Des relocalisations qui pèsent ?

J’ai évoqué à plusieurs reprises (ici et notamment) le sujet des relocalisations d’entreprises (entreprises ayant délocalisé et décidant ensuite de se réinstaller dans leur pays
d’origine). Ces exemples de relocalisation sont intéressants, car ils montrent que certaines entreprises ont du mal à prendre en compte l’ensemble des coûts de production et de coordination
(et/ou la dynamique de ces coûts) pour déterminer une localisation « optimale ». J’ai expliqué aussi qu’il convenait de ne pas exagérer le nombre de relocalisations, de la même façon
qu’il convient de ne pas exagérer le poids des délocalisations dans les destructions d’emplois.

 

Quelques compléments, suite d’abord à des échanges lors d’une table ronde du Colloque de
Metz
avec Steffen Kinkel, du Fraunhofer Institute for
Systems and Innovation Research
, qui étudie les phénomènes de délocalisations et de relocalisations en Allemagne dans certains secteurs de l’industrie manufacturière : depuis 2000, ce
sont 3500 entreprises de l’industrie des métaux et de l’industrie chimique qui ont relocalisé en Allemagne. Pourquoi ? En raison de surcoûts mal anticipés : surcoûts liés à une mauvaise
anticipation des délais d’installation (en moyenne la durée d’installation effective est le double de la durée planifiée), à la supervision des nouvelles installations, aux frais de personnels
dépêchés sur place pour mettre en place les installations, à la difficulté de trouver des fournisseurs performants sur place (d’où la nécessité d’importer d’Allemagne des éléments non trouvés sur
place), à des problèmes de fiabilité ou de qualité, etc. (pour des compléments, voir aussi cet article du BusinessWeek)

 

Les conclusions d’une étude sur l’industrie européenne, publiée en mai 2006, vont dans le
même sens : entre 25% et 50% (selon les pays) des entreprises enquêtées ont investi dans une unité de production à l’étranger en 2002 ou en 2003 avec comme motivation première la réduction
des coûts de production, mais aussi l’accès à de nouveaux marchés, ou l’installation auprès de clients clés. Mais, dans le même temps, entre un sixième (Allemagne ou Italie) et la moitié des
entreprises (Royaume-Uni) s’étant engagées à l’étranger ont fait demi-tour. Pour la France, 46% des entreprises enquêtées ont fait de l’offshoring, 15% ont fait demi-tour, soit un ratio
relocalisation/offshoring de 3 pour 1.

EMS.gif

Les raisons invoquées pour les relocalisations sont les suivantes : problèmes de qualité, de flexibilité/réactivité, de coûts de production, de coûts de
coordination et de communication, enfin de disponibilité de personnes qualifiées.

En résumé : les délocalisations et les relocalisations pèsent globalement peu, mais les relocalisations semblent représenter une part non négligeable des
délocalisations…

Libéralisation de la grande distribution – suite

Philippe Moati vient de mettre en ligne sur son blog une tribune en réponse  à la chronique de Philippe Askenazy dans les Echos du 27 septembre. Je me permets de
reprendre les deux articles.

Texte de Philippe Askenazy, Directeur de recherche au CNRS, Ecole d’Economie de Paris :

Le président a marqué sa volonté d’une réforme majeure des régulations de la grande distribution en France. Pour comprendre sa démarche, il faut revenir onze ans
en arrière. En 1996, les groupes français de distribution continuent de développer leur parc de magasins alors qu’un nouveau format de vente – le hard-discount – connaît une croissance
exponentielle, portée par des opérateurs allemands, Lidl et Aldi. Cette situation menace les marges des distributeurs français. Sous couvert de défense du petit commerce, deux lois vont être
votées fort opportunément. La première est bien connue : confortant l’interdiction de la revente à perte, la loi Galland empêche les distributeurs de défalquer les marges arrière des prix. La
seconde, la loi Raffarin, renforce le contrôle des autorisations de grandes surfaces par les élus locaux et les représentants des distributeurs déjà en place. Elle l’étend aux surfaces de plus
de 300 mètres carrés pour l’alimentaire, le seuil de contrôle le plus bas en Europe. Ainsi, au moment même où le dynamisme de la grande distribution est un moteur essentiel de la croissance et
des créations d’emplois aux Etats-Unis, la France érige une législation restrictive anticoncurrentielle. La seconde loi limite la concurrence par l’offre, la première par les prix. La Bourse ne
s’y trompe pas, les actions des distributeurs s’envolent… avec les prix au détriment des consommateurs.

L’évolution des prix relatifs alimentaires est visuellement frappante. Alors qu’ils suivaient une évolution comparable à celle de nos voisins, dès l’automne 1996,
ils dérivent continûment, bien avant l’avènement de l’euro (qui ne semble pas avoir été plus inflationniste en France que dans les autres pays de la zone). Au total, les prix alimentaires se
retrouvent en 2004 au moins 7 % au-dessus de la tendance observée avant ces lois et même 10 % pour la viande. Le consommateur est en fait doublement perdant : la rareté des surfaces de vente
est criante dans certaines zones, et il n’est guère besoin de moderniser des magasins qui risquent peu de voir s’implanter un nouveau concurrent.

L’année 2004 marque cependant un tournant. Dans le sillage de plusieurs rapports sur la loi Galland, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Economie, convoque
bruyamment les distributeurs. Il obtiendra une modeste ristourne. Mais, parallèlement, les créations de grandes surfaces reprennent modérément à la suite d’un assouplissement de la loi Raffarin
par la jurisprudence du Conseil d’Etat ; en août 2005, la loi Dutreil permet qu’une part des marges arrière soit intégrable dans les prix. Au total, entre la mi-2004 et juillet 2007, les prix
relatifs alimentaires décroissent de 2,5 % à 3 % par rapport à l’évolution européenne moyenne. Ils restent donc, uniquement pour l’alimentaire, potentiellement encore autour de 5 milliards
d’euros de pouvoir d’achat manquant pour les Français.

Théoriquement, la seconde phase de démantèlement du dispositif Galland impulsée par le président de la République et la réforme de la loi Raffarin devraient
mécaniquement rendre cette rente aux consommateurs.

Nicolas Sarkozy devrait ainsi satisfaire les consommateurs français au détriment des marges des grands distributeurs. Dans ce contexte, l’ouverture des commerces
le dimanche peut apparaître comme une compensation. Les salariés ne devraient guère en profiter. Mécaniquement, ils travailleront moins les autres jours de la semaine ; les heures bonifiées
généralement à 100 % lors d’une ouverture exceptionnelle le dimanche le sont rarement si l’ouverture est systématique. En revanche, les grands distributeurs pourront reprendre leur marche
d’écrasement des petits commerçants isolés. Pour ces commerçants, l’ouverture le dimanche matin est une bouée. Face à des géants ouverts tout le dimanche, pourront-ils sacrifier leur temps de
repos pour ouvrir aussi l’après-midi, comment feront-ils pour imposer à leurs éventuels salariés de travailler ? Environ un cinquième du chiffre d’affaires des grandes surfaces pourrait alors
être réalisé le dimanche. Plus utilisable, leur foncier sera revalorisé. Une bonne nouvelle pour la prochaine introduction en Bourse de la société foncière de Carrefour.

 Texte de Philippe Moati, Professeur d’économie à l’Université
Paris-Diderot, directeur de recherche au Crédoc:

 

Dans sa chronique du 27 septembre, Philippe Askenazy apporte son soutien au Président de la République qui souhaite redonner
du pouvoir d’achat aux Français en relançant la concurrence dans la grande distribution. L’histoire doit cependant nous inciter à la plus extrême prudence : lorsqu’il a voulu intervenir
sur ce secteur, l’Etat a généralement manqué sa cible et généré des effets pervers. Méfions nous donc d’une dérégulation qui pourrait provoquer des réactions non contrôlées.

Commençons par la réglementation de l’urbanisme commercial, la loi Raffarin qui, si l’on en croit Askenazy, aurait été
responsable du tarissement des créations de surfaces alimentaires. Si le flux de nouveaux mètres carrés s’est effectivement réduit, c’est bien plus en raison de la saturation du potentiel de
croissance que d’un cadre réglementaire qui certes a accru les coûts de transaction, mais s’est montré en réalité bien peu dissuasif, comme en témoigne la proportion des projets finalement
autorisés. Ce qui est en cause est moins le cadre réglementaire que le caractère peu « contestable » du secteur : assurer la compétitivité d’un réseau implique que celui-ci
atteigne d’emblée une taille importante pour bénéficier d’économies d’échelle. Eu égard à la densité du parc, l’entrée d’un nouvel acteur semble aujourd’hui impossible en dehors du rachat d’un
réseau existant. La libéralisation totale des ouvertures aurait certainement pour premier effet d’attiser la soif d’expansion des groupes en place qui ont du mal à se résigner à un régime de
croissance ralenti. Une sur-production de mètres carrés serait alors à craindre ; elle simulerait sans doute la concurrence mais risquerait aussi de produire des friches aux conséquences
difficiles à évaluer.

Venons-en maintenant à la réforme de la loi Galland qui vise à permettre la  répercussion des marges arrière sur les
prix aux consommateurs. L’amorce du démantèlement de la loi Galland (la loi Jacob-Dutreil) a affectivement permis de redonner du mordant aux politiques tarifaires des hypers et des supers et de
baisser les prix des grandes marques. Le risque que comporte une accélération du processus de libéralisation des prix, avec le passage au « triple net », est qu’elle pourrait
atteindre son but : déclencher une guerre des prix. Certes, elle aurait un effet direct immédiat (somme toute modeste) sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Mais il convient
d’anticiper les effets indirects. Sur le commerce de proximité d’abord qui s’était redressé à la faveur de la loi Galland et qui aurait bien du mal à résister au creusement de l’écart de prix
avec les grandes surfaces de périphérie. L’intensification de la concurrence par les prix encouragerait les distributeurs à rechercher des gains de productivité pour nourrir leur compétitivité
sans laminer leur rentabilité. Or, ils disposent actuellement de technologies leur permettant d’envisager des économies substantielles : l’adoption massive du « self chekout » et
du « self-scanning » (en attendant la RFID) permettrait potentiellement du supprimer plusieurs dizaines de milliers d’emplois de caissières. Aujourd’hui, les distributeurs déclarent
vouloir n’avoir qu’un recours modéré et progressif à ces technologies et recycler une grande partie de la main-d’œuvre ainsi libérée dans l’amélioration du service aux clients. Le déclenchement
d’une guerre des prix remettrait en cause ce scénario optimiste. On peut aussi craindre que les distributeurs resserrent encore leur pression sur les fournisseurs, lesquels pour résister à
l’asphyxie seraient à leur tour condamnés à la productivité voire à la délocalisation.

La grande distribution française semble, enfin, en train de négocier un virage structurel l’amenant à adopter une logique
plus servicielle,  plus adaptée aux nouveaux modes de consommation (voir les dernières réalisations de Champion, Monoprix, ou le nouvel hyper de Géant Casino). Une dérégulation incontrôlée
fait courir le risque d’encourager les états-majors à renouer avec l’orthodoxie du « discount à la française » qui avait fait leur succès : des prix bas certes, mais au détriment
de l’emploi.

Libéralisation de la grande distribution

On n’arrête pas d’entendre que l’ouverture à la concurrence dans la distribution permettrait de créer de nombreux emplois et d’augmenter le pouvoir d’achat des
consommateurs. Tous les économistes semblent d’accord avec cette proposition, s’appuyant pour la plupart sur L’étude
d’Askenazy
. Dernier en date, Daniel Cohen, dans une tribune pour le Monde intitulée « Les
mystères de la vie chère » :

La loi Raffarin a ainsi amputé à elle seule de 9 milliards d’euros le pouvoir d’achat des consommateurs pour le seul commerce alimentaire (selon une étude de
Philippe Askenazy et Katia Weidenfeld Les Soldes de la loi Raffarin, reprise en verbatim dans le rapport de la commission Attali). Dans une économie à croissance ralentie, cela correspond à un
enjeu qu’on ne peut plus ignorer.

 

Une vois discordante, celle de Philippe Moati, professeur à l’Université de Jussieu et directeur de
recherche au Credoc, qui a publié il y a quelques temps un ouvrage de référence sur la
distribution
. Il reconnaît que le cadre réglementaire de la grande distribution a généré des effets pervers non négligeables, mais il doute de la pertinence des propositions de la commission
Attali. Et les arguments qu’il avance me semblent très sérieux. Par exemple, à la question de Valérie Secong dans La Tribune du 18 octobre 2007 « plus de concurrence dopera-t-il la
croissance ? », il répond :

 

Concernant la loi Raffarin, si la libéralisation peut effectivement, localement, accroître la concurrence et favoriser le déploiement de nouveaux concepts innovants,
je ne suis pas sûr qu’on puisse en attendre un réel bénéfice sur l’emploi. Le territoire national est désormais bien équipé en commerces, en particulier dans l’alimentaire. Certes, la
libéralisation encouragerait les groupes de distribution à satisfaire leur soif de croissance par l’ouverture de nouveaux magasins. Mais si le volume du marché ne suit pas, ces ouvertures
entraîneront des fermetures en nombre croissant. Et si les nouveaux venus s’imposent sur la base de prix bas, ils afficheront une intensité en emplois plus faible que les enseignes en place.
Enfin, il n’est pas sûr que l’effet sur la concurrence soit massif car seule l’entrée de nouveaux acteurs peut déstabiliser l’oligopole actuel. Or, étant donné l’importance des économies
d’échelle, un nouvel acteur est contraint d’entrer d’emblée avec un réseau de taille significative, ce qui paraît peu réaliste en raison de la densité commerciale déjà atteinte. Je suis plus
inquiet des conséquences indirectes de la libération des prix si la loi Galland devait être supprimée. Cela déclencherait certainement une guerre des prix. Pour renforcer leur compétitivité, tout
en ménageant leurs marges, les distributeurs renforceraient encore leurs pressions sur les fournisseurs. Ils chercheraient à réaliser des gains de productivité. Les nouvelles technologies
d’automatisation de l’encaissement leur offrent une formidable opportunité. Ainsi, pour un hypothétique gain de pouvoir d’achat, le prix à payer pourrait être la destruction de plusieurs dizaines
de milliers de postes de caissières.

 
 Dans le journal
l’Alsace
, il complète, en indiquant notamment que l’installation de hard discounters pourrait certes faire baisser les prix, mais également peser sur l’emploi, car « ces enseignes
utilisent deux fois moins de personnel par unité de chiffre d’affaires que les enseignes traditionnelles ».
 

Développement complémentaire sur une des filières de l’agro-alimentaire, la filière lait, suite à des échanges avec Jacques Mathé, économiste du Centre d’Economie Rurale de Parthenay (79), membre du réseau national des CER et expert du monde agricole, afin de mieux comprendre les
conséquences éventuelles d’une guerre des prix : les grands distributeurs se fournissent soit auprès d’industriels comme Danone, Lactalis et Nestlé, soit auprès de coopératives. Compte tenu
de la flambée du prix du lait, les industriels et les coopératives souhaitent répercuter une partie de la hausse sur le prix de leurs produits.

 
Pas question, répondent certains politiques et distributeurs, à commencer par Michel-Edouard Leclerc, défenseur devant l’éternel des consommateurs français : il
faut que les industriels rognent sur leurs marges. Sauf que les groupes leader à marques incontournables, comme Danone et Lactalis, n’en ont aucune envie, et qu’ils ont les moyens de
résister : ils se sont engagés depuis longtemps dans des stratégies de différentiation verticale et horizontale afin de sortir de la concurrence en prix. Leur panier de marques fortes,
plébiscitées par les consommateurs, doivent être présentes dans les linéaires et les enseignes ne peuvent s’en passer au risque de perdre des clients. Ces opérateurs leaders, en
répercutant
la hausse des prix de leurs matières premières, peuvent aussi rémunérer correctement leurs propres fournisseurs- éleveurs.
 
Les coopératives, en revanche, n’ont pas cette possibilité : leur positionnement stratégique est plutôt un positionnement en prix et produits peu
identifiés; les volumes qu’elles écoulent sont faibles ; elles sont faiblement internationalisées ; bref, leur pouvoir de négociation vis-à-vis de distributeurs comme Leclerc est
quasi-nul. Elles fournissent la GMS en marque distributeur ou premier prix dans une relation contractuelle. Si la guerre des prix se déclenche, nul doute que les grands industriels
sauront tirer leur épingle du jeu, tandis que les coopératives et leurs membres seront vite étranglés. Seule solution pour eux : à moyen-long terme, sortir d’une seule stratégie de prix,
 en développant des stratégies de marques ou d’ultra différenciation (Champagne, fromages sous AOC, produits labellisés, bio….). À court terme, s’associer aux grands industriels
pour faire pression sur la grande distribution.

On pourra rétorquer que c’est bien fait pour ces coopératives, qui n’ont pas su s’engager plus tôt sur les bons créneaux. C’est en partie vrai. En partie seulement, car leur positionnement
s’explique pour une large part par le système d’incitation des politiques publiques, en l’occurrence de la PAC (voir à ce sujet le billet incendiaire d’Alexandre Delaigue sur la PAC), véritable encouragement à produire en grande quantité des biens
non différenciés.

 

Bref, tout ca pour dire qu’il ne faut pas voir dans les préconisations de la commission Attali une solution miracle aux problèmes de l’économie française, et qu’il
conviendrait d’agir en toute connaissance de conséquences.

Je poste ce billet, et m’empresse de le signaler sur les blogs de Moati et d’Askenazy, histoire peut-être d’entamer un débat…

L’évolution de la localisation des activités de R&D en Europe

Retour de Bordeaux, après un workshop vraiment intéressant sur les délocalisations.
Avec comme point commun de la plupart des papiers l’idée qu’il faut dépasser la question des délocalisations, pour s’intéresser aux formes actuelles de la division du travail, notamment à
l’échelle du continent européen : comment penser l’évolution de la spécialisation des entreprises? Quels problèmes de coordination en découlent? En quoi les choix de spécialisation et les
problèmes de coordination influent sur la localisation des activités économiques? J’y reviendrai avec des comptes rendus des papiers, certains consacrés à l’automobile, d’autres aux centres
d’appels, d’autres encore aux logiciels, etc.

Premier compte rendu sur l’intervention de Fabrice Hatem qui nous a présenté les résultats de différentes analyses menées sur la base
AFII. Elles ont donné lieu à la publication
d’un des derniers numéros de la revue
Economie et Société
, avec notamment deux articles intéressants et très complémentaires sur les investissements internationaux dans les centres de R&D
en Europe. Petit résumé personnel de chacun d’eux.


F. Hatem, 2007, « Les investissements internationaux dans les centres de R&D en Europe : une
analyse à partir des bases de données projets de l’AFII », Economie et Société, 41 (5), p. 699-722.

Entre 2002 et 2005, l’AFII a recensé 135 projets d’IIRD (Investissements Internationaux en R&D) par an créateurs de 6000 emplois par an. Ceci correspond à
5,4% du nombre de projets et 3,9% des emplois. Les régions d’origine sont l’Amérique du Nord (54,6%) et l’Europe de l’Ouest (36,7%), principalement les firmes allemandes, françaises et
britanniques. Les secteurs les plus représentés sont les médicaments, les équipements électroniques, l’automobile et les logiciels. L’Europe de l’Ouest accueille l’essentiel des projets (84,8%)
et des emplois (66,3%). La Tchéquie et la Pologne progressent fortement en 2005.

La France accueille 9,6% des emplois et 11,2% des projets, ce qui la place au 3ème rang, derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne. Elle attire notamment des projets relevant des secteurs
de l’équipement électrique et des composants électroniques. Parallèlement, elle est la région d’origine pour 8,7% des emplois et 7,2% des projets sur la même période.
 

F. Sachwald & E. Chassagneux, 2007, « Les facteurs de localisation des centres de R&D à l’étranger : le cas de l’Europe »,
Economie et Société, 41 (5), p. 723-750.


Les auteurs proposent une caractérisation fine des activités de R&D à l’étranger pour se prononcer sur les stratégies de localisation des firmes, et donc
l’attractivité des territoires. Elles distinguent les Centres de développement local (CDL), qui « s’appuient sur les ressources technologiques de la maison mère pour soutenir la production à
l’étranger et permettre l’adaptation de l’offre au marché local » ; les Laboratoires de recherche global (LRG), qui « contribuent au processus d’innovation de l’entreprise à
l’échelle mondiale (…) et [ont vocation] à accroître les capacités d’innovation de la maison mère (…) en [tirant] parti des ressources scientifiques et technologiques de leur pays
d’implantation » et enfin les Centres de développement global (CDG), qui sont « en charge de tâches qui peuvent être séparées puis réinjectées dans le processus d’innovation de
l’entreprise ». Leur développement répond « à la pression croissante sur les coûts des activités de R&D ».

Pour les CDL, le principal facteur d’attractivité est la taille du marché local, pour les LRG, c’est la qualité des ressources scientifiques et technologiques
qui importe, pour les CDG, enfin, le facteur décisif serait la disponibilité d’une main d’œuvre de qualité et relativement bon marché par rapport au pays d’origine.

 

Zone d’implantation en Europe

CDL
200 projets

LRG
77 projets

CDG
62 projets

Total centres de R&D

UE15 + Suisse
92,0%
98,7%
51,6%
86,1%
Autres pays UE27 sauf Malte et Chypre
8,0%
1,3%
48,4%
13,9%
Total
100,0%
100,0%
100,0%
100,0%
 
La partie occidentale de l’Europe attire la quasi-totalité des Laboratoires de Recherche Global et une très grande part des Centres de Développement Local. Les
CDG se localisent en revanche pour moitié dans les autres pays de l’Union, attirés par une main d’œuvre qualifiée et bon marché.

Suivent des
analyses détaillées par secteur « qui ne diffèrent pas du constat général » ci-dessus, ainsi que des tests économétriques, qui confirment globalement les hypothèses de choix de
localisation des différents types de centre.

On peut bien sûr lire ces résultats avec angoisse : les activités de R&D, préalablement concentrées dans les pays développés, commencent à s’internationaliser, au profit notamment des PECO,
preuve du déclin économique du premier groupe de pays. On peut y voir aussi, et c’est la thèse que je défendrai, les signes de l’approfondissement de la division du travail à l’échelle
européenne, avec effectivement un développement de l’activité de R&D dans les PECO, mais aussi dans les pays d’Europe Occidentale, sur des segments plutôt complémentaires. Ces nouvelles
implantations devraient permettre aux PECO d’accélerer leur développement, ce que je considère plutôt comme un objectif louable, sans nécessairement entraver la croissance des pays d’Europe
occidentale, si ces derniers parviennent à s’insérer efficacement dans la division du travail. Cette deuxième thèse m’apparaît comme plus pertinente, compte-tenu des résultats obtenus dans les
autres papiers présentés au workshop. A suivre, donc…

 

Les trajectoires de délocalisation

Je vous en avais parlé, je participe à un
workshop sur les délocalisations demain et après-demain sur Bordeaux.
Le programme est téléchargeable ici

Il y aura notamment deux conférences : l’une jeudi, assurée par Mouhoud el Mouhoub (Université de Paris Dauphine), intitulée “Fragmentation des processus productifs et division spatiale du
travail” ; l’autre vendredi, assurée par Fabrice Hatem (AFII), sur “La localisation des centres de R&D en Europe”.  

Sont également programmées différentes sessions, je participe à la première pour présenter un texte co-écrit avec Marie Ferru et intitulé “Les centres d’appels : unicité ou diversité des
trajectoires organisationnelles et spatiales?”. Texte encore en version provisoire (le titre a d’ailleurs un peu évolué), dans lequel nous montrons que l’idée selon laquelle tous les centres
d’appels sont voués à être délocalisés est à relativiser fortement. Je le posterai ici sous peu. J’essaie aussi de poster des comptes rendus de certains des textes présentés.

Faites un don

J’apprends via  le  Parisien que  “une
nouvelle loi permet aux contribuables de faire un chèque – déductible à 66 % sur la feuille d’impôt – à un établissement du supérieur”. Richard Descoing, directeur de Sciences
Po, vient de faire partir un courrier à son réseau d’anciens ; la direction du Collège de France vient d’envoyer un courrier à deux-cents contribuables assujettis à l’impôt sur la fortune ; je
m’empresse donc de vous communiquer l’adresse de l’Université de Poitiers : 15, rue de l’Hôtel Dieu – 86034 Poitiers Cedex –
France.

Débat sur le système de santé US

Débat en cours aux Etats-Unis sur l’efficacité du système de santé US. Ca a commencé avec ce billet de Greg Mankiw. Réactions rapides de Mark Thoma, reprises et complétées par Brad de Long, puis de Dean Baker. Paul Krugman souscrit aux arguments de ces derniers.

 

Finalement, s’il n’y a pas autant de débats entre économistes en France, c’est peut-être parce qu’il nous manque un Greg Mankiw…

Les régions qui gagnent, et celles qui perdent…

Document Insee Première n°1162 particulièrement intéressant sur les niveaux de vie
et la pauvreté en France, par région et par département. Les différences de niveaux de vie permettent de repérer les régions « riches » et les régions « pauvres ».
L’indicateur retenu est le niveau de vie médian. Le rapport inter-décile entre le niveau de vie plancher des 10 % d’individus les plus aisés et le niveau de vie plafond des 10 % les
plus pauvres permet de mesurer l’ampleur des inégalités, et de distinguer des régions « inégalitaires » et des régions « égalitaires ».

Si l’on s’accorde sur l’idée que l’objectif économique essentiel de tout territoire est d’assurer à l’ensemble des habitants un niveau de vie élevé et croissant, ces données
permettent de repérer les régions qui atteignent mieux que d’autres cet objectif, étant entendu que quatre possibilités existent : régions riches égalitaires, régions pauvres égalitaires,
régions riches inégalitaires, régions pauvres inégalitaires.

Les quelques calculs que j’ai pu effectuer sur les données Insee disponibles en ligne montrent que la corrélation entre niveaux de vie et degré d’inégalités est mauvaise, au niveau des régions
comme au niveau des départements : le R² au niveau des régions est de 0,1351, la corrélation est faiblement positive (plus on est riche, plus on est inégalitaire). Si on enlève l’Ile de
France, le R² tombe à 0,0945, la corrélation est cette fois faiblement négative. Résultats à interpréter avec précaution, puisque la population est de 22 régions (21 quand on enlève l’Ile de
France). Au niveau des départements, le R² est de 0,3193, corrélation positive. Mais quand on enlève les deux départements les plus riches (75-Paris et 92-Haut de Seine), le R² tombe à 0,0928.
Bref, corrélations mauvaises, on a des territoires dans les quatre situations.

Pour compléter un peu, j’ai donc construit un tableau croisé régions riches/pauvres en ligne (niveau de vie supérieur/inférieur à la moyenne simple), et régions égalitaires/inégalitaires en
colonne (rapport interdécile D9/D1 inférieur/supérieur à la moyenne simple). On obtient le tableau suivant :

 
Régions
« Egalitaires »
« Inégalitaires »
« Pauvres »
 
Auvergne
Champagne-Ardenne
Picardie
Limousin
Poitou-Charentes
Basse-Normandie
Bourgogne
Pays de la Loire
Lorraine
Corse
Languedoc-Roussillon
Midi-Pyrénées
Nord-Pas-de-Calais
« Riches »
Aquitaine
Bretagne
Franche-Comté
Haute-Normandie
Centre
Alsace
Ile-de-France
Provence-Alpes-Côte d’Azur
Rhône-Alpes
 
Aquitaine, Bretagne, Franche-Comté, Haute-Normandie, Centre et Alsace sont, sur la base de ces calculs, les régions les plus performantes. La Corse, le
Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et Nord-Pas-de-Calais, en revanche…