L’approfondissement de la mondialisation, et notamment le développement des échanges entre pays développés et pays en développement comme la
Chine et l’Inde, conduit-il, côté pays développés, à un accroissement des inégalités de salaire entre personnes qualifiées et personnes peu qualifiées ? Si oui, quel est l’ampleur de
l’impact?
En 1995, la réponse de
Paul Krugman était que l’accroissement de ces échanges n’expliquait qu’une faible partie de l’accroissement des inégalités de salaire aux Etats-Unis, de l’ordre de 3%. D’autres études
semblaient confirmer ce résultat, avec un effet estimé compris entre 1,4% et 7%. L’innovation technologique est alors considérée comme nettement plus déterminante.
Douze ans plus tard, en 2007, Krugman est plus ou moins revenu
sur cette position, pour deux raisons essentielles : i) le développement accéléré de la Chine fait monter son poids dans l’ensemble des importations américaines de 2% du PIB en 1993 à 5%
aujourd’hui, ii) la fragmentation croissante des processus productifs conduit à l’apparition de nouvelles activités intensives en travail peu qualifiées, y compris au sein de secteurs de haute
technologie. Krugman prend l’exemple des micro-processeurs d’Intel : leur fabrication réclame clairement des compétences très pointues pour certaines étapes du processus, mais pour d’autres
étapes (assemblage, test), il est maintenant possible de les faire réaliser par des personnes peu qualifiées, localisées en Chine, en Malaisie ou aux Philippines.
Sur son blog, Greg Mankiw a pris acte en décembre
2007 de ces nouvelles affirmations, mais considère qu’il s’agit de possibilités théoriques, qu’il convient de valider empiriquement. Nouvel éditeur de la revue “Brookings Papers on
Economic Activity”, et ayant précisément commandé un article à Krugman sur le sujet, il attend donc son papier pour des éléments de preuves.
Février 2008, une première version du papier de
Krugman est diffusée. L’argumentation théorique est conforme à ses premiers développements, mais, côté validation empirique, il reste très prudent :
“How can we quantify the actual effect of rising trade on wages? The answer, given the current state of the data, is that we can’t.
As I’ve said, it’s likely that the rapid growth of trade since the early 1990s has had significant distributional effects. To put numbers to these effects, however, we need a much better
understanding of the increasingly fine-grained nature of international specialization and trade.”
The Economist fait
état de l’évolution de la position de Krugman, et nuance ses craintes en s’appuyant sur les résultats obtenus par d’autres économistes : Josh Bivens, en s’appuyant sur la méthodologie développée
par Krugman en 1995, montre que l’effet du commerce sur les inégalités est passé de 4,8% en 1995 à 6,9% en 2006. Lawrence Katz, de son côté, estime que le commerce avec les pays pauvres explique
environ 15% de l’accroissement des inégalités travailleurs qualifiés/travailleurs non qualifiés. Robert Lawrence, enfin, avance deux contre-arguments à l’analyse de Krugman : i) les américains
sont totalement sortis de certaines activités intensives en main d’oeuvre peu qualifiée. Dès lors, l’accroissement du commerce avec les pays pauvres sur ce type d’activité ne fait pas de perdants
aux Etats-Unis, ii) quand les américains sont encore sur ce type d’activité, ils ne les réalisent pas de la même manière : ils développent des processus productifs plus intensifs en capital
physique et en capital humain. Aussi, quand ils sont concurrencés par des pays pauvres, ceci n’affecte pas la main d’oeuvre peu qualifiée (on n’en utilise plus), mais conduit à un déplacement des
personnes qualifiées vers d’autres secteurs. Dans les deux cas, les inégalités ne sont pas creusées.
A suivre…