Une délocalisation… vers la France !



Hier après-midi, Sonya Faure, journaliste à Libération, m’a contacté pour évoquer le cas de l’entreprise Samas, qui s’était implanté en Chine il y a quelques années… et qui a décidé de se relocaliser en France.  Une délocalisation de la Chine vers la France en quelque sorte (oui, je sais, ce n’est pas tout à fait ça, mais c’était pour le plaisir du titre)…

J’en avais parlé ici, suite au petit article paru dans les Echos. J’ai orienté la journaliste vers mon billet sur l’étude McKinsey, dont elle reprend certaines des conclusions. J’ai également insisté lors de notre échange sur le fait que les délocalisations vers les pays en développement pèsent peu (5% des emplois détruits), point qu’elle reprend en conclusion. La source de cette information est  l’article de Fontagné, plus précisément cet extrait (p. 24) :

[En Europe] sur les quelques 1 500 restructurations d’entreprises recensées par le European Monitoring Center on Change du 1er janvier 2002 au 15 juillet 2004, les délocalisations ne représentent que 7% des opérations et seulement 5% des emplois supprimés.

Les déclarations des différents acteurs de l’entreprise Samas sont particulièrement intéressantes : nécessité de prendre en compte les coûts de transport, les délais de transport, la réactivité de l’entreprise, la proximité client-fournisseur, les possibilités de réorganisation sur place, etc… bref, de prendre en compte l’ensemble des coûts, non pas seulement les différentiels de coût du travail.

A souligner notamment l’affirmation suivante de Valentin Schmitt, directeur des opérations de Samas France :

On le sait, les clients réclament un service plus qu’un produit. Ce qui suppose une proximité avec eux.

Nous sommes dans une économie d’interactions souvent étroites et fréquentes, qui supposent donc encore et toujours, en dépit de l’approfondissement de la mondialisation, un degré plutôt élevé de proximité spatiale…

Connaissances tacites

L’analyse évolutionniste de l’innovation introduit une distinction fondamentale entre connaissances codifiables et connaissances tacites.

 

Les premières, comme leur nom l’indique, peuvent être codifiées, inscrites sur un support, diffusée dans le temps et dans l’espace. Conformément à l’approche
standard de l’innovation, elles peuvent être asssimilées à un bien partiellement public, c’est à dire non rival (les connaissances codifiables ne sont pas détruites dans l’acte de consommation)
et partiellement exclusives (dès lors notamment que les entreprises s’en remettent au système de propriété intellectuelle (dépôt d’un brevet par exemple) pour empêcher que d’autres ne les
exploitent).

 

Les connaissances tacites, de leur côté, sont, précisément, non codifiables. Elles sont accumulées par les acteurs au fur et à mesure de leur activité, ceux-ci ne
peuvent parfaitement les exprimer. L’exemple que je prends généralement pour illustrer le propos est celui d’un enfant à qui on veut apprendre à faire du vélo : vous commencez par lui expliquer
ce qu’est un vélo, ce qu’il convient de faire pour avancer, ne pas tomber, etc., autrement dit vous lui faites passer un ensemble de connaissances codifiables, mais cela ne suffit pas. L’enfant
essaiera, tombera, remontera sur le vélo, etc… et, au bout d’un temps plus ou moins long, il saura faire du vélo. Ce temps d’apprentissage est fondamentalement un temps d’accumulation des
connaissances tacites. Et si vous demandez à l’enfant quelles connaissances supplémentaires lui permmettent maintenant de savoir faire du vélo, il sera dans l’impossibilité de vous l’expliquer,
car, comme dit plus haut, ces connaissances tacites ne peuvent être parfaitement exprimées. Elles sont dans les mains plus que dans la tête.

 

 Question angoissante, dès lors : si les connaissances tacites ne peuvent être exprimées, inscrites sur un support, où
sont-elles mémorisées? Dans les routines des entreprises, répondent les évolutionnistes : les actes répétés quotidiennement permettent à l’organisation de “transporter dans le temps” ces
connaissances.
D’où une deuxième question angoissante : que se passe-t-il quand un individu ayant accumulé des connaissances tacites individuelles part de
l’organisation ? Eh bien si l’entreprise n’a pas pensé la transmission de ces connaissances, elle peut y perdre beaucoup…

 

 C’est précisément pour cela que la DRIRE et la DRTEFP Poitou-Charentes viennent de
lancer un dispositif innovant, suite au constat d’une pénurie de main d’oeuvre et de départs massifs en retraite dans l’industrie. 
Ces départs, en effet,
sont synonymes de disparition de connaissances spécifiques accumulées par les salariés. Pour éviter cette perte, ces deux institutions on mis en oeuvre une action (assurée par Action RH
Opérationnel
), action baptisée Transéo, permettant “de faire prendre conscience aux employés de leurs capacités à transmettre et aux employeurs des risques en cas de non
partage”. Témoignage d’un responsable d’une des entreprises impliquées : “J’ai un salarié qui voulait partir à la retraite. Il était le seul à savoir monter des amortisseurs d’une manière bien
spécifique. L’équipe d’Action RH Opérationnel lui a fait prendre conscience de ses talents et il va rester un peu plus longtemps pour transmettre son savoir-faire” (Source : La Nouvelle
République du Centre Ouest, 30/11/2007).