L’Université, nouveau lieu de savoirs

Dans l’essai très intéressant qu’il vient de consacrer à la transformation des lieux de savoirs par l’usage des technologies numériques, Bruno Devauchelle évoque cette utopie récurrente de l’accès aux savoirs pour tous et la nécessité de réinventer les lieux de savoirs pour y parvenir. Pour ancrer son propos dans l’histoire et montrer combien cette problématique transcende les seules questions relatives aux technologies numériques, il évoque l’œuvre de Jean-Baptiste André Godin. Cette référence me paraît particulièrement heuristique !

Le Familistère Godin à Guise

Le Familistère Godin à Guise

Pour beaucoup, Godin est l’industriel français inventeur fabricant des poêles en fonte. Il a aussi concrétisé avec un certain succès l’utopie de Charles Fourrier qui, à l’orée du 19ème siècle, prônait la rupture avec la révolution politique pour y substituer l’expérimentation sociale. La démarche de Fourrier reposait sur l’organisation de communautés, les phalanges, sortes d’écosystèmes autonomes associant production et consommation. C’est selon ce modèle que Godin construit  son « Palais social », le familistère, construit à Guise à partir de 1858. Le familistère se présente comme un lieu unique intégrant les espaces de travail (l’usine), les résidences des employés et de leurs familles et tous les services associés dont ceux relatifs à la scolarisation et à l’éducation des enfants (école mixte mais aussi « nourricerie-pouponnat ») et des adultes (bibliothèque, théâtre, société de musique). Dans l’ouvrage qu’il a consacré à la vie des ouvriers de Godin, Bernard Rousseau a pourtant montré que ces idées de socialisme communautaire ne s’imposaient pas comme une évidence à ses bénéficiaires. Il a fallu bien des aménagements pour tenir compte des attentes et des souhaits des 1780 habitants du familistère à l’apogée de son développement en 1885. C’est à cette condition que la promesse sociale du projet de Godin a pu, un temps au moins, rencontrer l’adhésion de son public.

Aujourd’hui, les idées de Fourrier restent d’actualité et il existe même une association des études fouriéristes qui milite pour des expérimentations sociales comme les Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) ou les réorganisations industrielles en coopératives.

Le Googleplex, siège social de Google à Mountain View en Californie, relève d’une logique voisine en cherchant à favoriser l’interpénétration des univers professionnel et personnel des employés. C’est un lieu de travail mais c’est aussi un lieu de vie où l’on peut se restaurer, faire du sport, se détendre, pratiquer des activités culturelles … Google érige cette organisation en modèle de l’efficacité industrielle et sociale.

Le projet de Larry Page (PDG de Google) rejoint ceux de Fourrier en ce qu’il est, lui aussi, une expérimentation sociale. On peut en revanche douter que leurs objectifs et valeurs soient convergents : l’un cherchant le profit et l’autre le progrès social. Pourtant, le Googleplexe est bel et bien le fruit de cette réflexion sur les lieux de savoirs dont parle Bruno Devauchelle. Et il semble bien qu’il inspire de nombreuses entreprises et institutions.

Le débat est bien évidemment ouvert pour nos universités qui proposent aujourd’hui une organisation des espaces, des temps et des moyens de formation hérités d’un autre siècle. Le modèle des learning centers qui nous vient des pays anglo-saxons constitue l’une des propositions phares portée par la Conférences de Présidents d’Universités (CPU) et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC).

Si l’on se réfère aux difficultés rencontrées par Jean-Baptiste André Godin, on se gardera de l’imposer et l’on s’empressera d’associer tous les usagers à la conception des nouveaux lieux du savoir dont étudiants et personnel ont tant besoin.