Stratégies absurdes dans la police et la gendarmerie

Nouvelle illustration des dégats résultant d’un management centré sur la définition et le suivi d’indicateurs de performance, avec cette interview de Laurent Mucchielli, Directeur de Recherches au CNRS.

Extraits :

Ainsi, si le nombre de morts sur les routes ne baisse plus, on demande de refaire un maximum de contrôles routiers.
Mais les infractions routières ne sont pas « rentables », parce que non comptabilisées dans l’état 4001. Donc, on ne peut pas le faire trop longtemps, sinon on risque de se faire réprimander pour ses « mauvais chiffres ». Alors on ira faire des ILS (infractions à la législation sur les stupéfiants) ou des ILE (infractions à la législation sur les étrangers) et on s’occupera davantage de toutes les atteintes aux personnes, même les plus bénignes parce que ça c’est très « rentable » au contraire. Ce sont des faits constatés et surtout des faits élucidés.

(…)

il faut comprendre que les « indicateurs de performance » ne rendent compte que d’une partie des activités des fonctionnaires : l’activité répressive. Or, dans les services non spécialisés (qui sont les plus nombreux), sur le terrain, au quotidien, souvent la moitié voire davantage encore du temps de travail des policiers et gendarmes est un travail d’urgence sociale, de police secours. Mais cette part plus sociale du métier n’est pas reconnue, elle est même souvent dévalorisée. Il n’y a aucun indicateur pour cela et c’est très regrettable. Le temps de patrouille, de discussion, d’aide sociale finiront par être conçus comme du temps perdu. Ce jour là, la coupure entre police et population sera achevée.

Une bonne nouvelle cependant : le nombre de gardes à vue n’est plus un indicateur positif de performance policière. Leur nombre devrait donc rapidement diminuer…

Quelques billets sur le même sujet :

Incitation et contrôle, toujours
Bonus des managers : ca innove en Allemagne
La crise pousse à la fraude
Les stratégies absurdes
Carotte ou bâton?

Euro 2016 en France : quel impact économique ?

La France va accueillir l’Euro 2016 de football. Est-ce une bonne chose sur le plan économique? On peut commencer par
regarder ici, les retombées économiques de la coupe du monde 2006 organisée en Allemagne, ainsi que celles liées à la coupe du monde de rugby organisée en France (diaporama ici, rapport (en) ).Bilans
positifs.

J’ai vu passer sur un blog il n’y a pas très longtemps une étude beaucoup plus nuancée sur un autre évènement sportif,
mais je n’ai pas retrouvé l’article. N’hésitez pas à poster des références complémentaires.

Mobilité spatiale et emploi

Conférence intéressante sur Poitiers d’Eric Le Breton, sociologue rennais, sur la question des mobilités. Il a notamment proposé une typologie plutôt
convaincante des personnes : i) les ubiquistes, ii) les navetteurs, iii) les insulaires. Termes suffisamment clairs pour que je ne développe pas sur les caractéristiques de chacun. Je doute
cependant de la réalité de la première catégorie, correspondant à des personnes ultra-mobiles. Je veux bien s’agissant de la mobilité temporaire (dans le travail ou lors des vacances), je
m’interroge plus sur leur mobilité résidentielle. J’ai le sentiment que, y compris pour ces personnes, l’inertie spatiale n’est pas négligeable. Pas eu le temps de lui poser la question, je vais
enquêter…

 

Dans la discussion suite à sa présentation, il a évoqué les recherches d’une autre sociologue, Cécile Vignal, sur la
question de la mobilité des salariés suite à la décision de délocalisation (infra-nationale) d’un établissement. Après quelques recherches, j’ai trouvé cet article, visible ici, dont je vous livre quelques extraits de l’introduction :

 

« En 2000, les trois cents salariés d’une usine de câbles électriques de Laon (Picardie) furent confrontés à la
fermeture de leur établissement et à la délocalisation des emplois à deux cents kilomètres de leur domicile. (…)

L’ensemble des salariés dut choisir entre trois options : accepter la mutation de leur emploi à Sens, ou bien tenter une
mutation d’essai d’au moins six mois dite « période probatoire », ou bien encore opter pour le licenciement. (…)

Quelques indicateurs permettent de décrire rapidement le profil des salariés refusant la mutation : être propriétaire ou
accédant à la propriété de son logement, appartenir à un ménage composé d’une famille avec enfants, être âgé de plus de quarante ans. Les dimensions socioprofessionnelles, comme le fait d’être
ouvrier ou d’appartenir à un couple bi-actif, se conjuguent souvent chez les salariés qui optent pour le licenciement. »

 

J’ai trouvé dans l’article cette référence à une autre étude: « l’enquête « Proches et parents » réalisée en 1990
par l’INED révèle que malgré les migrations et grâce au processus de concentration urbaine, une personne sur cinq habite la même commune que sa mère, et plus de une sur deux le même
département
(Bonvalet et al., 2003). » (souligné par moi).

J’ai le vague sentiment qu’on néglige trop souvent l’inertie des comportements…

Facebook, twitter, etc…

J’ai créé il y a quelques temps une page facebook et un compte twitter. Histoire de voir ce que ça pouvait donner. L’idée est d’y poster les billets de mon
blog, ainsi que quelques petits billets/notes moins politiquement corrects.


Seul problème avec ma page Facebook : ceux qui veulent suivre doivent être mes amis, je peux alors suivre leur propre
actualité, ce qu’ils ne veulent pas forcément. J’ai donc décidé de créer un groupe Facebook, permettant de suivre mon blog sans que je suive votre page. Il suffit de s’y abonner en cliquant ici.

Inégalités et comportement, oeuf et poule

Traduction approximative d’un billet de Chris Dillow. Toute remarque bienvenue.

Imaginez deux personnes ayant exactement les mêmes caractéristiques à la naissance. Appelons-les Pierre et Paul. Le
père de chacun d’eux travaille dur. Cependant, un jour, le plus grand établissement de la ville ferme : le père de Paul est licencié, il peine ensuite à en trouver un autre. Paul en infère
que travailler dur ne paie pas. Il désinvestit les études, et, à l’âge adulte, il alterne larcins, petits boulots et chômage.

A l’inverse, Le père de Pierre, qui travaille tout aussi dur que le père de Paul, progresse dans son entreprise en
obtenant régulièrement de nouvelles promotions. Pierre en déduit que travailler dur paye, il s’investit dans ses études et réussit brillamment professionnellement.

Regardons maintenant les inégalités de revenu entre Pierre et Paul. Nous pouvons considérer qu’elles sont
méritées : après tout, Pierre a travaillé et travaille dur, à l’inverse de Paul.

Mais ces différences de comportement résultent d’un « accident » lors de leur enfance. Dès lors, les
inégalités de revenu sont-elles méritées ?

On se trouve face à une question du type « qui de la poule et de l’œuf ? ». Est-ce que ce sont les
différences de caractère qui conduisent à des différences de circonstance ? Ou bien est-ce que ce sont les différences de circonstance (pendant l’enfance) qui conduisent à des différences de
caractère ?

C’est à ce niveau qu’on trouve une différence essentielle entre la droite et la gauche. La droite considère que la
causalité vient du caractère, la gauche des circonstances. Je penche plutôt pour la dernière explication ; l’homme est un animal social.

Mais comment savoir qui, au final, a raison ? Quel expérience pourrait-on mener, quelle preuve
avancer ?

 

En complément : j’ai toujours été agacé par les interviews de personnes ayant réussi, quelque soit le domaine. A un
moment où à un autre, ils avancent l’idée qu’ils ont travaillé dur pour réussir. D’où la causalité suivante : j’ai réussi parce que j’ai travaillé dur. On devrait arrêter d’analyser les
success stories
, qui aboutissent inévitablement à ce type de proposition. Je pressens qu’une analyse des failure stories aboutirait à la même proposition, mais à une causalité
inverse : j’ai travaillé dur, mais j’ai échoué…

Adam Smith n’est pas un économiste

Un des passages les plus fameux de la Richesse des Nations d’Adam Smith est sans doute celui concernant la manufacture d’épingles, base de son analyse de la division du travail. Une étude de cas. Aucun modèle, aucun traitement économétrique.
Une étude de cas. Du descriptif, quoi.

Nous pouvons donc affirmer, aujourd’hui, qu’Adam Smith n’est pas un économiste. Un sociologue, à la
rigueur…


Ps : idée reprise de ce texte, que
je viens de relire, au moment où les auditions des candidats aux postes de Maître de Conférences en Economie se déroulent un peu partout en France.

L’évaluation en SHS

Via le blog Evaluation de la recherche en SHS, je
découvre le second rapport du Conseil pour le Développement des Humanités et des Sciences Sociales.
Une bonne partie est consacrée à la question de l’évaluation en SHS. On reste dans des propos généraux, certes intéressants, mais la question de l’opérationnalisation de ces propositions me
semble être le point le plus difficile. Il s’agit d’un rapport d’étape daté de mars 2010, le rapport final doit être remis fin juin 2010, à suivre donc…

Etrange argumentaire gouvernemental…

J’avoue que je reste sans voix devant la puissance du raisonnement de certains de nos ministres…

Sur la question de la réduction de leur rémunération, d’abord (voir ici). Eric Woerth affirme “Si je devais
baisser mon salaire cela voudrait dire que les salaires des agents publics baissent aussi, ce dont il n’est pas question”. Georges Tron le suit : “Il n’y a pas de raison de baisser le salaire des
ministres en France puisque le salaire des fonctionnaires ne baisse pas.” Je ne peux que souscrire. Comme on ne remplace qu’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, je propose, lors du
prochain remaniement, de fermer un ministère sur deux. Il n’y a pas de raison de faire différemment (on peut aussi généraliser au privé : l’accroissement de la rémunération d’un dirigeant ne peut
excéder celle de ses salariés. Ce serait rigolo, tiens!).

Sur le voile intégral, ensuite et surtout, les réactions à la réaction du Conseil d’Etat sont savoureuses (voir ici) : le conseil d’Etat estimant qu’une
interdiction globale ne reposerait sur “aucun fondement juridique incontestable”, Coppé commente “Si la recommandation est ‘ne faites rien’, je dis ce n’est pas acceptable”. il
est un peu glob/pas glop Jean-François… Le Conseil d’Etat a juste dit qu’une interdication globale était problématique, pas qu’il ne fallait rien faire…

La suite est encore plus délicieuse :  “Il existe aujourd’hui des interdictions générales et absolues : par
exemple, on n’a pas le droit de se balader tout nu dans la rue sinon on est sanctionné”
. Je sais pas comment il est passé des femmes en burqa à des gens tous nus dans la rue… un peu
pervers, le type, quand même… Remarquez, je suis d’accord avec lui : ça va poser un problème pour les femmes nues sous leur burqa, tout ça. A tous les coups elles perdent…


Bon, c’est bien gentil toutes ces petites diversions, mais ça nous donne pas la réponse à la seule question qui vaille :
c’est quand qu’il augmente les impôts not’gouvernement? Et comment il s’y prend? Parce que franchement, aujourd’hui, tout le reste me semble très accessoire…

Le travail, c’est la santé?

Nouvelle petite chronique pour 7 à Poitiers, titrée “Le travail, c’est la santé?”. Je rédige ces petits billets une fois tous les 2 mois environ. J’ai décidé de les archiver ici (le lien figure dans la rubrique “mes liens”, colonne de gauche).

S’agissant de ce dernier billet, les résultats de l’enquête évoquée au début sont tirés du rapport Wasmer/Lemoine dont j’ai parlé ici. La suite est une interprétation libre de ces chiffres, à partir notamment de l’ouvrage de Beauvallet.

Le travail, c’est la santé?

Trouvez-vous votre travail stressant : toujours, souvent, parfois, rarement ou jamais ? C’est la question qui a été posée à des salariés de 32 pays, en 2005, dans le cadre de l’enquête International Social Survey Program. La France apparaît comme le pays le plus stressé de l’échantillon : 14 % des Français employés à plein-temps répondent toujours, 32 % répondent souvent, soit presque un salarié sur deux, 43 % répondent parfois. Seuls 7,3 % répondent rarement et 3,7 % répondent jamais.

Comment expliquer ce « score ». Une partie de l’explication tient sans doute à la diffusion plus rapide qu’ailleurs des dernières modes manageriales : dans de nombreuses entreprises et institutions (y compris publiques), on commence par définir des indicateurs de performance, on fixe sur cette base des objectifs aux salariés, qui sont récompensés s’ils les atteignent (la carotte), mais qui sont sanctionnés s’ils échouent (le bâton). Et la période suivante, on monte d’un cran les objectifs.

Quand ce n’est pas en interne qu’une telle pression est mise, c’est vis-à-vis des sous-traitants. Les entreprises ont en effet massivement procédé à l’externalisation de tâches préalablement réalisées en interne. Un des avantages essentiels de ce type de stratégie est précisément de reporter la pression sur le sous-traitant. On lui fixera des objectifs de plus en plus serrés, à lui de se débrouiller pour les atteindre. Et le sous-traitant de rang 1 de procéder de même vis-à-vis du sous-traitant de rang
2, puis de rang 3, etc.

Stratégie efficace à court terme, mais calamiteuse à long terme. D’un point de vue
psychologique et social, bien sûr, mais aussi d’un point de vue économique. Il est temps que la mode change…

Après les pôles de compétitivité, les grappes!

La Datar a lançé une nouvelle politique de soutien à l’innovation des territoires, avec la notion de grappes d’entreprises. 42 grappes viennent d’être sélectionnées (dont une en
Poitou-Charentes, Atlanpack (voir ici page 16 pour un descriptif). Qu’est-ce qu’une grappe? Selon
la Datar, les grappes d’entreprises sont constituées de TPE/PME d’un même secteur d’activité et sont ancrées dans un territoire.

Je suis désolé mais, j’ai été critique sur les pôles de compétitivité (voir ce billet sur Débat 2007), je reste critique sur cette nouvelle politique,
qui vise à soutenir une forme très particulière d’organisation territoriale, érigée en une espèce de nouveau modèle, sans que l’on nous apporte des preuves de l’intérêt d’une telle forme
d’organisation.  Pourquoi un même secteur? Pourquoi cet ancrage territorial? Il existe des configurations territoriales très différentes, sans que l’on puisse démontrer la supériorité de
l’une d’entre elles. Sur la base des deux critères mentionnés, on peut par exemple avoir les configurations suivantes :


Configurations possibles

Ancrage territorial

faible

Fort

Spécialisation sectorielle

Faible

A

B

Forte

C

D

 

La Datar souhaite soutenir la configuration D. Mais encore une fois, où sont les preuves de la supériorité de cette
configuration? Je signale en passant que certains territoires qui sont dans cette configuration peuvent voler en éclats en cas de choc important sur le secteur en question.

Que devrait faire la Datar, alors? Mon sentiment est qu’il faut qu’ils arrêtent de chercher le modèle optimal (SPL puis
Pôles de Compétitivité puis Grappes d’entreprises), un tel modèle n’existe pas. Bien sûr, si vous dites ça à des personnes de la Datar (je leur  ai dit à plusieurs reprises, pour avoir été
invité dans différents groupes de travail), elles ont du mal à l’entendre (on va perdre notre job, alors?).

Mais comme je suis un type gentil, je peux leur proposer un nouveau boulot : ce qu’ils pourraient apporter aux
territoires, c’est plutôt de la méthodologie d’analyse de leurs caractéristiques propres, des outils d’accompagnement des exercices de diagnostic territorial et de prospective. A charge ensuite
pour les territoires, compte-tenu de leurs analyses et des problématiques locales identifiées, de proposer des réponses adaptées. La Datar pourrait ensuite soutenir les projets qui semblent le
mieux répondre aux problématiques identifiées,  ces projets pouvant prendre, vous l’aurez compris, des formes très diverses.

On serait alors sur de véritables politiques territorialisées. Pour l’instant, la Datar n’a pas entendu ce
message.

 

NB : voir aussi ce billet d’Hélène Perrin-Boulonne, également critique,
qui va dans le même sens que le mien.