Libéblog – Attractivité de la France : du discours aux faits


cls_conomistes.jpg
Libération
m’avait sollicité pour participer à un blog (en compagnie de Bruno Amable, Alexandre Delaigue et Peirre-Yves Géoffard) pendant la campagne
présidentielle (titre : La Campagne Déchiffrée). L’expérience continue avec un nouveau titre : “Les Eco-comparateurs”
et un nouveau sous-titre : “la vie économique française et le programme du gouvernement décryptés par des spécialistes”
. Premier billet posté sur l’attractivité de la France. Je le poste
aussi ici, n’hésitez pas à réagir ici où là-bas.


Pour la cinquième année consécutive, Ernst & Young a présenté son étude sur l’attractivité européenne organisée selon deux axes : il s’agit
d’abord d’une mesure de l’image de l’Europe et de celle de ses concurrents perçue par 809 décideurs internationaux, et ensuite d’une analyse de la réalité des implantations internationales
recensées dans le « European Investment Monitor » d’Ernst & Young. J’avais commenté les résultats sur données 2005 dans ce billet. Je récidive aujourd’hui.

 En remarquant d’abord que la presse a relayé de bien curieuse façon les résultats de l’étude, avec comme titre de l’article du Monde : « Investissements étrangers : la France reste attractive mais se fait
rattraper par ses concurrents », mais surtout pour la Tribune (€) : « Attractivité : la
France risque la relégation en deuxième division »… Damned, me suis-je alors exclamé, le problème doit être sérieux…
 
Et en effet, les chiffres sont édifiants :
 

e-y071-copie-1.gif

La France, 2ème du classement en 2005, a dégringolé brutalement en 2006 à la … 2ème place, toujours derrière le Royaume-Uni, et toujours
devant l’Allemagne. En termes de créations d’emplois (20 509 emplois créés en 2006 dans l’hexagone), elle est 3ème derrière la Pologne (largement première : les PECO attirent
moins de projets, mais des projets de plus grande taille, plus intensifs en main d’œuvre) et le Royaume-Uni. On y apprend en outre que la France se caractérise par une « domination des
services aux entreprises et du secteur des logiciels (74 et 72 projets) » et qu’elle est « n°1 européen des implantations de fonctions industrielles ». Tout va mal,
donc…

Y a-t-il eu un bug dans la rédaction du titre de la Tribune ? Que nenni. Le titre se réfère non pas aux statistiques sur les projets effectivement réalisés,
mais à l’autre partie de l’étude, sur les discours des dirigeants. Pour ces derniers, si la France est appréciée pour son haut niveau technologique, son système éducatif et son système de santé,
elle serait pénalisée par « le niveau de croissance, le modèle social et l’environnement juridique et fiscal des entreprises » (la Tribune, p. 30). Marc L’Hermitte, associé chez Ernst
& Young, ne craint donc pas d’affirmer que « la France risque la relégation dans la deuxième division des pays attractifs » (même source).
A moins, bien sûr, nous dit-on, qu’elle ne réponde aux deux premières exigences des dirigeants : en renforçant la flexibilité pour 47% d’entre eux, ou en simplifiant les procédures
administratives pour 44%.

Apparemment, ni les  consultants d’Ernst & Young, ni les journalistes ne  s’interrogent sur ce décalage entre discours et faits.  Je pense qu’ils résolvent le paradoxe apparent
en considérant que les faits éclairent les tendances passées, alors que les discours  anticipent sur les tendances futures.  D’où la proposition suivante : jusqu’à présent, ça va, mais
attention, procédez aux réformes que l’on vous indique, sinon  gare à vous.

Sauf que  cette résolution du paradoxe ne tient pas trop la route. En effet,  la rigidité supposée du marché du travail français et la complexité supposée de son administration ne
datent pas, me semble-t-il, de l’année 2005. On pourrait même poser l’hypothèse que les réformes économiques menées ces dernières années orientent plutôt le système français dans la direction
souhaitée par les dirigeants d’entreprise. Comment comprendre alors que l’attractivité du pays a été et reste bonne (dans les faits, pas dans les discours), en dépit de ces configurations
institutionnelles supposées néfastes? Les entreprises ayant investi en France seraient-elles donc à ce point irrationnelles? On peut s’interroger…

On peut s’interroger  en se disant que c’est le mode de résolution du paradoxe qui n’est pas le bon. Hypothèse alternative, donc : les dirigeants
d’entreprises agissent en rationalité limitée. Ils développent, au fur et à mesure de leur activité, certaines représentations du monde (mon hypothèse pourrait être qualifiée de
Penrosienne).  Représentations du monde  plutôt convergentes, en raison de leurs interactions (au sein par exemple des instances patronales – le Medef en France), et parce qu’ils
partagent des sources d’information similaires (on peut supposer par exemple que les dirigeants français sont majoritairement abonnés au Figaro ou à la Tribune, qui  relaient l’actualité
économique d’une certaine manière (cf. le titre de la Tribune supra), plutôt qu’à Libération ou à l’Humanité. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une hypothèse héroïque).  Ils en viennent donc
à considérer qu’il existe un modèle optimal (forte flexibilité du travail, faible intervention de l’Etat, etc) et, logiquement, lorsqu’ils constatent que les caractéristiques du système
institutionnel français ne correspondent pas aux canons du modèle supposé optimal, ma foi, ils  en déduisent logiquement que la France va souffrir en termes d’attractivité.

Ceci n’est pas nécessairement anodin : ces conventions partagées par les dirigeants d’entreprises peuvent influer sur leurs décisions. Si tous décident que la Chine est le nouvel Eldorado, et
vérifiant -ce qui est plutôt rassurant en incertitude radicale- que tous les autres dirigeants partagent le même sentiment, eh bien ils peuvent décider de s’y implanter, même si une analyse plus
poussée leur montrerait que ce choix n’est pas nécessairement optimal. Je ne dis pas que tous les investissements en Chine procèdent de cette logique conventionnelle, je ne dis pas qu’ils sont
nécessairement sous-optimaux, mais je pense sérieusement qu’elle explique certaines décisions d’investissement.

Conclusion?  Il convient  toujours de se méfier de l’analyse des discours. Non pas que leur analyse soit inutile : elle renseigne sur les représentations sociales des collectifs
d’acteurs, représentations qui influent ensuite (au moins partiellement, mais seulement partiellement : pour preuve le nombre de projets développés en France) sur leurs comportements. Mais il
convient de  croiser l’analyse de ces représentations à l’analyse des faits économiques. On aurait pu souhaiter que la Tribune ou le Monde se livrent un tant soit peu à cet exercice, plutôt
que de prendre pour argent comptant les discours des dirigeants… 

Université : faut-il interdire les recrutements locaux ?


rs.jpg
[J’étais en
train de rédiger un petit billet sur le sujet du recrutement local à l’Université, et je viens de voir  via le blog d’Etienne Wasmer que les esprits s’échauffent sur le sujet… J’ai donc finalisé rapidement ce billet, qui mériterait sans doute des compléments/précisions, mais bon, ca
viendra peut-être via les commentaires et autres billets… Add : je viens de voir que Blogizmo a réagi aussi, avec certains arguments qui convergent avec les miens, d’autres qui complètent… ca va chauffer!]

Pour certains, les dysfonctionnements de l’Université française s’expliqueraient par les recrutements locaux. Ils redoutent d’ailleurs que
l’autonomie des Universités renforce ce biais. Ils plaident donc pour une interdiction des recrutements locaux, ce qui devrait logiquement permettre de réduire les problèmes observés (voir
ici par exemple). La thèse que je défendrai est tout autre : les recrutements locaux ne sont pas la cause des
dysfonctionnements de l’Université, ils en sont la conséquence. Explications.

 


Les procédures de recrutement à l’Université

 

Pour obtenir un poste d’enseignant-chercheur, il convient d’abord de soutenir avec succès une thèse de doctorat. Les candidats déposent ensuite un dossier auprès du
CNU (Conseil National des Universités), examiné par deux rapporteurs (un Professeur des Universités et un Maître de Conférences de la discipline), qui se prononcent sur l’aptitude du candidat à
postuler sur les emplois de Maître de Conférences : c’est la phase de qualification. Le dossier est composé d’un CV reprenant la formation du candidat, la liste de ses travaux de recherche,
son expérience d’enseignement, les autres volets éventuels de son activité, le rapport de soutenance de la thèse, la thèse et les articles publiés. Le critère essentiel pour être qualifié est la
qualité des travaux de recherche, que l’on cherche à évaluer au travers de l’analyse du rapport de soutenance, et au travers du nombre et de la qualité des publications (on peut s’en remettre
pour cela aux classements des revues scientifiques).

 

 Les candidats qualifiés postulent ensuite sur les emplois vacants ouverts au concours, emplois qui peuvent être profilés (indication d’une spécialisation genre
« histoire de la pensée ») ou non. Une première étape consiste en une sélection sur dossier, qui reprend en gros les mêmes éléments que pour le dossier de qualification. Les candidats
dont le dossier est retenu sont ensuite auditionnés une vingtaine de minutes (10 minutes de présentation, 10 minutes de question) par la Commission de Spécialistes de l’UFR. Les questions portent
pour l’essentiel sur l’activité de recherche, parfois aussi sur l’activité d’enseignement. La Commission de Spécialistes établit ensuite un classement. Le premier sur la liste prend le
poste ; s’il ne le prend pas, c’est le second qui l’occupera, etc. Il y a donc un double processus de sélection : national avec l’étape de qualification, local avec la phase sélection
sur dossier et audition.

 
 


Ce processus de sélection est-il efficace ?

 

Globalement, je dirais non. Pour le comprendre, il faut d’abord s’entendre sur ce que l’on attend d’un enseignant-chercheur. En effet, le métier
d’enseignant-chercheur à l’Université ne se limite pas à produire des articles scientifiques dans des revues internationales. De manière générale, je décomposerai ses missions en quatre
catégories :

 

* activité d’enseignement et d’encadrement des étudiants

 

* activités administratives

 

* activités de recherche fondamentale

 

* activités de recherche appliquée

 

Toutes sont socialement utiles. Les activités d’enseignement, d’encadrement et les activités administratives doivent permettre que l’université fonctionne mieux, que
les étudiants soient mieux formés, qu’ils aient un bon accès à l’emploi, que le taux d’échec (40% des étudiants sortent sans diplôme) diminue, etc. L’activité de recherche fondamentale a vocation
à déplacer la frontière des connaissances. La recherche appliquée a vocation, côté sciences « dures » (ou « inhumaines ») à favoriser l’émergence à court terme d’inventions
puis d’innovations et, côté sciences « molles » (ou « humaines ») à répondre à la demande sociale (des entreprises ou de l’Etat au sens large, notamment).

 

 Or, dans le processus de sélection tel qu’il existe, on n’évalue pas l’aptitude des candidats à effectuer efficacement ces différentes missions. On peut se
faire une assez bonne idée de l’aptitude du candidat en matière de recherche fondamentale (encore que l’aptitude du candidat à s’intégrer dans une équipe, à porter des projets, à animer une
équipe, etc. ne se voit pas à la lecture des articles), on a une toute petite idée de ses capacités d’enseignement à travers le nombre et la diversité des cours et/ou TD qu’il a effectué, mais
c’est bien tout[1].

 

 A cela s’ajoute le fait que, dans l’Université française, il n’existe aucun système d’incitation à faire de bons cours, ni à prendre des responsabilités
administratives (il existe bien quelques primes, mais qui sont totalement ridicules au regard du surcroît de travail, qu’il s’agisse de piloter une Licence, un Master ou une UFR, ou que sais-je
encore). Je dirais même qu’il existe un système d’incitation à faire de mauvais cours : puisque la qualité de l’enseignement (ou de la direction d’un diplôme, d’une UFR, …) ne permet pas
de progresser, et que, parallèlement, la qualité de la recherche le permet, un enseignant chercheur rationnel a intérêt à bâcler ses cours (et à ne pas prendre de charge administrative) pour
dégager un maximum de temps pour sa recherche. Seul l’existence de déterminants psychologiques (estime de soi), psycho-sociologique (volonté de ne pas être conspué par tous les étudiants quand on
entre en amphi) ou le fait que les enseignants chercheurs aient une certaine déontologie permettent d’expliquer qu’au final, une bonne partie des cours sont de bonne qualité (à moins que ce ne
soit génétique ?).

 

 A cela s’ajoute le fait, enfin, que le ou les candidats recrutés par la Commission de Spécialiste se voient proposer un emploi à vie. Certes, il existe une
période de stage d’un an. Si le candidat ne donne pas satisfaction, l’année de stage peut être prolongée d’une autre année. L’UFR peut aussi décider de ne pas titulariser le candidat, s’il ne
donne vraiment pas satisfaction. Dans les faits, la prolongation de l’année de stage est exceptionnelle, et, en dehors de quelques cas très isolés, la titularisation est quasiment
automatique.

 

Nous sommes donc dans un système où l’on doit recruter une personne pour une quarantaine d’années, sachant que l’on veut que cette personne remplisse correctement
des missions variées et chronophages qu’elle n’a aucun intérêt à remplir correctement (en dehors de l’activité de recherche), et que l’on n’a quasiment aucun élément pour juger réellement de
l’aptitude du candidat à remplir ces missions…

 

 Les réseaux sociaux, substituts d’un système institutionnel défaillant…

 

La sociologie économique a montré depuis longtemps le rôle des réseaux sociaux dans l’obtention d’un emploi (à commencer par Mark Granovetter (1974) et ses
recherches sur la banlieue de Boston, dans lesquelles ils démontrent la force des liens faibles). Des études plus récentes (par Michel Forsé en France, notamment) montrent que, en gros, 1/3 des
personnes qui obtiennent un emploi sont passés par le « marché » (candidatures spontanées), 1/3 par d’autres dispositifs institutionnels (ANPE par exemple) et 1/3 par leurs réseaux
sociaux (famille, amis, anciens collègues). La situation à l’université n’est donc pas franchement atypique.

 
 

 En fait, le recours aux réseaux sociaux est rationnel quand le système institutionnel est défaillant, car les réseaux sociaux sont réducteurs d’incertitude.
Dans le cas qui nous intéresse, le fait d’avoir côtoyé pendant plusieurs années les candidats enseignant – chercheur permet de se faire une bonne idée de sa capacité à faire de bons cours, à
s’impliquer dans une équipe, à prendre des responsabilités, etc. On peut bien sûr se tromper, mais le risque est globalement réduit.

 
 

 Ceci ne signifie pas que ce système est optimal, loin de là. Pour le dire vite, i) le recours aux réseaux sociaux est excluant, ii) il peut conduire à recruter
des personnes de moins bonne qualité. Croire cependant que l’interdiction du recrutement local mettra fin aux dysfonctionnement du système est à mon avis erroné : tant qu’on n’améliorera pas
la procédure de recrutement, les acteurs s’en remettront à leur réseau social. Si le recours aux réseaux sociaux locaux est interdit, ils s’en remettront à des réseaux sociaux non locaux. C’est
d’ailleurs déjà partiellement le cas : lorsqu’un membre d’une commission de spécialiste connaît le directeur de thèse d’un candidat non local, rien ne l’empêche de collecter un peu
d’information afin de réduire l’incertitude sur la valeur du candidat (j’ai cru comprendre également que c’était partiellement le cas s’agissant du concours de l’agrégation, la proportion des
candidats retenus ayant des liens préexistant avec les membres du jury n’étant pas des plus faibles…).

 
 

 Bref, c’est moins le localisme qui pose problème, me semble-t-il, que la défaillance des procédures institutionnelles de recrutement. A partir de là, deux
préconisations en guise de conclusion :

 

* améliorer les procédures de sélection ex ante, en demandant par exemple aux candidats d’effectuer une séquence d’enseignement (ce n’est qu’un
exemple, il y a sans doute plus et mieux à dire, on peut imaginer aussi demander de l’information sur les évaluations des enseignements que les candidats ont assuré, et introduire d’autres
procédures pour évaluer les autres missions susceptibles d’être confiées aux candidats),

 

* le problème essentiel que l’on rencontre à l’Université, de mon point de vue, est celui de l’irréversibilité du choix. Aussi sophistiquée que soit la procédure de
recrutement, on ne pourra éviter des biais de sélection adverse. Aussi conviendrait-il d’introduire des procédures régulières d’évaluation des différentes missions confiées aux
enseignants-chercheurs, de favoriser la promotion de ceux qui remplissent correctement ces missions (en intégrant la diversité des missions assignées), de réorienter l’activité de ceux ne les
remplissant pas correctement, etc.

Je finis avec une formule un peu provoc (histoire de susciter les commentaires?) : la suppression du localisme est aux problèmes
de l’Université ce que l’instauration de la TVA sociale est aux problèmes de l’économie française…

 



[1] Certains proposeraient bien de retenir comme seul
critère d’évaluation le nombre d’étoiles des candidats (les revues, dans certains classements, sont classées à l’aide d’un système d’étoiles). Ceci aurait un énorme avantage : on pourrait
informatiser le processus de sélection. En revanche, cela renseigne assez mal sur la capacité du candidat à assurer de bons enseignements, à assumer des responsabilités administratives, à animer
une équipe de recherche, etc…

TVA sociale : une histoire belge?


belgique.jpg
Inquiets pour la sécurité routière en Belgique, le gouvernement a demandé à un groupe d’éminents experts d’étudier les systèmes en vigueur dans
quelques pays d’Europe, afin d’identifier puis d’imiter les meilleures pratiques. Après quelques mois d’études approfondies (avec une foultitude de tests statistiques et économétriques), les
experts parviennent aux conclusions suivantes : les routes anglaises sont parmi les plus sûres, ce qui s’explique par le fait que les automobilistes roulent à gauche.

Séduit par ces conclusions, le gouvernement belge décide d’adopter la mesure. Mais, bien conscients des incertitudes qui pèsent sur certains points de
l’étude, ils décident de commencer par une expérimentation, avec généralisation au bout d’un an, si le système s’avère efficace : ainsi, de juillet à décembre, seuls les camions seront
autorisés à rouler à gauche
[1]


Le parallèle est-il possible avec la TVA sociale ? Pas impossible…

Le gouvernement explique en effet que la TVA sociale a été adoptée par l’Allemagne et le Danemark, que ces pays ont des bonnes performances économiques en matière de
croissance
(performances à relativiser, soit dit en passant) et de lutte contre le chômage, l’adopter à notre tour semble donc pertinent (c’est le discours tenu par Jean-François Copé dans une interview pour France 3 il y a deux ou trois jours). En oubliant de s’interroger plus
avant sur les déterminants des performances de ces pays , et sur le rôle effectif qu’a pu y jouer la TVA sociale.

Sur le volet expérimentation, également, les propositions que j’ai pu voir laissent un peu rêveur : certains nous disent que l’agriculture pourrait être le secteur
test pour la TVA sociale (la FNSEA est demandeuse), rebaptisée, je vous le rappelle, TVA anti-délocalisations par notre premier ministre. Si le dispositif fonctionne, on ne verra donc plus passer
le “train des délocalisations” (ce sont les termes de notre président) de vaches charolaises ou de champs de maïs qui, c’est bien connu, traversent quotidiennement les voies ferrées françaises pour s’expatrier en
Chine…

Si le secteur retenu est le secteur automobile (hypothèse entendue à plusieurs reprises, évoquée ici par exemple), on peut également s’interroger mais pour
d’autres raisons. Ce secteur est en effet marqué par un recours important à la sous-traitance. Dès lors, le dispositif concernera-t-il uniquement les donneurs d’ordre, ou bien sera-t-il étendu
aux sous-traitants ? Dans le premier cas, se pose un problème évident : si deux constructeurs ont un degré d’internalisation différent, le constructeur qui sous-traite le moins sera
clairement avantagé par la mesure. Altération peu défendable de la concurrence. Dans le deuxième cas, idem : si le dispositif concerne les sous-traitants, quid de la concurrence entre les
sous-traitants qui sont fournisseurs de l’automobile et d’un autre secteur, mettons l’aéronautique, et d’autres sous-traitants qui ne sont eux fournisseurs que de l’aéronautique, et qui seraient
en concurrence avec les précédents ? Les premiers bénéficieront d’un allègement de charge, pas les derniers. Si on décide alors d’étendre le dispositif à ces derniers, on risque de devoir le
généraliser, de proche en proche, à l’ensemble des entreprises. Bref, l’expérimentation peut être une bonne chose dans certains cas, mais dans ce cas précis, je m’interroge…

PS : petite précision à destination de notre nouveau ministre gaffeur d’Etat : je n’ai pas dit que, pour réduire le chômage, il fallait
autoriser les camions à rouler à gauche sur les routes françaises…


[1] merci à Philippe N. pour la version initiale de l’histoire belge.

nti_bug_fck

L’impact économique du Futuroscope


futuroscope-copie-1.jpg
Centre Presse
publie un cahier spécial d’une quarantaine de pages sur le Futuroscope. Philippe
Bonnet m’avait interviewé il y a un peu plus d’un mois sur l’impact économique du Futuroscope, l’interview figure page 21 du dossier. En fait, il s’agissait de commenter une étude réalisée par le
cabinet Caudron Consultant pour le compte du Conseil Général. Voici les principaux éléments que j’avais mentionnés (certains sont repris dans l’interview, d’autres non).

 1. l’Etat au sens large pratique très rarement des exercices d’évaluation. Le fait qu’une collectivité se lance dans un tel exercice est donc une bonne chose, il serait bon que ce type
d’exercice se généralise,

 2. dans l’étude, le cabinet tente d’évaluer les effets en chaîne de l’investissement public, ce qui me semble également une bonne chose : on sort ainsi de
l’idée que les impôts ne servent qu’à embêter les gens, ils sont dépensés, ces dépenses génèrent des richesses, ces richesses sont distribuées sous forme de revenus, ces revenus sont pour partie
dépensés localement, etc… Méthodologiquement, il s’agit de s’appuyer sur une analyse renouvelée genre « théorie de la base » dont j’avais donné les grandes lignes dans ce document,
 
Ceci dit, les exercices d’évaluation sont difficiles, et il y a quelques problèmes avec celle réalisée par le Conseil Général :
 
1. La première limite : le Conseil Général s’est lancé dans l’exercice d’évaluation en faisant appel à un consultant qui travaillait auparavant pour … le
Conseil Général. Pour l’avoir rencontré et discuté à plusieurs reprises avec lui, je ne doute pas qu’il a tenté de faire un travail impartial. Cependant, il est clair que le Conseil Général prête
le flanc à la critique en confiant l’étude à quelqu’un qui n’est pas totalement extérieur à l’institution. A l’avenir, il faudrait que les collectivités fassent appel à des experts totalement
extérieurs, même si, en faisant cela, on prend le risque d’une évaluation moins favorable.

 2. La deuxième limite porte sur la méthodologie employée. L’étude se décompose en 3 parties : i) étude du Chiffre d’Affaires du parc et des autres
activités de la zone, ii) étude des revenus générés dans la zone, iii) impact en termes de création d’emplois. La première partie n’est pas satisfaisante d’un point de vue économique, car le
chiffre d’affaires mesure simplement les recettes générées par une entité, sans comptabiliser les coûts. Si on en reste à ce type d’analyse, on en vient à l’idée que le meilleur investissement
est un gros investissement (big is beautiful) alors qu’il me semble qu’un bon investissement est un investissement qui rapporte plus que ce qu’il coûte… La deuxième et la troisième partie sont
plus satisfaisantes. Elles sont conformes aux exercices d’évaluation faits par les économistes. Elles montrent notamment qu’environ 2 milliards d’euros de revenus ont été générés, pour un
investissement initial de 500 millions d’euros, soit un taux de rentabilité de 8% par an, ce qui n’est déjà pas si mal… disons que si le Conseil Général avait placé cet argent auprès
d’intermédiaires financiers, il n’aurait pas fait mieux.

 3. troisième limite : il y a cependant un problème, qui tient à la nécessité de distinguer entre le Parc de loisir et la zone d’activité. Si le Parc a eu
des effets indéniables en termes d’image, il est devenu au fur et à mesure des années un vrai « boulet ». Pourquoi ? Car il fait supporter au département des coûts fixes très
importants. Or, si la fréquentation permet de couvrir les coûts variables, elle ne permet que rarement de couvrir les coûts fixes l’ensemble des coûts fixes, qu’il faut
renouveler régulièrement pour que les spectateurs reviennent au Parc. On est donc dans la situation suivante : on a du mal à rentabiliser l’activité, mais arrêter l’activité coûterait encore
plus cher (situation que l’on rencontre dès lors que les recettes permettent de couvrir les coûts variables mais pas l’ensemble des coûts fixes). Cette barrière à la sortie est d’autant plus
haute que les actifs dans lesquels le département investit sont des actifs spécifiques (qui font supporter des coûts non seulement fixes, mais de plus irrécupérables).  La zone d’activité
qui s’est développée autour fonctionne en revanche plutôt bien, avec de nombreuses créations d’emplois. Une bonne part de ces emplois, cependant, correspond à des centres d’appels, ce qui n’est
pas sans soulever de questions en termes de pérennité des emplois occupés, de conditions de travail et de niveaux de rémunération. Je ne dis pas qu’il faille condamner automatiquement ce type
d’implantation, loin de là, car les premières analyses que j’ai pu mener sur le sujet montrent que le secteur « centres d’appel » est très hétérogène, que ce soit en termes d’ancrage
territorial ou en termes de conditions de travail. Il est clair cependant qu’un travail d’évaluation complémentaire permettant d’évaluer le poids des activités pérennes et des activités
éventuellement menacées serait plus que bienvenu…

Pour finir, je prêche pour ma “paroisse” :  on insiste beaucoup en ce moment sur la nécessité de renforcer les relations entre entreprises et Université pour favoriser l’innovation. Dans la
tête des politiques, cependant, il s’agit plutôt de faire appel, côté université, aux laboratoires de sciences “dures” (ou “inhumaines”), rarement aux laboratoires de sciences “molles” (ou
“humaines”). Il me semble pourtant que des collaborations efficaces pourraient être nouées entre les collectivités et les laboratoires d’économie, de géographie, de sociologie, etc…, par
exemple sur cette thématique de l’évaluation des politiques publiques. Cela devrait permettre aux collectivités d’être, elles-aussi, plus innovantes…

Les trottoirs sont-ils de droite?

Dominique Clément est l’actuel maire de Saint-Benoît, dans la Vienne (accessoirement la ville où je réside).  Il s’est présenté  pour la première fois  aux
dernières élections en se déclarant sans étiquette (en dépit  d’une proximité évidente avec Jean-Pierre Raffarin) se justifiant dans la presse avec cette formule “un trottoir est-il de
gauche ou de droite?”. 

Formule intéressante, qui peut convaincre plus d’un électeur, mais que j’avais trouvé particulièrement pénible :  le budget d’une municipalité est limité, 
le maire et ses conseillers font des choix,  ces choix se traduisent par des investissement dans des trottoirs, le fleurissement de la ville, ou l’embauche de différentes personnes, et le
non-investissement dans d’autres domaines
(en l’occurrence, la municipalité a embauché deux gardes urbains pour assurer la sécurité de notre paisible bourgade
de 7000 habitants, étant entendu que l’objectif était d’en embaucher trois, mais, 35 heures oblige, les finances ne le permirent pas, dixit l’adjoint aux finances)
. Si un trottoir n’est pas nécessairement de droite, il peut donc être la matérialisation d’une politique de droite (ou de gauche, là n’est pas le problème).

Du moins était-ce mon sentiment, jusqu’à ce soir, où j’ai pu voir qu’à Saint-Benoît, dans la Vienne, les trottoirs étaient foncièrement de droite (
Jean-Yves Chamard est le candidat UMP de la circonscription, il est opposé à Catherine Coutelle, candidate PS) :
:


stbenoit.gif



Allez, bon vote, et regardez bien à droite et à gauche avant de changer de trottoir, vous pourriez vous faire écraser…

La TVA sociale anti-délocalisation anti-chomage non inflationniste qui va faire payer les méchants étrangers

tva.jpg
La TVA sociale fait la une de l’actualité. Jean Arthuis défend l’idée depuis de nombreuses années, Nicolas Sarkozy et François
Fillon la reprennent à leur compte et semblent vouloir avancer sur le dossier après 2008. D’où ce petit billet, pour avancer dans la compréhension du problème.

Le mécanisme dit de TVA sociale consiste à basculer une partie du financement de la Sécurité sociale des entreprises vers les ménages, via une baisse des cotisations patronales et une hausse
simultanée de la taxe sur la valeur ajoutée. Du point de vue des finances publiques, ça ne change rien, il s’agit de financer d’une nouvelle façon la protection sociale. Croire que cela permettra
de couvrir automatiquement les nouvelles dépenses du gouvernement est donc erroné, ou alors ce sera au détriment du financement de la sécurité sociale. Ce qu’en attend le gouvernement, en fait,
c’est plutôt un avantage en termes de compétitivité – prix, que le
journal Le Monde explique ainsi,
reprenant sans doute l’argumentation de nos dirigeants : le « transfert de charges permettrait d’alléger le coût du travail en France, de taxer davantage les produits importés, notamment
ceux en provenance des pays à bas coûts, tout en favorisant les exportations ». Cette présentation appelle déjà quelques commentaires :
* sur le
premier point, effectivement, on aura automatiquement une baisse du coût du travail suite à la baisse des cotisations patronales,
* sur le deuxième point,
en revanche, la présentation est fortement biaisée : on ne taxe pas « les produits importés, notamment ceux en provenance des pays à bas coûts » (j’adore ce « notamment ceux
en provenance des pays à bas coûts »…), on taxe tous les produits. On attend simplement de la baisse du coût du travail un gain en terme de compétitivité prix pour les
entreprises installées en France,
* sur le troisième point, idem, la baisse du coût du travail doit permettre aux entreprises qui exportent d’être plus
compétitives en prix.

Bref, ce n’est pas une TVA sociale, c’est une TVA anti-délocalisations, comme nous le dit notre premier ministre.
Cependant, pour que cela fonctionne,
nous dit
Jean-François Copé
, il faut que “les entreprises jouent le jeu” et “baissent leurs prix” ; ce à quoi François Fillon ajoute : cette “TVA
anti-délocalisations” ne serait pas appliquée si elle entraînait une hausse des prix pour les consommateurs. “L’essentiel, c’est de trouver des mécanismes qui nous assurent qu’il n’y aura pas
d’augmentation des prix. Si la ‘TVA anti-délocalisations’ se traduisait par une augmentation des prix, alors naturellement elle n’aurait pas de sens et nous ne la mettrions pas en place”. (je
serais plus prudent : il est tout à fait possible que cette mesure n’ait pas de sens économiquement, mais qu’elle ait du sens politiquement, donc que le gouvernement la mette en
place).
 
Quelques remarques sur les effets attendus.
 
La TVA sociale n’est pas une arme anti-délocalisations…
On nous dit que la TVA sociale va permettre de lutter contre les délocalisations. C’est politiquement astucieux, car la plupart des citoyens sont persuadés que le
problème n°1 de la France, ce sont les délocalisations, et ils sont prêts à ce qu’on mette des barrières aux échanges vis-à-vis des pays pauvres (z’avaient qu’à pas être pauvres) pour lutter
contre. Economiquement ça ne tient pas la route, car les écarts de coût sont tels que si une entreprise a décidé de délocaliser dans les PVD (Chine, Inde, PECO, …), ce n’est pas la variation
attendue du coût du travail qui va l’en dissuader. Elle n’a pas de sens non plus, car comme expliqué à plusieurs reprises sur mon blog, le problème économique principal de la France n’est pas
celui des délocalisations vers les pays en développement. Mais encore une fois, politiquemen, c’est vendeur.
 
…mais plutôt une arme anti-Europe
Eventuellement, la mesure a du sens vis-à-vis des pays de même niveau de développement avec lesquels nous échangeons (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, …). C’est
d’ailleurs ce qu’a fait l’Allemagne, avec un certain succès, mais au détriment de l’Italie et de la France, notamment. Stratégie parfaitement opportuniste, soit dit en passant (je m’étonne
d’ailleurs de l’admiration béate de certains à l’égard de la politique allemande), qu’on peut bien sûr vouloir tenter, mais on s’expose forcément à des mesures de rétorsion : si, après
l’Allemagne, la France s’y met, tous les autres pays risquent de suivre, avec au final un jeu perdant/perdant. Vive l’Europe…
 
Des incertitudes sur la baisse des prix…
De plus, pour que cela marche, comme le souligne Jean-François Coppé, il faut que les entreprises traduisent la baisse des cotisations en baisse des prix.
Or :
i) certaines entreprises peuvent décider d’accroître leurs marges en ne modifiant pas le prix de vente. On peut toujours espérer que les entreprises “jouent le jeu”,
mais si elles peuvent éviter de le jouer, elles le feront, en dépit des injonctions de nos dirigeants…
ii) d’autres entreprises qui ont des processus productifs peu intensifs en main d’œuvre récupéreront peu sous formes de baisse des cotisations, elles ne pourront
donc baisser que relativement peu les prix de vente
iii) d’autres entreprises encore, qui fabriquent des produits dont le contenu en importations est élevé, ne pourront que difficilement baisser leurs prix,
On aura donc des effets différenciés selon les entreprises et les secteurs, avec un effet macroéconomique incertain. Aura-t-on nécessairement inflation ? Non,
si les entreprises parviennent à comprimer les salaires, mais alors on aura perte en termes de pouvoir d’achat. Oui si les salariés parviennent à négocier des augmentations de salaires pour
compenser la hausse des prix, mais c’est alors l’avantage en termes de compétitivité prix qui disparaît.
 
…et sur les effets quantités
Croire que cette réforme va permettre de réduire les importations et d’augmenter les exportations est un peu rapide, également : la TVA sociale, qui est
assimilable à une dévaluation, en présente les inconvénients. Notamment, les effets sur les quantités importées et exportées dépendront de la sensibilité des acheteurs aux variations de prix (ce
qu’on appelle les élasticités prix de la demande d’importation et d’exportation).
Si les élasticités prix des importations sont faibles, on continuera à acheter autant de produits étrangers, simplement on les paiera plus chers (ce sera le cas pour
tout un ensemble de produits, à l’évidence). Idem pour les biens qu’on exporte et qui sont peu sensibles aux prix, pas d’effet volume à attendre. Là encore, donc, effet macro-économique
ambigu.
 
De plus, c’est un très mauvais signal pour les entreprises
En favorisant la compétitivité prix, on incite les entreprises à adopter certains positionnements stratégiques, et on désincite à l’engagement dans des stratégies de
compétitivité hors prix. Or, le problème essentiel de la France est celui de la qualité de sa spécialisation, trop sur le premier type d’activité, pas assez sur le second.
Plus généralement, en réduisant la question de l’avantage concurrentiel des firmes à celle des différentiels de coût du travail, on occulte l’importance d’une part
des gains de productivité en vue de réduire les coûts salariaux unitaires (et des moyens de les soutenir : investissement en capital physique, humain, public, réorganisation des entreprises) et
d’autre part des stratégies de différenciation/innovation pour sortir de la concurrence en prix.
 
Qui va perdre ?
L’instauration d’une TVA sociale va se traduire mécaniquement par une hausse des prix, à moins qu’on ne fasse pression à la baisse sur les salaires.  Dans les
deux cas, cela va peser sur le pouvoir d’achat de certaines personnes. Quelles personnes ? Avant tout les personnes à faible revenu qui consacrent l’essentiel de leur budget à la
consommation de produits quotidiens qui seront taxés plus fortement. Ainsi que les personnes qui ont un faible pouvoir de négociation, et qui ne pourront pas obtenir de hausse des salaires pour
compenser la hausse des prix (ou qui seront victimes de la compression des salaires), autrement dit une partie des salariés et les petits retraités.
On peut toujours se dire que les gains des uns compenseront les pertes des autres, mais ce seront plutôt des gains à court terme, susceptibles d’être annulés très
rapidement (mesure similaire de nos partenaires zone euro, variation du change et/ou baisse des prix pour nos partenaires hors zone euro). Plus généralement, c’est l’économie française qui a
toutes les chances d’y perdre, car l’instauration d’une TVA sociale risque de freiner l’évolution de la spécialisation de l’économie française vers des secteurs plus innovants, créateurs de plus
de richesses et d’emplois et mieux à l’abri de la concurrence en coût.
 
Pour compléter, vous pouvez regarder l’avis de plusieurs économistes, sur lesquels je me suis appuyé pour rédiger ce billet (ordre alphabétique) :
 
Pour finir, je ne résiste pas au plaisir de vous présenter l’argumentation de Jean Arthuis, ancien ministre de l’économie et président de la commission des
finances. Forcément compétent en économie, donc. Au journaliste qui l’interroge sur de possibles effets inflationnistes, il répond que les prix des produits fabriqués en France n’augmenteront
pas, puisque la baisse des cotisations compensera la hausse de la TVA mais qu’en revanche les produits importés seront plus chers. Et là, asseyez-vous bien : « Mais ceux qui les font
venir de l’étranger dégagent des marges telles qu’ils auront l’élégance de ne pas augmenter leurs prix de vente, concurrence oblige ». Je crois qu’il a perdu son dernier
neurone, notre ancien ministre de l’économie. En tout cas, j’ajoute immédiatement une section à mon cours d’économie de l’entreprise intitulée l’élégance économique

interview RTL

rtl.gif
Demain matin (mardi  11 juin 2s007),je suis
interviewé par Christophe Hondelatte sur RTL entre 8h30 et 8h45
sur le sujet des délocalisations, suite à l’affaire Jallatte. Vous pouvez suivre l’émission en direct, ou la réécouter ici.

Comme je l’ai précisé à Catherine Mangin, il ne s’agira pas  de se focaliser sur le cas Jallatte,
plutôt  de discuter autour du problème plus général des délocalisations. Apparemment, il y aura quelques questions de Christophe Hondelatte auxquelles j’essaierai de répondre, puis des
questions/témoignages d’auditeurs avec, si nécessaire, re-intervention de ma part. N’hésitez pas à commenter si vous en avez envie!

Les choix de localisation des firmes françaises


cepii.jpg
On connaît le discours ambiant : mon bon monsieur, avec les 35 heures, les impôts, les syndicats, les lourdeurs administratives, le coût du
travail –j’en passe et des meilleurs– pas étonnant que toutes nos entreprises aillent voir ailleurs (et puis nos
cerveaux
, et puis not’chanteur préféré) : en France, y’a plus d’avenir…

 La lettre du CEPII de février 2007
permet d’y voir un peu plus clair s’agissant des choix de localisation des filiales des firmes françaises. Ce travail est particulièrement intéressant, car il se focalise sur les déterminants de
la décision de l’investissement en intégrant, parmi les choix possibles qui s’offrent aux firmes françaises, le territoire français.

  Résultats :
 
1. sur les 21 500 créations de filiales industrielles sur la période 1987-2002, 18 000 correspondent à la création d’une
filiale en France, 3 500 sont des implantations à l’étranger,
 
2. la part des implantations étrangères augmente sur la période, passant de 9,5% en moyenne à la fin des années 1980 à 23% début
2000

3. les investissements hors de France se dirigent principalement en Europe (PECO de plus en plus)

4. le déterminant essentiel des investissements est l’accès au marché : on préfère produire et vendre sur
place, plutôt que d’exporter les biens. Le nombre d’implantations dans un pays donné dépend donc en première instance du potentiel de marché de ce pays

 
5. pour la France, le nombre d’implantation est encore supérieur, et significativement, à ce potentiel de marché. Il y a donc un
biais domestique important.

6. à partir de leur modèle explicatif des choix d’implantation, les auteurs montrent plus précisément que, pour une firme
française, la probabilité d’investir en France est dix fois supérieure à la probabilité d’investir dans un pays comparable en termes de marché, de coût de production, de
distance, …
 
7. ce biais domestique s’expliquerait en grande partie par la densité des relations financières et commerciales dont dispose une
firme dans son propre pays.
 
8. on peut penser que ce biais a tendance à se réduire, car les premiers engagements à l’étranger permettent aux firmes de
développer de tels réseaux financiers et commerciaux
Les auteurs finissent sur cette remarque : « le facteur explicatif crucial de la localisation des entreprises est le dynamisme de la demande. Même si des
mesures visant à réduire les coûts de production ou la charge fiscale ne sont pas à négliger, l’attractivité du territoire français dépend essentiellement des perspectives de long terme de la
demande française et européenne ».

Il y a des résultats complémentaires dans ce document de
travail du Cepii (en)
, dont le résumé en français est ici. Dans ce dernier document, les auteurs
expliquent notamment que « le choix d’investir à l’étranger plutôt qu’en France implique pour la firme d’avoir atteint un niveau de productivité et une taille suffisante (…) la
réduction relative de la propension des firmes à investir en France au cours de la période considérée pourrait [donc] refléter un accroissement de la productivité moyenne permettant à un nombre
accru d’entreprises d’investir sur les marchés étrangers
» (souligné par moi).

C’est typiquement le genre de résultat contre-intuitif qui vous fait aimer l’analyse économique : si les firmes françaises vont de plus en plus à l’étranger, c’est parce qu’elles seraient de plus
en plus productives en France, et non pas parce qu’en France, tout va mal et patati et patata…