Les tribulations de Schneider Electric en Chine


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Dans le cadre du cours « Stratégies de localisation » de 3ème année de la Licence d’Economie Appliquée, j’ai expliqué hier matin aux étudiants que les choix de localisation des firmes ne dépendent pas uniquement des différentiels de coût du travail,
mais aussi des différentiels de productivité, ainsi que des coûts de la coordination à distance. Par exemple, une entreprise française délocalisant en Chine gagne à l’évidence en termes de coût
du travail, mais elle perd en productivité (perte inférieure au gain lié au différentiel de salaire dans le cas général), et elle doit assumer également des coûts de coordination à distance (coût
et délais de transport, problème de qualité des produits, de fiabilité des prestataires, d’assurance, etc.). Les entreprises doivent donc raisonner en coût complet, ce qui les conduira, dans
certains cas, à délocaliser et, dans d’autres cas, à ne pas délocaliser.

Exemple d’actualité dans cette perspective, les tribulations de Schneider Electric en
Chine. Les Echos nous apprennent en effet que la firme française a perdu un procès en contrefaçon contre l’un de ses principaux
concurrents chinois, le groupe Chint, et qu’elle doit en conséquence verser dans les dix jours la somme de 335 millions de yuans, soit plus de 31 millions d’euros. La lecture de l’article laisse
penser que la décision de la justice chinoise n’est pas des plus impartiales
(le PD-G de Chint, Nan Cunhui, est un proche du pouvoir et membre du parlement
chinois
) mais à la limite, peu importe : la multiplication probable de ce type d’affaires [1]
, synonyme d’accroissement de l’insécurité juridique et donc d’accroissement des coûts, pourrait modifier les choix de localisation de
certaines entreprises. Je dis bien « pourrait », le bilan avantage-coût pouvant rester positif dans tout un ensemble de cas, eu égard au potentiel de croissance de la Chine (ce qui
n’est pas sans lien avec un billet précédent).

 

[1] Cette décision « va faire froid dans le dos de nombre de groupes étrangers
empêtrés dans de complexes procédures judiciaires avec leurs partenaires ou concurrents chinois » nous dit-on.

Heures supplémentaires supplémentaires

C’est aujourd’hui que la
détaxation des heures supplémentaires entre en vigueur
. L’objectif, je vous le rappelle, est de faire en sorte que les salariés puissent travailler plus pour gagner plus.

Bon, apparemment, il y a eu un léger problème d’évaluation du
coût de la mesure , puisque le gouvernement a “oublié” de comptabiliser le coût des heures supplémentaires supplémentaires
, préférant raisonner à
volume constant, ce qui est un comble quand on introduit une mesure visant à augmenter ce volume…

Bon, on me répondra que nos ministres ne sont pas fous : si le volume des heures sup augmente, cela va se traduire par plus de consommation, donc plus de croissance, donc plus de rentrées
fiscales, donc des moyens de financement de l’accroissement initial du volume. Les économistes s’étant penchés sur le sujet sont plutôt sceptiques, si l’on en juge par ce rapport du Conseil d’Analyse Economique signé par Cahuc, Artus et Zylberberg. Extrait :

L’attention se porte désormais sur la diminution du taux de majoration et des charges sociales sur des heures supplémentaires pour accroître les revenus et
valoriser le travail. Pourtant, rien n’indique que de tels dispositifs seraient susceptibles d’atteindre ces buts. Au contraire, ils contribueront à complexifier la législation avec un
risque de coût exorbitant pour les finances publiques et un impact très incertain sur l’emploi et les revenus
. Une diminution du taux de majoration des heures supplémentaires entraîne
une augmentation de la demande d’heures supplémentaires de la part des entreprises et une substitution des heures de travail aux postes de travail défavorable à l’emploi et au revenu global.
Cet effet défavorable est néanmoins contrebalancé par une diminution du coût global du travail. En théorie, l’impact sur l’emploi et le revenu d’une hausse du taux de majoration des heures
supplémentaires est donc ambigu, il dépend de la technologie des entreprises et de la sensibilité de la demande par rapport au prix de leurs produits. Empiriquement, la connaissance des ordres
de grandeur sur les différents paramètres technologiques et de demande ne permet pas de déterminer avec certitude l’effet sur l’emploi. (…)
Un allégement des prélèvements obligatoires sur les heures supplémentaires accroît le pouvoir d’achat de ceux qui travaillent au-delà de la durée légale. Néanmoins, en contrepartie, le
financement de cet allégement réduit le revenu des salariés qui ne font pas d’heures supplémentaires. En outre, cette mesure a un effet négatif sur l’emploi, puisqu’elle incite les entreprises
à substituer des heures de travail aux hommes. Au total, l’allégement des prélèvements obligatoires sur les heures supplémentaires a donc un impact très incertain sur l’emploi et le revenu
lorsque son financement est pris en compte.
Mais là n’est pas l’essentiel : un inconvénient majeur de ce type de mesure est qu’il risque de favoriser des comportements «opportunistes». Ainsi, un employeur et son salarié
peuvent conjointement gagner à abaisser (ou à ne pas augmenter) le taux de salaire des heures normales et à déclarer fictivement un grand nombre d’heures supplémentaires (ce qui est très
difficilement contrôlable) afin de bénéficier des avantages fiscaux. Certes, ce phénomène ne se réaliserait sans doute pas du jour au lendemain. Mais, à terme, la durée réelle du travail ne
s’en trouverait pas modifiée, et les finances publiques en souffriraient grandement.

Bon, mais il n’y a pas de souci, l’opportunisme peut s’exprimer : Eric Woerth a
prévu une réserve de précaution de 7 milliards d’euros
,
réserve qui “pourrait servir en cas de “dépenses imprévues”, comme par exemple un succès supérieur
aux prévisions des heures supplémentaires défiscalisées”.