les acteurs, qui réagissent aux incitations, vont se tourner vers une autre alternative. Si, par exemple, vous durcissez les conditions nécessaires pour toucher des allocations chômage, certains chômeurs vont tenter de créer leur entreprise. Ils ne se rêvent pas Bill Gates ou Steve Jobs, ils veulent juste manger à la fin du mois… Idem pour chaque alternative.
Que nous apprennent les statistiques à ce sujet? Sans surprise, les créateurs d’entreprise sont surreprésentés parmi les chômeurs…
Ce tableau est issu de ce document de l’Insee. 34% des créateurs d’entreprise de 2002 sont des chômeurs, proportion qui monte à 40% en 2006. Comme la part des chômeurs dans la population est très inférieure à ces chiffres, on en déduit que la propension à créer son entreprise est beaucoup plus forte pour les chômeurs. Que cette part augmente logiquement quand le chômage augmente et/ou quand le niveau des allocations baisse, ou encore quand les conditions de leur attribution se durcissent.
Autre élément issu du même document, la raison principale de la création d’entreprise :
Là encore, sans surprise, l’objectif essentiel est d’assurer son propre emploi. Avant de conquérir le monde, éventuellement…
On peut mobiliser le même raisonnement pour s’étonner de l’émoi suscité par le franchissement de la barre des trois millions de chômeurs. Je signale en effet, chiffres à l’appui, qui si on ajoute les personnes au chômage et les personnes inactives qui souhaiteraient occuper un emploi (catégories 3 et 4 de ma petite typologie), cela fait longtemps qu’on a passé cette barre… 3,3 millions pour 2011… Là encore, si vous durcissez les conditions d’attribution des allocations chômage, le taux de chômage stricto sensu va diminuer, mais le “halo” du chômage (qui intégre les inactifs souhaitant travailler) va augmenter.
Je reviens à mes moutons (les créateurs d’entreprise), en mobilisant un autre document de l’Insee, qui nous renseigne sur les auto-entrepreneurs. Catégorie un peu particulière, car pour partie il peut s’agir de personnes qui souhaitent percevoir un revenu complémentaire en se simplifiant la vie. Un professeur d’université peut par exemple arrondir ses fins de mois en faisant un peu de consulting, via ce statut (ce n’est pas mon cas, je précise, mais ça existe et c’est plutôt rationnel). Dans tout un ensemble de cas, cependant, il s’agit de personnes qui souhaitent percevoir des revenus plutôt que de rester au chômage. La simplification de la procédure de création d’entreprise via ce statut a conduit à une explosion du nombre d’auto-entrepreneurs. Non pas que des Bill Gates ou des Steve Jobs soient apparus en puissance en France, mais simplement que la structure des gains et des coûts entre les différentes alternatives en a été modifié.
Quel bilan? 30% des auto-entrepreneurs étaient auparavant chômeurs. Résultat conforme aux chiffres précédents. Chiffre d’affaires plutôt faiblard, en moyenne de 1000€ par mois (avec toute la difficulté liée au fait que pour certains, il ne s’agit que d’une activité accessoire, il faudrait des chiffres plus précis). Pas mal de création dans le conseil (activité accessoire?), le commerce, le service aux ménages et la construction. On est toujours loin de Steve Jobs.
En résumé, on peut contester le projet de réforme fiscale, on peut défendre la création d’entreprise, mais autant en avoir une vision plus conforme à la réalité…

Les soutiens de Copé sont-ils plus Lepénistes que les soutiens de Fillon?

Le Monde a publié la liste des députés et sénateurs qui soutiennent soit Copé, soit Fillon. Jean Véronis, sur Twitter, s’est interrogé : “quelqu’un peut-il calculer la corrélation avec le vote Le Pen?”

Ni une ni deux, j’ai regardé en vitesse comment récupérer des données pour tester un lien éventuel : i) j’ai récupéré la liste publiée par Le Monde, ii) je me suis concentré sur les députés, iii) j’ai ensuite récupéré la liste des votes au premier tour des élections présidentielles 2012, par circonscription législative où des députés UMP ont été élus, pour en extraire le pourcentage de vote “Marine Le Pen” et le pourcentage de vote “Nicolas Sarkozy”, iv) j’ai du faire quelques manipulations fastidieuses pour apparier les deux bases (préparer une base de données est ce qu’il y a de plus chiant long).

Au final, je me suis doté d’une base qui me donne, pour chaque député UMP :

  • son sexe : homme ou femme
  • son soutien : Copé, Fillon ou autres
  • le pourcentage de vote Le Pen au premier tour des présidentielles 2012
  • le pourcentage de vote Sarkozy au premier tour des présidentielles 2012
  • la commission permanente de l’Assemblée Nationale dont il fait parti
A partir de là, j’ai fait des tests de comparaison de moyenne : est-ce que, en moyenne, le pourcentage de vote Le Pen au premier tour des présidentielles 2012 est significativement supérieur dans les circonscriptions des députés UMP qui soutiennent Copé? Pour élargir le propos, j’ai fait le même test sur le pourcentage de vote Sarkozy. J’ai ensuite testé un petit modèle (un logit multinomial on dit pour faire sérieux), avec comme variable expliquée la probabilité de soutenir Fillon, de soutenir Copé ou de ne soutenir ni l’un ni l’autre, et comme variables explicatives le sexe, le pourcentage de vote Le Pen, le pourcentage de vote Sarkozy et la commission permanente d’appartenance.
Résultats sur les différences de moyenne de vote au premier tour :

 (%) Le Pen Sarkozy
Fillon 19,3 32,4
Copé 19,4 31,7
Autres 18,6 31,2
Il y a quelques légères différences, mais encore faut-il savoir si elles sont statistiquement significatives. J’ai testé, la réponse est non : pas de différences significatives.
Quant à mon petit modèle plus sophistiqué, il nous dit la même chose : ni le vote Le Pen, ni le vote Sarkozy, ni le fait d’être un homme ou une femme n’influent sur la probabilité de soutenir plutôt Copé, plutôt Fillon, ou ni l’un ni l’autre. Le seul tout petit effet significatif est le fait d’appartenir à la commission permanente “Défense”. Dans ce cas, on penche plutôt du côté de Copé.
Moralité? Copé ou Fillon, à l’aune des variables testées, c’est Dupont T et Dupond D…
PS ; si quelqu’un veut ma base pour tester les mêmes choses ou d’autres choses, poster un commentaire avec votre mail.