« Quel piètre sceptique vous faites! » me lançait un détracteur pensant gagner l’argument par une attaque personnelle. Il n’avait peut-être pas tout à fait tort finalement, un sceptique n’est-il pas censé douter de tout? Et au fond, c’est quoi « être sceptique »?
Sceptique ou scientifique?
Parlons d’abord de ce terme. Le terme « sceptique » dont je parle fait référence au scepticisme scientifique – à ne pas confondre donc avec le scepticisme philosophique. Ce terme, qui en France est souvent remplacé par « zététique », désigne tout simplement quelqu’un qui défend la science et la méthode scientifique. On peut alors se demander quel est le lien avec le scepticisme au sens de douter de tout… le lien n’est effectivement pas direct. Il s’agit de toujours appliquer la méthode scientifique pour faire la balance entre un scepticisme stérile et non productif qui annule toute certitude et une crédulité sans limite envers toute affirmation. L’état d’esprit est donc celui de quelqu’un d’ouvert et de curieux mais toujours attentif aux éléments scientifiques avancés. N’est-ce pas là la définition du scientifique? Pourquoi alors ne pas tout simplement se déclarer comme tel? Je vois d’abord dans la démarche sceptique une pointe de militantisme qu’on ne retrouve pas forcément chez le scientifique de base. Ensuite, défendre la méthode scientifique revient de fait à étudier des sujets aux frontières de la science, d’où le scepticisme.
Le sceptique finit donc par devenir un spécialiste de ce qui est scientifique et de ce qui en a les parures mais qui n’en est pas, ce que l’on appelle communément pseudoscience. Cette expertise a même fini par déboucher sur un “baloney detection kit”, une sorte de boite à outils qui reprend les bases de la méthodologie scientifique et donne des armes contre les biais cognitifs, principaux obstacles pour tendre vers une certaine vérité scientifique. Ce kit indispensable permet de ne pas céder au chant des sirènes des pseudosciences.
Le sceptique, au final, est quelqu’un qui juge l’état des connaissances scientifiques en fonction des preuves qui sont avancées à un moment donné de l’histoire. Il peut changer d’avis suivant les avancées scientifiques et cherche constamment à répondre à la question de savoir quels sont les faits qui lui permettent de défendre une position donnée.
Pourquoi le scepticisme n’est pas une nouvelle forme de nihilisme
Pour en revenir à la critique formulée en introduction de cet article, on peut effectivement se demander – comme nous l’avons rapidement évoqué au début – si être sceptique ne signifie pas « douter de tout » ou, dit autrement, être « sans aucune certitude ». Le rejet de toute autorité, la défiance généralisée en France contre les institutions notamment scientifiques n’est-elle pas déjà le triomphe du scepticisme? Malheureusement non, car cette attitude n’a rien à voir avec le scepticisme scientifique que je viens d’exposer.
Détruire toute forme de vérité officielle peut effectivement être grisant mais généralement derrière cette déconstruction, il ne reste plus rien ou pire encore, chacun peut y mettre à peu près ce qu’il estime être une vérité. Le sceptique peut, quant à lui, effectivement contester les vérités officielles mais il le fait avec méthode. Cela implique de comprendre le fonctionnement de sa propre pensée et en premier lieu, de se méfier de ses propres intuitions. Le droit au doute doit s’accompagner d’un devoir de reconstruction scientifique.
Pourquoi nous avons besoin des sceptiques
Dans une société où la science est en première ligne dans de nombreux débats, certains n’hésitent pas à réclamer une place encore plus importante à la culture scientifique dans le cursus scolaire. Je pense personnellement que c’est dans ce contexte que le scepticisme montre sa supériorité et l’urgence de sa popularisation. Car ce n’est pas de plus de sciences dont nous avons besoin, mais d’expliquer plus clairement la méthode scientifique; comment se forge le savoir, comment élimine-t-on les biais: le « baloney kit » dont je parlais plus haut devrait être la boite à outils de tous les écoliers dès le plus jeune âge!
Plusieurs arguments fondamentaux sont à la base de cette idée. En premier lieu, la science est devenue tellement complexe qu’apprendre plus de concepts scientifiques à l’école ne permettrait pas de mieux comprendre les enjeux sous-jacents – pensez par exemple aux nanotechnologies ou au nucléaire. Il faudrait au moins une thèse dans chacun de ces domaines pour suivre techniquement le débat. En revanche, donner des outils pour permettre à chacun de comprendre comment les scientifiques en sont arrivés à telle ou telle conclusion, quelle est la fiabilité des preuves avancées, comment ne pas se laisser piéger par notre propre intuition souvent trompeuse, me semble bien plus primordial.
En second lieu, intégrer le scepticisme dans le cursus déjà existant des sciences est possible et même plutôt aisé. Cela demande bien sûr pour les enseignants une formation plus spécifique à ces méthodes mais je ne considère pas vraiment cela comme un obstacle. De nombreux thèmes déjà abordés dans le cursus pourraient être une formidable introduction à la démarche sceptique. La théorie de l’évolution? La théorie de Newton? Le très populaire Cédric Villani, dans l’une de ses conférences, profite d’une question simple – comment a-t-on découvert l’âge de la Terre ? – pour faire un véritable exposé sur la démarche scientifique et les méthodes qui permettent d’aboutir à une connaissance donnée de la nature. Cette démarche, si elle était largement généralisée, est indispensable si l’on veut se défendre intellectuellement contre les charlatans et éviter d’avoir un jugement biaisé sur une question donnée.
Extraordinary claims require extraordinary evidence
Je ne pouvais finir cette présentation du scepticisme scientifique sans faire référence à son mot d’ordre de ralliement : « Des affirmations extraordinaires exigent des preuves extraordinaires ». Ce slogan est une première étape pour s’immuniser contre les discours souvent complexes de nombreuses pseudosciences: plus le discours vous semble incroyable plus vous êtes en droit d’être sceptique et exiger des preuves irréfutables. Finalement, le scepticisme ne serait-il pas un nouveau vaccin contre le charlatanisme à généraliser?
sham (Facebook, Twitter, Google+)
PS: cet article a été originellement publié sur le site de Jean-Michel Abrassart dans le cadre du concours organisé par ce dernier: http://scepticismescientifique.blogspot.fr/2013/05/quest-ce-quetre-sceptique-nima.html
Puisque je me définis comme sceptique, et m’empare du mot comme pseudo, je place mon grain de sel dans la définition. C’est avant tout un doute sur la perfection de l’homme, et, par extension, sur ses oeuvres, sa pensée, ses discours, parlés ou écrits. Ça vaut pour moi, bien entendu!
C’est ainsi que si l’amour est une réalité, une valeur, c’est en même temps une illusion. La sincérité n’est pas la preuve de la vérité. L’intérêt, l’orgueil, peuvent contaminer les meilleures intentions. La vérité n’est toujours qu’avec un petit v, même en sciences. Même le consensus large ne suffit pas.
Comme il faut bien penser, dire, ou agir, il faut prendre le risque de ne pas être parfait, de se tromper. Ou même, de mentir, pour commencer, à soi-même.
Il faut être fier de ses efforts, et humble face à ses résultats.
Enfin, il ne faut s’étonner de rien.
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Je ne rentre pas dans le débat même de l’article, je tiens seulement à recentrer certaines “hypothèses de base”.
Depuis 70 ans, cette science dont l’auteur se fait le chantre, permet à peine de percevoir 5% de la masse “dont on croyait que l’univers était fait” (parce qu’on la voyait).
Ainsi, tout comme dire “je vois de la lumière” est un abus commun de langage (personne n’a jamais vu de lumière, on en voit les effets et on en déduit qu’il y a de la lumière, mais avec quelle lumière éclairer la lumière pour la voir ?), dire que la science est faite de savoir est un abus de langage. Elle est principalement constituée d’ignorance distribuée, d’assertions faites sur la base d’hypothèses (i.e. ce qui soutient la thèse) que des expériences pratiques “n’infirment-pas” à défaut de pouvoir les prouver.
Cette chère science est donc aujourd’hui, tout comme les affirmation du GIEC au sujet du climat, faite de 95% d’ignorance en ce qui concerne la matière de l’univers. Et on persiste à l’appeler “science” (savoir). C’est donc la science de l’ignorance.
http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosbig/decouv/xchrono/matNoir/facObsc/niv1_1.htm
Finalement, vous m’excuserez, mais je préfère qu’on m’appelle “sceptique” (dans un sens fondamental d’ignorant, dans le doute permanent) plutôt que “scientifique” (savant), car voilà bien la seule et unique certitude qui m’occupe tout entier : plus je crois savoir et moins j’en sais !
Exception notable : l’intellect pur, les mathématiques où l’esprit nous permet parfois de circonscrire des problèmes complexes. Serait-ce cette merveilleuse source de savoir “idéal” qui par ricochet nous fait encore croire que La science, dans son acception la plus large, serait un socle monolithique fait de certitude ? Je n’en sais rien !
Enfin, ce n’est pas abdiquer devant la fuite incessante de l’horizon de la certitude que de reconnaître notre ignorance. Bien au contraire c’est précisément dans un scepticisme “avancé”, cette posture du doute qui tourmente, signe de la curiosité féconde la plus éminente qui mène de rares génies à trouver, parfois, des traces de lumières ici ou là.
Bien à vous
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– Yves GINGRAS. L’impossible dialogue. Science et religion. Pour un naturalisme méthodologique, contre le néo-romantisme spirituel. PUF, 2016.
– Cercle Zététique. Voyage dans l’Anneau sceptique.