L’évolution des salaires dans les pays low cost

Les pays low cost sont confrontés à quelque chose qui ressemble à une contradiction interne : ils disposent d’un avantage en termes de
coût du travail, qui permet un développement rapide, attire de l’investissement étranger, mais ce supplément de création de richesse conduit à une élévation des salaires et donc à une réduction
progressive de leur avantage initial.

J’explique souvent ce processus en m’appuyant sur une comparaison France/Tchéquie : en 1996, le coût de l’heure de travail était 8 fois
plus important en France, la productivité du travail était 2 fois plus forte, le coût salarial unitaire, rapport du coût de l’heure de travail et de la productivité horaire du travail, était donc
4 fois plus important en France qu’en République Tchèque. En 2002, soit 6 ans plus tard, ce rapport de 4/1 était tombé à 2,5/1. Pourquoi? Le différentiel de productivité a peu évolué sur la
période, c’est du côté des salaires que les choses ont bougé, le rapport entre le coût de l’heure de travail entre les deux pays passant de 8/1 à 5/1.

Cette mécanique n’a cependant rien de naturel : son ampleur et son rythme dépendent notamment des rapports de force entre les
collectifs d’acteurs, les salariés ayant des marges de manoeuvre plus ou moins importantes pour négocier des augmentations de salaire (d’où des interrogations sur l’ampleur de cette dynamique
pour un pays comme la Chine, compte tenu du régime politique en place et de “l’armée de réserve” sur laquelle peuvent compter les entreprises…).

L’organisation International du Travail vient de livrer un ensemble de statistiques particulièrement
intéressantes sur ce sujet. On y découvre notamment ce tableau (page 16) :

 

Croissance cumulée des salaires (base 100 en 1999)
1999 2006 2007 2008 2009
Pays avancés 100 104.2 105 104.5 105.2
Europe centrale et orientale 100 144.8 154.4 161.4 161.3
Europe orientiale et Asie centrale 100 264.1 308.9 341.6 334.1
Asie 100 168.8 180.9 193.8 209.3
Amérique latine et Caraîbes 100 106.7 110.3 112.4 114.8
Afrique 100 111.2 112.8 113.4 116.1
Monde 100 115.6 118.9 120.7 122.6

 

Les salaires ont peu évolué dans les pays avancés (multiplication par 1,05 sur 10 ans), alors qu’ils ont fortement évolué en Asie
(multiplication par plus de 2). On peut compléter grace aux données en annexe. Je reprend ici les chiffres pour la Chine et la France : 

Croissance des salaires mensuels moyens réels, en % par année
2000-2005 2006 2007 2008 2009
France 0.6 0.5 1.5 2.7 -0.8
Chine 12.6 12.9 13.1 11.7 12.8

 

 

La Chine n’échappe donc pas à la mécanique rappelée plus haut.

S’agissant du rôle des rapports de force entre collectifs d’acteurs, le rapport nous apprend que “les salaires sont mieux alignés sur la productivité dans les pays où la négociation collective couvre plus de 30 pour cent des employés”.

Je vous laisse découvrir les autres éléments qui figurent dans ce rapport, vraiment instructif sur de nombreux aspects.

 

 

Le blog du globe

Vous connaissiez peut-être déjà le site Histoire Globale
animé par des chercheurs et des journalistes de Sciences Humaines? Vous allez maintenant pouvoir découvrir le blog Histoire
globale
, qui  “publie chaque semaine (en principe le lundi) un billet ou un court texte portant, soit sur un thème particulier, soit sur les objectifs et méthodes de l’histoire globale,
soit sur une oeuvre d’un auteur significatif de la discipline. Il entend aussi montrer comment l’histoire globale peut éclairer certains enjeux du monde contemporain.”

Dernier billet en date, par Philippe Norel : Les chinois ont-ils découverts l’Amérique en 1421?

A suivre!

relocalisations : une bulle médiatique?

Depuis quelques mois, je reçois régulièrement mails et coups de fils au sujet des relocalisations. Les derniers en dates
: M6, Metro, Challenge, Marianne, TF1, RFI, Terra Eco, France 2, etc, etc… Avec toujours les mêmes questions : les relocalisations pèsent-elles beaucoup? (réponse : non) vont-elles se
développer fortement? (non) Est-ce un remède à la crise? (non) Que pensez-vous des primes à la relocalisation proposées par Estrosi? (c’est du marketing politique). Auparavant, c’était les
délocalisations qui retenaient l’attention des médias.

Question : l’emballement médiatique s’explique-t-il par une accélération du phénomène réel ou s’agit-il de quelque chose ressemblant à du mimétisme médiatique (machin et truc en ont parlé, donc
on en parle)? Pour en juger, il faudrait disposer de données sur l’importance du phénomène et de données sur l’importance de la médiatisation du phénomène. Difficile sur le premier point, car on
n’a pas de statistiques régulières sur les délocalisations/relocalisations.

Pour l’approcher un peu, cependant, je me suis appuyé sur les statistiques de la Banque de France sur les IDE sortants de France, en calculant la part des IDE à destination des pays hors de la
Triade (Etats-Unis, Japon, UE à 15) sur l’ensemble des IDE sortants. C’est bien sûr insatisfaisant, car tout IDE n’est pas une délocalisation, car on a des formes de délocalisation non prises en
compte dans les IDE (fermeture d’un site + sous-traitance internationale), etc… mais à ma connaissance, on n’a pas mieux.

J’ai également collecté de l’information sur les articles de presse incluant le terme de délocalisation pour trois grands quotidiens : Le Monde, Les Echos et le Financial Times (pour ce dernier,
j’ai mis comme mot-clé “relocation or offshoring”). Résultat des courses sous forme graphique :

statsdeloc
Résultat intéressant, non? La courbe des IDE sortant hors triade évolue peu, alors que le nombre d’articles dans les trois quotidiens connaît un pic important en 2004. Plus généralement, les
courbes “nombres d’articles” semblent très bien corrélées sur toute la période.

A l’occasion, je collecterai l’information sur l’item relocalisation, ça ne m’étonnerait pas qu’on observe un pic en 2009…

Qu’elle était verte, ma Région ! (épisode 1)

La croissance verte est très présente dans les discours de nos politiques. La question est de savoir si, dans les faits, elle se
développe aussi vite.

Une des difficultés pour se prononcer sur cette question est celle des données disponibles, car i) la définition de la croissance verte
est plutôt floue, ii) il s’agit d’activités transversales aux secteurs. Plusieurs sources commencent cependant à être mobilisables. Je vous propose de poster quelques billets sur le sujet, à
mesure que je traite les informations que j’ai pu collecter.

Premier exercice sur des données relatives à l’agriculture biologique, disponibles dans ce document. On y trouve des données sur les surfaces certifiées bio et celles en
conversion, en 2008, par Région. Faire des calculs directement sur ces surfaces n’est pas pertinent, il faut rapporter les surfaces bio/en conversion à l’ensemble de la SAU (Surface Agricole
Utile), pour éliminer les effets de taille du secteur agricole.

Pour pouvoir comparer des séries d’origine différentes (qui viendront dans mes prochains billets), on peut de plus diviser ces rapports
par la moyenne France entière : un indice de 100 signifie dès lors que la part du bio dans une région donnée est égale à la part observée, en moyenne, France entière. Un indice supérieur à
100 signifie que cette région est plus « bio » que la moyenne, un indice inférieur à 100 qu’elle est moins « bio ». On obtient alors ceci :

bio.jpg

 

La moyenne France entière est de 2,12%. L’indice de PACA (363) signifie donc que la part du bio dans cette région leader est égale à
3,63 * 2,12% = 7,70%. Je vous laisse découvrir les résultats. En complément, j’ai construit un nuage de point qui croise mon indice et la taille SAU de la région, (non reproduit ici) :  pas
de relation apparente.

Des données complémentaires disponibles
ici
permettent de se faire une idée des « scores » par département. Je me concentre juste sur Poitou-Charentes. Les différences départementales sont très faibles : part de 1,3%
en moyenne en Région, avec 1,2% en Charente et Charente-Maritime, 1,4% dans les Deux-Sèvres et 1,5% dans la Vienne.

Il convient bien sûr de prendre des précautions dans l’interprétation de ces résultats, car des effets de structures peuvent en
expliquer une partie : supposons que la conversion bio de certaines productions soit plus facile, une région spécialisée dans cette production présentera de meilleurs « scores ».
Les données en ligne ne permettent cependant pas de neutraliser ce type d’effet, mais si l’Agence Bio en dispose, ce serait pas mal qu’ils complètent.

Les résultats sur ces données seront-ils confirmés par les autres données ? Suite au prochain épisode…

Réforme de la justice

Maitre Eolas a été interrogé récemment par over-blog.
question : 178 tribunaux ont fermé en même temps que nous changions d’année, pensez-vous que l’on ait confondu les notions de “réforme” et de “massacre à la tronçonneuse” ?
réponse : Non. Ce serait faire injure à Massacre à la Tronçonneuse qui a une cohérence interne.

Dans le même genre, harcelé par ses lecteurs sur l’arrivée au barreau de Rachida Dati, il précise : “Je n’ose
me lancer dans un panégyrique des mérites de ma future consœur, car pour être fidèle à ma réputation, je dois faire un billet long.”

Ce n’est bien sûr pas seulement pour ces formules savoureuses qu’il convient de le lire…

PS : Depuis que je tiens un blog, je lis assidument ceux de deux juristes : Maître Eolas, donc, ainsi que Jules de Diner’s Room, que je ne
peux que conseiller aux étudiants (ou toute autre personne), économistes ou non.

Rémunération des dirigeants

Compte rendu sur La vie des
idées
d’une table ronde sur la rémunération des dirigeants. On y trouve notamment une vidéo de l’interview d’Augustin Landier.

A lire aussi, la
tribune d’Askenazy
qui plaide pour l’instauration d’un salaire plafond. Extrait : Que peut faire la puissance publique ? Interdire dans les conseils d’administration la présence de
dirigeants d’autres grandes sociétés casserait l’inflation, sans changer le mécanisme. D’où, l’idée d’établir un salaire maximum. Ce dernier peut être national car le “marché” des dirigeants
reste étonnamment local : les firmes américaines ne cherchent pas de managers français et, inversement, les sociétés de l’Hexagone sont presque exclusivement dirigées par des
nationaux.

Classement des revues en économie-gestion

Article très intéressant dans la Revue de la Régulation, au
moment où les évaluations AERES sont en cours dans tout un ensemble d’Universités (dont Poitiers!). Titre : “Revues qui comptent, revues qu’on compte : produire des classements en économie et
gestion”. Auteurs : David Pontille et Didier Torny. Quelques petits extraits pour vous mettre en bouche.

 

premier extrait, tout au début :

 Peut-on attribuer une qualité constante à une revue scientifique et produire un accord entre
les membres d’un milieu professionnel sur cette qualité ? Bien avant la section 37 du CNRS ou l’AERES, Hawkins et al. (1973) ont interrogé des pairs pour répondre à cette question en
recueillant leurs jugements sur 87 revues d’économie. Ils ont demandé à 160 économistes de leur attribuer une note entre 0 et 20, en leur précisant bien de ne noter que celles qu’ils
connaissaient. À partir des réponses obtenues, ils ont produit deux indices. Premièrement, ils ont calculé la note moyenne obtenue par chaque revue et les ont ordonnées en conséquence.
Deuxièmement, ils ont élaboré une note de prestige, produit de cette moyenne et du pourcentage de répondants ayant noté la revue. Ils ont ensuite renvoyé ces résultats agrégés (moyenne, médiane,
mode, écart-type) aux mêmes économistes, avec un rappel de leur propre notation, en leur demandant de la confirmer ou de la changer. Plus de 80 % des répondants ont modifié certaines de
leurs notes, presque toutes vers le jugement « moyen », diminuant d’autant les écarts-types pour chaque revue.

 

un peu plus loin (j’adore!):

Les auteurs ont estimé que plus une revue est considérée comme « théorique » ou « générale », plus sa note de
prestige est élevée ; à l’inverse, plus une revue est considérée comme « spécialisée » ou « appliquée », plus sa note de prestige est basse. Afin de donner davantage de
poids à leur interprétation, ils ont introduit deux leurres dans la liste des revues : le Journal of Economic and Statistical Theory (JEST) et le Regional Studies and Economic Change (RESC).
Alors même que ces revues n’existaient pas, un répondant sur cinq les avait classées et, sans surprise pour les auteurs, JEST apparaissait dans le premier tiers du classement et RESC dans le
dernier tiers.

 

à noter la reprise d’une citation de Gizmo (fin du paragraphe 78):

Dès lors, on comprend que si les laboratoires d’économie-gestion sont systématiquement plus mal notés que les autres laboratoires
(toutes choses égales par ailleurs), leurs dotations vont se réduire par rapport aux laboratoires des autres disciplines, ce qui réduira leurs chances d’attirer les meilleurs doctorants,
docteurs, collègues, et de produire dans les meilleures conditions. Encore une fois, peut-être est-ce le but recherché : n’assurer une formation en master et en doctorat d’économie-gestion
que dans quatre ou cinq laboratoires de recherche en France. Dans ce cas, il faut avoir le courage de le dire.

 

pour finir, la phrase en exergue :

“Excellent articles frequently appear in journals viewed subjectively as ‘poor’ by the profession, and low-quality work often
emerges in ‘excellent’ journals. Nevertheless, there is a pervasive – in our opinion an unfortunate – tendency within the profession to assess the quality of a person’s work all too
superficially, giving excessive weight to the journal in which it appears” (Hawkins et al. 1973, p. 1032).

 

L’alternative serait de lire les articles des personnes que l’on doit évaluer (pour recrutement, promotion, etc.). Mais bon, si on doit
s’embêter avec ça maintenant…

Europe vs Etats-Unis

Krugman estime que les Etats-Unis
ont à apprendre de l’Europe et de son modèle social. Mankiw répond avec quelques chiffres sur le PIB
par habitant (en Parité de Pouvoir d’Achat) :
United States 47,440
United Kingdom 36,358
Germany 35,539
France 34,205
Italy 30,631
Spain 30,589

Le PIB par habitant des Etats-Unis est largement supérieur à celui des principaux pays européens (1,4 fois celui de la France par exemple).

 Je complète avec des chiffres OCDE sur les inégalités de revenu, mesurées par le rapport interdécile P90/P10 :
Etats-Unis : 5,91
Royaume-Uni : 4,21
Allemagne : 3,98
France : 3,39
Italie : 4,31
Espagne : 4,59

Des 30 pays de la base OCDE, les Etats-Unis sont 27ème, juste derrière la Pologne et juste devant le Portugal, la Turquie et le Mexique.

Conseils de lecture

Les 15% de Besson
Comme sans doute beaucoup d’entre vous, j’ai entendu l’autre jour Eric Besson affirmer que seules 15% des contributions au débat sur l’identité
nationale concernaient la thématique de l’immigration et de l’Islam (25% si on élargit le nombre d’items). Jean Véronis relaie un travail d’analyse
statistique
des contributions déposées sur le site debatidentitenationale.fr, qui montre que la proportion est plus élevée (23% avec la liste courte d’items, 38,5% avec la liste
élargie).

Ce travail a été réalisée par Nabil Wakim, journaliste au Monde, ce qui fait dire à Jean Véronis : “Je me permets d’ajouter que je trouve qu’il
s’agit-là d’un excellent exemple de ce journalisme d’investigation qui nous fait tellement défaut depuis quelques années. La vraie raison du malaise de la presse, ce n’est peut être pas la
concurrence d’internet, ni la faute à Google, mais peut-être simplement que le journalisme est devenu pour la plus grande partie un journalisme de copier-coller. L’AFP déverse, les rédacs
recopient. Qui veut payer pour ça ?”. Ca m’a rappelé un vieux billet sur le sujet journalistes vs.
blogueurs.


Jacques Marseille

Dans une interview au
Monde
, comme à son habitude, il dit n’importe quoi : preuve chez Optimum, et encore,
VilCoyote n’a pas tout relevé!


30% de boursiers dans les grandes écoles

Billet très intéressant de Denis
Colombi. J’aime particulièrement ce passage : “la proposition des quotas de boursiers dans ces seuls établissements, même s’il ne reste qu’au niveau des propositions, est
extrêmement perverse : elle contribue en effet à maintenir l’idée que, hors des grandes écoles, il n’y a pas de salut, qu’elles sont les seules à valoir les coups, à avoir quelque chose à
proposer aux étudiants. Non seulement l’université et les formations courtes du type BTS disparaissent alors qu’elles apportent une contribution significative à la mobilité sociale, à la réussite
des étudiants et à la formation d’une main-d’oeuvre de qualité, non seulement les formations professionnelles ne sont mêmes pas évoquées par qui ce soit, mais surtout l’idée demeure que la guerre
pour les places, pour un petit nombre de formations, est tout à fait normale. On légitime un peu plus l’idée que seule compte la réussite d’un petit groupe d’étudiants, qui formeront l’élite, et
que l’on peut abandonner les autres – et que, donc, pour ceux qui ne font pas partis des “élus”, c’est vae victis. “