L’impact économique du Futuroscope


futuroscope-copie-1.jpg
Centre Presse
publie un cahier spécial d’une quarantaine de pages sur le Futuroscope. Philippe
Bonnet m’avait interviewé il y a un peu plus d’un mois sur l’impact économique du Futuroscope, l’interview figure page 21 du dossier. En fait, il s’agissait de commenter une étude réalisée par le
cabinet Caudron Consultant pour le compte du Conseil Général. Voici les principaux éléments que j’avais mentionnés (certains sont repris dans l’interview, d’autres non).

 1. l’Etat au sens large pratique très rarement des exercices d’évaluation. Le fait qu’une collectivité se lance dans un tel exercice est donc une bonne chose, il serait bon que ce type
d’exercice se généralise,

 2. dans l’étude, le cabinet tente d’évaluer les effets en chaîne de l’investissement public, ce qui me semble également une bonne chose : on sort ainsi de
l’idée que les impôts ne servent qu’à embêter les gens, ils sont dépensés, ces dépenses génèrent des richesses, ces richesses sont distribuées sous forme de revenus, ces revenus sont pour partie
dépensés localement, etc… Méthodologiquement, il s’agit de s’appuyer sur une analyse renouvelée genre « théorie de la base » dont j’avais donné les grandes lignes dans ce document,
 
Ceci dit, les exercices d’évaluation sont difficiles, et il y a quelques problèmes avec celle réalisée par le Conseil Général :
 
1. La première limite : le Conseil Général s’est lancé dans l’exercice d’évaluation en faisant appel à un consultant qui travaillait auparavant pour … le
Conseil Général. Pour l’avoir rencontré et discuté à plusieurs reprises avec lui, je ne doute pas qu’il a tenté de faire un travail impartial. Cependant, il est clair que le Conseil Général prête
le flanc à la critique en confiant l’étude à quelqu’un qui n’est pas totalement extérieur à l’institution. A l’avenir, il faudrait que les collectivités fassent appel à des experts totalement
extérieurs, même si, en faisant cela, on prend le risque d’une évaluation moins favorable.

 2. La deuxième limite porte sur la méthodologie employée. L’étude se décompose en 3 parties : i) étude du Chiffre d’Affaires du parc et des autres
activités de la zone, ii) étude des revenus générés dans la zone, iii) impact en termes de création d’emplois. La première partie n’est pas satisfaisante d’un point de vue économique, car le
chiffre d’affaires mesure simplement les recettes générées par une entité, sans comptabiliser les coûts. Si on en reste à ce type d’analyse, on en vient à l’idée que le meilleur investissement
est un gros investissement (big is beautiful) alors qu’il me semble qu’un bon investissement est un investissement qui rapporte plus que ce qu’il coûte… La deuxième et la troisième partie sont
plus satisfaisantes. Elles sont conformes aux exercices d’évaluation faits par les économistes. Elles montrent notamment qu’environ 2 milliards d’euros de revenus ont été générés, pour un
investissement initial de 500 millions d’euros, soit un taux de rentabilité de 8% par an, ce qui n’est déjà pas si mal… disons que si le Conseil Général avait placé cet argent auprès
d’intermédiaires financiers, il n’aurait pas fait mieux.

 3. troisième limite : il y a cependant un problème, qui tient à la nécessité de distinguer entre le Parc de loisir et la zone d’activité. Si le Parc a eu
des effets indéniables en termes d’image, il est devenu au fur et à mesure des années un vrai « boulet ». Pourquoi ? Car il fait supporter au département des coûts fixes très
importants. Or, si la fréquentation permet de couvrir les coûts variables, elle ne permet que rarement de couvrir les coûts fixes l’ensemble des coûts fixes, qu’il faut
renouveler régulièrement pour que les spectateurs reviennent au Parc. On est donc dans la situation suivante : on a du mal à rentabiliser l’activité, mais arrêter l’activité coûterait encore
plus cher (situation que l’on rencontre dès lors que les recettes permettent de couvrir les coûts variables mais pas l’ensemble des coûts fixes). Cette barrière à la sortie est d’autant plus
haute que les actifs dans lesquels le département investit sont des actifs spécifiques (qui font supporter des coûts non seulement fixes, mais de plus irrécupérables).  La zone d’activité
qui s’est développée autour fonctionne en revanche plutôt bien, avec de nombreuses créations d’emplois. Une bonne part de ces emplois, cependant, correspond à des centres d’appels, ce qui n’est
pas sans soulever de questions en termes de pérennité des emplois occupés, de conditions de travail et de niveaux de rémunération. Je ne dis pas qu’il faille condamner automatiquement ce type
d’implantation, loin de là, car les premières analyses que j’ai pu mener sur le sujet montrent que le secteur « centres d’appel » est très hétérogène, que ce soit en termes d’ancrage
territorial ou en termes de conditions de travail. Il est clair cependant qu’un travail d’évaluation complémentaire permettant d’évaluer le poids des activités pérennes et des activités
éventuellement menacées serait plus que bienvenu…

Pour finir, je prêche pour ma “paroisse” :  on insiste beaucoup en ce moment sur la nécessité de renforcer les relations entre entreprises et Université pour favoriser l’innovation. Dans la
tête des politiques, cependant, il s’agit plutôt de faire appel, côté université, aux laboratoires de sciences “dures” (ou “inhumaines”), rarement aux laboratoires de sciences “molles” (ou
“humaines”). Il me semble pourtant que des collaborations efficaces pourraient être nouées entre les collectivités et les laboratoires d’économie, de géographie, de sociologie, etc…, par
exemple sur cette thématique de l’évaluation des politiques publiques. Cela devrait permettre aux collectivités d’être, elles-aussi, plus innovantes…