Territoires zéro chômeur : ce que dit le comité scientifique

A l’heure où députés et sénateurs débattent sur une proposition de loi d’extension de l’expérimentation “territoires zéro chômeur de longue durée”, j’ai souhaité rédiger une tribune sur les principales conclusions et recommandations autour desquelles les membres du comité scientifique que je préside ont convergé. Le Monde a accepté de la publier, elle est visible ici (€). J’ai également donné une interview pour Alternatives Economiques, visible ici (€).

Les principaux messages sont les suivants :

  • l’expérimentation est très positive pour les bénéficiaires, sur leur vie professionnelle et personnelle. Sur les impacts hors travail, parmi les derniers résultats que nous avons obtenu grâce à la passation de deux vagues d’enquête auprès des bénéficiaires, on montre notamment qu’ils renoncent moins aux soins et qu’ils ont un sentiment de bien être significativement supérieur à des personnes ayant les mêmes caractéristiques mais n’ayant pas bénéficié de l’expérimentation,
  • nous avons observé cependant tout un ensemble de problèmes de mise en œuvre sur les premiers territoires, liés sans doute pour partie à la volonté des porteurs de projet d’atteindre rapidement l’exhaustivité (c’est-à-dire de recruter l’ensemble des personnes durablement privés d’emploi) : problème de management, difficulté à atteindre un niveau suffisant d’activité, anticipation insuffisante des besoins de formation et d’accompagnement, … Certains de ces problèmes ont été réglés chemin faisant, il convient que les futurs territoires les anticipent,
  • s’agissant du modèle économique, l’objectif de neutralité financière n’est pas atteint, pour partie car le chiffre d’affaires des entreprises créées est inférieur à ce qui était escompté, pour partie en raison du fait qu’une part non négligeable des personnes recrutées ne percevaient pas avant embauche d’allocations chômage ou de prestations sociales, si bien que l’Etat économise moins que prévu suite à leur retour à l’emploi. C’est ce point qui fait débat, y compris au sein du comité scientifique : certains considèrent qu’il y a un problème de ciblage qu’il convient de régler ; d’autres (la grande majorité des membres du comité scientifique) considèrent que c’est en partie lié à des phénomènes de non recours, il convient donc d’assumer que cette expérimentation coûte plus que prévu et ne soit pas neutre financièrement, au moins à court et moyen terme.

Sur la base de ces résultats, le comité scientifique recommande une extension prudente de l’expérimentation, à un nombre limité de territoires suffisamment prêts. Dans cette perspective, il nous semble important que le cahier des charges auquel devront se conformer les nouveaux territoires intègre nos recommandations, notamment : i) bien anticiper et remédier aux problèmes de mise en oeuvre, ii) impliquer l’ensemble des acteurs potentiellement concernés (y compris les acteurs de l’insertion par l’activité économique et les entreprises privées) et s’assurer d’une gouvernance locale de qualité, iii) anticiper l’ensemble des besoins de financement (pour l’investissement dans les locaux, les machines, les besoins de formation et d’accompagnement des personnes) et avoir une idée claire de la trajectoire financière, iv) procéder à une sélection rigoureuse des bénéficiaires pour éviter une rupture d’égalité entre les territoires.

Pour ce qui est du modèle économique, enfin, ce qu’il convient de viser c’est sans doute moins la neutralité financière que la capacité de l’expérimentation à ramener vers l’emploi des personnes qui en ont été durablement privées, et à maximiser les effets positifs sur ces personnes, leur entourage et leur territoire d’appartenance.

La renaissance des campagnes

Vincent Grimault livre un ouvrage bienvenu et particulièrement stimulant intitulé « la renaissance des campagnes ». Loin des discours binaires opposant la France des métropoles à la France périphérique, il propose une enquête approfondie au sein des campagnes françaises, pour en montrer leurs fragilités mais aussi leurs forces.

Après un premier chapitre qui montre la difficulté à définir le monde rural, sa diversité, ainsi que la nécessité de le penser en articulation avec le monde urbain, trois chapitres s’organisent autour de l’histoire singulière d’un ou de plusieurs terrain d’études : le chapitre deux se focalise sur les campagnes fragiles et les exemples de Saint Flour, Saales et Brioude, le chapitre trois sur la renaissance des campagnes et l’exemple de la vallée de la Drôme, le chapitre quatre sur les campagnes productives et les exemples des Herbiers et d’Albi. Le chapitre cinq cherche enfin à identifier les ingrédients de la réussite des territoires, l’auteur insistant notamment sur la qualité de la gouvernance locale, la capacité des acteurs à valoriser des ressources locales spécifiques, ou encore la qualité de l’accompagnement public.

L’une des forces indéniables de l’ouvrage tient au fait que Vincent Grimault appuie son argumentation sur un ensemble large de matériaux complémentaires :  les statistiques disponibles, les résultats des travaux académiques des économistes, géographes ou urbanistes, complétés par des entretiens auprès de chercheurs spécialistes du sujet, des enquêtes approfondies sur les différents terrains choisis nourries là encore d’entretiens auprès d’acteurs, le tout restitué dans un style clair et efficace.

L’un des autres intérêts de l’ouvrage tient au fait qu’il fourmille de mille « petites histoires », d’entreprises, d’individus, de territoires, que l’auteur met en perspective pour monter en généralité. A la lecture, on découvrira notamment les secrets de la renaissance de la lentille blonde à Saint-Flour, les raisons du succès plus probant du Comté par rapport à celui du Cantal, les ressorts du miracle vendéen, et bien d’autres choses encore.

L’ouvrage est résolument optimiste et il est vrai que son contenu nous y invite : y compris dans les campagnes fragiles, il se passe des choses passionnantes, initiées par des acteurs créatifs. Nul doute qu’il passionnera les personnes intéressées par le monde rural, plus généralement par la vie économique des territoires.