La Chine, deuxième puissance économique mondiale – suite

Réponse à la question du billet précédent. On note Y le PIB mondial, H la population
mondiale, et Yi,Hi le PIB et la population du pays i.

Supposons un même PIB par habitant pour tous les pays. On a alors  :
Yi/Hi = Y/H pour tout i
Ce qu’on peut réarranger comme suit :
Yi/Y=Hi/H

Yi/Y est le poids du pays i dans le PIB mondial, on voit qu’il est égal à Hi/H, soit le poids du pays dans la population mondiale.

Que nous apprend le rapport de la Banque Mondiale à ce sujet?
Concentrons nous sur la Chine, les Etats-Unis et la France. On dispose des données suivantes pour l’année 2005 :

Pays PIB PPA (milliards de USD)
Population (millions)
Chine 5333,2 1303,7
Etats-Unis 12376,1 297,0
France 1862,2 62,8
Monde 54980,4 6128,1


On en déduit le poids des pays dans l’ensemble pour les deux variables :

Pays PIB PPA Population
Chine 10% 21%
Etats-Unis 23% 5%
France 3% 1%
Monde 100% 100%

Si tous les pays avaient le même niveau de développement, la France concentrerait 1% du PIB mondial et non pas 3%, les Etats-Unis 5% au lieu de 23%.

A partir des données, on peut aussi calculer les PIB par habitant. On observe par exemple que le PIB par habitant de la France est égal à 71,2% du PIB par habitant américain. La valeur
correspondante pour la Chine : 9,8%.

Pourquoi, mais pourquoi donc n’avons-nous pas de meilleurs journalistes ni de meilleurs politiques?



[Une fois n’est pas coutume, un billet rédigé à deux : j’ai reçu il y a quelques jours un mail de Jean-François Couvrat, journaliste économique, au sujet d’un passage de l’émission France Europe Express de dimanche dernier (14/01/07, on peut voir l’émission ici, le passage concerné est à peu près au milieu, 53ème minute). Je lui ai proposé de rédiger un petit quelque chose autour de ça. Voici son billet, je complète un peu dans la foulée]

Quiconque s’intéresse un peu aux aspects économiques du monde qui l’entoure, sait que l’Allemagne souffre depuis plus de dix ans d’une pénible langueur. Depuis 1994, la croissance allemande n’a dépassé la croissance française qu’une seule fois, en 2006, et les prévisions pour 2007 suggèrent qu’il s’est agi d’une exception. En fait, depuis 1995, la production allemande a pris un retard d’environ 10 points de PIB sur celle de la France, soit grosso modo la production du Bade-Wurtemberg.

Mais que valent ces chiffres, fournis par Eurostat, face au n’importe quoi qui crève l’écran de la télévision ? Le dimanche 14 janvier, au cours de l’émission France Europe Express, sur France 3, une journaliste de France Info, Ilana Moryousseg, apparue en incrustation, a posé aux invités la question suivante (question d’un auditeur, un certain Francesco) :

« Pourquoi l’Allemagne, malgré le poids de l’ancienne Allemagne de l’Est, malgré l’Euro fort, réussit à avoir une croissance beaucoup plus élevée que la notre ? »

Tout est dans le « pourquoi », qui garantit la véracité de ce qui suit. Et nombre de téléspectateurs sont probablement allés se coucher dans la certitude d’une croissance française à la traîne, caractéristique d’un pays en déclin.

Deux invités ont d’ailleurs achevé de les en convaincre, Arnaud Montebourg (PS) et Michel Barnier (UMP), n’hésitant pas à répondre à une question saugrenue comme si elle était pertinente. Le premier a regretté que la performance allemande soit le résultat d’une « restriction sociale ». Le second, louant les réformes hardies qui favorisent évidemment la croissance allemande, a fini par s’écrier : « Pourquoi l’Allemagne réussit ? Parce qu’elle n’a pas les 35 heures ! ».

Barnier devait d’ailleurs s’illustrer quelques instants plus tard à propos de fiscalité. Montebourg  s’était étonné que l’UMP, tout en défendant la valeur travail, souhaite alléger l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Barnier répondit, riant lui-même en la formulant d’une ironie qui se voulait mordante : « Les milliers de Français qui payent l’impôt sur les sociétés seront heureux d’apprendre qu’il ne s’agit pas d’un impôt sur le travail !».

Aucun des journalistes présents n’a rectifié.

Si vous croisez Barnier, affranchissez-le. Avec ménagement.

Jean-François Couvrat


Les statistiques évoquées par Jean-François Couvrat sont facilement accessibles sur Eurostat. Regardons d’abord les taux de croissance du PIB réel de 1995  à 2007 pour la France et l’Allemagne (pour 2006 et 2007, ce sont des prévisions) :



Pour mesurer l’effet de ces écarts, on peut considérer que chaque pays part avec un PIB base 100 en 1995. En appliquant ensuite les taux de croissance observés, on obtient en 2007 un indice 135 pour la France et 123 pour l’Allemagne, bref, un écart de plus de 10 points…

On peut compléter (et nuancer légèrement) en regardant non pas le taux de croissance du PIB réel mais celui du PIB réel par habitant. Nouveau graphique :

La France a connu un taux de croissance du PIB par habitant plus élevé que l’Allemagne 10 fois sur 13. En procédant au même exercice que tout à l’heure, les indices obtenus sont plus proches : 124 pour la France et 119 pour l’Allemagne. L’écart de résultat entre les deux séries s’explique en première approximation par les évolutions démographiques (en gros, le taux de croissance du PIB par habitant est égal à la différence entre le taux de croissance du PIB et le taux de croissance démographique). Il n’en reste pas moins que, depuis une dizaine d’années, l’écart penche, quasi-systématiquement, en faveur de la France…

Comme dit plus haut, apparemment, qu’un auditeur de France Info pose une question en s’appuyant sur un constat faux, ca ne gène personne : aucun journaliste présent sur le plateau n’a rectifié. Quant aux politiques, ils ont su échaffauder rapidement de belles (?) théories pour expliquer … une contre-vérité…

La Chine, deuxième puissance économique mondiale

C’est le titre d’un article du Monde, suite à l’étude de la Banque Mondiale publiée le 17 décembre. La Chine est derrière les Etats-Unis, et devant le Japon,
l’Allemagne, l’Inde, le Royaume-Uni et la France. Ce classement n’est pas anecdotique, car il influe sur la représentation des pays au FMI et à la Banque Mondiale. Il n’a cependant rien de
fondamental, car
d’un point de vue économique, l’indicateur pertinent n’est pas le PIB, mais le PIB par habitant, qui nous renseigne (oui, je sais,
imparfaitement) sur le niveau de vie des populations.

Petite question à ce sujet : imaginons que, d’un coup de baguette magique,  le PIB par habitant de l’ensemble des pays de la planète atteigne instantanément la
même valeur (disons la valeur maximale observée aujourd’hui, ce qui ne serait pas une trop mauvaise chose, non?). Quel serait alors le poids de la France dans le PIB mondial
(vous n’oublierez pas de rappeler son poids actuel bien sûr, qu’on puisse comparer) ?

 

Les Français (et les européens) sont-ils nuls en science?

On pourrait le croire après avoir vu la vidéo "qu’est-ce qui gravite autour de la terre". Mais on peut se rassurer un petit peu avec cette étude de l’Union Européenne, dont j’ai extrait le tableau suivant :

Sur le premier item "le soleil tourne autour de la terre", 29% de mauvaises réponses. Certes, 29%, ce n’est pas rien, mais on est quand même assez loin des 56% du jeu de la vidéo. Soit le public TF1 a de moins bonnes connaissances que la moyenne européenne, soit les français dans leur ensemble sont plus mauvais que la moyenne européenne, soit le terme "gravite" employé dans le jeu en a piégé plus d’un.

Sur la deuxième hypothèse (les français plus mauvais que les autres européens), c’est plutôt faux, les français ont une moyenne bonne réponse supérieure à la moyenne (69% contre 66%) :


S’agissant de l’hypothèse de mauvaise compréhension du terme "gravite", difficile d’avoir une preuve, bien que… Dans la même étude, on interroge les citoyens : "pour chacun des sujets suivants, dites-nous à quel point, selon vous, il est scientifique (sur une échelle de 1 à 5)." Pour la moitié de l’échantillon, on inclut comme item "astrologie". Pour l’autre moitié de l’échantillon, on remplace "astrologie" par "horoscope". Résultat des courses : 41% considère que l’astrologie est un sujet très scientifique (score 4 ou 5) … mais seulement 13% si le terme est "horoscope"! Bref, il y a un vrai problème de compréhension du vocabulaire utilisé dans les questions.

Pour finir, je vous signale que l’économie est considérée comme étant un sujet moins scientifique que l’astrologie (40% contre 41%)…

Pourquoi les médias parlent-ils de Sarkozy-Bruni?

Tous les médias en parlent,  forcément, comme en témoigne la revue de presse des unes de quotidiens de Diner’s Room.
Ils en parlent, en citant comme source  un article de l’Express de Renaud  Revel, qui se justifie ainsi (repris aussi de Diner’s Room) :

Est-ce qu’il fallait le faire ? Oui, on est convaincu que oui, parce que ce qui touche au Chef de l’État n’est pas neutre, y compris sa vie privée. La vie
privée du Chef de l’État appartient un peu aux français.  (…) C’est quelqu’un qui affirme, qui affirme, avec beaucoup de décontraction et beaucoup de modernité sa vie privée, et ça, je
trouve, c’est plutôt une bonne chose. Et la presse, dans ce cadre là, ne fait encore que son métier.

Personnellement, j’avancerai une autre explication toute bête (on doit pouvoir faire mieux dans l’analyse, disons que c’est pour lancer le débat).
Supposons deux quotidiens A et B. Une information commence à circuler, dont on pense que le lecteur médian est friand. A et B s’interrogent chacun dans leur coin : faut-il en parler? Si
A en parle, mais pas B, A gagne 5 lecteurs au détriment de B et symétriquement. On a donc la matrice des gains suivantes (premier chiffre entre parenthèses = gain de A, deuxième chiffre = gain de
B) :

  B en parle B n’en parle pas
A en parle  (0,0) (+5,-5)
A n’en parle pas (-5,5) (0,0)


Plaçons nous dans la situation de A : si B en parle et que j’en parle, je gagne 0, si je n’en parle pas, je perds 5. Si B n’en parle pas et que j’en parle, je gagne 5, sinon je ne gagne rien.
Conclusion : quoi que fasse B, j’ai intérêt à en parler. Jeu symétrique, même raisonnement pour B, les deux en parlent. Notons qu’
on peut raisonner sur une
autre matrice, en supposant qu’une telle information permet d’accroître les ventes totales par exemple de 10. La matrice devient ((5,5) ; (10,0) ; (0,10) ; (0,0)), la conclusion est la même, mais
le gain collectif est non nul. Je ne sais pas quelle est l’hypothèse la plus pertinente.


Bref, inutile de chercher des arguments du genre “la vie privée du chef de l’Etat appartient un peu aux français”, ou “nous devions faire notre métier”, tout le monde est incité à parler de
l’info, même si tout le monde trouve stupide d’en parler. On a quelque chose qui ressemble à un comportement mimétique, non pas dans le traitement de l’information, mais dans l’information que
l’on traite (car rien n’empêche ensuite de se différencier dans le traitement de cette information). Et la force de Sarkozy en la matière consiste sans doute à avoir fait se diffuser une
convention dans les médias selon laquelle toute information le concernant est plus importante que n’importe quelle autre information. Non pas intrinsèquement plus importante, mais plus importante
car chaque média pense que chaque autre média la considère comme plus importante.

(bon, j’arrête là, sans doute à raffiner, j’attends vos commentaires pour ajustement)

Economie de marché

J’apprends via  Les Echos que  les socialistes français “reconnaissent
l’économie de marché”,  François Hollande allant même  jusqu’à dire que “c’est sans doute la forme la plus efficace pour produire des richesses”.  La semaine prochaine, ils votent
pour savoir s’il faut reconnaître officiellement que la Terre est ronde.

Nouvelle théorie économique

Par Jacques Attali, bien sûr, dans une interview
au JDD
:

proposition 1 : la croissance dépend de l’inflation

Les grands pays qui admettent [que l’inflation] peut atteindre sans risque 5 ou 6% affichent une croissance forte : l’Inde, la Chine, la Russie… En Europe comme
au Japon, c’est l’inverse : nous nous arc-boutons sur un seuil maximum de 2%. Et la croissance est presque nulle.

Qu’il puisse y avoir débat en Europe sur le taux d’inflation acceptable, c’est une chose (voir sur ce point
l’interview de Mundell
). Expliquer, en revanche, la croissance indienne, chinoise, ou russe par l’acceptation d’une inflation à 5 ou 6%, c’est du grand n’importe quoi, la causalité est
inverse : les économies en rattrapage observent en général une augmentation des prix interne, en vertu de l’effet
Balassa
. Et ce qui a été remarquable en Chine, ce n’est pas que l’inflation a produit de la croissance, mais que la croissance de ce pays s’est faite longtemps sans inflation (pour des
raisons expliquées en détail par Françoise Lemoine).


proposition 2 : que je ne sais même pas comment la résumer tellement qu’elle est puissante

Aujourd’hui, l’argent placé rapporte plus -4% en moyenne- que l’argent qu’on gagne en travaillant, qui, lui, ne rapporte que 2% en moyenne. 

Non, c’est vrai, c’est pour ça que les gens ne veulent pas travailler, ils préfèrent épargner leur argent, ça leur rapporte plus…

En fait, je crois qu’Attali a deux grandes qualités : il est capable de dire n’importe quoi de manière brillante. Dès lors, ses interlocuteurs doivent se dire que s’ils ne comprennent rien, c’est
qu’il est beaucoup plus intelligent qu’eux, ce qui les conduit à l’admirer encore plus. Il n’hésite pas non plus à dire tout et son contraire (dans la même interview, il affirme ainsi que les
Etats-Unis “vont au devant d’une récession très profonde qui n’épargnera pas l’Europe”, pour dire quelques lignes plus loin que “tout est en place pour une forte croissance de longue durée de
l’économie mondiale”), si bien qu’après coup, il pourra toujours dire qu’il avait prévu l’évolution de l’économie mondiale, quel que soit le scénario.

Et pourtant, elle tourne… enfin je crois…

On l’a vu dans un précédent billet, 56% des participants d’un célèbre jeu télévisé pensent que le soleil tourne autour de la terre. Il y a fort à parier que bon nombre d’entre eux n’ont rien trouvé de drôle dans cette publicité, ce qui pourrait conduire à une chute de l’action Bic (merci à Virginie pour le lien)…


Je reviens bientôt avec un billet plus sérieux sur les connaissances scientifiques des européens.