10 à 15 centimètres de neige, l’annonce d’un risque de verglas et voilà la France paralysée. Notre pays n’est pas organisé pour y faire face, sauf peut-être dans les régions de montagne. Quoi de plus normal finalement dans ces conditions que les trains arrivent en retard et que nous limitions nos déplacements en voiture. Pas toujours très agréable de se faire rappeler à l’ordre par la nature mais sans doute très salutaire si l’on y réfléchit un peu. Dans le même temps, sauf rares avaries techniques, les autoroutes de l’information restent dégagées. Pas de congères ni de sorties de routes. La voie est libre ! C’est finalement un sentiment curieux que de se savoir quasiment empêché de se déplacer physiquement tout en restant totalement mobile dans l’espace des réseaux numériques. C’est là une des dimensions les plus fascinantes de la médiation instrumentale, lorsque les technologies numériques et en réseau de la communication bousculent la façon dont nous percevons notre distance aux autres.
On sait depuis les années 60 et les travaux de Hall sur la proxémie que notre organisation de l’espace est fortement culturelle, c’est-à-dire subordonnée à la fois aux caractéristiques individuelles et à celles des groupes sociaux au sein desquels on évolue. Hall évoque l’espace « informel » qui caractérise l’organisation spatiale de notre rapport rapproché, direct et immédiat avec autrui, par opposition à d’autres types d’espaces, dits « fixes » ou « semi fixes » dont l’organisation est structurellement contrainte par des règles d’architecture, d’urbanisme ou d’aménagement. Nos usages des instruments de communication en réseaux, dans la variété des modalités qu’ils nous offrent, contribuent à transformer cet espace informel. La distance très réduite de quelques dizaines de centimètres qui balise l’espace de la communication intime dans les cultures occidentales s’étend à l’infini avec l’anamorphose produite par internet. Il ne s’agit en rien d’une simple abolition de la distance, mais plutôt, comme l’exprime Geneviève Jacquinot-Delaunay, de transporter différemment certains des signes de la présence. Les technologies qui captent, codent, véhiculent et restituent ces données s’améliorent sans cesse au point qu’il me semble pertinent, comme le proposait Jean-Louis Weissberg il y a une dizaine d’années déjà, d’évaluer la valeur du « coefficient charnel » dans la communication à distance.
Demain il faudra se lever tôt pour surmonter les lenteurs de la route enneigée.