Devoir de rentrée : solution


Bravo à leconomiste, premier à avoir proposé Henry Ford. Mention spéciale à c.f. pour avoir développé les explications. Extrait du texte dans lequel j’ai pioché le sujet :

"En 1914, la Ford Motor Company a décidé de payer à l’avenir ses travailleurs $5 par jour. Comme le salaire généralement en vigueur à l’époque était compris entre $2 et $3 par jour, le salaire payé par Ford était bien au delà du niveau d’équilibre. Longues étaient donc les files de travailleurs attendant devant les grilles de l’usine Ford d’y être engagés pour gagner ce salaire élevé.

Quelle était la motivation de Henry Ford ? Celui-ci l’a énoncé comme suit : « Nous souhaitions payer ce salaire pour que l’entreprise ait des bases solides. Nous travaillions pour le futur. Toute entreprise qui paie des bas salaires est précaire… Le paiement de $5 par jour pour une journée de 8 heures est l’une des meilleures mesures de réduction des coûts que nous ayons jamais prises ».

Du point de vue de la théorie économique traditionnelle, l’explication de Ford est singulière puisqu’il suggère que des salaires élevés sont synonymes de coûts réduits."

(D’après G. Mankiw, 1999, Macroéconomie, De Boeck Université, p. 150)


Pour comprendre le lien salaire élevé / coût réduit, il convient d’introduire la notion de productivité. J’en ai parlé à plusieurs reprises s’agissant des délocalisations, ce qui intéresse l’entreprise, ce n’est pas le coût du travail, mais le coût salarial unitaire, rapport entre le coût du travail et sa productivité. L’accroissement des salaires peut dès lors se traduire par une baisse des coûts s’il s’accompagne d’un accroissement plus important de la productivité du travail.
En proposant des salaires deux fois et demi supérieurs au salaire moyen en vigueur, Ford s’attirait les meilleurs salariés, et s’assurait de leur motivation. On note au passage que la relation salaire (w) – productivité du travail (y) est en quelque sorte inversée : ce n’est plus le niveau de productivité qui définit le niveau des salaires (w=f(y)), c’est le niveau des salaires qui définit le niveau de productivité (y=f(w)).

Pour information, j’ai donné ce sujet aux étudiants de Licence 2ème année de la Faculté de Sciences Economiques de Poitiers (dans le cadre du cours Economie de l’entreprise), sachant qu’ils devaient le traiter en mobilisant la théorie de l’agence (cf. L’economie de l’entreprise, chapitre 1 ; voir aussi pour une introduction ici). Dans ce cadre, l’accroissement des salaires peut être vu comme un mécanisme d’incitation permettant d’éviter les problèmes de sélection adverse (les meilleurs candidats se présentent et se signalent) et les problèmes d’aléa moral (les salariés fournissent l’effort maximal, acceptent les conditions de travail difficiles, ne font pas grève, peu de turn-over, etc.).

Devoir de rentrée…



Petite pause dans la correction de copies. J’en profite pour poser une devinette accompagnée d’un devoir de rentrée (niveau facile, voire débutant).

Un chef d’entreprise a décidé de payer ses salariés deux fois et demi le salaire moyen en vigueur à l’époque. Plus tard, il a déclaré :

[cette décision a été] l’une des meilleures mesures de réduction des coûts que nous ayons jamais prises"

Devinette : qui a dit cela?
Devoir de rentrée : comment expliquer le paradoxe apparent entre augmentation des salaires et réduction des coûts?

Indication : non, ce n’est pas René Obermann, le nouveau P-DG du groupe Deutsche Telekom, qui vient de déclarer :

"Notre société offre en comparaison à d’autres entreprises du secteur toujours des conditions de travail confortables et de bons salaires. (…) Pour être franc, cela ne pourra pas rester comme cela, parce que nous devons urgemment baisser nos coûts, malheureusement aussi nos coûts de personnel"

Les étudiants de la fac de Poitiers, leur famille et leurs proches, n’ont pas le droit de jouer.

Relocalisation picto-charentaise

J’apprends dans Le
Nouvel Obs
qu’un sellier charentais (Forestier, 27 personnes employées) implanté à Segonzac projette de relocaliser dans une prison charentaise une activité préalablement
délocalisée en Inde (activité délocalisée employant 8 personnes). La prison est située à Bédenac, à une soixantaine de kilomètres des usines du sellier.
 

Raison invoquée par les responsables : “En Inde, nous avions des problèmes de copie, de surconsommation de cuir, de confiance en général”. Les prisonniers français
ont été formés, et “produisent un travail à la tâche de qualité, pour des coûts proches de ceux enregistrés en Inde”. “Tout se passe dans la plus grande confiance car nos ouvriers de la prison
ont accès à tous les outils de sellier, dont certains sont tranchants comme des rasoirs”.

Petite histoire intéressante, qui n’est pas sans rappeler celle de Nathan, qui avait
relocalisé en 1993, après avoir découvert que son sous-traitant chinois plagiait ses produits pour les redistribuer en France.

On peut conceptualiser facilement, via la théorie de l’agence (voir ici, chapitre 1 pour la théorie, bien sûr!) :
le recours à un sous-traitant lointain pose un problème d’asymétrie d’information (le sous-traitant en sait plus que moi sur ce qu’il fait), il en profite pour adopter un comportement
opportuniste. La théorie recommande alors de mettre en place des systèmes d’incitation/contrôle pour éviter ces problèmes, mais, en l’occurrence, on peut considérer qu’ils seraient soit
innefficaces, soit trop coûteux. D’où la relocalisation, l’activité de surveillance/contrôle étant plus facile et moins coûteuse à proximité… d’autant plus quand l’activité est relocalisée dans
une prison (sachant que, aux dernières nouvelles, Michael Scofield n’est pas à Bédenac).

 

Sur le sujet des relocalisations, voir ici (quelques histoires de
relocalisation),  (le cas de l’entreprise Samas) et (poids statistique des relocalisations).

Une délocalisation… vers la France !



Hier après-midi, Sonya Faure, journaliste à Libération, m’a contacté pour évoquer le cas de l’entreprise Samas, qui s’était implanté en Chine il y a quelques années… et qui a décidé de se relocaliser en France.  Une délocalisation de la Chine vers la France en quelque sorte (oui, je sais, ce n’est pas tout à fait ça, mais c’était pour le plaisir du titre)…

J’en avais parlé ici, suite au petit article paru dans les Echos. J’ai orienté la journaliste vers mon billet sur l’étude McKinsey, dont elle reprend certaines des conclusions. J’ai également insisté lors de notre échange sur le fait que les délocalisations vers les pays en développement pèsent peu (5% des emplois détruits), point qu’elle reprend en conclusion. La source de cette information est  l’article de Fontagné, plus précisément cet extrait (p. 24) :

[En Europe] sur les quelques 1 500 restructurations d’entreprises recensées par le European Monitoring Center on Change du 1er janvier 2002 au 15 juillet 2004, les délocalisations ne représentent que 7% des opérations et seulement 5% des emplois supprimés.

Les déclarations des différents acteurs de l’entreprise Samas sont particulièrement intéressantes : nécessité de prendre en compte les coûts de transport, les délais de transport, la réactivité de l’entreprise, la proximité client-fournisseur, les possibilités de réorganisation sur place, etc… bref, de prendre en compte l’ensemble des coûts, non pas seulement les différentiels de coût du travail.

A souligner notamment l’affirmation suivante de Valentin Schmitt, directeur des opérations de Samas France :

On le sait, les clients réclament un service plus qu’un produit. Ce qui suppose une proximité avec eux.

Nous sommes dans une économie d’interactions souvent étroites et fréquentes, qui supposent donc encore et toujours, en dépit de l’approfondissement de la mondialisation, un degré plutôt élevé de proximité spatiale…

Connaissances tacites

L’analyse évolutionniste de l’innovation introduit une distinction fondamentale entre connaissances codifiables et connaissances tacites.

 

Les premières, comme leur nom l’indique, peuvent être codifiées, inscrites sur un support, diffusée dans le temps et dans l’espace. Conformément à l’approche
standard de l’innovation, elles peuvent être asssimilées à un bien partiellement public, c’est à dire non rival (les connaissances codifiables ne sont pas détruites dans l’acte de consommation)
et partiellement exclusives (dès lors notamment que les entreprises s’en remettent au système de propriété intellectuelle (dépôt d’un brevet par exemple) pour empêcher que d’autres ne les
exploitent).

 

Les connaissances tacites, de leur côté, sont, précisément, non codifiables. Elles sont accumulées par les acteurs au fur et à mesure de leur activité, ceux-ci ne
peuvent parfaitement les exprimer. L’exemple que je prends généralement pour illustrer le propos est celui d’un enfant à qui on veut apprendre à faire du vélo : vous commencez par lui expliquer
ce qu’est un vélo, ce qu’il convient de faire pour avancer, ne pas tomber, etc., autrement dit vous lui faites passer un ensemble de connaissances codifiables, mais cela ne suffit pas. L’enfant
essaiera, tombera, remontera sur le vélo, etc… et, au bout d’un temps plus ou moins long, il saura faire du vélo. Ce temps d’apprentissage est fondamentalement un temps d’accumulation des
connaissances tacites. Et si vous demandez à l’enfant quelles connaissances supplémentaires lui permmettent maintenant de savoir faire du vélo, il sera dans l’impossibilité de vous l’expliquer,
car, comme dit plus haut, ces connaissances tacites ne peuvent être parfaitement exprimées. Elles sont dans les mains plus que dans la tête.

 

 Question angoissante, dès lors : si les connaissances tacites ne peuvent être exprimées, inscrites sur un support, où
sont-elles mémorisées? Dans les routines des entreprises, répondent les évolutionnistes : les actes répétés quotidiennement permettent à l’organisation de “transporter dans le temps” ces
connaissances.
D’où une deuxième question angoissante : que se passe-t-il quand un individu ayant accumulé des connaissances tacites individuelles part de
l’organisation ? Eh bien si l’entreprise n’a pas pensé la transmission de ces connaissances, elle peut y perdre beaucoup…

 

 C’est précisément pour cela que la DRIRE et la DRTEFP Poitou-Charentes viennent de
lancer un dispositif innovant, suite au constat d’une pénurie de main d’oeuvre et de départs massifs en retraite dans l’industrie. 
Ces départs, en effet,
sont synonymes de disparition de connaissances spécifiques accumulées par les salariés. Pour éviter cette perte, ces deux institutions on mis en oeuvre une action (assurée par Action RH
Opérationnel
), action baptisée Transéo, permettant “de faire prendre conscience aux employés de leurs capacités à transmettre et aux employeurs des risques en cas de non
partage”. Témoignage d’un responsable d’une des entreprises impliquées : “J’ai un salarié qui voulait partir à la retraite. Il était le seul à savoir monter des amortisseurs d’une manière bien
spécifique. L’équipe d’Action RH Opérationnel lui a fait prendre conscience de ses talents et il va rester un peu plus longtemps pour transmettre son savoir-faire” (Source : La Nouvelle
République du Centre Ouest, 30/11/2007).

Vive la faible technologie!



Tous les économistes (moi y compris) ou presque vous le diront : l’avenir économique d’un pays comme la France passe par l’innovation. Là  où je commence  à être moins d’accord, c’est lorsqu’on transforme  la proposition pour nous dire l’avenir d’un pays comme la France passe par  la haute technologie (c’est par exemple ce que préconise explicitement le rapport Beffa, cf. la section p. 18 et s.).

Car les deux propositions ne sont pas identiques : parler de haute technologie, c’est partir d’une approche sectorielle, en retenant comme secteurs clés ceux dont l’intensité technologique (rapport entre les dépenses de R&D et la valeur ajoutée ou la production) est élevée. Il y a donc au moins deux biais liés à l’assimilation innovation – haute technologie :

* l’innovation ne se réduit pas à la recherche : certaines entreprises dans certains secteurs de moyenne ou faible technologie sont très innovantes, sans s’engager pour autant dans des activités amont de R&D. Elles s’appuient sur leur expérience, bénéficient d’effets d’apprentissage, etc… (entreprises des districts industriels, je renvoie pour une illustration à Ma Mondialisation),

* l’entrée sectorielle est réductrice : certaines entreprises bien qu’appartenant à des secteurs de faible ou moyenne technologie s’appuient sur les avancées de la recherche (elles peuvent effectuer elles-mêmes des dépenses importantes de R&D ou nouer des partenariats avec des laboratoires privés/publics de recherche) et se positionnent sur des niches prometteuses. Pour illustrer ce point, je prends souvent l’exemple des textiles techniques, autrement dit d’entreprises d’un secteur de faible technologie (le textile-habillement) pourtant très innovantes (j’en parle un peu dans L’économie de l’entreprise (p. 127-128) pour illustrer la notion de diversification cohérente).

 Or, Le Monde  reprend cette idée dans un article daté du 02/01/07 intitulé "Le textile technique, vecteur de croissance dans un secteur sinistré". On y apprend que l’on fabrique des sièges de bus à partir de  Basalte (roche résistante au feu)  ou encore des coussins-réveil qui s’éclairent progressivement. Dans d’autres documents, j’avais lu que l’on pouvait fabriquer des nez d’avion et des pare-chocs de voiture à partir de textiles techniques ; ainsi que tout type de vêtement intelligent (combinaison  de pompier, vulcanologue,  vêtements sportifs, …) et bien d’autres choses encore (cf. ce document du Sessi sur la filière textile-technique en France qui contient de nombreuses illustrations).

On apprend également dans l’article du Monde que …

… Contrairement à l’industrie du textile, en totale déliquescence depuis plus de dix ans – près de 60 000 emplois perdus -, le textile technique est en plein essor. Il enregistre une croissance de 4 % par an, selon le ministère de l’industrie. Et représente aujourd’hui 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 20 000 salariés, et 1 043 entreprises de plus de 20 salariés. L’activité du textile technique représente 17 % de l’industrie du textile, hissant ainsi la France au deuxième rang des pays européens derrière l’Allemagne.

Bien sûr, le développement des textiles techniques ne permettra pas de créer autant d’emplois que ceux détruits dans le textile-habillement. Les qualifications demandées sont également plus importantes, ce qui pose la question de la formation des personnes. Mais c’est une voie des plus intéressantes pour lutter contre la concurrence des pays low cost dans ce secteur. Plus intéressante que la tentation protectionniste défendue par certains..

Auchan défend votre pouvoir d’achat…

Photo volée dans le supermarché Auchan de Poitiers Sud :


Auchan.jpg

Heureusement qu’il est là, Monsieur Auchan (et son copain Michel-Edouard aussi), pour défendre le pouvoir d’achat des consommateurs, face au vilain Monsieur
Andros…

Plus sérieusement, on n’est pas loin de ce dont je vous parlais dans la deuxième partie de ce billet : un
industriel veut répercuter la hausse de ses coûts de production sur les prix de vente, le distributeur refuse, l’industriel se sent en mesure de resister, les produits sont retirés des rayons.
Quelques hypothèses/remarques : i) Auchan laisse entendre que l’accroissement de 17% des prix, c’est pour qu’Andros s’en mette plein les poches, on peut penser qu’il s’agit plutôt de répercuter
une partie de la hausse du prix des matières premières, ii) Auchan refuse en prétextant défendre le pouvoir d’achat des consommateurs, je rappelle aux étourdis que les marges arrières pratiquées
par la grande distribution ont pu représenter jusqu’à 45% du
prix des produits
. Pas vraiment bon pour le pouvoir d’achat des consommateurs, ça (sur ce sujet, voir cet article (€) dans le dernier Alter Eco, avec notamment une interview
de Moati), iii) Si Andros s’engage dans ce bras de fer, c’est sans doute parce que ce groupe estime que ses produits sont suffisamment différenciés (les grandes surfaces ne pourront pas s’en
passer longtemps) et/ou que le groupe est fortement internationalisé (le marché français est dès lors moins stratégique), iv) Auchan, de son côté, pense pouvoir le faire plier, sûr de son pouvoir
de négociation. Il faudrait voir si l’Oligopole de la distribution s’est entendu pour s’opposer à Andros. En clair : avez-vous vu de telles étiquettes dans votre Leclerc, Intermarché ou Carrefour
favori?

Affaire à suivre…

téléchargement illégal?

Dans son rapport, Denis Olivennes croît que la simple présentation des chiffres sur la baisse des ventes de CD suffit à démontrer  les
effets néfastes du téléchargement illégal. Mathieu P. indique que
l’argument est un peu court. Alexandre Delaigue complète dans un commentaire au billet de Mathieu P. :

 

Ce n’est pas la première fois que le chiffre d’affaires de l’industrie musicale baisse : il a diminué de 18% entre 1999 et 2006, mais il avait baissé d’autant entre
1979 et 1985. Ce n’est pas non plus la seule industrie cyclique : les ventes d’automobiles aux USA ont baissé de 22% dans la même période. Peu probable que ce soit parce que les
utlisateurs téléchargent des voitures sur internet…
(c’est moi qui grasse)

 

Télécharger des voitures, point encore, mais le vin, ca y est, c’est possible ! (merci Daniel pour le lien).