Le vibrato, point trop n’en faut…! (1/2)

L’Art du Violon. Pierre Baillot (1834)

Pierre Baillot fut un des rédacteurs de la méthode de violon (1802) et de violoncelle (1805) du Conservatoire[1]. Si ces méthodes passaient quasiment sous silence le sujet du vibrato, il en va tout autrement dans sa nouvelle méthode.

Cet Art du Violon, ainsi que la méthode de Spohr, est une véritable mine d’informations pour les musiciens d’aujourd’hui car elle ne contient pas seulement des exercices techniques mais aussi de nombreuses anecdotes sur le jeu de Kreutzer, Rode ou encore Viotti qui fut leur maître. Les questions d’interprétation y sont également abordées.

Baillot tente de donner une description la plus précise possible du vibrato. Il dénombre trois catégories de vibrato (Son Ondulé).[2]

  •   « Ondulation produite par l’archet »

« Passer l’archet sur la corde, lentement et faiblement d’abord, plus fort en suite, et diminuez peu à peu son appui, les vibrations augmenteront et diminueront d’intensité en proportion de cet appui ou de la vitesse de l’archet ; il résultera, de cette plus ou moins grande amplitude d’oscillation de la corde, une ondulation dans le son, si vous rendez cette ondulation fréquente en faisant un peu fléchir la baguette, et en lui donnant une espèce de palpitation que l’on indique par ce signe P-1  ou par celui-ci P-2  .

L’ondulation, produite par l’archet seulement, est d’une expression calme et pure parce que, d’une part, elle se fait en général dans les mouvemens lents ou modérés, et sur une corde à vide, et que de l’autre, lorsqu’on la fait, un doigt étant posé sur la corde et restant immobile, la justesse de la note conserve la fixité, tandis que, dans une autre espèce d’ondulation, cette justesse est momentanément altérée, comme on le verra dans l’article suivant ». 

  •  « Ondulation produite par la main gauche » (le vibrato utilisé par tous les instrumentistes à cordes du monde)

« Posez un doigt sur la corde, tenez les 3 autres doigts levés, et faites balancer la main gauche d’une seule pièce, dans un mouvement plus ou moins modéré, de manière à ce que cette vacillation ou ce tremblement de la main se communique au doigt posé. Au moyen de ce léger tremblement le doigt, restant toutefois sur la même note, avance et recule un peu, et la corde, alternativement raccourcie et remise dans son premier état par ce mouvement, donne au son une ondulation, dont voici à peu près l’effet ».

 P-4

Pour Baillot, cette « ondulation » est très similaire à la voix « lorsqu’elle est fortement émue » mais si « ce moyen d’expression […] très puissant […] était très souvent employé, il aurait bientôt perdu la vertu d’émouvoir et n’aurait plus que le dangereux inconvénient de dénaturer la mélodie, et de faire perdre au style cette précieuse naïveté qui fait le plus grand charme de l’art en ce qu’elle tend toujours à le rappeler à sa simplicité primitive ».

 P-5Exemple de vibrato à la façon de Viotti

Cette sorte de vibrato a toutefois un inconvénient : ce « balancement du doigt altère momentanément la justesse du ton ». Il faut donc « commencer et finir par faire entendre le ton juste et pur ».

  •   Les deux sortes de vibratos combinés.

Pour ce cas de figure, « le doigt et l’archet agissent ensemble et plus vivement que dans les deux espèces précédentes ».

 P-6

Baillot termine son chapitre par quelques mises en garde :

          Le vibrato d’archet « serait intolérable dans une certaine vitesse » et « n’est d’un bon effet que sur les notes longues ou répétée »

          Le vibrato de main gauche doit être exécuté à la bonne vitesse. « Il faut éviter de donner à l’ondulation une mollesse qui rendrait le jeu suranné, ou de mettre une raideur qui nuirait à la grâce et à la facilité ». Il faut éviter enfin « de prendre l’habitude du tremblement de la main qu’on ne doit employer que lorsque l’expression le rend nécessaire ».

 

Violin school. Louis Spohr (1843).[3]

Comme L’Art du Violon de Baillot, cette méthode ne se contente pas de parler que de gammes et autres exercices d’archet. On trouve aussi des conseils pour choisir le bon diamètre de corde, des conseils sur l’attitude à avoir lorsque l’on doit jouer en solo ou au contraire en orchestre. En bref, on peut trouver de nombreux éléments qui sont autant de témoignages des goûts d’un musicien les plus célèbres de son temps et qui nous permettent d’en savoir plus sur la vie musicale d’alors.

Chez Sphor, seul le vibrato de main gauche est évoqué. Comme nous allons le voir, la conception qu’il se fait du vibrato ressemble fort à celle de Baillot.

« On peut classer parmi les ornements le tremolo et le Port de voix. Lorsqu’un chanteur chante sous l’impulsion de la passion, ou lorsqu’il pousse sa voix jusqu’au summum de sa puissance, il se produit, dans cette voix, un tremblement semblable aux vibrations d’une cloche frappée avec force. Le violoniste peut reproduire ce tremblement comme il peut reproduire d’autres particularités de la voix. Il consiste dans un certain flottement du son appuyé, qui dépasse, en dessus et en dessous, le son juste, et qu’on produit au moyen d’un balancement de la main, dans la direction du sillet au chevalet. Mais ce mouvement ne doit pas être trop marqué, ni la déviation de justesse trop sensible ».

Après cette description, Spohr classe le vibrato en quatre catégories :

  • Le vibrato rapide qu’on peut utiliser dans les passages passionnés et les Forzendi (fz) ou les accents (>) P-7
  • Le vibrato lent, pour les passages mélodieux et passionnés P-8
  • Le vibrato qui accélère P-10
  • Le contraire P-9

Ces deux dernières catégories sont pour le violoniste, les plus difficiles à exécuter et demandent beaucoup de pratique « pour que l’accélération et le ralentissement soient graduels et non subits ».

P-11

Extrait de l’exercice destiné à travailler les différentes sortes de vibrato

 

Les violoncellistes sont beaucoup moins prolixes que nos deux illustres violonistes. Néanmoins on trouve quelques exemples au sujet du vibrato. Ainsi, à la 9ème section Des agréments du chant ; du triller et du glissement sur la corde (ports de voix) de la méthode de Dotzauer,[4] on trouve :

« Dans des sons longtems soutenus on se sert quelquefois (surtout les professeurs italiens) d’une espèce de vibration (Tremolo) ou tremblement, qu’on effectue en inclinant le doigt posé sur la corde avec peu de vitesse d’un côté et de l’autre ». C’est ici le vibrato de main gauche qui est décrit. Mais on trouve aussi l’autre type de vibrato : « d’autres artistes tâchent de produire le même effet par un mouvement du poignet qu’on appelle ondulé (vibrato d’archet) et qui s’indique par ce signe :P-12

ce qui est un composé de plusieurs sons filés dont on fait sentir le Forté au commencement de chaque tems ou demi tems ». Dotzauer conclut le chapitre en mettant en garde le violoncelliste qui serait tenté d’abuser du vibrato. « Quoique ces expériences ne soient pas absolument à rejeter, le bon goût prescrit de ne s’en servir que très rarement… ».

Pour Kummer,[5] au chapitre Du ton et de la manière de jouer un morceau, le vibrato ne se fait qu’avec la main gauche. « On prolonge le son en faisant osciller un doigt de la main gauche sur une corde : on appuie un peu fort le doigt qui presse la corde et le pouce appuie légèrement derrière le manche.

Cette ondulation est indiquée ainsi P-13 .

P-14

Il ne faut pas abuser de ce moyen qui donne un jeu trainant et uniforme ». Ce point de vue est partagé par Romberg[6] (Chapitre Des autres ornemens ou agrémens: « le tremolo se produit en pliant le doigt avec lequel on a pris un son, à plusieurs reprises et par un mouvement très rapide, tour à tour en avant et en arrière. Employé rarement et appuyé d’un archet vigoureux, il donne de la chaleur et de la vie au son ; mais ce n’est qu’au commencement qu’il faut le faire, et ne pas le prolonger au début de la note ».

 

A la lecture de toutes ces méthodes, on se rend compte de la variété de vibrato qui existait à l’époque : vibrato de main gauche et d’archet pour l’école Française de violon représentée par Baillot, diversité dans la réalisation du vibrato de main gauche pour Spohr, leader de l’école Allemande. On note tout de même que malgré toutes ces différences, trois grandes idées se recoupent. Tout d’abord, le vibrato est un ornement qui permet d’embellir le texte musical. Ensuite, le vibrato de main gauche est une imitation des vibrations produites par la voix humaine ; le musicien se doit donc de réaliser ce geste technique en ayant toujours cette idée en tête. Enfin on sera frappé par les recommandations systématiques des différents auteurs de ne pas trop abuser du vibrato, mais au contraire de toujours le jouer avec bon goût.

 

Jean-Baptiste Valfré

 


[1]Voir l’article Pas de vibrato au Conservatoire.

[2]Baillot, Pierre. L’Art du violon, nouvelle méthode. 1834, p. 159-162. 

[3] Spohr, Louis. Violin school. 1843, p. 161-166.

[4] Dotzauer, Justus Johann Friedrich. Violonzellschule. 1838, p. 47.

[5] Kummer, Friedrich August. Méthode de violoncelle. 1839, p. 28.

[6] Romberg, Bernard. Méthode de violoncelle. 1840, p. 132.

 

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