C2E 2012 : Apprendre avec les réseaux sociaux

La prochaine édition de notre campus européen d’été (C2E 2012) aura lieu dans six mois et sa préparation a déjà débuté. Pour ceux qui ne connaissent pas encore cette manifestation, il s’agit d’une semaine annuelle d’école d’été et d’échanges avec des professionnels. Chaque année le thème varie : l’année dernière il était question des promesses de l’apprentissage nomade, l’année d’avant de jeux sérieux… et nous avons commencé ce cycle de rencontres en 1999 sur le thème de la communication en réseaux.


Cette année, comme tous les ans, nous avons choisi de traiter un thème d’actualité. Nous nous intéresserons donc aux réseaux sociaux.

Beaucoup des apprentissages sont sociaux et il n’a pas été nécessaire d’attendre Facebook et Twitter pour s’en convaincre. Les travaux de Vygotsky puis ceux de Bandura et bien d’autres depuis en ont révélé les processus. Les technologies numériques réinterrogent pourtant cette question en médiatisant les interactions sociales. Voilà une vingtaine d’années qu’elles facilitent l’organisation d’activités d’apprentissage collaboratives au moyen de forums, de chats ou de partage de documents.

Aujourd’hui une étape a été franchie avec les plateformes qui instrumentent nos réseaux sociaux. Non seulement, ces nouveaux services en ligne permettent de concevoir des activités d’apprentissage différentes mais elles contribuent à les inscrire dans l’environnement social de chacun. Il y a peu, le collectif d’apprentissage était déterminé par l’organisateur de la formation. Aujourd’hui, il s’étend au réseau social de l’apprenant.

Cette nouvelle donne technologique et pédagogique soulève de nombreuses questions. Il semble aujourd’hui que l’usage intensif des plateformes de réseaux sociaux donne une importance nouvelle aux apprentissages informels en favorisant les interactions entre pairs. Ce constat est aussi un défi pour toutes les entreprises et institutions qui organisent des formations, le plus souvent selon une approche formelle.

Les problèmes sont multiples et relèvent aussi bien de questions d’ingénierie de formation que de modèle économique que le campus européen d’été s’attachera à discuter au travers de conférences, de tables rondes et d’ateliers en associant le point de vue des chercheurs à ceux des praticiens et des usagers.

La participation est gratuite (sur inscription) et le programme s’adresse aussi bien à des étudiants (master ou doctorat) qu’à des enseignants, chercheurs et à tous les professionnels concernés par les problématiques des technologies éducatives. Depuis l’année dernière, le C2E est organisé par l’Université de Poitiers (Département IME et laboratoire TECHNE) dans le cadre de la Cité des savoirs avec ses membres (CNED, CNAM, CNDP, ESEN notamment) et en partenariat avec l’Espace Mendès France, le CPEC et le consortium européen EUROMIME. Le plus souvent, il bénéficie du label et de l’aide financière du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche mais il est trop tôt pour le dire en ce qui concerne l’édition 2012 : l’appel à projets est en cours…

Je vous conseille de réserver la semaine du 17 au 21 septembre 21012 🙂

De l’efficience des technologies éducatives

Je rappelle souvent à mes étudiants qu’il ne faut pas confondre l’efficacité d’un dispositif de formation avec son efficience. L’efficacité est la capacité du dispositif à atteindre les objectifs qui lui ont été assignés. L’efficience, quant à elle, est l’expression d’un rendement qui rapporte l’efficacité aux moyens mobilisés (Efficience = Efficacité / Moyens). Concilier efficacité et efficience est une vraie question d’ingénierie de formation mais est-ce seulement une question d’ingénierie ? Qu’en est-il des usages des technologies numériques pour la formation, l’enseignement et les apprentissages ?

L'efficience est le quotient de l'efficacité rapportée aux moyens

Efficience

Dans les périodes d’opulence, réelle ou supposée, seule la question de l’efficacité est soulevée. Question déjà redoutable puisqu’elle suppose que l’on ait clairement identifié les objectifs à atteindre. Souvent, rien ne l’atteste vraiment …  Dans les périodes de vaches maigres, la question de l’efficience gagne en audience. La difficulté se complique encore pour évaluer des coûts induits qui ne peuvent pas être réduits à des équipements mais doivent notamment  inclure la valorisation des temps de travail additionnels.

Si l’on en croit la définition (Efficience = Efficacité / Moyens), il suffirait de diminuer les moyens pour augmenter l’efficience. Elle suggère arithmétiquement que c’est à moyens presque nuls que l’efficience est maximale. Si elle semble ridicule, cette hypothèse justifie pourtant bien des choix politiques. Inutile ici,  je pense, d’illustrer pour convaincre …  Ce raisonnement comporte pourtant un biais qui l’invalide radicalement : l’efficacité est aussi souvent une variable dépendante des moyens. En d’autres termes, l’efficacité est fonction de différents facteurs parmi lesquels les moyens alloués peuvent jouer un rôle significatif. La diminution des moyens peut donc entraîner une diminution de l’efficacité suffisamment importante pour entraîner une chute de l’efficience.

Le souci de la bonne gestion des dépenses, qu’elles soient publiques, privées ou personnelles me semble parfaitement légitime. Pour autant, il convient de ne pas ajouter de biais de jugement au biais de raisonnement concernant les investissements dans les technologies éducatives et tous les dispositifs de formation. La recherche de l’efficience ne peut/doit pas être réalisée au détriment de l’efficacité.

Les travaux de recherche sur l’efficience dans les dispositifs de formation médiatisés sont peu nombreux. La question est tellement sensible au contexte qu’il est sans doute difficile d’espérer identifier des lois simples et générales. Une approche pluridisciplinaire qui associerait l’ingénierie des médias pour l’éducation et les sciences de gestion permettrait pourtant au moins d’élaborer des indicateurs applicables à chaque situation. Si des collègues de sciences de gestion étaient partants …

En attendant, je propose d’appliquer sans concession à chaque projet de formation une démarche très pragmatique des plus élémentaires en deux questions. Les technologies numériques seront-elles utiles (à quoi, comment, lesquelles, pourquoi) ? En avons-nous les moyens ?

En attendant mieux, nous pourrions ainsi substituer la notion d’intérêt à celle d’efficience.

L’Université, nouveau lieu de savoirs

Dans l’essai très intéressant qu’il vient de consacrer à la transformation des lieux de savoirs par l’usage des technologies numériques, Bruno Devauchelle évoque cette utopie récurrente de l’accès aux savoirs pour tous et la nécessité de réinventer les lieux de savoirs pour y parvenir. Pour ancrer son propos dans l’histoire et montrer combien cette problématique transcende les seules questions relatives aux technologies numériques, il évoque l’œuvre de Jean-Baptiste André Godin. Cette référence me paraît particulièrement heuristique !

Le Familistère Godin à Guise

Le Familistère Godin à Guise

Pour beaucoup, Godin est l’industriel français inventeur fabricant des poêles en fonte. Il a aussi concrétisé avec un certain succès l’utopie de Charles Fourrier qui, à l’orée du 19ème siècle, prônait la rupture avec la révolution politique pour y substituer l’expérimentation sociale. La démarche de Fourrier reposait sur l’organisation de communautés, les phalanges, sortes d’écosystèmes autonomes associant production et consommation. C’est selon ce modèle que Godin construit  son « Palais social », le familistère, construit à Guise à partir de 1858. Le familistère se présente comme un lieu unique intégrant les espaces de travail (l’usine), les résidences des employés et de leurs familles et tous les services associés dont ceux relatifs à la scolarisation et à l’éducation des enfants (école mixte mais aussi « nourricerie-pouponnat ») et des adultes (bibliothèque, théâtre, société de musique). Dans l’ouvrage qu’il a consacré à la vie des ouvriers de Godin, Bernard Rousseau a pourtant montré que ces idées de socialisme communautaire ne s’imposaient pas comme une évidence à ses bénéficiaires. Il a fallu bien des aménagements pour tenir compte des attentes et des souhaits des 1780 habitants du familistère à l’apogée de son développement en 1885. C’est à cette condition que la promesse sociale du projet de Godin a pu, un temps au moins, rencontrer l’adhésion de son public.

Aujourd’hui, les idées de Fourrier restent d’actualité et il existe même une association des études fouriéristes qui milite pour des expérimentations sociales comme les Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) ou les réorganisations industrielles en coopératives.

Le Googleplex, siège social de Google à Mountain View en Californie, relève d’une logique voisine en cherchant à favoriser l’interpénétration des univers professionnel et personnel des employés. C’est un lieu de travail mais c’est aussi un lieu de vie où l’on peut se restaurer, faire du sport, se détendre, pratiquer des activités culturelles … Google érige cette organisation en modèle de l’efficacité industrielle et sociale.

Le projet de Larry Page (PDG de Google) rejoint ceux de Fourrier en ce qu’il est, lui aussi, une expérimentation sociale. On peut en revanche douter que leurs objectifs et valeurs soient convergents : l’un cherchant le profit et l’autre le progrès social. Pourtant, le Googleplexe est bel et bien le fruit de cette réflexion sur les lieux de savoirs dont parle Bruno Devauchelle. Et il semble bien qu’il inspire de nombreuses entreprises et institutions.

Le débat est bien évidemment ouvert pour nos universités qui proposent aujourd’hui une organisation des espaces, des temps et des moyens de formation hérités d’un autre siècle. Le modèle des learning centers qui nous vient des pays anglo-saxons constitue l’une des propositions phares portée par la Conférences de Présidents d’Universités (CPU) et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC).

Si l’on se réfère aux difficultés rencontrées par Jean-Baptiste André Godin, on se gardera de l’imposer et l’on s’empressera d’associer tous les usagers à la conception des nouveaux lieux du savoir dont étudiants et personnel ont tant besoin.

Quand les réseaux (routiers) sont enneigés…

10 à 15 centimètres de neige, l’annonce d’un risque de verglas et voilà la France paralysée. Notre pays n’est pas organisé pour y faire face, sauf peut-être dans les régions de montagne. Quoi de plus normal finalement dans ces conditions que les trains arrivent en retard et que nous limitions nos déplacements en voiture. Pas toujours très agréable de se faire rappeler à l’ordre par la nature mais sans doute très salutaire si l’on y réfléchit un peu. Dans le même temps, sauf rares avaries techniques, les autoroutes de l’information restent dégagées. Pas de congères ni de sorties de routes. La voie est libre ! C’est finalement un sentiment curieux que de se savoir quasiment empêché de se déplacer physiquement tout en restant totalement mobile dans l’espace des réseaux numériques. C’est là une des dimensions les plus fascinantes de la médiation instrumentale, lorsque les technologies numériques et en réseau de la communication bousculent la façon dont nous percevons notre distance aux autres.

Réseau eneigéOn sait depuis les années 60 et les travaux de Hall sur la proxémie que notre organisation de l’espace est fortement culturelle, c’est-à-dire subordonnée à la fois aux caractéristiques individuelles et à celles des groupes sociaux au sein desquels on évolue. Hall évoque l’espace « informel » qui caractérise l’organisation spatiale de notre rapport rapproché, direct et immédiat avec autrui, par opposition à d’autres types d’espaces, dits « fixes » ou « semi fixes » dont l’organisation est structurellement contrainte par des règles d’architecture, d’urbanisme ou d’aménagement. Nos usages des instruments de communication en réseaux, dans la variété des modalités qu’ils nous offrent, contribuent à transformer cet espace informel. La distance très réduite de quelques dizaines de centimètres qui balise l’espace de la communication intime dans les cultures occidentales s’étend à l’infini avec l’anamorphose produite par internet. Il ne s’agit en rien d’une simple abolition de la distance, mais plutôt, comme l’exprime Geneviève Jacquinot-Delaunay, de transporter différemment certains des signes de la présence. Les technologies qui captent, codent, véhiculent et restituent ces données s’améliorent sans cesse au point qu’il me semble pertinent, comme le proposait Jean-Louis Weissberg il y a une dizaine d’années déjà, d’évaluer  la valeur du « coefficient charnel » dans la communication à distance.

Demain il faudra se lever tôt pour surmonter les lenteurs de la route enneigée.

6ème SEMIME : la fracture numérique persiste…

Pour la sixième année consécutive, je viens de participer au SEMIME à l’Université technologique de Lisbonne (UTL). Ce séminaire scientifique annuel porte sur le thème de l’exclusion numérique. Il est organisé dans le contexte du programme Erasmus Mundus. L’appel à communication est délibérément très ouvert tant en ce qui concerne les questions abordées que les disciplines éligibles. La nature des interventions est elle aussi très variable, de la communication du chercheur au témoignage du praticien en passant par la présentation de l’industriel, l’exposé de l’étudiant de master ou celui du doctorant. Le séminaire est quadrilingue (portugais, espagnol, anglais et français) et le panel d’intervenants très international (20 pays cette année).

Séminaire de recherche SEMIME

Finalement ces six années et ces quelques centaines de communications offrent un regard intéressant sur l’évolution du regard porté sur la question de la fracture numérique.

Ce qui frappe en premier lieu, c’est la persistance de cette problématique. Elle préexistait largement à la première édition du SEMIME en 2006 et reste malheureusement d’une grande actualité. Et tout porte à croire que le SEMIME a un bel avenir.

Dans un deuxième temps, la juxtaposition des interventions fait apparaître des différences de point de vue qui relèvent largement autant de déterminants intimes des énonciateurs que de leur statut ou de leur positionnement épistémologique. Ainsi la fracture numérique procède-t-elle selon les cas de variables culturelles, géopolitiques, sociales ou individuelles.

A l’orée des années 2000, nous étions quelques-uns à montrer que la fracture s’expliquait de moins en moins par l’accès aux équipements et aux services que par la capacité à planifier et à mener à bien des usages finalisés des technologies numériques. Il faut bien reconnaître aujourd’hui que la question est plus complexe. Si les équipements se démocratisent, les laissés pour compte n’en sont que plus exclus. Quant aux usages, ils sont de divers ordres. Il y a ceux déterminés par la pression sociale et professionnelle et ceux que l’individu décide lui-même en fonction de l’utilité qu’il en perçoit. Dans tous les cas, il lui faudra non seulement disposer des équipements mais aussi des compétences requises pour les mettre en œuvre.

Et là, toutes les communications du SEMIME ou presque convergent. Elles pointent la responsabilité des systèmes éducatifs dans l’acculturation numérique des jeunes. Du moins celle que l’Ecole devrait assumer et qu’elle rechigne pourtant à endosser.

J’avais pourtant dit : « Jamais de blog » !!!

Je suis très attentif aux usages des outils de communication en réseau. Mon métier de chercheur m’invite à cette curiosité. Je travaille essentiellement sur l’appropriation de ces technologies numériques par les différents acteurs individuels et institutionnels du champ de l’éducation.

Comme citoyen également, je suis intrigué par la place prise par les technologies numériques dans notre société et notre culture. Mon point de vue alterne alors entre un enthousiasme parfois teinté de naïveté et des craintes souvent légitimes.

Mon regard de chercheur procède bien sûr d’une autre logique. C’est la distance critique qui prévaut et le souci de comprendre les comportements observés en fonction de modèles scientifiques qu’il convient d’améliorer et de confronter aux évolutions des pratiques individuelles et sociales.

S’agissant des blogs, je suis un « néophyte connaisseur ».

Ce billet est pour moi inaugural. Je consulte régulièrement certains blogs, il m’est souvent arrivé de poster des commentaires dans des blogs (amis ou non) mais je n’ai jamais fait l’expérience d’être l’auteur d’un blog. « Mon » blog ! En revanche, j’ai contribué à différentes recherches sur les usages de cet artefact singulier, le plus souvent en accompagnant les travaux de mes étudiants.

Le temps passe si vite que l’on a oublié que l’histoire des blogs est très récente. Qui se souvient que les premiers blogs, à la fin des années 90 ne s’appelaient pas des blogs mais des « web logs », soit des journaux de bord sur le web ? Je me souviens de reportages télévisés de cette époque vantant la valorisation de la figure de l’auteur, la révolution des circuits éditoriaux, la prise de pouvoir de citoyen libre sur le système autoritaire. Il en va des blogs comme de l’espèce humaine : les spécialistes peinent à remonter jusqu’aux origines. Pourtant, des sites web comme The Obvious de Michael Sippey en 1995 ou Robotwisdom de Jorn Barger en 1997 sont souvent signalés comme les pionniers du genre et beaucoup s’accordent pour reconnaître que Peter Merholz est le premier a avoir utilisé le terme de blog pour qualifier son site Peterme dès 1999.

Au-delà de ces blogs de geeks, c’est l’ouverture de plateformes comme Livejournal et Bloggers en 1999 qui a suscité la multiplication des blogs. En 2002, alors que certaines radios de la bande FM françaises s’ouvrent massivement à l’audience adolescente avec des émissions dites « de libre antenne« , Skyrock propose la création de blogs gratuits, les skyblogs. Succès considérable avec près de 30 millions de blogs ouverts en quelques années seulement (en France et dans plusieurs autres pays).

Pourtant, dès 2006, une enquête du cabinet américain de prospective Gartner montre le déclin notable du nombre de blogs. C’est la chronique d’une mort annoncée.

Dans le même temps ou presque, l’étude de l’un de mes étudiants, Nicolas Bouchez, souligne combien les skyblogs des adolescents sont stéréotypés. Quelques photos, une présentation de soi très succincte et de rares textes retracent brièvement des scènes de la vie quotidienne et des états d’âme. Des commentaires souvent lapidaires accusent lecture et expriment le plus souvent l’adhésion au billet d’un ami. Finalement, l’usage du blog par ces adolescents préfigurait les plate-formes de réseaux sociaux… Et la migration des adolescents vers Facebook le confirme.

Quant aux blogs qui subsistent, tous ou presque sont réalisés en respectant des exigences de qualité importantes tant en ce qui concerne les contenus que la fréquence de publication.

Fort de cette analyse, je me disais que je n’allais sans doute pas me livrer à l’expérience du blog adolescent (j’ai mon compte Facebook pour le livrer à ce jeu là) et que je n’aurai ni le temps ni les compétences pour publier un blog bien réfléchi et bien nourri.

Finalement Charlotte (« Community manager » de l’Université de Poitiers) m’a convaincu du contraire.