Economie de la rage de dent


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Depuis
quelques années, je vais chez un dentiste d’un genre nouveau. Un dentiste schumpetérien, en quelque sorte, qui innove intensément, notamment d’un point de vue organisationnel. Explications.

L’autre jour,  mal de dent tenace, j’appelle mon dentiste. Il me fixe un premier rendez-vous, d’environ 15 minutes au cours duquel il pose un diagnostic et planifie les séances suivantes :
une séance de 1h30, pour réaliser un premier ensemble de soins, une deuxième séance de 30 minutes, pour finaliser le travail. La veille du rendez-vous d’1h30, son assistante me passe un coup de
fil, pour que je n’oublie pas de venir.

Ca n’a l’air de rien, mais ça change tout : alors que les dentistes, habituellement, enchaînent des rendez-vous d’une vingtaine de minutes et traitent ce qu’ils peuvent dans le temps imparti, lui
inverse la problématique, et planifie la durée du rendez-vous en fonction du travail à réaliser. Pour cela, il a dû au préalable chronométrer le temps d’intervention nécessaire pour chaque acte,
et introduire la possibilité de rendez-vous longs. Implication immédiate, quand on cale des rendez-vous long, si un client fait défection, ça pose problème : d’où l’idée de rappeler les patients
la veille. Ceci lui permet également de décaler éventuellement de 10 à 15 minutes les rendez-vous si besoin.

Les avantages de ce type de fonctionnement sont nombreux : i) en termes d’hygiène, d’abord, il est difficile voire impossible d’être irréprochable quand on enchaîne des rendez-vous courts, alors
que lui dispose de plus de temps,  ii) lorsqu’on anesthésie les patients ensuite, il peut se passer entre 5 et 10 minutes avant que le produit ne fasse effet. Or, quand vous avez 20 minutes
pour traiter un patient, vous n’avez guère le temps d’attendre, vous commencez donc les soins, et parfois, ça fait mal. La douleur n’est pas liée à l’anesthésiant (tous les dentistes utilisent
les mêmes), mais à ce problème organisationnel, iii) lorsque les soins sont assez longs et que vous fonctionnez avec des rendez-vous courts, vous devez endormir, commencer à soigner, mettre un
pansement provisoire, fixer un nouveau rendez-vous, réendormir, continuer à soigner, etc… Pas vraiment optimal, ne serait-ce qu’en raison de l’injection répétée d’anesthésiant, iv) si votre
temps de trajet domicile-dentiste est assez élevé, vous perdez un temps considérable (en temps de transport) à enchaîner les rendez-vous (problème fréquent en région parisienne, m’a-t-il dit,
pour y avoir exercé en début de carrière), vi) de son côté, il m’a dit avoir gagné considérablement en qualité de travail : il n’a plus à enchaîner les rendez-vous sans savoir à l’avance ce qu’il
va devoir faire, à se dépêcher de soigner, passer au patient suivant, etc.

Pourquoi tous les dentistes ne font pas cela, me direz-vous? D’abord car de nombreux dentistes travaillent seuls (la moitié de ceux installés), et que le simple fait de devoir rappeler les
patients devient impossible. Ensuite car l’inertie organisationnelle, chez les dentistes comme dans toutes les organisations, est plutôt importante. Il y a pourtant pas mal à y gagner, en termes
d’efficacité économique (meilleure qualité des soins) et en termes de conditions de travail (baisse du stress).

Et depuis, rassurez-vous (je vous devine inquiets), je n’ai plus mal à ma dent…