Territoires zéro chômeur de longue durée : rapport final du Comité Scientifique

Le rapport final du Comité Scientifique d’évaluation de l’expérimentation “territoires zéro chômeur de longue durée” vient d’être mis en ligne. Il est composé de différents documents :

Nous avions terminé le rapport intermédiaire par un ensemble de pistes d’amélioration (voir les pages 14 et 15 du rapport intermédiaire). Nous terminons le rapport final sur des points d’attention, sur lesquels le Comité Scientifique a convergé :

Les structures créées ont vraisemblablement contribué à améliorer la trajectoire en emploi, et plus largement le bien être, des bénéficiaires de l’expérimentation (santé, insertion sociale, confiance en soi, etc.). Le rôle joué par le CDI dans cette dynamique d’amélioration est probablement majeur dans l’horizon lointain et le sentiment de sécurité professionnelle et financière qu’il confère. Dans une logique d’efficience des dispositifs publics, cet effet positif sur l’emploi doit encore être comparé avec celui induit par d’autres dispositifs d’insertion professionnelle (contrats aidés, insertion par l’activité économique notamment) ;

La notion de privation durable d’emploi permet une grande souplesse dans les embauches et peut ainsi permettre de tenir compte des aspects protéiformes de la précarité professionnelle. Dans cette perspective, une standardisation des pratiques d’embauche impliquant les comités locaux d’emploi reste à trouver pour permettre une transparence des modalités de recrutement et une réelle équité sur l’ensemble du territoire.

Les objectifs fixés aux structures (donner du travail à toutes les personnes privées d’emploi, non concurrence, impératif de dégager des résultats financiers) peuvent apparaître en contradiction entre eux et induire des tensions fortes au sein des structures, ce qui a contraint certaines EBE à des ajustements. Si certaines évolutions par rapport au modèle initial semblent les bienvenues (notamment en matière de professionnalisation des équipes encadrantes et de structuration de management), d’autres peuvent susciter des interrogations et appellent à une attention soutenue (malgré une politique d’embauche plus ciblée il subsiste quelques recrutements dont l’éloignement à l’emploi pose question ; le critère de non-concurrence des activités semble soumis à une interprétation variable).

Les externalités territoriales existent peut-être à un niveau très fin, mais apparaissent à ce stade trop limitées pour avoir un effet réellement significatif. Si l’insertion institutionnelle au niveau local joue un rôle primordial pour le développement et la bonne insertion dans le maillage économique local, les dernières évolutions soulignent la nature parfois fluctuante de cette implication institutionnelle. Dès lors, un engagement financier des collectivités territoriales doit permettre d’assurer une implication de ces acteurs sur la durée. Par ailleurs, si les effets territoriaux ne semblent pas se matérialiser à ce stade, des effets en termes de concurrence peuvent exister, voire s’amplifier en cas de forte extension de l’expérimentation. Des travaux d’évaluation supplémentaires sur ce point pourraient être entrepris ultérieurement et les gardes fous à établir dans les territoires pourraient être renforcés.

Au final, si l’évaluation menée a permis de faire apparaître des résultats tangibles, celle-ci n’a pu aborder tous les aspects couverts par cette expérimentation complexe : en particulier, les enjeux en termes d’aménagement du territoire et d’impact sur le tissu économique local restent des questions d’évaluation à instruire pour la suite. Cela pourrait justifier un élargissement du champ d’action de l’évaluation au-delà de l’axe central conféré jusqu’à présent sur le retour à l’emploi.

Je remercie très sincèrement l’ensemble des membres du Comité Scientifique, les personnes de la Dares pour l’énorme travail réalisé, ainsi que les équipes mandatées pour les travaux de terrain, qui ont également fait un travail remarquable cette année encore, ans un contexte pour le moins difficile. Je vous encourage à ce titre à lire attentivement leurs rapports, qui ont été une source essentielle de notre analyse.

Territoires zéro chômeur : ce que dit le comité scientifique

A l’heure où députés et sénateurs débattent sur une proposition de loi d’extension de l’expérimentation “territoires zéro chômeur de longue durée”, j’ai souhaité rédiger une tribune sur les principales conclusions et recommandations autour desquelles les membres du comité scientifique que je préside ont convergé. Le Monde a accepté de la publier, elle est visible ici (€). J’ai également donné une interview pour Alternatives Economiques, visible ici (€).

Les principaux messages sont les suivants :

  • l’expérimentation est très positive pour les bénéficiaires, sur leur vie professionnelle et personnelle. Sur les impacts hors travail, parmi les derniers résultats que nous avons obtenu grâce à la passation de deux vagues d’enquête auprès des bénéficiaires, on montre notamment qu’ils renoncent moins aux soins et qu’ils ont un sentiment de bien être significativement supérieur à des personnes ayant les mêmes caractéristiques mais n’ayant pas bénéficié de l’expérimentation,
  • nous avons observé cependant tout un ensemble de problèmes de mise en œuvre sur les premiers territoires, liés sans doute pour partie à la volonté des porteurs de projet d’atteindre rapidement l’exhaustivité (c’est-à-dire de recruter l’ensemble des personnes durablement privés d’emploi) : problème de management, difficulté à atteindre un niveau suffisant d’activité, anticipation insuffisante des besoins de formation et d’accompagnement, … Certains de ces problèmes ont été réglés chemin faisant, il convient que les futurs territoires les anticipent,
  • s’agissant du modèle économique, l’objectif de neutralité financière n’est pas atteint, pour partie car le chiffre d’affaires des entreprises créées est inférieur à ce qui était escompté, pour partie en raison du fait qu’une part non négligeable des personnes recrutées ne percevaient pas avant embauche d’allocations chômage ou de prestations sociales, si bien que l’Etat économise moins que prévu suite à leur retour à l’emploi. C’est ce point qui fait débat, y compris au sein du comité scientifique : certains considèrent qu’il y a un problème de ciblage qu’il convient de régler ; d’autres (la grande majorité des membres du comité scientifique) considèrent que c’est en partie lié à des phénomènes de non recours, il convient donc d’assumer que cette expérimentation coûte plus que prévu et ne soit pas neutre financièrement, au moins à court et moyen terme.

Sur la base de ces résultats, le comité scientifique recommande une extension prudente de l’expérimentation, à un nombre limité de territoires suffisamment prêts. Dans cette perspective, il nous semble important que le cahier des charges auquel devront se conformer les nouveaux territoires intègre nos recommandations, notamment : i) bien anticiper et remédier aux problèmes de mise en oeuvre, ii) impliquer l’ensemble des acteurs potentiellement concernés (y compris les acteurs de l’insertion par l’activité économique et les entreprises privées) et s’assurer d’une gouvernance locale de qualité, iii) anticiper l’ensemble des besoins de financement (pour l’investissement dans les locaux, les machines, les besoins de formation et d’accompagnement des personnes) et avoir une idée claire de la trajectoire financière, iv) procéder à une sélection rigoureuse des bénéficiaires pour éviter une rupture d’égalité entre les territoires.

Pour ce qui est du modèle économique, enfin, ce qu’il convient de viser c’est sans doute moins la neutralité financière que la capacité de l’expérimentation à ramener vers l’emploi des personnes qui en ont été durablement privées, et à maximiser les effets positifs sur ces personnes, leur entourage et leur territoire d’appartenance.