Les enfants de riches sont-ils plus intelligents?

Débat intéressant sur les blogs d’économistes américains, suite à la publication par le New-York Times de ce graphique, qui montre que les scores d’élèves à différents tests (lecture, écriture, maths) augmentent avec les revenus des parents :




Greg Mankiw estime qu’il s’agit de la corrélation la moins suprenante qui soit : elle s’explique selon lui par une variable omise, le QI des parents. Des parents au QI élevé vont pouvoir obtenir une situation professionnelle meilleure, donc de meilleurs revenus ; l’intelligence étant pour partie héréditaire, leurs enfants vont eux-aussi être dotés d’un QI supérieur à la moyenne, et donc obtenir de meilleurs scores aux tests.
Interprétation qui a fait bondir Paul Krugman et Matthew Yglesias. Ils reprochent à Mankiw de laisser entendre que les différences de revenu aux Etats-Unis s’expliquent uniquement par des différences de talent individuel. Matthew Yglesias se réfère à une étude par inintéressante, qui mesure la proportion d’enfants allant à l’Université en fonction du revenu des parents et en fonction des scores obtenus par ces enfants à différents tests passés plus jeune :




Le graphique montre que même en neutralisant les différences de réussite aux tests de math, les enfants de riches ont une propension plus grande que les enfants de pauvres à poursuivre leurs études. Krugman renvoie à une autre étude qui montre que les enfants les moins bons aux tests de math mais dont les parents ont des hauts revenus obtiennent aussi fréquemment leur bachelor que les enfants les meilleurs aux tests mais dont les parents ont des bas revenus. Brad de Long complète par quelques calculs, pour montrer que la corrélation entre QI des parents et QI des enfants explique environ la moitié de la corrélation entre revenus des parents et score des enfants.

Marginal Revolution, enfin, reprend les résultats d’une étude particulièrement intéressante, qui s’appuie sur des données concernant des familles ayant des enfants biologiques et des enfants adoptés, l’enjeu étant de mesurer la relation éventuelle entre le revenu des parents et celui des enfants adoptés/non adoptés :


Les courbes montrent le lien fort entre revenu des parents et des enfants biologiques, et l’absence de lien entre revenu des parents et des enfants adoptés. On apprend également dans l’étude que la probabilité d’obtenir un diplôme d’Université augmente quand la mère est allée elle-même à l’Université, mais cette augmentation est plus forte pour les enfants biologiques (+26%) que pour les enfants adoptés (+7%). Une preuve apparemment solide des l’importance  des effets génétiques…
Certains pourront dire que, peut-être, les parents traitent différemment leurs enfants biologiques et leurs enfants adoptés, mais ca semble peu crédible comme hypothèse. Se pose également la question de l’âge auquel les enfants ont été adoptés : si ce n’est pas à la naissance, on peut penser que les écarts observés témoignent de l’importance des premières années d’éducation, plus que de l’effet génétique. Je n’ai pas trouvé l’info sur ce point (je n’ai pas beaucoup cherché il faut dire…).
Quelques propositions pour finir, histoire d’appâter le commentaire :
proposition 1 (évidente) : il vaut mieux avoir des parents riches et intelligents que pauvres et bêtes (proof : see graph 2)
proposition 2 (plus subtile) : il vaut mieux avoir des parents riches et bêtes que pauvres et intelligents (proof : see graph 1 & 2 and here)
proposition 3 (cynique) : si vous avez des parents pauvres et bêtes, ne cherchez pas à vous faire adopter par des parents riches, ca ne changera rien à votre situation future. Cherchez éventuellement des parents riches et intelligents, mais sachez que ca n’améliorera qu’à la marge votre situation… (proof : see graph 3 and comments below)

Pollution, commerce et innovation

Article très intéressant sur Vox-Eu (en),
découvert via EcoInterViews, qui en propose un résumé efficace en français (et un commentaire en fin d’article
sur l’effet des primes à la casse pas inintéressant!).
L’article montre que la croissance industrielle des Etats-Unis depuis le début des années 1970 s’est accompagnée d’une réduction du niveau de pollution, réduction qui s’explique pour partie par
l’utilisation de technologies moins polluantes, et pour partie par l’abandon de la production de certains biens polluants, désormais fabriqués par des pays plus pauvres, puis importés aux
Etats-Unis. L’effet innovation domine largement (il explique 60% de la dépollution).

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Qui va payer la taxe carbone?

Le gouvernement français met en place une taxe carbone une
contribution climat-énergie. Christine Lagarde l’estime à environ 15€ la tonne de CO², en deça des 32€ préconisés par la commission présidée par Michel Rocard. Une question importante : qui va, au final,
payer cette taxe? Christine Lagarde nous dit que “les entreprises supporteront, comme les ménages, la contribution climat-énergie.”. Peu crédible : les entreprises ont assez largement la capacité
de répercuter la taxe sur les prix de leurs produits, ce sont donc essentiellement les ménages qui , au final, paieront. La vraie question est de savoir si, au sein des ménages, certains auront
plus à la subir que d’autres.

Un article sur Vox-Eu, par Corbett Grainger
et  Charles Kolstad (Université de Californie, Santa Barbara) permet de se faire une petite idée sur la question. Ils s’interrogent sur l’impact d’une hausse du prix de la tonne de CO² de
15$ sur la compétititivité des entreprises américaines et sur le budget des ménages américains.

S’agissant de l’impact sur les entreprises, ils montrent que seuls 5 secteurs industriels sur 500 verront leurs coûts de
production augmenter de plus de 5%. Impact faible, donc. S’agissant de l’impact sur les ménages, ils montrent que, effectivement, les plus pauvres seront plus affectés que les plus riches, avec
des variations selon les modalités de calcul des revenus des ménages :




Les auteurs considèrent que l’impact n’est cependant pas si colossal que cela : 1,5 à 2,5% pour ceux qui gagnent 35000$,
contre 1 à 2% pour les plus fortunés nous disent-ils. On voit quand même sur le graphique que pour la tranche la plus basse, on monte à 3 à 4,5%. Les auteurs considèrent également que les
dispositions prises aux Etats-Unis doivent permettre de compenser la perte subie par les plus pauvres. Mais ils ne disent pas grand chose sur ces dispositions.

Pas grand chose non plus sur ce que le gouvernement français est en train d’imaginer pour éviter cet effet pervers, Le Monde indiquant
même que “Le gouvernement, embarrassé, est en train d’imaginer une usine à gaz pour s’assurer que les plus modestes des ménages qui doivent utiliser leur voiture pour aller travailler ne feront
pas les frais de la taxe carbone.” Je leur souhaite bon courage…

Les stratégies absurdes

Ouvrage très intéressant, déjà signalé par Les Econoclastes et Que disent les économistes? : les stratégies absurdes (comment faire pire en croyant faire mieux), de Maya Beauvallet, aux éditions du Seuil, janvier 2009.

Le fil conducteur de l’ouvrage est le suivant : un nombre croissant d’organisations se dotent d’indicateurs de performance, d’une part, et mettent en oeuvre des systèmes d’incitation/contrôle, d’autre part, pour influer sur les comportements des acteurs et s’assurer de l’amélioration desdites performances. Sauf que cette “doxa manageriale” échoue souvent, les stratégies mises en oeuvre conduisant à des résultats absurdes…

Petit exemple, en quatrième de couverture, développé ensuite dans l’ouvrage : un joueur de football, bon récupérateur de ballons, passe ensuite trop souvent la balle à l’adversaire. Décision des dirigeants : on lui inflige une sanction financière à chaque fois qu’il la rend à l’autre équipe. Résultat : le joueur ne passe plus la balle à personne…

Les douze chapitres du livre sont autant d’exemples des travers de ce type de stratégie. Certains trouveront sans doute l’ensemble assez répétitif, puisque c’est finalement toujours la même grande idée qui est illustrée. L’intérêt, de mon point de vue, est de démontrer ce faisant que ce type de pratique diffuse très largement dans l’ensemble de la société : au sein des entreprises, bien sûr, mais aussi dans les hôpitaux, dans les tribunaux, au sein des Universités, dans les organismes chargés du suivi des chômeurs et jusque dans les ministères. D’insister également sur la diversité des indicateurs de performance (indicateurs individuels, collectifs, relatifs, subjectifs) et sur l’intérêt de les mobiliser dans certains contextes organisationnels, mais l’absurdité de les utiliser dans d’autres.

Les Universitaires y trouveront deux analyses intéressantes : la première sur le cas australien, pays dans lequel on a décidé que les budgets alloués aux laboratoires dépendraient en partie du nombre de publications dans des revues à comité de lecture. Résultat : le nombre de publications à fortement augmenté, mais la qualité des publications s’est dégradée (qualité mesurée par le nombre de citations des articles publiés). Pourquoi? Les chercheurs se sont mis à publier plus qu’avant des articles un peu moins bons, dans des revues à comité de lecture plus facilement accessibles… La deuxième analyse porte sur les erreurs de mesure et les biais inhérent à l’évaluation des chercheurs, avec l’exemple du h-index notamment, je vous laisse la découvrir dans l’ouvrage (chapitre 11).

Il ne s’agit pas pour Maya Beauvallet de plaider pour un retour à des méthodes manageriales anciennes, temps de la contrainte et des “petits chefs”, mais de dénoncer les travers de stratégies insuffisamment pensées, où l’on commence par bâtir des indicateurs au lieu de définir une politique, de se doter d’objectifs, de prendre tout simplement le temps d’échanger avec les acteurs plutôt que de rester les yeux rivés sur son écran de contrôle, pour surveiller l’évolution des indicateurs.

Lecture qui donne envie de prolonger la réflexion, et d’ajouter des chapitres sur des sujets non traités. Par exemple sur la question des délocalisations : certaines entreprises s’appuient sur quelques indicateurs statistiques de base (coût de l’heure du travail, coût salarial unitaire) pour asseoir leurs choix de localisation, et quelle n’est pas leur déconvenue lorsqu’elles s’aperçoivent, une fois localisées dans des pays lointain, que la performance anticipée n’est pas au rendez-vous… Parce qu’elles rencontrent des problèmes de qualité, de management des équipes, de formation du personnel sur place, etc. En réduisant la performance d’une organisation à un indicateur de performance, elles
déploient parfois, elles-aussi, des stratégies absurdes…

Sur les Universités, là aussi, on a envie d’approfondir au regard des évolutions en cours… La tendance à l’oeuvre semble consister à mesurer la performance des enseignants chercheurs par leur nombre de publications dans des revues à comité de lecture. On l’a vu avec l’exemple australien, cela peut se traduire par une baisse de qualité. Mais on peut également considérer que cela nuit à d’autres supports de communication (colloques, ouvrages, …). Et on réduit aussi l’activité de l’enseignant chercheur à son activité de recherche. On pourrait certes rétorquer qu’il suffit de se doter d’indicateurs complémentaires sur les volets enseignement et charge administrative, mais ce sont des activités beaucoup plus difficiles à évaluer. Ou alors, cela suppose de mettre en place des systèmes coûteux, dont le coût peu plus que compenser les gains attendus de l’amélioration du système… Et l’on entre dans tout un ensemble de complications liées à la construction d’indicateurs composites (quel poids pour chaque activité?). Que l’on collecte, dans les universités, plus d’informations sur l’activité de recherche des enseignants chercheurs me semble indispensable (l’information est excessivement dispersée, mal diffusée, ce qui nuit au rayonnement de la recherche et ce qui conduit à du gaspillage de temps considérable quand il s’agit, par exemple, de rédiger des rapports d’activité ou des projets de recherche). Mais que l’on prenne garde à ne pas, sur cette base, construire quelque indicateur de performance à l’aune duquel seront jugés les enseignants-chercheurs et dont dépendront les évolutions de carrière…

Petit mot pour finir plus sur la forme que sur le fond : l’ouvrage est court (150 pages environ), très clair, et rempli de formules que j’ai trouvé savoureuses. Au fur et à mesure de sa lecture, je me suis dit que Maya Beauvallet ferait une excellente blogueuse! Jai vu qu’elle avait rédigé quelques billets pour la vie des idées, celui-ci donnant un bon aperçu de son livre, mais un blog perso, ce serait bien aussi!

Le modèle exit-voice appliqué au parti socialiste

Hirschman a développé en 1970 un modèle aussi simple que puissant, qualifié de modèle exit-voice, auquel il a apporté quelques compléments/précisions en 1986. Modèle à mon humble avis sous-utilisé en économie, sur lequel nous travaillons dans notre labo pour traiter des modalités de résolution des conflits d’usage et de voisinage observés sur le littoral picto-charentais (avec un article à paraître fin 2009 dans la revue Natures Sciences et Sociétés). L’objectif ici est de montrer en quoi il permet d’analyser les conflits observés au sein du Parti Socialiste…

1. Exit, voice et loyalty

Dans son modèle, Hirschman s’intéresse de manière générale aux modalités de résolution des dysfonctionnements observés dans une organisation : un consommateur insatisfait par la qualité du produit vendu par une entreprise, un citoyen mécontent de la politique de son gouvernement, un salarié insatisfait de ses conditions de travail, etc.

Il considère alors, en première analyse, que les acteurs peuvent apporter deux grands types de réponse aux dysfonctionnements constatés : soit ils adoptent un comportement de fuite (exit), soit ils prennent la parole (voice). Par exemple, les citoyens d’un État peuvent répondre à une répression politique par l’émigration (exit) ou par des manifestations (voice) ; les salariés d’une entreprise insatisfaits de leurs conditions de travail peuvent décider de quitter leur emploi (exit) ou d’exprimer leur mécontentement afin que la situation s’améliore (voice) ; des consommateurs déçus par la qualité d’un produit peuvent réagir en effectuant leurs achats ailleurs (exit), ou bien en se plaignant aux responsables de l’entreprise productrice (voice).

Dans certains cas, l’une des deux options, exit ou voice, est impossible et les deux solutions apparaissent alors complémentaires. Dans d’autres cas, exit et voice sont envisageables et apparaissent donc comme substituables. Hirschman (1986, p. 59) précise que le voice est souvent préférable, car l’exit est « un moyen puissant mais indirect et assez grossier de faire savoir à la direction que les choses ne vont pas » et il peut être à
l’origine d’un processus cumulatif de détérioration (par exemple, un quartier difficile, où sont localisées de nombreuses personnes pauvres, verra partir prioritairement celles qui disposent des moyens financiers les plus importants, et ainsi s’accentuer le phénomène de ghettoïsation).

En s’interrogeant sur les moyens de freiner l’exit et de favoriser le voice, Hirschman (1986) est amené à distinguer deux types de voice, correspondant à deux étapes différentes de la prise de parole des acteurs. La première, le voice horizontal, renvoie à l’organisation des acteurs en collectifs, qu’ils soient formels ou informels, dans le but de préparer l’action collective. Ce n’est qu’une fois cette étape réalisée que les acteurs peuvent, de manière efficace, prendre la parole face à l’autorité régulatrice, ceci marquant l’entrée dans la seconde étape, qualifiée de voice vertical.

Pour comprendre davantage l’arbitrage réalisé par les acteurs entre exit et voice, Hirschman introduit une troisième notion, le loyalty, qu’il relie à la confiance que les acteurs peuvent porter à l’organisation à laquelle ils appartiennent – sentiment de patriotisme dans le domaine politique, attachement des consommateurs à une marque dans le domaine économique. Dans les cas où exit et voice sont possibles, les individus opteront alors pour le voice soit s’ils sont loyaux, soit s’ils considèrent qu’ils peuvent influencer l’évolution de leur organisation. Ces deux conditions sont en fait interdépendantes et s’autorenforcent : les personnes loyales cherchent à gagner de l’influence et les personnes influentes sont de plus en plus attachées à l’organisation, persuadées de pouvoir la faire évoluer. Au total, le loyalty aurait donc tendance à freiner le recours à l’exit et à favoriser davantage le recours au voice.

2. Application au parti socialiste

Les applications peuvent être nombreuses, je me concentre ici sur les comportements récents de certains des ténors du parti. Etant entendu que je suis loin d’en disposer d’une connaissance précise, mais bon, n’hésitez pas à amender en commentaire…

Première idée, ont-ils intérêt à faire de l’exit ou du voice?

En règle générale, on peut considérer que pour les cadres d’un parti, faire de l’exit est particulièrement coûteux : ils ont dû investir pendant de longues années pour monter progressivement dans la hiérarchie d’une organisation qui dispose d’une puissance de frappe non négligeable pour atteindre à plus ou moins long terme l’objectif poursuivi par ces individus : obtenir le pouvoir. En France, on a depuis de longues années grosso modo deux partis qui trustent l’essentiel des postes, le PS et l’UMP, quitter l’un de ces partis pour s’aventurer dans une organisation moins bien implantée (NPA, Modem, …) n’est donc pas le meilleur moyen de décrocher rapidement un poste. A moins de ne plus avoir guère d’espoir en interne (Mélenchon?).

Jusqu’à récemment en tout cas, car depuis quelques temps, cela n’a échappé à personne, notre Président de la République a déployé une stratégie pas inintéressante pour faciliter l’exit de certains ténors du parti socialiste, en leur proposant de redéployer l’investissement effectué au PS au sein de l’UMP (Eric Besson) ou du gouvernement (Kouchner)… Et ça marche plutôt bien… Avec sans doute des effets en retour : d’autres ténors, non encore partis du parti, (si j’ose dire) peuvent en effet agiter une menace devenue crédible (“si vous ne répondez pas à mes demandes, je cours au gouvernement!”) pour obtenir plus que ce qu’ils pouvaient espérer auparavant (Jack Lang?).

Deuxième élément d’application, pour décrypter les comportements de Valls, Peillon et de Montebourg. Chacun déploie en fait une stratégie de voice assez différenciée.

Arnaud de Montebourg, d’abord, a pris la parole pour… menacer de partir si son projet était bloqué par la direction (voir sa tribune dans la nouvel obs).

“Or, je le dis tout net, je n’irai pas plus loin. S’il devait échouer, ce combat serait pour moi le dernier, au sein
d’un PS qui telle la vieille SFIO ne mériterait plus qu’on l’aide à survivre. Il y a dans ce parti trop de violence, trop de blocages, trop de poussières sous les tapis, trop de petits
calculs pour que le militant que je suis, fidèle à ses idées et fier de ses engagements, ne tente pas son dernier combat.”

En gros, l’idée est que si on ne l’écoute pas, il fera de l’exit. Le problème avec ce type de stratégie est de savoir si la menace est crédible… S’il part, c’est pour aller où? Et quel dommage pour l’organisation?

Deuxième stratégie mise en oeuvre ce week-end, celle de Vincent Peillon (voir ici par exemple), qui dirige le courant “l’espoir à gauche”, qu’il considère comme le «premier courant dans le parti». Peillon fait clairement du voice, mais plutôt du voice horizontal : il ne s’agit pas de se confronter directement à la direction du parti, mais de faire émerger, au préalable, un collectif intermédiaire, susceptible de prendre la parole, plus tard, face à la direction du parti, et d’imposer ses vues.

Troisième stratégie, enfin, celle de Manuel Valls (voir ici par exemple) : Manuel Valls s’est exprimé à plusieurs reprises sur le parti socialiste, en contestant son nom, en dénonçant la victoire d’Aubry contre Ségolène Royal, en affirmant surtout, plus récemment :

« Martine Aubry nous dit que le Parti socialiste est en ordre de marche pour affronter de nouvelles défaites. Tel le
chef d’orchestre sur le pont du Titanic, elle convie les socialistes à bien lire leur partition tout en leur cachant la vérité sur l’ampleur des voies d’eau constatées sur le navire.
(…)

Ce n’est pas en réinventant l’eau tiède des valeurs de la gauche que celle-ci a la moindre chance de reconquérir le
pouvoir. Martine Aubry se présente comme un adversaire résolu de Nicolas Sarkozy. Pourtant en la lisant, je crains que ce dernier ne se dise : avec une gauche comme celle-là, la droite a de
beaux jours devant elle ! »

Bref, lui aussi fait du voice, mais du voice moins consensuel, selon une logique de confrontation, et en se positionnant directement vis-à-vis de la première secrétaire. Du voice vertical sans voice horizontal préalable, donc… Peut-être est-ce là un signe que l’on peut inverser la logique mis en évidence par Hirschman? Valls fait du voice vertical en essayant de structurer autour de lui un autre courant au sein du PS (voir ici), autrement dit pour provoquer du voice horizontal? Cheminement inverse à celui de Peillon, donc.

Ce à quoi Aubry répond :

Si les propos que tu exprimes reflètent profondément ta pensée, alors tu dois en tirer pleinement les conséquences et
quitter le Parti socialiste.

Aubry demande à Valls de se taire ou de partir. D’arrêter le voice et de faire de l’exit. Ce qui n’est pas vraiment un signe de bonne santé pour une organisation, pas le signe, en tout cas, que cette organisation est prête à évoluer… En apparence, en tout cas, car les choses pourraient être moins simples. Avant cette formule, en effet, Martine Aubry avait pris soin de proposer à Manuel Valls de continuer à faire du voice, mais d’une autre manière, moins dans une logique de confrontation que de concertation :

Mon cher Manuel, s’il s’agit pour toi de tirer la sonnette d’alarme par rapport à un parti auquel tu tiens, alors tu
dois cesser ces propos publics et apporter en notre sein tes idées et ton engagement.

Tout l’enjeu est de savoir si une telle prise de parole en interne est susceptible de faire évoluer l’organisation… Valls doit penser que non.

Quelle est la meilleure stratégie? Montebourg et Valls doivent avoir un ego plus important que Peillon, puisqu’ils espèrent rassembler sous leur seul nom un nombre suffisant de personnes. Entre Montebourg et Valls, la stratégie du premier me semble plus hasardeuse, la menace de départ étant somme toute peu crédible… A moins, finalement, que ces stratégies ne soient complémentaires et plus ou moins coordonnées, car, sauf erreur de ma part, ces trois espoirs du parti ont soutenu plus ou moins fortement la candidature de Ségolène Royal… Il s’agirait alors de faire craquer la direction, en attaquant de tous les côtés?

Source :

Hirschman A.O., 1970, Exit, Voice, and Loyalty: Responses to Decline in Firms, Organizations, and States. Cambridge, MA: Harvard University Press.

Hirschman, A.O., 1986. Vers une économie politique élargie, Paris, Éditions de Minuit.

Un marché de permis à polluer plus efficace qu’une taxe carbone

Pas de vacances pour les universitaires poitevins! Pour preuve cette tribune dans La Tribune (en date du 27
juillet) de Francesco Ricci.

Le rapport Rocard sur l’instauration d’une taxe carbone en France sera remis demain. La Polémique monte sur ce qui
apparaît comme un nouvel impôt sur les ménages. Pour éviter l’usine à gaz, la généralisation d’un système de quotas-avec-marché serait une bonne solution.

Dans son discours du 22 juin devant le Congrès, le président de la République a affirmé son soutien à la mise en
place d’une taxe carbone, dite “contribution climat-énergie” pour limiter les émissions françaises de CO2 liées au transport et à l’habitat. L’intention est louable, mais on peut redouter qu’il
ne s’agisse pas du meilleur choix.

Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, les émissions de CO2 des grands établissements industriels
sont réglementées au niveau européen. Pour une période donnée, ils reçoivent chacun, ou bien doivent acheter aux enchères, un certain nombre de “permis à polluer”, titres qu’ils peuvent ensuite
vendre ou acheter sur un marché, si leurs émissions polluantes sont inférieures ou supérieures aux quotas qui leur ont été fixés au départ. Ce schéma couvre un tiers environ des émissions
globales européennes de CO2. Il aurait été souhaitable, selon nous, d’utiliser un système analogue et non une taxe pour limiter en France les émissions de CO2 liées au transport et à l’habitat
(les deux autres tiers).

Contrairement à ce que certains prétendent, un tel système de quotas-avec-marché ne serait pas beaucoup plus compliqué à
mettre en œuvre qu’une taxe carbone prélevée au moment de la vente d’hydrocarbures. Personne n’envisage de contraindre les automobilistes à se procurer des permis à polluer pour chaque kilomètre
parcouru. Ce sont les producteurs et distributeurs d’énergie qui devront acquérir ces permis de polluer en fonction de leur volume de vente annuel. Et un tel système présente trois avantages
notables par rapport à une taxe carbone. Pour réduire les émissions de CO2 au moindre coût, il faut que les pollueurs qui peuvent le plus facilement diminuer leurs émissions de gaz le fassent
d’abord, en permettant à ceux pour qui c’est le plus onéreux de s’y mettre plus tard. Si l’aciérie Dupont doit dépenser 40 euros pour éviter d’émettre une tonne de CO2 supplémentaire, alors que
le chalutier Rossi ne doit dépenser que 30 euros pour un même résultat, on peut économiser 10 euros en demandant à Rossi de réduire d’une tonne ses émissions et en permettant à Dupont d’émettre
une tonne de plus. Cette économie peut être obtenue avec une taxe aussi bien qu’avec un système de quotas-avec-marché, mais il est fondamental que tous les acteurs économiques soient confrontés à
un prix unique de la tonne de CO2, sans quoi limiter la pollution reviendra plus cher.

Or, de ce point de vue, la coexistence prévue entre les quotas-avec-marché pour les secteurs couverts par le système
européen et d’une taxe carbone pour le reste de l’économie française implique la présence d’au moins deux prix différents : la taxe pour certains, le prix du permis pour d’autres. Si l’on
adoptait un système de quotas-avec-marché pour limiter les émissions de CO2 des secteurs du transport et de l’habitat, il serait possible à l’inverse de relier ce marché français avec le marché
européen, en permettant ainsi l’émergence d’un prix unique du CO2 au niveau européen, le gage d’une politique véritablement cohérente.

Il faut ensuite reconnaître que toute réglementation environnementale est sujette à de nombreuses pressions de groupes
d’intérêt ou de couches électorales pivots. Dans le cas d’une taxe carbone, il est vraisemblable que ces pressions donnent lieu à une panoplie d’exonérations et à l’application de niveaux de
taxation réduits. Dans le cas d’un quota-avec-marché, les mêmes pressions donneraient lieu probablement à des allocations trop abondantes et gratuites de permis à polluer, mais ne porteraient pas
atteinte à l’unicité du prix de la tonne de CO2.

La pérennité de l’effort entrepris serait aussi plus probable. Les supporters de la taxe carbone ont raison de
vouloir la mettre en œuvre très rapidement. En effet, la question climatique est urgente, et le contexte politique actuel apparaît particulièrement favorable à la mise en place d’une telle taxe.
Le score des Verts aux dernières élections et les sondages d’opinion indiquent qu’un grand nombre de Français sont prêts à accepter un coût accru de leurs consommations d’énergie. On ne peut
néanmoins pas être sûr que cette préoccupation pour le climat conserve longtemps sa prééminence face aux questions de revenu, de pouvoir d’achat et d’emploi. Il est possible que, même si une taxe
carbone est aujourd’hui mise en place, elle puisse ensuite être édulcorée. En revanche, avec un système de quotas-avec-marché, les hommes politiques doivent convaincre les électeurs d’adopter un
objectif environnemental, le quota global d’émissions autorisé, et cet engagement pourra être plus largement partagé sur des bases éthiques que la levée d’une taxe sur les consommations
énergétiques.


Francesco Ricci, chercheur à l’école d’économie de Toulouse (TSE) et à l’université de Poitiers

Une nouvelle mesure de la croissance économique

(via Marginal Revolution)

Article très intéressant de Henderson, Storeygard, and Weil (NBER Working Paper 15199, juillet 2009) : GDP growth is often measured poorly for countries and rarely measured at all for cities. We propose a readily available proxy: satellite data on lights at night. Our statistical framework uses light growth to supplement existing income growth measures. The framework is applied to countries with the lowest quality income data, resulting in estimates of growth that differ substantially from established estimates. We then consider a longstanding debate: do increases in local agricultural productivity increase city incomes? For African cities, we find that exogenous agricultural productivity shocks (high rainfall years) have substantial effects on local urban economic activity.

ma traduction : La croissance du PIB est souvent mal mesurée au niveau des pays et rarement mesurée à l’échelle des villes. Nous proposons une proxy facilement disponible : les données par satellite sur les lumières allumées la nuit. Notre méthode statistique utilise la croissance de la luminosité pour remplacer les mesures existantes de la croissance des revenus. Cette méthode est appliquée aux pays pour lesquels les données sur les revenus sont de faible qualité, ce qui conduit à des écarts importants entre nos estimations et les estimations habituelles. Nous nous focalisons ensuite sur un débat récurrent : est-ce que la croissance de la productivité agricole locale augmente le revenu de la ville? Pour les villes africaines, nous montrons qu’un choc externe de productivité dans l’agriculture (années de forte pluie) a des effets substantiels sur l’activité économique local.


Sur le blog Que disent les économistes?, des précisions sur les problèmes rencontrés avec les mesures habituelles du PIB et de sa croissance dans les pays en développement. Un commentaire supplémentaire chezMarginal Revolution. Voir aussi le blog du Wall Street Journal. Je viens de trouver également un article sur Les Echos.