Faut-il baisser les taxes sur l’essence ?

John McCain propose de réduire les taxes sur l’essence pendant l’été. Hillary Clinton le suit. Barack Obama non, il accuse ses adversaires de populisme. Hillary Clinton l’accuse
alors
d’être en décalage avec la réalité vécue par les Américains. “Un moratoire sur la taxation de l’essence ne veut pas
dire grand chose pour mon adversaire mais cela signifie beaucoup pour les gens” confrontés à la hausse des prix
(source ici).

Réaction de Paul Krugman à la proposition initiale de McCain
: si l’offre d’un bien n’est pas sensible aux prix, le prix au consommateur montera toujours jusqu’à ce que la quantité demandée atteigne la quantité offerte. Dimimuez les impôts, et tout ce qui
se passera, c’est que les prix avant impôt augmenteront du même montant. La proposition de McCain est donc un cadeau pour les compagnies pétrolières déguisé en cadeau aux
consommateurs.

Heureusement, ce n’est pas en France qu’on aurait ce genre de proposition populiste…



Commerce et inégalités – suite

Pour étudier l’évolution des inégalités de revenu entre riches et pauvres, on rapporte généralement le revenu moyen des 10% les plus
riches au revenu moyen des 10% les plus pauvres. Notons R1 le premier et R2 le deuxième. On peut mesurer le revenu nominal (non prise en compte de l’évolution des prix) ou le revenu réel (prise
en compte de l’évolution des prix en divisant le revenu nominal par l’indice des prix à la consommation (IPC)), peu importe : R1/R2 est égal à (R1/IPC)/(R2/IPC).

Appliqué aux Etats-Unis, on observe que les inégalités de revenu ont augmenté de 6% entre 1994 et 2005. Ce qui n’est pas une
paille.

J’ai expliqué récemment que Krugman avait reconsidére sa
position sur le rôle du commerce international (plus précisément de la Chine) dans le creusement de ces inégalités, qu’il considérait en 1995 comme faible, qu’il considère aujourd’hui comme plus
fort.

Un document de
travail
de Broda et Romalis, trouvé via
Marginal Revolution, apporte un nouvel éclairage sur cette question, en développant une thèse plutôt à
contre-courant : les pauvres américains bénéficieraient en fait assez largement du développement de la Chine.

Voici leur argument : lorsqu’on mesure l’évolution des inégalités, on fait comme si pauvres et riches consommaient les mêmes
produits, qu’ils subissaient donc la même inflation. Or, c’est faux, les paniers de biens et de services sont différents. Il convient donc de réviser nos mesures, l’évolution des inégalités en
termes réels s’écrivant maintenant :

(R1/IPC1)/(R2/IPC2) avec IPC1<>PIC2 compte tenu des différences de consommation.

Qu’est-ce que cela change? Pas mal de chose, potentiellement : l’accroissement des inégalités de revenu peut maintenant être
contrebalancée par une évolution favorable de l’indice des prix à la consommation des pauvres, relativement à celui des riches. C’est en tout cas ce que les auteurs observent sur la période
1994-2005 : les riches achètent plus de services, les pauvres plus de biens non durables, les prix des biens non durables ont diminués relativement aux prix des services, l’inflation subie
par les pauvres est donc, sur cette période, 4% plus faible que celle subie par les riches. 2/3 du creusement des inégalités de revenu s’expliqueraient donc par cet écart d’inflation.

Quel rapport avec la Chine? Une part non négligeable des biens achetés par les pauvres provient de Chine. Le développement du commerce des
Etats-Unis avec ce pays expliquerait donc 1/3 du différentiel d’inflation. Les pauvres américains auraient donc bénéficié du développement de la Chine…

Petits compléments :

* l’étude ne dit pas que les inégalités riches/pauvres ne se creusent pas, mais qu’elles se creusent de manière moins spectaculaire qu’il ne
semblait, en raison de l’effet déflationniste de la mondialisation, dont bénéficiait plus les pauvres que les riches,

* on peut logiquement se demander si, depuis 2005, on n’est pas entré dans le processus inverse : la mondialisation devient inflationniste, et
tous les produits ne sont pas touchés de la même manière. Le fait que les prix de l’alimentaire augmentent plus vite que la moyenne affecte par exemple plus les pauvres que les riches,

* on peut d’autant plus se le demander qu’à bien regarder les résultats de l’étude, il semble que l’effet favorable aux pauvres soit fort de
1994 à 1999, beaucoup plus faible ensuite (cf. sur ce point
les commentaires 4 (DRDR) et 17 (zubin) sous le billet de Marginal
Revolution
),

* Dans tous les cas, on comprend l’importance d’introduire des indices de prix à la consommation différents par catégorie de revenu, pour
savoir où on en est, et comment les choses évoluent. C’est une des préconisations pertinente de la
commission Quinet “mesure du pouvoir d’achat des ménages”
.

L’oral de Nicolas S.

J’espère qu’en lecteurs assidus des blogs d’économie, vous avez reperé les erreurs et approximations de Nicolas S. lors de son oral d’hier
soir ?

1. Sur la croissance (repéré également par Emmanuel) : “cela fait
dix ans que nos performances sont inférieures à celles de l’Allemagne”. J’en avais parlé ici, reprise d’un petit
graphique :



2. Sur les déficits publics : “j’ai trouvé un pays où chaque français doit 20 000€”.  A qui ? Pour l’essentiel aux
français… Sur ce point et sur le discours lanscinant sur le déficit et la dette, voir ou revoir  ce billet d’Alexandre Delaigue.

3. Sur l’immigration : “Michel Rocard l’a dit il y a longtemps, nous n’avons pas vocation à accueillir toute la misère du monde”. Argument
ultime souvent repris, avec l’éternel oubli de la deuxième partie de la phrase “mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part”. Voir ou revoir le papier de Rocard.

4. à plusieurs reprises, Nicolas S. met en regard les 1 900 000 chômeurs et les 500 000 emplois non pourvus, pour justifier notamment les
sanctions annoncées à l’encontre des chômeurs. Ce chiffre de 500 000 circule souvent, sans que l’on sache vraiment d’où il sort. Peut-être des enquêtes Besoins en Main-d’Oeuvre (BMO) de l’Unedic,
qui montrent qu’en gros 500 000 employeurs jugent difficiles leur projet de recrutement. Mais dire que le recrutement est difficile n’est pas synonyme d’emploi non pourvu. Voir sur ces
enquêtes et les raisons des difficultés de recruter ce document du Credoc.

Je ne prétend pas à l’exhaustivité, d’autant que, je l’avoue, j’ai souvent décroché…

Les joueurs du PSG sont rationnels

Mazette! J’ai préparé ce petit billet hier, et voilà que je découvre ce matin que Gizmo m’a grillé mon sujet… Tant pis, je le poste, et renvoie sur son billet pour des précisions/compléments.


Petite réaction rapide suite au billet de Rue89, curieusement titré “le PSG perd, les joueurs veulent être augmentés”. En fait, les joueurs ne demandent pas une prime en cas de défaite, mais en cas de maintien. Ce
qui est tout à fait rationnel.

Si le PSG est relégué, il essuie une perte R. En posant l’hypothèse héroïque que les joueurs, en accroissant leur effort pendant les derniers
matchs, peuvent empêcher la relégation, il est rationnel de leur octroyer une prime P, d’un montant total inférieur à R, pour les inciter à produire cet effort. Le PSG y gagnera (coût
supplémentaire de P inférieur à la perte potentielle R). On peut bien sûr considérer que les joueurs n’ont pas de déontologie, qu’ils sont opportunistes, mais c’est une hypothèse de base de
l’économie : si je peux tirer avantage de ma situation, je n’hésite pas.

On notera que si le PSG était à quelques points des premières places, et que les joueurs demandaient une prime supplémentaire en cas de
qualification pour la ligue des champions, les réactions à leur comportement ne seraient sans doute pas les mêmes. Pourtant, ce serait la même histoire : la qualification serait synonyme
de gain G, en posant la même hypothèse héroïque que précédemment, il serait rationnel que le PSG leur octroie une prime P d’un montant total inférieur à G.

Bref, un joueur du PSG est sans doute un mauvais footballeur, mais c’est un bon homo oeconomicus

Les économistes sont-ils prétentieux… ou autistes ?

via Book of Saturday, je découvre une petite note de recherche plutôt intéressante de Ezra Zuckerman. L’étude s’intéresse aux citations croisées entre deux revues économiques (American Economic Review
(AER) et Journal of Political Economy (JPE)), deux revues de sociologie (American Journal of Sociology (AJS) et American Sociological Review (ASR)) et deux revues de sciences politiques
(American Political Science Review (APSR) et American Journal of Political Science (AJPS)).

L’étude montre que les citations des travaux d’économistes par des sociologues sont plus nombreuses (depuis le début des années soixante-dix
spécialement), que les citations de sociologues par des économistes : sur 15 985 articles publiés au XXème siècle dans l’AER et le JPE, seuls 99, soit 0,6%, citent des articles de l’AJS ou de
l’ARS ; alors que la proportion inverse est de 6,2% (493 articles sur 10 112).  

Les résultats obtenus sont qualitativement identiques lorsqu’on regarde les citations des revues de sciences politiques dans les revues
d’économie, d’une part, et de sociologie, d’autre part :

 



Comment expliquer cela ? L’auteur propose deux interprétations possibles : i) les économistes ne regardent pas les autres disciplines,
car ils considèrent qu’elles sont de statut inférieur, ce que les autres disciplines acceptent implicitement, puisqu’elles citent les économistes sans être citées par eux, ii) certaines
disciplines sont ouvertes aux échanges intellectuels avec les autres disciplines, de manière croissante, pendant que d’autres, l’économie typiquement, restent fermées sur elles-mêmes. Les deux
interprétations ne sont bien sûr pas exclusives…

Afin de compléter quelque peu cette étude, je me suis amusé à calculer les citations croisées pour 3 revues françaises : la Revue Economique,
la Revue Française de Sociologie, et la Revue Française de Science Politique, en m’appuyant sur la base
Cairn. Résultats sous forme de schéma:



Pour chaque revue, est indiqué entre parenthèses le nombre d’articles recensés dans la base (qui commence en 2001). Chaque pourcentage
correspond à la part dans l’ensemble des articles de la revue de ceux citant une autre revue. Par exemple, le chiffre de 2,4% signifie que 2,4% des articles de la Revue Economique (13 sur 539)
incluent une référence à un article de la Revue Française de Sociologie.

On n’est pas très loin des résultats de l’étude américaine : l’économie cite nettement moins moins la sociologie que la sociologie ne la cite
; elle ignore totalement la science politique (1 article sur 539) ; science politique et sociologie se citent plus fortement. Bon, il conviendrait d’étendre un peu, dans le temps et en nombre de
revues. Mais ces quelques résultats ne me semblent pas totalement inintéressants…

Commerce et inégalités

L’approfondissement de la mondialisation, et notamment le développement des échanges entre pays développés et pays en développement comme la
Chine et l’Inde, conduit-il, côté pays développés, à un accroissement des inégalités de salaire entre personnes qualifiées et personnes peu qualifiées ? Si oui, quel est l’ampleur de
l’impact?

En 1995, la réponse de
Paul Krugman
était que l’accroissement de ces échanges n’expliquait qu’une faible partie de l’accroissement des inégalités de salaire aux Etats-Unis, de l’ordre de 3%. D’autres études
semblaient confirmer ce résultat, avec un effet estimé compris entre 1,4% et 7%. L’innovation technologique est alors considérée comme nettement plus déterminante.

 Douze ans plus tard, en 2007, Krugman est plus ou moins revenu
sur cette position
, pour deux raisons essentielles : i) le développement accéléré de la Chine fait monter son poids dans l’ensemble des importations américaines de 2% du PIB en 1993 à 5%
aujourd’hui, ii) la fragmentation croissante des processus productifs conduit à l’apparition de nouvelles activités intensives en travail peu qualifiées, y compris au sein de secteurs de haute
technologie. Krugman prend l’exemple des micro-processeurs d’Intel : leur fabrication réclame clairement des compétences très pointues pour certaines étapes du processus, mais pour d’autres
étapes (assemblage, test), il est maintenant possible de les faire réaliser par des personnes peu qualifiées, localisées en Chine, en Malaisie ou aux Philippines.

Sur son blog, Greg Mankiw a pris acte en décembre
2007
 de ces nouvelles affirmations, mais considère qu’il s’agit de possibilités théoriques, qu’il convient de valider empiriquement. Nouvel éditeur de la revue “Brookings Papers on
Economic Activity”, et ayant précisément commandé un article à Krugman sur le sujet, il attend donc son papier pour des éléments de preuves.

Février 2008, une première version du papier de
Krugman
 est diffusée. L’argumentation théorique est conforme à ses premiers développements, mais, côté validation empirique, il reste très prudent :

“How can we quantify the actual effect of rising trade on wages? The answer, given the current state of the data, is that we can’t.
As I’ve said, it’s likely that the rapid growth of trade since the early 1990s has had significant distributional effects. To put numbers to these effects, however, we need a much better
understanding of the increasingly fine-grained nature of international specialization and trade.”

The Economist fait
état de l’évolution de la position de Krugman, et nuance ses craintes en s’appuyant sur les résultats obtenus par d’autres économistes : Josh Bivens, en s’appuyant sur la méthodologie développée
par Krugman en 1995, montre que l’effet du commerce sur les inégalités est passé de 4,8% en 1995 à 6,9% en 2006. Lawrence Katz, de son côté, estime que le commerce avec les pays pauvres explique
environ 15% de l’accroissement des inégalités travailleurs qualifiés/travailleurs non qualifiés. Robert Lawrence, enfin, avance deux contre-arguments à l’analyse de Krugman : i) les américains
sont totalement sortis de certaines activités intensives en main d’oeuvre peu qualifiée. Dès lors, l’accroissement du commerce avec les pays pauvres sur ce type d’activité ne fait pas de perdants
aux Etats-Unis, ii) quand les américains sont encore sur ce type d’activité, ils ne les réalisent pas de la même manière : ils développent des processus productifs plus intensifs en capital
physique et en capital humain. Aussi, quand ils sont concurrencés par des pays pauvres, ceci n’affecte pas la main d’oeuvre peu qualifiée (on n’en utilise plus), mais conduit à un déplacement des
personnes qualifiées vers d’autres secteurs. Dans les deux cas, les inégalités ne sont pas creusées.

A suivre…

Transformation de l’industrie

J’ai expliqué à plusieurs reprises ici que la baisse tendancielle des effectifs de l’industrie ne résultait pas d’un déménagement massif vers
les pays en développement mais, pour une bonne part, d’une tendance des entreprises industrielles à externaliser un nombre croissant d’activités auprès d’entreprises relevant des services
(
dernier billet en date ici).

Le dernier numéro d’Insee Première illustre plutôt bien le propos, en se focalisant sur la sous-traitance des
tâches liées aux nouvelles technologies. Il montre qu’en 2006, 29% des entreprises de plus de dix salariés confient de telles tâches à des prestataires extérieurs. Tous les secteurs sont bien sûr
concernés, à commencer par l’énergie et la finance. S’agissant de l’industrie, la proportion des entreprises ayant sous-traité de telles tâches est de 33%.

On apprend également que 94,9% des prestataires sollicités sont localisés en France, 6,7% dans l’UE et 2,8% hors UE : on externalise beaucoup, mais très peu à l’international. Ceci ne signifie
pas nécessairement qu’il n’y a pas de problématique spatiale : ce point n’est pas traité dans l’étude, mais on peut penser que les entreprises externalisant des fonctions TIC s’en remettent à des
prestataires localisés de manière privilégiée dans de grandes agglomérations. D’où problème éventuel pour les territoires “périphériques”, qui peuvent perdre des effectifs industriels, non
compensés par une hausse des effectifs du tertiaire industriel.

La proportion de 29% observée en France est sensiblement inférieure à la moyenne de l’UE à 27 (proportion de 44%, qui monte jusqu’à 76% au Danemark). Cet écart n’est pas synonyme de “retard”, il
peut s’expliquer par exemple par des différences de spécialisation. On peut s’attendre néanmoins à un accroissement de la sous-traitance, dans ce domaine comme dans d’autres, et donc à une
poursuite de la baisse des emplois dans l’industrie, et de la hausse des emplois dans le tertiaire industriel. Les déclinologues pourront donc continuer à se lamenter, en ne regardant que la
première tendance. Et moi, je pourrais continuer à me lamenter de ces lamentations, en intégrant la deuxième…

Interview Sciences Humaines

 

Dans le numéro 193 du mois de mai du magazine Sciences Humaines, un petit
dossier, p. 56 à
61, titré l’entreprise introuvable. Avec un article (€) de Xavier de la Vega, que je trouve très bien fait, qui passe en revue, sous forme
d’enquête policière, les théories récentes de l’entreprise. Ainsi qu’une interview (€) de ma part, intitulée “la multinationale entre deux stratégies”.

J’en profite également pour signaler une synthèse intéressante (€) d’Arnaud Parienty, dans le numéro
d’avril d’Alternatives Economiques, “Pourquoi les entreprises délocalisent”. 

L’étude approximative de l’UFC Que Choisir sur le défaut de concurrence locale

“Hypermarchés : le défaut de concurrence peut provoquer jusqu’à 20% de perte de pouvoir d’achat”. C’est le titre d’un article des Echos, qui reprend le commentaire le plus spectaculaire des conclusions d’une étude
de l’UFC Que Choisir, dont le résumé se trouve ici,
les données détaillées , et d’autres documents
encore

En gros,la méthodologie est la suivante : Que Choisir a travaillé sur 634 zones de chalandise, classées en non concurrentielles (1 seul
hypermarché sur la zone), moyennement concurrentielles (2 hypers) et concurrentielles (plus de 2 hypers). Sont ensuite calculés des indices de cherté, chaque indice étant égal à “l’écart entre
les prix moyens de l’enseigne en question et les prix moyen du groupe auquel l’enseigne appartient”. Un indice pour les marques nationales, un indice pour les marques distributeurs et un
indice synthétique, qualifié d’indice de cherté du panier. En se concentrant sur ce dernier, et en croisant indice de cherté et degré de concurrence, la conclusion de l’étude est la
suivante :

En moyenne nationale, un hypermarché situé dans une zone non concurrentielle sera 1,30% plus cher qu’un hypermarché du même groupe
situé dans une zone concurrentielle. Le relevé ayant été effectué lors d’une période de prix bas, septembre 2007, il s’agit d’un écart de prix sous estimé. Par ailleurs, cette moyenne cache
des écarts de prix locaux beaucoup plus importants pouvant aller jusqu’à 20%.

Par exemple, à Marseille, le consommateur paiera au Carrefour du 15ème arrondissement, en position dominante, 5,5% de plus qu’au
Carrefour du 8ème arrondissement. Cela représente pour un ménage moyen un surcoût annuel de l’ordre de 230 euros. Dans le département de la Gironde, un ménage qui fait ses courses au Leclerc
de Talence, qui est dans une zone non concurrentielle, paiera 9,3% plus cher qu’au Leclerc de Port-Ste-Foy-et-Ponchapt, en concurrence avec un Géant Casino. Déménager, permettrait au ménage
de Talence de faire une économie annuelle d’environ 392 euros en moyenne !

Par conséquent, il apparait évident que les distributeurs, notamment Carrefour et Auchan, adaptent leur politique de prix à
l’environnement concurrentiel local. Cette stratégie peut s’avérer très payante dans la mesure où notre étude montre que seules 26,9% des 634 zones de chalandise de notre étude peuvent être
considérées comme potentiellement concurrentielles.

Ce manque flagrant de concurrence sur les zones de chalandise doit être imputé à la réglementation relative aux implantations
commerciales, dite « loi Royer/Raffarin », mise en place pour protéger le petit commerce.

Quelques remarques, dont certaines s’appuient sur des calculs complémentaires (réalisés en partenariat avec mes statisticiens préférés,
Françoise et Christian, que je remercie en passant!).

Première remarque : je suis surpris (façon de parler…) par la façon dont l’UFC commente ses résultats, et par la façon dont les médias
relaient ces commentaires (voir le titre des Echos) : la conclusion essentielle de l’étude, me semble-t-il, est que les écarts de prix entre zones non concurrentielles et zones
concurrentielles, certes existent, mais sont finalement assez peu importants, de l’ordre de 1,30% en moyenne. Bien sûr, si on se concentre sur les cas extrêmes, et on trouvera toujours, dans
toute étude, des cas extrêmes, on peut arriver à dire le contraire, mais ça me semble moyennement honnête intellectuellement… D’autant moins honnête que l’écart de 20% mentionné n’est pas un
écart observé sur une même zone, ni même dans un même département, mais l’écart entre l’indice de cherté le plus fort, et l’indice de cherté le plus faible observé France entière. Ayant calculé
les plus grands écarts observés par département, on obtient un chiffre de 13% au plus, pour les départements 22 et 52, sachant qu’en moyenne l’écart au sein d’un département est de 4% (écart type
de 3%).

Deuxième remarque : même si l’on considère que ce type de démarche est recevable, et si on se focalise sur l’écart extrême de 20%, dire que
cet écart est synonyme de perte de 20% de pouvoir d’achat est fortement critiquable, car on fait abstraction du poids du budget alimentaire dans l’ensemble de la consommation des ménages. Sachant
que ce poids tourne autour de 17%, une variation de 1,3% impacte grosso modo leur pouvoir d’achat de 0,2% ; et si on retient le cas des 20%, on arrive à un impact de 3,4%, non pas de 20%.

Troisième remarque : les auteurs de l’étude ne testent pas le caractère significatif ou non des résultats obtenus. Mais je les rassure toute
de suite, sur la base de leurs chiffres, il s’avère que les écarts obtenus sont effectivement significatifs, notamment lorsqu’on compare les zones non concurrentielles et les zones moyennement
concurrentielles (l’écart de prix étant en moyenne de 0,97%). La conclusion la plus rigoureuse serait donc : “défaut de concurrence locale : un impact faible mais significatif sur le pouvoir
d’achat des ménages”. Moins vendeur, c’est vrai…

Quatrième remarque : au-delà des différences dans  les résultats moyens, on observe des différences dans la dispersion des résultats.
Notamment : l’écart-type des résultats pour les zones non concurrentielles est de l’ordre de 2,5%, contre 1,5% pour les deux autres types de zones. Bref, il semblerait qu’en l’absence de
concurrence locale, les pratiques en termes de prix soient plus hétérogènes. Un bémol cependant : cette valeur élevée de l’écart-type résulte pour une bonne part des valeurs observées pour une
dizaine des 209 zones non concurrentielles, comme on peut le voir sur ce graphique, qui reprend la valeur de l’indice (base 100) des 209 zones rangées par ordre croissant :




Si on étudie plus précisément ce groupe de zones non concurrentielles, on observe que 93 des 209 zones, soit 44%, ont un indice de cherté pour
le panier inférieur à la moyenne de l’ensemble des zones. Certes, ça en fait une majorité avec un indice supérieur à la moyenne (56%), mais un bon nombre d’enseignes, pourtant protégées de la
concurrence, ne semblent pas vraiment en profiter. L’étude de l’UFC leur permettra peut-être de s’en rendre compte, ils pourront alors se dépêcher d’augmenter leurs prix… Plus sérieusement, sur
la base de ce constat, on peut se dire que d’autres éléments jouent dans le niveau des prix.

Cinquième remarque : les résultats obtenus pour l’indice de cherté MDD et l’indice de cherté Marques nationales diffèrent, qu’il s’agisse des
moyennes ou des écarts types, même si le classement des zones reste le même (résultats moyens supérieurs et dispersion plus grande pour les zones les moins concurrentielles). De plus, on observe
que les indices de cherté MDD et Marques nationales sont plutôt mal corrélés (R² de 0,22). Un peu puzzling comme résultat : si l’absence de concurrence permet de monter les prix,
pourquoi le faire pour les marques nationales et pas pour les MDD (ou inversement)?

Ce qui m’amène à la sixième et dernière remarque, sans doute la plus importante : en étudiant la relation indice de cherté = f(nombre de
concurrents), l’UFC fait comme si aucune autre variable ne jouait sur le niveau des prix pratiqués dans les zones. Or, il existe d’autres déterminants. Petit exemple parmi d’autres : les
zones du territoire diffèrent par le prix du foncier commercial, ce qui conduit, pour les établissements s’implantant dans les zones, à des différences de coûts fixes. Toute chose égale par
ailleurs, une enseigne s’implantant dans une zone où le foncier commercial est relativement plus coûteux pratiquera des prix relativement plus importants qu’une même enseigne s’implantant dans
une zone où le foncier est moins cher. De manière plus générale, tous les éléments locaux qui conduisent à des écarts de coûts fixes peuvent expliquer une partie des écarts de prix pratiqués. On
peut sans doute même pousser un cran plus loin le raisonnement : sur certains territoires, le niveau des coûts fixes peut constituer une barrière à l’entrée. On verra dès lors moins
d’hypermarchés sur la zone, pratiquant des prix plus élevés qu’ailleurs, mais ce n’est pas le faible nombre de concurrents qui explique le niveau des prix, mais le niveau des coûts
fixes.

Le rôle des coûts fixes ressort en tout cas clairement d’une étude plus rigoureuse réalisée sur le cas anglais, dont une synthèse est
visible ici. Elle montre que l’impact de la régulation des implantations sur les prix proposés aux consommateurs
existe, qu’il est statistiquement significatif, mais qu’il est faible, une bonne partie des différences s’expliquant plutôt par des écarts de coûts fixes. J’ai vaguement l’impression qu’on
obtiendrait les mêmes résultats pour la France…